Chapitre 79 🎵

« La haine est un fardeau qui pèse davantage sur les épaules de qui la propage que de qui la reçoit. »

– Ji Sangpo, De la guerre.


Yoongi grattait la terre de ses ongles, les lèvres ouvertes sur un gémissement muet. Son dos le tirait tant il le courbait, et les veines de son avant-bras saillaient. Il ignorait depuis combien de temps il subissait la présence si rapprochée de la pierre, il savait seulement que depuis la fin de la conversation avec lui au palais, Mincheol la lui avait imposée. Trois heures, donc ? Peut-être même un peu plus. Non, pas plus : le soleil se levait, il était encore tôt. Il avait commencé par ressentir des maux de tête désagréables qui s'étaient peu à peu intensifiés. Il avait plaqué les mains sur ses tempes dans l'espoir de les stopper, mais rien à faire.

L'énergie de l'œil le dévorait de l'intérieur, son cœur lui semblait frapper ses côtes autant que son crâne, et il lui était devenu impossible de se concentrer sur quoi que ce soit d'autre que cette douleur térébrante qu'il avait endurée lors des premières semaines à porter le fragment confié par Yua, avant qu'il n'apprenne à maîtriser cette magie. Il se rappelait encore les maux de tête que Jimin avait mis sur le compte de la fatigue et de ses blessures.

Aujourd'hui cependant, peu importait qu'il se repose : il ne tolérait plus l'influence de la pierre. Son pouvoir était affolé par celui qu'il côtoyait, si bien qu'il bouillonnait dans ses veines, circulait dans son corps avec une rage jamais atteinte. Yoongi ne tiendrait plus très longtemps à ce rythme-là, la souffrance l'emporterait tôt ou tard, et déjà il jurerait par moment ne plus se souvenir des quelques minutes précédentes, de sorte qu'il se demandait s'il n'avait pas perdu connaissance.

Il entendait des voix dont il se moquait, focalisé sur ce qu'il subissait. Il espérait de tout son cœur que le supplice s'achève enfin, mais il savait que Mincheol devait le garder sous son contrôle s'il voulait gagner la guerre. Yoongi, songeant que puisqu'on l'avait abandonné à terre ils se trouvaient sans doute sur le champ de bataille, tenta de relever le visage. S'il pouvait au moins voir Yua, ou bien Jimin, la douleur s'atténuerait.

La combattante qui portait la pierre se rapprocha, et le Phénix s'effondra alors qu'il avait réussi à poser les paumes au sol pour s'y appuyer et commençait à déplier les coudes. Il serra ses tempes entre ses mains dans un cri qu'il s'ignorait capable de pousser. Il lui semblait que des acouphènes hurlaient à ses oreilles et que le monde tanguait au point qu'il lui fallait enfoncer ses ongles dans la terre pour ne pas tomber. D'atroces nausées le prenaient, qu'il réprimait avec de plus en plus de mal. Il n'avait pas beaucoup mangé ces dernières heures, il luttait pour ne pas rejeter le peu qui lui restait dans l'estomac.

