Chapitre 77 🎵

« Le général, caressant avec amour le visage fermé de son amante alors que les larmes coulent sur son visage : Mon amour, je ne me pardonnerai jamais le mal qu'ils vous ont infligé. Je jure de mettre fin à la guerre en votre nom, et de vivre toujours avec la douleur de votre perte. La lune nous avait réunis, voilà qu'elle vous vole à moi. Je regrette tous ces sentiments que j'aurais souhaité vous confier plus tôt, tous ces gestes que j'aurais désiré esquisser en votre présence au lieu de m'en retenir. Permettez-moi, mon adorée, de passer une dernière fois la main sur votre joue, afin de sceller dans mon cœur la douceur de votre peau, la chaleur de votre corps. Puissiez-vous vivre en paix : je mettrai un terme à la guerre, même si je devais périr. »

– Moon Sungpio, La dame de la lune.


Taehyung se frotta le crâne. Jungkook l'avait poussé avec une telle férocité qu'il avait heurté le mur des tunnels. Une légère sensation de vertige s'empara de lui lorsqu'il se releva, mais aussitôt qu'il eut rouvert les paupières, il en oublia jusqu'à ce couloir qui tanguait : Jungkook, le souffle paniqué, écartait la main qu'il avait posée par réflexe contre son cou pour la découvrir colorée d'écarlate. Hébété, le poète garda ses yeux fixés sur lui qui saignait en abondance.

« Lieutenant Jeon ! »

Le général bondit auprès de son second qui, sa main replacée sur sa plaie, tourna son attention sur son ancien amant.

« Je n'ai pas réfléchi, haleta-t-il. La lame a été lancée au moment de l'explosion, elle t'aurait tué. Je n'ai pas... je n'ai pas réussi à esquiver... pas à temps.

— Économisez vos forces, lieutenant, conseilla Jimin. Taehyung, examinez-le tout de suite ! »

Le médecin obéit. Les jambes tremblantes, le teint livide, il s'avança vers son cadet à qui il demanda d'écarter sa paume. Il découvrit, sur le côté du cou du militaire, une profonde entaille. Un haut-le-cœur manqua de lui vider l'estomac.

« Il faut absolument désinfecter et recoudre la plaie, mais je n'ai plus aucun matériel sur moi, le peu que j'avais m'a servi pour des Phénix, et mes aiguilles..., souffla-t-il en jetant un regard en direction de la salle de torture où il les avait abandonnées. Nous devons au moins l'empêcher de se vider de son sang.

— Eh bien nous nous contenterons de cela, affirma le général en attrapant la capuche du poète qu'il découpa à l'aide de sa dague. Gardez-la plaquée contre la blessure. Au camp sawaï, nous pourrons vous faire recoudre. »

Le blessé obéit, maintenant une forte pression sur son cou. Il ne se rendait pas tout à fait compte de ce qui venait de se produire, de sorte qu'un seul constat s'imposa à lui : Taehyung était vivant alors qu'une minute plus tôt, il l'imaginait mort, un couteau planté dans la nuque. La peur n'avait pas sa place dans un cœur altruiste qu'habitait le soulagement de savoir son âme sœur en vie.

Taehyung fixa, incrédule, leur chef : le camp se situait à deux heures d'ici ! Envisageait-il de demander à Jungkook de marcher si longtemps ? Il devait absolument éviter tout effort physique qui risquait d'accélérer les battements de son cœur, la vitesse de circulation de son sang, et donc les saignements !

Jimin pour sa part ne paniqua pas une seconde : il défit son plastron, retira l'essentiel de ce qui lui protégeait le haut du corps, et le confia au lieutenant Kang qui, à côté de lui, tentait de conserver le même calme.

« Lieutenant Jeon, montez sur mon dos.

— Mon général, je...

— Je ne vous ai posé aucune question, je n'admettrai donc aucune réponse. »

Jungkook céda. Il passa un bras autour du cou de son supérieur, les jambes autour de ses hanches, et veilla à ne pas relâcher la pression sur ce qui lui servait de compresse.

« On rentre en courant, ordonna le général. Prêts ? »

Personne n'osa lui faire remarquer qu'ils en avaient pour au moins une heure et qu'il n'était pas envisageable de porter si longtemps un homme à une telle allure, mais tous opinèrent, conscients que leur chef s'avérait beaucoup trop têtu pour renoncer à son idée.

Taehyung se plaça à l'avant du groupe, équipé de la sphère que Jungkook lui avait laissée quelques instants plus tôt, et il partit au pas de course, ajustant sa vitesse à celle du général. Il tentait de se rassurer : bien que laide, la blessure de Jungkook pouvait être soignée si prise en charge à temps. Jimin avait raison de tout mettre en œuvre pour qu'ils rentrent au plus tôt, rien n'était encore perdu à ce stade.

