Chapitre 75
« Il n'était pas de lien plus fort que l'amour. »
– Yon Palik, Les hommes d'ombre et de lumière.
Yoongi se débarrassa de son invisibilité, caché par le renfoncement devant la chambre. Lui qui devrait se sentir épuisé débordait d'une impatience qui se traduisait par des fleuves de pouvoir qui hurlaient dans ses veines. Il approcha, fébrile, la main de la serrure, y coula une ombre qu'il densifia, et perçut les goupilles se plier une à une à sa volonté. Il tourna sa clé, et la porte se déverrouilla.
Il la tira, elle ne grinça pas. Il agit avec une impressionnante discrétion, se glissant sans un bruit dans la pièce. Puis il sursauta.
« Tu m'as fait peur, murmura-t-il en observant la sœur plantée à moins d'un mètre de lui.
— Attends, on se retrouve après trois mois et c'est tout ce que tu as à me dire...
— Par Hiemis, comme tu m'avais manqué. »
Le battant refermé derrière lui, Yoongi poussa un soupir de soulagement, détaillant sa jumelle sans oser y croire. Yua, plus maigre que dans son souvenir, les cheveux à peine plus longs que les siens, était vêtue d'habits magnifiques colorés d'écarlate. Une riche tunique mettait sa taille en valeur tandis que son pantalon serré soulignait la finesse de ses jambes. Yoongi s'avança vers elle, désormais incapable de lâcher son visage du regard. Ses superbes yeux bleus versaient des larmes qui s'échouaient près de ses lèvres ; il leva les mains pour les poser sur ses joues et effacer les traces de la douleur.
« Toi aussi tu m'avais manqué, souffla-t-elle d'une voix étranglée en fermant les paupières. J'ai eu si peur de ne jamais te revoir...
— Je suis là, maintenant.
— Je ne veux plus jamais te quitter.
— Je te le promets. »
Il l'attira contre lui, l'incita à cacher son visage contre son cou, et elle le serra aussitôt dans ses bras. Il lui rendit son étreinte, éprouvant comme elle le soudain besoin de ressentir sa présence de toutes les manières possible : son odeur si familière, sa peau chaude et délicate, et la façon dont elle s'abandonna à ce contact. Tant pis si son armure la gênait, au moins il se trouvait là, avec elle. Ils étaient enfin réunis.
Ému tant par ce moment que par les larmes de sa sœur, Yoongi s'accorda de relâcher à son tour la pression. Il laissa couler ses propres angoisses, noya ses doutes pour les évacuer, et ne pensa plus qu'à Yua. Trois mois, trois longs mois sans savoir comment elle se portait ni ce qu'elle vivait, trois mois convaincu que tout pouvait basculer d'un moment à l'autre. Le voilà qui se sentait enfin complet. Son cœur se réparait à une vitesse folle, et un instant le jeune homme voulut se débarrasser de son plastron pour ressentir au mieux les battements du sien.
« J'ai eu si peur, susurra Yua. Tous les jours je craignais d'apprendre ta capture. Mais je savais que tu viendrais, que tu nous sauverais. Yoongi, mon précieux, mon merveilleux petit frère... »
Elle s'écarta pour passer une main sur sa joue puis remonter sur sa tempe et caresser sa chevelure. Il ferma les yeux, se blottit contre ce geste si familier, ce petit rien qui lui avait tant manqué. Il ne s'était plus senti sourire de cette manière depuis des mois. Son visage s'était illuminé dès lors qu'il avait rejoint sa sœur, son regard avait retrouvé son éclat, et ce fut d'ailleurs en le croisant que Yua se rembrunit.
« Tes yeux ont foncé.
— J'ignore pourquoi, admit Yoongi. Ils noircissent chaque fois que j'utilise mon pouvoir de façon excessive.
— C'est parce que... »
Elle marqua une hésitation.
« J'ai besoin de savoir, susurra son jumeau. Dis-moi la vérité.