Une larme lui échappa alors qu'il priait Hiemis pour que le calvaire s'achève.

~~~

Jimin contracta ses poings sur le manche de son sabre. Une fureur terrible sourdait en lui, et alors que Mincheol se détournait pour rejoindre ses troupes, il voulut se jeter sur lui, parcourir ces quelques mètres qui les séparaient pour planter enfin sa lame dans son cœur. Il resta figé ; il connaissait cette sensation.

Mincheol maîtrisait bel et bien les magies d'ombre et de lumière.

Le général ne retrouva sa mobilité qu'une fois le Prince retourné parmi ses soldats. Il tourna un regard sur les lieutenants Choi et Jung, qui fulminaient de n'avoir pas pu non plus tirer leur flèche. Personne n'avait réussi à agir.

« Puisque Tyfodon, Vanori et Arixium veulent la guerre, lança le Prince de sa voix puissante, qu'ils la subissent. »

Et alors que sur ces mots, l'armée écarlate hurlait son approbation et son envie d'en découdre, Hoseok et Soobin ordonnaient pour leur part de nouvelles salves de flèches, dirigées cette fois sur les hommes les plus proches. Hoseok visa l'endroit où il supposait que Mincheol se dissimulait, espérant que sa pointe traverse le cou du soldat devant lui pour le terrasser. Deux combattants moururent, mais le Prince avait disparu, suivi par ses trois subordonnés qui avaient traîné Yoongi dans l'immense foule de Scorpions. Où se rendaient-ils ?

Connaissant un peu le caractère de cet homme, Yua répondit à la question que Jimin se posait : « Son ego surdimensionné va l'inciter à surveiller à la bataille sans prendre le moindre risque. Il veut se régaler de notre défaite.

— Un lieu en hauteur, comprit le général.

— Exactement. Il nous laisse dans l'arène avec les prédateurs pendant qu'il s'installe confortablement dans les gradins avec son animal de compagnie. »

Parler de cette manière de son propre frère l'écœura, mais que dire d'autre ? C'était ainsi que cet être vil percevait Yoongi, elle ne l'ignorait pas. Il désirait se repaître de ce massacre tout en regardant le gardien expirer enfin... du moins si c'était bien ce destin qu'il réservait à son jumeau. Ne le cherchait-il que pour la pierre en sa possession ? Elle commençait à le croire.

« Si le Prince refuse de nous écouter, alors qu'il entende hurler nos lames ! clama Jimin. Nous ne ploierons pas, toujours nous lutterons ! Sauvons le Continent des folles ambitions de ce traître qui a fait sombrer son propre pays ! Pour la paix coulera le sang ! »

https://youtu.be/NYjKlsjSP4I

Tous les combattants alliés approuvèrent dans un concert de cris de guerre, et les Sawaï s'élancèrent sur l'ennemi. Jimin brandit son arme, prêt à ordonner à son tour l'assaut, quand un bruit strident attira son attention. Il leva les yeux vers le ciel, aussitôt imité par ses lieutenants qui s'étonnèrent des ombres qui apparaissaient soudain sur le champ de bataille.

« Ran, tu arrives au bon moment, » souffla-t-il soulagé – et il tendit le bras vers l'armée écarlate.

Samran vira de bord, suivi par tous les aigles de l'élevage des Park. Jimin avait craint que Huyeon ne reçoive pas son message à temps, mais au contraire : les oiseaux, maintenant entre leurs serres des coupelles d'étain, s'écartèrent des troupes alliées et larguèrent au-dessus des Sawaï leurs fardeaux.

Des braises. Du fait de leurs rangs trop denses, les soldats ne parvinrent pas à les esquiver : après avoir heurté les crânes de plusieurs d'entre eux, elles s'échouaient tantôt à terre, tantôt dans les capuches des guerriers, de qui les tuniques se mirent à flamber. De véritables torches humaines s'animèrent un peu partout, et pire encore fut ce qui advint grâce aux volatiles qui s'éloignèrent le plus avant d'abandonner leur trésor : tombées dans l'herbe ou dans des arbres, l'essentiel des braises s'éteignit, mais les autres...

Elles provoquèrent un violent incendie qui, parce qu'il n'avait presque pas plu ces jours-ci, se propagea peu à peu. Il restait des centaines voire des milliers de guerriers qui n'avaient pas atteint le plateau terreux où se déroulerait le combat ; les voilà piégés dans un pan de forêt en flammes qui se refermait sur eux pour les avaler.

Une chaleur digne de celle d'un four étouffait les soldats Scorpions. Enfin une certaine panique commença à se diffuser dans leurs rangs : ils coururent vers les alliés plus pour se protéger de l'incendie que dans l'optique de les attaquer. Ces derniers, prêts pour leur part à se défendre, les attendaient de pied ferme, toujours en formation, désireux d'en découdre.