Plus concentré que jamais sur son objectif, Taehyung suivit les indications de Kai de façon précise, et bientôt ils atteignirent le tunnel qui menait à l'extérieur de la ville. Il se félicita de n'avoir commis aucune erreur, toutes pouvant s'avérer fatale dans une pareille situation. Il fallait y croire, Jungkook était toujours en vie, conscient, et aussi longtemps que l'hémorragie serait contenue, il demeurait une chance pour que cela reste à jamais une grosse frayeur, et non une nuit tragique.

Taehyung ressentit une vive douleur à la poitrine. Son cœur battait beaucoup trop vite, pourtant il ne diminuait pas sa cadence : tant que Jimin courrait derrière lui, maintiendrait cette allure, alors il s'époumonerait pour remplir sa mission. Des larmes voilèrent ses prunelles quand il s'aperçut que cette souffrance ne provenait pas du rythme de leur pas, qu'il supportait bien du fait de sa constance, mais de l'idée qu'ils puissent arriver trop tard.

Le poète prit une inspiration plus profonde que les précédentes qu'il expira d'un souffle tremblant. Il jeta un œil par-dessus son épaule : de sa seule main libre, Jungkook avait réussi à se débarrasser de quelques éléments de son armure qu'il avait confiés à Rure et Yeonjun afin d'alléger le fardeau de Jimin, de qui le regard sembla à Taehyung plus obscur que les souterrains. Le jeune général s'était retranché dans les abysses de son esprit, puisant une force inébranlable dans la conviction que ce trajet pouvait faire la différence. Il ne s'intéressait à rien ni personne autour de lui, focalisé sur son souffle, sa course, et les mouvements de son cadet sur son dos qui confirmaient qu'il était encore conscient.

Chaque minute devenait interminable dans ce boyau de pierre qu'ils remontaient depuis un quart d'heure à présent. La respiration de Jimin s'alourdissait, preuve de ses efforts considérables pour ne pas ralentir le pas. Derrière, Yua perdait de la distance, épuisée, et ne dut son salut qu'à Beomgyu, qui lui prit la main de façon respectueuse pour l'aider à avancer. La prêtresse ne rechigna pas, consciente que ce garçon ne ressemblait en rien à Mincheol et, mieux encore, cherchait à le combattre lui aussi. Un peuple bon gouverné par un homme perverti par la soif de vengeance.

Jungkook, balloté sur le dos de son supérieur, faiblissait à mesure qu'il se vidait de son sang. Le tissu contre son cou était déjà imbibé et gouttait sur le sol, par chance il ne ressentait aucune douleur. L'adrénaline qui hurlait dans ses veines empêchait toute réaction de ce genre. Il se sentait étrange, incapable d'admettre que cette fois, son état était assez critique pour que tout le monde se mette en quatre pour lui. Il remarqua d'ailleurs que Taehyung, dont il avait surpris à de nombreuses reprises les regards soucieux dans sa direction, retirait son gantelet et son canon d'avant-bras qu'il confia à Yeonjun en même temps que sa sphère de lumière. Il tira ensuite sur sa manche et pria l'Akashite de la lui découper à la longueur qu'il lui indiqua. L'homme obéit, et une fois en possession du morceau de tissu qu'il coupa pour former une bande, Taehyung la tendit à son ancien amant.

« La capuche dégouline, utilise cela, plutôt.

— Merci. »

Jungkook lui sourit et plaça l'habit contre son cou après s'être débarrassé de ce qui ne ressemblait plus qu'à un vieux chiffon imbibé.

« Tu saignes beaucoup, constata-t-il.

— J'ai un peu la tête qui tourne.

— On en a pour encore au moins une demi-heure de course avant d'arriver au village, indiqua Beomgyu. Un de mes amis est chirurgien, il pourra vous soigner.

— Par Pyros merci, » souffla Taehyung.

S'il avait fallu qu'ils retournent jusqu'au camp arixien... non, il préférait ne pas imaginer ce qui aurait pu se passer.

À mesure que les minutes s'écoulaient, Jungkook se sentait faiblir. Il se demanda pour la première fois à quoi ressemblait la mort. Il ne souffrait pas, au moins, il se contentait de laisser sa vie lui échapper par litres. Trop importante, la plaie ne pouvait pas cicatriser seule malgré la magie présente dans son corps, et sa tête lui paraissait de plus en plus lourde alors que sa main empourprée relâchait sans qu'il s'en aperçoive la pression sur son cou.

Après quelques minutes de plus, Jungkook posa le front sur l'épaule de son général qui le perçut desserrer sa prise sur ses hanches.