Le tsunami adverse avait perdu de sa superbe, les nuées d'aigles du clan Park continuaient de survoler les alentours, attrapant les plus gros cailloux possibles dans les montagnes environnantes pour les abandonner au-dessus des ennemis. Ils ne les blesseraient peut-être pas, mais ils les distrairaient, les gêneraient, les inciteraient à commettre des erreurs fatales.

Jimin ordonna l'assaut, il se jeta avec ses lieutenants en premier dans le combat. Yua n'hésita pas plus que lui : elle rêvait de massacrer ceux qui avaient tant infligé aux siens, à commencer par ses parents et son frère. La prêtresse avait suivi des années d'un rude entraînement, elle comptait bien s'en servir sous l'œil lumineux du soleil levant.

Équipée d'un poignard arixien que le guerrier parti avec Taehyung et Ina lui avait confié, ainsi que d'un karambit à la lame crantée, Yua para d'une main le coup d'un ennemi en même temps qu'elle enfouissait sa pointe dans son abdomen. Elle se sentait à l'aise avec le combat au corps à corps, et elle ne se priverait pas de mettre ses talents à profit. Même ceux qui possédaient des sabres ne lui résistaient pas : enragée, elle laissait sa fureur guider ses mouvements. Ses réflexes stupéfièrent ses adversaires qui ne luttaient jamais très longtemps face à sa rapidité et son habileté. Elle dansait au milieu de la foule des Scorpions.

Yua attrapa un soldat par le col du bout de sa dague, l'attira à elle d'un geste brusque et planta son genou dans son ventre. La violence du choc enfonça la braconnière du Sawaï qui entreprit une attaque, en vain puisque quelques instants plus tôt, la prêtresse l'avait désarmé. Il tenta des coups de poing et de pied qui faillirent faire pouffer Yua, laquelle l'acheva en lui tranchant net le cou. L'homme aussitôt plaqua les mains sur la plaie, comme s'il pouvait ainsi en contenir le sang qui se mit à en couler en abondance. La Phénix le toisa, l'air mauvais.

« Tu mourras, aussi minable que le reste de ceux qui ont suivi ce criminel.

— Et toi, tu iras crever dans un charnier à la fin de ce combat, grogna l'homme alors que son propre sang lui remontait dans la bouche. Croyais-tu qu'il s'agissait là de tous nos effectifs ? Une fois le feu maîtrisé, ils nous rejoindront, et vous mourrez tous. »

Yua songea qu'il ne servait à rien de discuter avec les sots : elle se contenta, en réponse, de lui cracher au visage – pas très élégant, mais libérateur. Elle se baissa ensuite en effectuant un pas de côté pour esquiver une Sawaï qu'elle avait entendue arriver derrière elle, et la femme abattit sans le vouloir son ami agonisant sur le front de qui coulait la salive de la prêtresse. S'il ne s'était pas agi d'une guerre si grave, Yua se serait sans doute laissée aller à éclater de rire à cette vision pour le moins surprenante.

Son adversaire retira d'un geste violent et dénué de pitié son sabre du corps qui s'effondrait. Elle se jeta sans plus attendre sur Yua qui leva son karambit avec une vivacité et une force telle que le bras de la combattante fut balayé, offrant un accès royal à son cou. Yua y planta son poignard et fit volte-face en entendant des pas. Elle tomba nez à nez avec un vétéran Sawaï équipé d'une hallebarde.

« Je vais t'apprendre à te croire supérieure, fillette.

— On m'a toujours répété que plus la lame d'un homme était grande, plus il cherchait à compenser quelque chose. Aurais-tu peur de t'approcher de moi ? »

L'homme ne palabra pas davantage. Il bondit, son arme prête à s'abattre sur Yua qui esquiva avec agilité tout en se rapprochant : elle attrapa le bâton d'acier, bascula son poids sur son pied gauche et leva le droit pour donner un magnifique coup de pied dans la mâchoire du prétentieux. Ce dernier, juste assez étourdi pour ne pas réagir tout de suite, ne vit pas le poing de la Phénix qui lui écrasa le nez. Il lâcha sa hallebarde mais eut le réflexe d'empoigner son adversaire ; il saisit les cheveux de la prêtresse qu'il serra entre ses doigts, et Yua essaya de planter son couteau dans ses côtes avant de changer d'avis.