« Lieutenant Jeon, est-ce que vous m'entendez ? haleta-t-il.

— Oui...

— Fermez-vous les yeux ?

— Oui.

— Rouvrez-les, ne vous endormez surtout pas, est-ce bien compris ?

— Je suis vraiment fatigué, mon général, peut-être que si je me reposais un peu...

— Reste éveillé, s'il te plaît, lui demanda Taehyung d'un ton pressé.

— Alors garde-moi éveillé.

— Je veux bien, mais... enfin, comment ? Veux-tu que je te raconte quelque chose ? Est-ce que je...

— Tiens-moi la main. »

Jungkook, toujours affalé sur le dos de son général qui tâchait de conserver une foulée rapide, tendit sa main libre au poète qui accepta sans la moindre hésitation. Il la lui serra, tentant de s'adapter à la vitesse de Jimin. Les deux anciens amants échangèrent un regard chargé pour l'un d'une affection candide, pour l'autre d'une inquiétude viscérale. Les paupières de Jungkook devenaient de plus en plus lourdes, il ne clignait plus des yeux, il les fermait juste un court instant avant de les rouvrir. Un court instant qui s'allongea à mesure que s'écoulaient les minutes assassines.

« Reste éveillé, répéta Taehyung, nous y sommes presque. Tout va bien se passer.

— J'en étais convaincu... mais... je crois que je commence à en douter, admit Jungkook la respiration sifflante.

— Ne dis pas n'importe quoi. Nous arrivons bientôt, tiens encore quelques minutes et tu seras recousu, tout beau comme avant.

— Me trouves-tu donc beau ? le taquina le lieutenant qui trouva soudain la conversation intéressante.

— Tu sais bien que oui, » grommela l'autre.

Si le meilleur moyen de le garder conscient était de discuter avec lui, même de ce genre de sujets qui l'embarrassait devant tous leurs camarades, Taehyung l'accepterait. Jungkook l'avait certes blessé, mais l'artiste savait quelle âme pure il dissimulait sous des dehors rudes.

« Je suis heureux, murmura Jungkook. Moi aussi je te trouve vraiment beau. Le plus beau.

— Ne sois pas ridicule.

— Je suis quand même le mieux placé pour l'affirmer.

— C'est juste. Merci.

— J'ai vraiment agi avec toi comme un imbécile, soupira le militaire. Je voulais te parler aujourd'hui, le savais-tu ? Te dire que j'étais vraiment désolé... et que j'aimerais qu'on puisse repartir sur de bonnes bases.

— On en parlera plus tard.

— Non, s'il te plaît, pas plus tard. Je... je me sens vraiment épuisé... et le tissu que tu m'as donné il y a quelques minutes... »

Taehyung se décala pour découvrir que sa manche s'était colorée d'un pourpre foncé et ressemblait à une véritable éponge : Jungkook l'écarta un instant de sa plaie puis la pressa, et un filet de sang coula au sol. L'artiste en eut un hoquet de douleur alors qu'il avisait la pâleur de son cadet.

« Laisse-le tomber, utilise ta capuche. »

Jungkook obéit, abandonnant la bande de coton pour attraper sa propre capuche qu'il plaqua contre la plaie. Taehyung serra davantage sa main dans la sienne. Il refusait d'envisager le pire alors que cette vision s'imposait peu à peu à lui : il leur restait près de vingt minutes avant que Jungkook ne puisse être rejoint par un chirurgien et que l'on commence à l'opérer. Tiendrait-il jusque-là ? Et s'il tenait, s'en remettrait-il ?

« Je suis désolé pour tout, Taehyung. J'ai été infecte avec toi qui m'as toujours donné... le meilleur de toi-même. Tu mérites la lune, quand tout ce que je t'ai offert... ce sont quelques-unes de mes nuits. J'ai été... si égoïste. Je regrette.

— Je sais, je...

— Je ne me souviens plus très bien de mon enfance, l'interrompit Jungkook alors que son souffle s'alourdissait, mais le souvenir de mes parents... est lié à une agréable chaleur. Quand je pense à eux, je suis heureux. Et puis... il y a eu ensuite tant de noirceur, tant de douleur, de tristesse... je me suis senti perdu des années... avant d'intégrer l'armée grâce à une seule personne. »

Il posa le front contre la nuque de son général qui resserra sa prise sur ses cuisses pour le maintenir sur son dos. Taehyung sentit sa gorge se nouer.

« J'y ai trouvé le soutien que je cherchais, un but, et une mission que j'aimais exécuter : protéger les autres, mettre ma force au service du bien, pour une fois... Je regrette beaucoup de mes travaux en tant que mercenaire... Et puis, c'est grâce à l'armée que je t'ai rencontré... Taehyung... C'est, je crois, la plus belle chose qui me soit arrivée... Je me souviens de notre rencontre... tu semblais si réservé, si timide... je t'ai trouvé si... époustouflant.

— Jungkook...

— Je n'ai jamais su mettre un mot sur ce que tu m'inspirais, je rejetais toutes les émotions qui pouvaient naître en moi... je pensais qu'elles étaient un témoignage de faiblesse... alors que maintenant je comprends qu'elles auraient pu... devenir la source d'une force immense. Tu aurais pu devenir la source d'une force immense. Je suis resté si borné... alors qu'à présent, ta main dans la mienne me donne envie de garder les yeux ouverts. Je me sens si apaisé en ta présence... je me suis toujours senti si apaisé... je pensais que c'était juste physique, alors que... c'était tellement plus. C'est mon cœur plus serein quand le tien bat tout près... c'est mes yeux qui cherchent les tiens quand je te sais dans les parages... c'est mon sourire qui ne peut pas fleurir si le tien est fané. C'est mon âme qui a vibré en reconnaissant sa sœur lorsque j'ai croisé ton regard pour la première fois.

— S'il te plaît...

— Si je devais rejoindre aujourd'hui Pyros et Hiemis, la première chose que je ferais, ce serait de les remercier de t'avoir mis sur mon chemin.

— Ce n'était qu'un hasard, s'étrangla Taehyung qui peinait de plus en plus à contenir la boule qui grandissait dans sa gorge.

— Alors je veux que tu saches que tu es mon plus beau hasard. »

Cette phrase finit d'émietter le cœur brisé du poète, qui ne parvint plus à retenir des larmes silencieuses. Ces mots insinuaient tout ce que Taehyung avait attendu pendant des mois d'entendre de lui. Jungkook, les yeux ouverts sur ce beau visage dont il se nourrissait, écarta sa main de celle de son ami pour la glisser sur ses pommettes et en retirer la tristesse. Parce que les jeunes gens avaient ralenti le rythme, tous épuisés, il ne peina pas à agir, et Taehyung se blottit contre sa paume qu'il connaissait par cœur, dont il se rappelait la douceur, la chaleur, le passage sur chaque partie de son corps.

« Ne pleure pas... s'il te plaît...

— Toi aussi... toi aussi, Jungkook, tu es un magnifique hasard.

— Je sais ce que je t'ai fait subir.

— Je te pardonne, je sais que tu en as souffert aussi. »

Jungkook avait été contraint de servir très tôt en tant que mercenaire, exécutant des missions qui allaient parfois à l'encontre de ses principes. On lui avait enseigné à ne jamais se laisser dépasser par ses émotions, qu'il avait appris à réprimer de son mieux pour qu'elles ne le gênent pas. Dans l'armée, il avait poursuivi sur sa lancée, et quand il avait rencontré pour la première fois quelqu'un qui lui avait plu, qui lui avait sincèrement plu... il avait préféré ignorer ses propres sentiments pour entretenir plutôt avec lui une relation charnelle. Taehyung avait compris tout cela, il avait compris que Jungkook n'avait pas voulu ressentir quoi que ce soit pour lui, puis que ses émotions s'étaient traduites par une vive jalousie. Parce que Jungkook avait grandi dans la violence. Elle, il la connaissait. L'amour, il s'en souvenait à peine. Taehyung savait que cela ne devait pas pardonner le comportement du lieutenant, raison pour laquelle il avait refusé ses excuses.

Aujourd'hui toutefois, il percevait une telle sincérité, une telle vulnérabilité, qu'il ne pouvait pas le repousser plus longtemps. Jungkook s'était enfin rendu compte de ses erreurs, il s'était vraiment remis en question, et pour la première fois il acceptait de montrer ses faiblesses, parce qu'il tenait à lui.

Jungkook laissa retomber son bras alors que ses yeux se fermaient, et Taehyung le lui reprit aussitôt.

« Jungkook, regarde-moi. On y est presque, on arrive. Tiens encore quelques minutes et tout ira mieux.

— Oui... tout ira mieux... »

Le poète serra davantage sa main dont il posa le dos contre sa joue couverte d'une mince couche de transpiration. Jungkook ne s'en soucia pas, ému par la signification de ce geste. Il permit à une larme de rouler sur sa pommette alors que la douceur de ces instants traçait leurs jolies courbes dans son cœur, gravait avec un burin d'affection leur beauté jusqu'au plus profond de son âme.

Sa conscience vacilla, Taehyung entoura sa main puissante des deux siennes et la secoua sans violence, juste ce qu'il fallait pour lui faire reprendre connaissance. Jungkook replaça sa capuche contre son cou, mais ses forces lui échappaient, et de plus en plus de sang coulait sur sa peau.