Un deuxième homme arrivait en renfort, son sabre brandi devant lui. Aïe, le combat se compliquait pour elle. La jeune femme enfonça son poignard dans la main qui l'agrippait, et l'affrontement reprit, cette fois plus périlleux : quand Yua esquivait l'un, elle devait tenter de déstabiliser l'autre. Elle échappait avec souplesse aux différentes attaques, mais elle s'épuisait sans réussir à frapper, incapable de trouver le moment opportun, celui où elle pourrait agir sans risquer d'être touchée.

Alors qu'elle venait de se dérober aux coups du premier, elle dirigea son attention sur le second pour voir la pointe de son arme filer droit vers son œil. Le temps lui manquait, elle ne s'en tirerait pas.

Le fer s'immobilisa à un centimètre de son visage alors que depuis qu'elle s'était tournée vers cet ennemi, il s'était passé moins d'une seconde. Elle n'avait même pas pu paniquer ou se poser la moindre question tant tout s'était déroulé à une vitesse insensée. La lame juste devant elle, elle sentit son cœur cogner à toute allure, au point qu'il paraissait vibrer sous ses côtes. Elle recula d'un pas sans remarquer que le soldat derrière elle s'était aussi figé, et elle trébucha sur son pied. Son dos toutefois ne rencontra pas le sol, mais un bras puissant, vaillant, capable de soutenir la voûte céleste. Un geste, une odeur, un corps qu'elle reconnut aussitôt.

Yua appuya une main sur le torse d'un des hommes les plus courageux de sa connaissance, se noyant dans l'iris bleuté de son sublime sauveur – peu lui importait qu'il lui manque un œil, il demeurait le seul qu'elle désire... le seul qu'elle ait jamais désiré.

« Hyunbin...

— Quelle joie de te revoir !

— Est-ce que cela signifie que tu vas enfin oser m'embrasser ? »

Elle le savait beaucoup trop timide et respectueux pour agir sans sa permission, mais bon sang, elle n'en pouvait plus d'attendre qu'il se décide à lui avouer ses sentiments ! Ils avaient vécu trois mois séparés l'un de l'autre, trois mois qu'elle voulait oublier, mais dont elle voulait qu'ils servent à ce qu'ils profitent à présent plus que jamais de tout ce à côté de quoi ils étaient passés.

Leur amour qu'ils ne s'étaient jamais déclaré.

Hyunbin parut sur le point de protester... puis il esquissa un sourire bouleversé et, attirant sa bien-aimée dans ses bras, alors que les combattants autour d'eux demeuraient figés, il lui offrit ce baiser passionné qu'elle désirait avec tant d'impatience. Oh il ne s'agissait que de leurs lèvres, mais cela ravit tant Yua qu'elle en versa une larme d'émotion. Elle tenait son visage en coupe, lui caressait les joues, et lui pour sa part lui effleurait d'une main la hanche, de l'autre la nuque. Ses gestes débordaient de tendresse, d'un espoir qui renaissait, qui s'enflammait – un brasier qui hurlait en eux après s'être éteint.

Yua avait cru le perdre la nuit de l'attaque. Elle avait craint de ne jamais le revoir, elle avait refoulé son chagrin des semaines durant, tentant de se focaliser non sur ses sentiments, mais sur son peuple, car lui seul devait compter lors d'une telle crise. Pourtant... Hyunbin n'avait jamais quitté son esprit. Elle l'avait aimé sans arrêt pendant ces trois mois, et quand Mincheol lui avait infligé son affection, elle avait imaginé celui qu'elle chérissait à sa place. Elle frémit, goûtant la sensation de sa bouche chaude tout contre la sienne, et elle ne s'écarta qu'une fois repue de ce contact chaste.

Ils échangèrent un sourire, et Yua reporta son attention sur le champ de bataille : tout autour d'elle, de jeunes Phénix s'étaient associés à des Élémentaires qu'ils aidaient dans leur combat. L'essentiel des troupes Scorpions qui les entouraient était immobile, n'attendant plus que de se faire taillader.

« J'ai accepté qu'ils combattent à condition qu'ils ne s'approchent pas de trop près des Sawaï, affirma Hyunbin.

— Alors tu leur as demandé de se concentrer sur un Élémentaire chacun, comprit-elle.

— Oui. Et si tu veux savoir, je n'ai pas accepté les adolescents en dessous de dix-sept ans. Les plus jeunes sont restés au camp. Nous ne pouvions pas vous laisser seuls.

— Très bien. Alors couvre-moi.

— Avec plaisir, mon amour. »

Yua se détourna pour éviter de rougir et retourna à ses massacres sous l'œil attentif de Hyunbin qui se réjouissait d'user enfin de son pouvoir contre ces barbares – il avait tenté, en prison, de s'en servir pour fuir, mais tout ce que cela lui avait rapporté, c'était des séances peu plaisantes dans la salle par laquelle les Phénix s'étaient ensuite enfuis.