« Par pitié, gémit son ami, Jungkook, tiens encore un peu, on y est presque. »

Le militaire voulut lui répondre que dix minutes plus tôt, ils y étaient déjà presque, et qu'il n'était pas un enfant qu'il fallait rassurer ; il se tut, il aimait bien que Taehyung cherche à le rassurer. Il tentait de se montrer fort, de réunir tout son courage pour garder sa capuche contre sa plaie, mais rien à faire.

Deux minutes à peine après, il sombrait de nouveau, et le poète étouffa un sanglot.

« On doit accélérer ! Il s'évanouit !

— Je fais ce que je peux ! répliqua Jimin.

— On y est bientôt ! clama Yeonjun en tête du groupe. Ils ont laissé la porte ouverte là-bas, je vois la lune !

— Oh bon sang, on va y arriver ! se réjouit soudain Taehyung. Tu entends, Jungkook, on y est presque ! »

Le visage exsangue du lieutenant ne bougea pas, et son ami lui murmura des encouragements. Cela ne se comptait plus qu'en minutes à présent. Ils avaient couru une heure durant, ils approchaient du but !

Jungkook ne réagit pas davantage jusqu'à ce qu'ils arrivent. Sa plaie saignait de plus belle, et sur les ultimes mètres, Jimin l'écarta de son dos pour, à la place, le prendre dans ses bras afin de maintenir lui-même la capuche de son cadet contre son cou. Ce dernier se laissa faire, devenu une véritable poupée de chiffon. Son cœur battait toujours, il avait juste sombré, exténué tant par sa blessure que par les heures passées sans dormir.

Les jeunes gens, en arrivant à la porte, s'aperçurent que Hoseok et Soobin y patientaient avec plusieurs Phénix qui attendaient leurs héros. Peut-être comptaient-ils leur faire la fête, les féliciter, les remercier ; ils n'en eurent pas l'occasion.

« Le lieutenant Jeon a besoin d'être opéré en urgence ! s'exclama Jimin. Nous avons besoin d'aide !

— Je vais chercher le médecin, il effectuera l'opération ici, ne bougez pas ! »

Beomgyu, passé le premier pour s'extirper des tunnels, partit avec la vivacité de l'éclair jusqu'au village prévenir un chirurgien tandis que le général asseyait son lieutenant contre la source. Taehyung s'empressa d'y remplir sa gourde pour la porter à la bouche de son camarade.

« Jungkook, réveille-toi, on est au camp, c'est bon, un chirurgien va arriver, tout ira bien. Je vais te donner à boire, cela te fera le plus grand bien. »

Jimin maintenait la capuche de son cadet contre la blessure qui n'avait pas cessé de saigner. Jungkook écarta les lèvres, il avala les quelques gorgées que lui offrit Taehyung. Il resta immobile puis, dans un effort surhumain, il ouvrit les paupières. Il parla d'une voix faible, éraillée par l'épuisement.

« Taehyung...

— Jungkook, tout va bien se passer, le médecin arrive ! Je te promets que ça va aller ! jura le poète qui s'autorisa enfin à craquer.

— Dès l'instant... où je t'ai vu... je suis tombé follement amoureux de toi...

— Non, non, ne dis pas ça. Le médecin arrive avec tout le nécessaire, ça va aller, pleura le poète en lui prenant les mains.

— Promets... moi... une chose...

— Tout ce que tu veux, mais garde les yeux ouverts, je t'en supplie ! »

Sa voix partait dans des aigus qu'il ne se connaissait pas, des torrents de larmes coulaient sur ses joues alors qu'il comprenait sans l'accepter que le jeune militaire avait perdu beaucoup trop de sang.

« Sois heureux... avec lui... il te traite comme... tu le mérites. »

Un misérable sourire se dessina sur les lèvres du blessé alors qu'à son tour il laissait échapper quelques larmes. Il se sentait plus léger ainsi, son adoré en sécurité dans les bras d'un autre qui prendrait réellement soin de lui jusqu'à la fin. Lui s'en serait sans doute montré incapable, indigne de l'amour que lui avait jadis voué ce magnifique artiste au cœur un peu trop sensible.

Taehyung se pencha pour appuyer un délicat baiser sur son front. Le ventre de Jungkook se retourna de bonheur. Son bien-aimé passa la main dans ses cheveux dans un geste d'une rare tendresse ; le militaire se blottit contre elle, enivré par cette affection débordante.

« Je t'en supplie, reste avec nous, susurra Taehyung, le médecin arrive.

— Mon général ? reprit-il pourtant en tournant son attention sur Jimin à ses côtés.