~~~

Jimin, lorsque son adversaire s'immobilisa, éprouva un espoir dévorant avant de s'apercevoir qu'il s'agissait en vérité d'une jeune femme Phénix et non de son bien-aimé. Elle lui fit signe qu'elle restait en arrière, ce à quoi il baissa la tête en signe de respect aussi bien que de remerciement.

Il ressentit soudain le besoin vital de retrouver Yoongi. Où Mincheol s'était-il enfui ? Un endroit en hauteur duquel il pouvait tout observer sans craindre quoi que ce soit... un lieu duquel il ne sortirait que pour achever les derniers blessés, porter le coup de grâce...

Jimin planta d'un même geste son sabre dans des côtes et sa dague dans une gorge. Il s'autorisa un regard circulaire, mais il ne le remarqua nulle part. S'il maîtrisait l'invisibilité, pas étonnant, bien que le général doute de sa capacité à utiliser ses pouvoirs. S'il avait besoin de l'œil pour maintenir Yoongi sous son joug, il était bien moins puissant que ce qu'il cherchait à laisser entendre.

Une fulgurance lui traversa l'esprit, il se retourna vers la Phénix qui le protégeait.

« Pouvez-vous percevoir la présence de l'œil ? Savez-vous où il est ?

— S'il est au soleil, oui, nous percevons son pouvoir et pouvons identifier à peu près d'où il provient.

— Par où dois-je aller pour le retrouver ? Nous ne devons pas perdre une minute de plus. »

La jeune femme se concentra et les rôles s'inversèrent : l'Arixien la défendit contre quiconque approchait afin de lui permettre de localiser la source de son propre pouvoir. Elle releva la tête d'un coup, le regard fixé sur le fond de la plaine, et Jimin jura : ils en avaient encore pour des heures avant que la bataille ne soit assez avancée pour leur laisser le champ libre jusqu'aux bois !

« Il va falloir forcer le passage, déclara-t-il.

— Je vous suis.

— Ce sera la chose la plus dangereuse et la plus insensée que vous ayez jamais faite.

— Je pense aussi. »

Et elle sourit. Jimin acquiesça et entraîna la Phénix avec lui à l'écart : s'ils désiraient se mesurer au Prince, ils devaient auparavant s'entourer de quelques guerriers supplémentaires. Sans surprise, son choix s'orienta sur le lieutenant Kang Taehyun, qui combattait un homme que le général acheva à la va-vite.

« Ce n'est pas bien de voler le jouet des autres, mon général, protesta-t-il malgré son rictus qui traduisait son amusement.

— Je vous en offrirai d'autres. Nous allons chercher Yoongi.

— Oh, avec plaisir. »

Jimin réclama ensuite l'aide de Yeonjun et Rure, puis celle de Soobin. Il avait perdu Hoseok et Beomgyu de vue dans la mêlée, de sorte qu'il décida de ne pas les impliquer, et il refusait de prévenir Yua, qui risquait de devenir incontrôlable face aux souffrances de son frère. Lui-même savait que garder son calme devant un Yoongi agonisant relèverait de l'exploit.

Trois Phénix les accompagnaient, déterminés à tirer de ce mauvais pas leur défenseur, celui qui les avait sauvés quelques heures plus tôt. Ils avaient bien compris que pour cela, il leur faudrait traverser une marée humaine, mais ils s'en moquaient. Tous trois soldats de formation, ils avaient juré de protéger leur peuple, et à présent, le mieux qu'ils puissent faire était de retrouver Yoongi et le libérer de l'emprise du Prince. Une puissance incommensurable émanait de lui, ils l'avaient perçue dans la prison sawaï, jamais ils n'avaient ressenti un tel pouvoir auparavant.

« Nous aurons besoin que vous arrêtiez les ennemis sur notre passage, leur indiqua le général. Nous tenterons de nous faufiler par le côté afin de ne pas attirer l'attention tout de suite sur nous, mais si nous sommes repérés, nous ne nous en sortirons pas vivants sans vous.

— Et même avec eux..., intervint Taehyun avec une moue sceptique.

— Croyez un peu en nos capacités, lieutenant Kang. Nous nous en sortirons avec leur soutien, j'en suis convaincu. »

Soobin, Yeonjun et Rure ne répondirent pas, peu convaincus eux aussi mais décidés à donner le meilleur d'eux-mêmes.

« Messieurs dames, reprit le général en se tournant vers les trois Phénix, combien de temps pensez-vous réussir à nous rendre invisibles ?

— Une minute ou deux, affirma celle qui l'avait soutenu jusque-là. Pas plus.

— C'est toujours bon à prendre. »

Ils avaient tous les huit reculé afin de n'être pas repérés par les Sawaï ; il leur suffirait de s'échapper par l'arrière avant de contourner pour rejoindre Mincheol. Les bois, par chance, leur offriraient un bon moyen de passer inaperçus, même s'ils risquaient de les ralentir. Mieux valait arriver moins vite mais vivant que de se précipiter dans les ennuis.