— Gardez vos forces, lieutenant, ordonna son supérieur avec une sévérité mêlée de compassion.

— Vous êtes... l'homme que j'admire... le plus. Je rêvais... de devenir comme vous... aussi droit... et puissant.

— Vous l'êtes, n'en doutez pas. Vous avez l'étoffe d'un grand.

— J'espérais... devenir un jour... général aussi. Protéger les nôtres... combattre pour la justice... je regrette... je n'étais pas à la hauteur.

— Vous l'êtes, je vous l'assure, » affirma-t-il sans diminuer la pression contre son cou.

Il n'hésita qu'un instant avant de reprendre : « Lieutenant, s'il devait arriver quelque chose aujourd'hui, je jure de requérir auprès de l'Assemblée une montée en grade.

— Vous... je serais...

— Je ne vous laisserai pas partir sans avoir reçu cette distinction que vous méritez, général Jeon. »

Taehyung, abattu à cette idée, posa le front contre le dos de la main de son cadet qu'il tenait si fort que Jungkook en souffrait sans doute sans oser lui réclamer de le lâcher. Les demandes de montée en grade à titre posthume n'étaient pas rares lors de guerre : les héros partis trop tôt recevaient un grade supplémentaire afin que le peuple arixien conserve le souvenir de leurs derniers exploits. Si l'Assemblée haïssait Jimin, Taehyung savait cependant qu'elle ne lui refuserait pas cette faveur, accordée en tout temps sans discussion, puisqu'après tout cela n'engageait à rien.

Car la personne en question était décédée.

Et Taehyung n'admettait pas que Jungkook décède. Pas pour l'avoir sauvé. Il aurait pu périr en portant secours à quelqu'un qui le méritait vraiment – à Jimin, à Yoongi, à Soobin pourquoi pas –, mais pas à lui, le poète médiocre qui valait à peine un soldat ! Jungkook ne pouvait pas être mort... juste pour avoir refusé de le voir mourir, lui, juste parce qu'il l'aimait trop pour le regarder partir !

« Merci pour tout... mon général.

— Gardez vos forces, lieutenant.

— Gagnez la guerre... vous le pouvez encore.

— Jungkook, je t'en supplie, reste avec nous, sanglota Taehyung en passant la main sur sa joue. Pitié, pitié ! Reste ! »

L'Arixien, écrasé par la peine, tremblait alors que son cœur palpitait d'une douleur lancinante. Jungkook réussit à ouvrir les paupières, elles papillonnèrent un bref instant, et il adressa à son ancien amant un sourire qui se voulait rassurant, ce genre de sourire qui signifiait « tout ira bien ». Ce genre de sourire qui offrait un mensonge assez doux pour atténuer les chagrins.

« Je resterai toujours... mon magnifique, mon merveilleux hasard. »

https://youtu.be/TkjsVP8uFpM

Et tandis que les beaux yeux d'un brun étoilé du lieutenant se fermaient, qu'une ultime larme lui échappait, qu'il poussait un soupir teinté de soulagement, sa main devint lourde dans celles de Taehyung qui retint son souffle alors que la Terre lui semblait cesser un instant de tourner. Le temps s'immobilisa, le groupe autour d'eux se figea, et un air hagard se peignit sur les traits du poète.

La seule preuve du fait que les secondes s'égrainaient encore fut la larme qui longea la joue de Taehyung jusqu'à ses lèvres entrouvertes.

Le temps redémarra avec une violence inouïe quand Beomgyu revint avec le chirurgien. Le général se releva, prit une profonde inspiration puis, d'une voix différente, empreinte de tristesse, il annonça ce que Taehyung ne parvenait pas à accepter.

« C'est trop tard. Le général Jeon vient de nous quitter.

— Non, murmura le poète. Non, non, non, non, non... Jungkook... Jungkook ! Ouvre les yeux, je t'en supplie ! »

Le médecin se pencha, vérifia le pouls, et ne put que confirmer les propos de l'Arixien. Il avait perdu trop de sang, voilà au moins dix bonnes minutes qu'il était condamné. Il avait lutté jusqu'au bout. Taehyung se passa la main dans les cheveux en prenant de longues inspirations, soudain étouffé par la douleur. Deux bras puissants l'entourèrent, qu'il reconnut aussitôt et dans lesquels il se blottit. Hoseok, ému par la détresse de son compagnon, l'obligea à détourner son regard du corps, et Taehyung hurla sa peine contre son cou.

Jungkook demeurerait pour toujours le premier qu'il avait aimé de tout son être, dès l'instant où leurs yeux s'étaient rencontrés, leur âme en avait fait autant. Quelque chose de plus fort qu'une simple affection les avait liés, et Taehyung était longtemps resté convaincu que Jungkook était son âme sœur. Cette nuit, le jeune homme l'avait même confirmé. Le perdre lui déchirait les entrailles, lui brisait le cœur et le réduisait en morceaux.

Hoseok ne lui en voulait pas, il savait à quel point son partenaire avait aimé cet homme, il savait que leur rupture s'avérait encore récente. Il ne blâmait pas ce pauvre garçon qui perdait son premier amour. Il savait que Taehyung le chérissait désormais lui plus que quiconque, et il respectait son chagrin qu'il se promit de tout tenter pour atténuer.

Kang Taehyun avait rassemblé tout ce qui lui restait d'énergie pour ne pas craquer, pour garder le visage digne d'un guerrier endeuillé. Il considérait Jungkook comme un grand frère, quelqu'un avec qui il s'était amusé plus d'une fois à rendre leur général chèvre. Quand ses soldats avaient douté de lui, Taehyun avait pu compter sur le soutien de cet homme en apparence bourru et insensible mais qui, à lui, avait révélé depuis bien des années un cœur en or.

Un cœur qui ne battait plus.

Hoseok et Jungkook s'étaient rencontrés de la pire manière qui soit, rivaux en combat devenus rivaux en amour. Ils en avaient échangé, des regards emplis d'éclairs, pourtant le Tyfodonien regrettait plus que tout de n'avoir pas pris davantage de temps pour connaître ce lieutenant que tant d'autres respectaient et qui avait fini par donner sa vie pour cette guerre.

Yua pour sa part, bien qu'ignorant l'identité et l'histoire de ces individus, fut bouleversée par la violence de la réaction de ce jeune homme qui avait accompagné son ami jusqu'à son dernier souffle. Des larmes muettes roulaient sur ses joues qu'elle essuyait de façon régulière d'un revers de la manche. Les Phénix qui attendaient les soldats se réunirent autour d'elle, eux aussi émus, trop petits pour être témoins d'une telle scène. Elle les serra contre elle en leur promettant que tout irait bien, que ces horreurs prendraient fin.

Le sacrifice de son frère lui revint à l'esprit quand un enfant lui demanda où se trouvait Yoongi et elle s'effondra contre eux en leur demandant pardon.

« Nous devrions rejoindre notre camp, affirma Jimin après une nouvelle expiration qui visait à empêcher la peine de le submerger. Nous lui offrirons les obsèques qu'il mérite avant le lever du soleil.

— Je vais rassembler les rebelles, affirma Beomgyu, j'en ai pour un instant. »

Il s'éloigna, et alors que le général prenait avec une délicatesse attendrissante le corps de son ami contre lui, un bras sous son dos, l'autre sous ses genoux, il résonna dans la petite vallée un puissant sifflement. Beomgyu les rejoignit quelques minutes plus tard, accompagné par tous les volontaires décidés à affronter enfin le Prince.

« Ma mère ne viendra pas, déclara-t-il, il faut quelqu'un pour veiller sur les enfants et les blessés, ainsi que sur les Phénix. Il vaut mieux qu'ils n'approchent pas le champ de bataille. »

Elle lui avait néanmoins confié sa cape écarlate brodée d'un scorpion noir... qu'elle avait entaillé sans pitié pour symboliser sa défection.

Jimin lui adressa un acquiescement pour le remercier pour son soutien, et il prit la tête du groupe. Ils rejoignirent le camp sans encombre alors qu'il restait encore un peu moins d'une heure avant le lever du soleil. Leur arrivée ne passa pas inaperçue : les sentinelles les reconnurent et filèrent réveiller les combattants, qui étaient réunis quand les jeunes gens franchirent les derniers fourrés qui les séparaient de l'endroit où se trouvaient les alliés. Des torches placées sur des poteaux de bois les illuminèrent, et si d'abord les troupes se montrèrent enthousiastes, félicitant avec bonheur les héros, très vite les plus proches se turent, imités par ceux qui, plus loin, se demandaient la raison de ce mutisme.

Des murmures s'élevèrent, et alors que Jimin avançait dans un silence solennel, les soldats s'écartèrent, observant celui qui gisait dans ses bras, les paupières closes et le cou trempé de sang. Une véritable haie d'honneur se forma, et en jetant un regard à la foule, le lieutenant Kang repéra Aena qui, les mains contre la bouche, suivit avec des yeux embués de larmes le passage de son supérieur. Un peu plus loin, Kaana, en découvrant son chef aussi vulnérable, ce roc invincible que la vie avait pourtant quitté, se laissa aller à de bruyants sanglots, se réfugiant dans l'étreinte d'une camarade qui ne masquait pas son chagrin.