« Allons-y. »

~~~

Beomgyu combattait auprès du lieutenant Jung Hoseok : le premier s'était avancé afin de stopper les ennemis à l'aide de son sabre tandis que le second, protégé derrière lui, tirait ses derniers traits pour empêcher les Sawaï de les submerger. Il agissait avec une célérité telle que la supériorité tyfodonienne ne laissait aucun doute dans le domaine de l'archerie. Une fois contraint de sortir sa lame – il ne lui restait qu'une flèche qu'il gardait toujours pour le cas où il en aurait besoin en urgence –, il se plaça aux côtés de Beomgyu qui lui adressa un sourire complice.

« Ce bleu ne vous va décidément pas au teint, affirma-t-il.

— Je n'avais malheureusement pas de vert à disposition.

— J'ai hâte de vous voir porter votre véritable tunique.

— Et j'ai hâte de la revêtir à nouveau. »

Hoseok maniait la dague à la manière d'un virtuose, maestro d'une symphonie funèbre : la force qu'il possédait tant dans les bras que dans les mains lui permettait de parer et de rendre chaque coup avec une rare aisance qui stupéfia Beomgyu. Il comprenait un peu mieux ce que Jungkook lui avait raconté dans les tunnels à propos de cet homme qui avait mené une rébellion contre Mournan...

Les minutes s'écoulaient à une vitesse folle, rythmées par les affrontements qui gagnaient en violence. Les alliés, bien décidés à ne pas se laisser marcher dessus plus longtemps, témoignaient d'une férocité que les Sawaï peinaient à gérer, de sorte qu'à nombre égal, ils l'auraient sans doute déjà emporté. Or, alors que les flammes avaient été éteintes dans les taillis, facilement maîtrisées du fait de l'humidité des sous-bois et du peu de vent, des troupes avaient déferlé pour gonfler les rangs écarlates. Près d'une heure avait filé depuis le début des combats, chacun se sentait de plus en plus fatigué, les Scorpions commettaient de plus en plus d'erreurs mais, sans cesse remplacés par de nouveaux soldats prêts à sacrifier leur vie pour leur Prince, ils dominaient toujours.

Si cela continuait de cette façon, Hoseok sut qu'il ne s'en sortirait pas. Il ne retrouverait jamais sa terre, son peuple, ne se vengerait jamais du chef Choi, ni ne libèrerait les Tigres de son pouvoir abusif.

Les lieux exhalaient une odeur de sang, permettant au jeune homme d'y reporter son attention plutôt que de se perdre en considérations futiles. Mieux valait qu'il se concentre sur l'instant présent. Des cadavres mutilés jonchaient le sol, déjà escaladés par des insectes affamés qui voyaient en eux un véritable festin. Les émanations le prenaient à la gorge, il se sentait envahi par la mort de ces hommes et ces femmes dont il ignorait jusqu'au nom. Oui, il ne savait rien d'eux, rien de ce qui les motivait à se battre dans le camp du Prince, mais il les exécutait sans pitié. Des familles à nourrir ? Des enfants malades qui avaient besoin de soins coûteux ? Mincheol leur avait fait miroiter un territoire immense à conquérir, des richesses sans précédent à exploiter, et ces gens désespérés s'étaient précipités à sa suite. D'une certaine manière, Hoseok les comprenait et n'éprouvait envers eux aucune haine. Pour celui qui les dirigeait, les pions importaient peu, et pour ceux qui livraient bataille, ils ne représentaient des ennemis que parce qu'ils leur barraient le passage jusqu'à leur objectif.

Hoseok s'empara d'une énième vie. Les combats étaient devenus plus épars, les risques diminuaient. Il s'autorisait à souffler un instant quand une silhouette attira son attention un peu plus loin : auprès d'un Phénix luttait un Arixien... un Arixien qu'il reconnut aussitôt.

« Par Pyros ! Taehyung ! »

Le poète fit volte-face et, avisant son compagnon, lui adressa un sourire. Il se débarrassa de son adversaire, aidé par le mage à ses côtés, et rejoignit celui qu'il aimait et dans les bras de qui il bondit.

« Petit oiseau, qu'est-ce que tu fais ici ? murmura Hoseok en l'étreignant de toutes ses forces.

— En partant en direction du camp rebelle, nous avons rencontré les Phénix qui venaient combattre. Et... je n'ai pas pu poursuivre ma route.

— Tu n'étais pas en état de combattre.

— Je ne serais pas en état de vivre si quelque chose devait t'arriver alors que j'aurais pu être à tes côtés pour t'apporter mon soutien. Je sais que de nous deux, le moins fort, c'est moi, mais... je peux t'être utile, j'en suis convaincu, et pour ne causer de souci à personne, j'ai demandé à un Phénix de me couvrir. »

Le concerné adressa un signe de la main au Tyfodonien qui le lui rendit d'un mouvement respectueux du menton. Il reporta ensuite un regard attendri sur son cadet de qui il caressa la joue. Effleurer sa peau lui provoquait mille sensations savoureuses qu'il avait un instant craint de ne plus jamais ressentir. À force de discussions, de promiscuité contrainte, d'entraînements et de combats, ils s'étaient rapprochés plus que de raison, et ils s'étaient attachés l'un à l'autre bien plus encore. S'il leur fallait périr sous ce ciel pommelé de rares nuages, sous ce soleil lumineux qui se levait, en plein milieu de ce charnier à l'odeur pestilentielle, alors qu'ils périssent, mais qu'ils périssent comme ils auraient souhaité vivre : ensemble. Voilà des jours que le « moi » s'était changé en « nous », et il n'était plus envisageable de revenir au singulier quand le pluriel offrait tant de doux bouleversements.

Hoseok reporta son regard autour d'eux et acquiesça : « Très bien, combattons côte à côte. »

~~~

Voilà un temps fou à présent que, camouflés par la végétation, le général Park et les siens contournaient le champ de bataille. Aussi discrets que des ombres, les jeunes gens arrivèrent en vue d'une corniche dissimulée par les arbres ; de ce nouvel angle, impossible de ne pas remarquer le Scorpion qui discutait avec un soldat tandis qu'auprès de lui gisait une masse de métal et de tissu céruléen.