Jimin s'arrêta au centre du campement, près d'un feu devant lequel se trouvait une large pierre qui avait jusqu'à présent servi de siège. Il y étendit le corps de son lieutenant sous les regards hagards des frères Han qui ne parvenaient pas à assimiler la disparition d'un homme tel que lui. Légèrement recroquevillé, les yeux clos et la bouche entrouverte, il semblait endormi, si fragile et si jeune...

Le général Park se tourna vers ses troupes, tentant de conserver un port fier et une voix claire capable de porter jusqu'au bout du camp.

« Je veux que vous prépariez une cérémonie digne du combattant qu'il fut. »






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J'aurais dû demander à Kleenex de sponso le chapitre.

Pouah mais la pls monstrueuse ! Vous imaginez même pas comme c'est dur pour moi d'écrire ce genre de chapitres ! Mes personnages, j'y suis tellement attachée, ils sont des parts de moi-même, c'est indescriptible. Et je m'étais tellement attachée à Jungkook, à son côté bourru, agaçant, mais à son cœur finalement si doux sous la carapace qu'il s'était forgée. Là j'ai le cœur en morceaux c'est fini. Et le « mon plus beau hasard », c'était pour m'achever moi-même. En plus avec la chanson... ah mais l'horreur T-T

La chanson, parlons-en ! J'ai écrit Brûle en une ou deux heures, et je voulais vraiment qu'on ressente à travers le texte la progression des troupes dans le tunnel et jusqu'au décès de Jungkook. C'est pour cette raison que tous les refrains sont légèrement différents les uns des autres : on sent que la mort se rapproche, que Taehyung y croit au début et est de plus en plus désespéré. L'interlude instrumental avant le dernier refrain mime le moment où Jungkook expire. En voici les paroles (aussi écrites dans la description de la vidéo YouTube et dispos en sous-titres) :

[Verse 1]

Courage, ne t'en va pas, mon ami,

Et si respirer devient épuisant,

Acharne-toi, valeureux combattant.

Ne laisse pas l'emporter nos ennemis.

Je suis à tes côtés : luttons ensemble.

Inspirer, expirer,

Ne pas abandonner.

Sans toi, aucune victoire n'est possible.


[Pre-chorus 1]

Mes yeux s'illuminent quand danse ton sabre,

Ta lame sème la ruine dans un chant macabre.

Lieutenant des hommes, geôlier de mon âme,

Ma douleur résonne dans un cri qui s'enflamme.

Militaire féroce,

Descendant de Pyros :


[Chorus 1]

Brûle !

Incendie le destin !

Déclenche un brasier divin,

Laisse gronder ta colère

Et survis aux enfers.

Brûle !

Laisse ta magie te guider,

Puisse sa chaleur te sauver

De ce repos prématuré.


[Verse 2]

J'ai besoin de ton cœur auprès du mien,

J'ai besoin de ton regard désarmant

Quand tu me souffles des mots caressants.

Ne crains pas de sombrer, je te retiens.

Je promets de ne pas lâcher ta main.

Ne ferme pas les paupières,

Pour dormir tu es trop fier.

Tu es devenu mon héros, vaurien.


[Pre-chorus 2]

Mes yeux s'illuminent quand danse ton sabre,

Ta lame sème la ruine dans un chant macabre.

Exécutant des riches, geôlier de mon âme,

La douleur s'entiche de ma mourante flamme.

Mercenaire féroce,

Descendant de Pyros :


[Chorus 2]

Brûle !

Incendie le destin,

Combats le sommeil divin !

Que t'échappe ta colère

Pour que te fuie l'enfer.

Brûle !

Laisse ton amour te guider,

Puisse sa chaleur te sauver

De ce repos prématuré.


[Bridge]

Ta main dans la mienne, les souvenirs m'assaillent,

Notre amour valait-il de si vives batailles ?

Non, reste auprès de moi, il n'est jamais trop tard !

Je refuse de perdre mon si doux hasard !

La passion que j'ai nourrie

M'inflige une atroce agonie

Lève-toi, mon ami :


[Chorus 3]

Brûle !

Incendie le destin,

Nous nous reverrons demain !

Le brasier de ta colère

Flambera aux enfers.

Brûle !

Laisse donc ma voix te guider

Si rien ne peut plus te sauver

De ce repos prématuré.

[Instrumental Interlude]

Brûle !


[Chorus 4]

Brûle !

Incendie le destin,

Nous nous reverrons demain !

Le brasier de ta colère

Emplira les enfers.

Brûle !

Seras-tu là pour me guider

Si je n'ai pas pu te sauver

De ce repos prématuré ?


[Outro]

Il n'est jamais trop tard.

Dors, mon si doux hasard.

Je suis là.

Je suis là...

Brûle...

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