Une violente colère gronda en Jimin qui néanmoins n'en laissa rien paraître. Arrêté à une cinquantaine de mètres de Mincheol, il repéra l'œil de Hiemis, dont il indiqua l'emplacement à ses camarades. Il se trouvait caché dans un renfoncement de pierre près du Phénix qui ne luttait plus.

« Nous devons l'éloigner de Yoongi, souffla Jimin, mais comment l'atteindre sans être repérés ?

— D'ici, je pourrais tenter de tuer le Prince, affirma Soobin, il me reste deux flèches.

— Il est tout à fait possible qu'il utilise son pouvoir par réflexe s'il entend du bruit et se tourne à temps, affirma un des trois mages, auquel cas je pense qu'on pourrait définitivement tirer un trait sur le gardien : il ne le maintient en vie que pour savourer sa descente aux enfers et nous regarder lutter pour tenter de le sauver. Il prend plaisir à constater qu'il reste de l'espoir en nous, il doit nous croire naïfs. Mais qu'on lui montre que l'on peut s'avérer dangereux, et il risque de changer de comportement.

— C'est juste, acquiesça le général. Pensez-vous réussir à l'immobiliser juste une seconde, le temps que la flèche l'atteigne ?

— Immobiliser un autre Phénix... hum, c'est compliqué : il sentira qu'on tente de s'emparer de son ombre, il sera immédiatement au courant qu'on essaie de le piéger.

— Donc il sera peut-être distrait un bref instant ; c'est pour lors notre meilleure solution. »

Le Phénix ne put qu'acquiescer : l'idée n'était pas sans risque, mais elle demeurait la plus sûre. Jimin refusait de rester les bras ballants plus longtemps : il fallait tenter le tout pour le tout. Une fois remis de ses émotions, Yoongi deviendrait leur joker, celui qui ferait pencher la balance en leur faveur alors que tout semblait perdu d'avance.

Déterminé, le général réordonna ses pensées.

« Très bien, concentrons-nous. Lieutenant Choi, vous tirerez sur Mincheol. Au même instant, les Phénix, vous vous y mettez à trois s'il le faut, mais vous me l'immobilisez, au moins pour le distraire, afin de le déconcentrer. Lieutenant Choi, votre seconde flèche dans la foulée, pour l'achever s'il n'est pas mort ou le blesser. Lieutenant Kang, vous récupèrerez l'œil pour l'éloigner le plus possible. Capitaine Choi, Rure, vous le seconderez et vous veillerez sur Yoongi.

— Et vous, mon général ? s'enquit Taehyun.

— Moi... je vais enfin m'offrir le duel que j'attends depuis si longtemps avec cette ordure qui se prétend Prince et descendant d'un peuple animé par un vif désir de paix. »

Si Mincheol devant périr aujourd'hui, Jimin n'avait qu'une envie : voir la vie déserter son regard alors qu'il mourait de ses mains.




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C'est si épique *.*

J'aime beaucoup la chanson de ce chapitre, je la trouve si puissante, c'est fou. X)

J'y pense, mais je voulais dire un grand merci à tous ceux qui suivent cette histoire depuis le début. Je sais que je me suis beaucoup éloignée de ce que j'écrivais d'habitude, je vois bien que plusieurs de mes abonnés ne m'ont pas suivi dans cette aventure, alors vous imaginez même pas à quel point ça me touche que vous qui lisez ce paragraphe découvriez semaine après semaine ce roman qui me tient tant à cœur. Vos commentaires sont toujours si adorables, ça me fait tellement plaisir de les attendre, de les lire et d'y répondre ! J'espère vraiment que ce livre continuera de vous plaire. Mille mercis pour votre soutien <3

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