— C'est... c'est parce que dans ces cas-là, tu n'utilises pas réellement ton pouvoir... tu invoques celui de Hiemis.
— Comment ? balbutia-t-il.
— En tant que jumeaux, nous possédons des dons particuliers liés à la déesse : la prêtresse possède la voyance, quant au gardien, il a toujours été doué de la capacité d'invoquer la puissance de Hiemis. Or, ce pouvoir n'est pas supposé être manié par des êtres de chair, il est à double tranchant : chaque fois que tu l'utilises, ton énergie vitale s'affaiblit, ton pouvoir de Phénix, diminue et tes yeux perdent leur éclat. Alors si tu devais de nouveau faire appel à ce pouvoir, l'utiliser encore...
— C'est moi qui mourrais, compléta-t-il.
— C'est ce qui est arrivé au général Min. Les Élémentaires ont prétendu avoir réussi à le tuer pour s'éviter l'humiliation de reconnaître leur faiblesse – ce sont les gagnants qui écrivent l'histoire –, mais voilà la vérité. Le général Phénix est mort bien avant d'être atteint par ces peuples misérables. Prends garde à toi, mon frère : il existe bien des manières de protéger les siens, et tuer ne doit pas devenir l'une d'elles.
— Alors tu savais, depuis le début tu savais...
— Tous les prêtres de Hiemis savent, je me suis contentée de remplir mon rôle en veillant sur toi. Je suis désolée. »
Depuis leur exil forcé, les Phénix avaient donc choisi que la responsabilité de tout combat incomberait aux prêtres de Hiemis, et non aux gardiens, beaucoup trop puissants et dangereux tant pour eux-mêmes que pour leur peuple. Ils avaient tout mis en œuvre pour redevenir le même peuple paisible que jadis. La guerre leur avait trop coûté... sans compter cette prophétie que Hiemis avait murmuré une nuit au jumeau de Kwon Yeonsu après l'exode : « Un jour l'œil se nourrira du Passé ; ce jour-là, le pouvoir de Hiemis déferlera sur le monde. » Aucun doute possible d'après lui, cela signifiait que tôt ou tard, un gardien se laisserait dévorer par la force de l'œil. Et le fait que le pouvoir de la déesse devienne plus dévastateur encore que lorsque le général Min l'utilisait, voilà qui terrorisait les Phénix.
« Nous devons partir, conclut Yoongi, mes amis sont en chemin.
— Tes amis ?
— Des Élémentaires, justement.
— Es-tu en train de me dire que tu t'es fait des amis parmi eux ?
— Et pas que des amis... mais nous en discuterons plus tard. Il faut partir.
— Juste une seconde. »
Elle fila en direction du lit dont elle souleva le matelas pour récupérer...
« Bon sang, mais pourquoi ai-je hérité d'une acharnée pareille pour sœur ?
— Tu n'imagines pas la profondeur du désespoir que j'ai dû feindre pour réussir à les tailler sans être suspectée de comploter encore, » rétorqua Yua.
Yoongi, qui avait préféré reporter les questions au sujet de sa captivité, songea que le sujet ne semblait pas si sensible qu'il l'avait craint. Yua avait fabriqué dans du bois deux armes de poing : elle en serrait le manche dans la main en passant les doigts dans des anneaux prévus à cet effet et dont le dessus était hérissé de pointes.
Un seul coup provoquerait de lourds dégâts.
Le frère et la sœur quittèrent la pièce. Tous deux dissimulés dans le renfoncement, ils échangèrent un regard. Deux gardes se trouvaient chacun à une extrémité du couloir. Pas le choix : s'ils voulaient fuir sans donner l'alerte, Yoongi devait les immobiliser. Il s'en chargea, et Yua et lui filèrent les mettre hors d'état de nuire. La jeune femme écrasa son poing sur la tempe du premier soldat tandis que son jumeau tranchait la gorge du second – tout aussi efficace, mais plus expéditif. En se retournant vers lui, d'ailleurs, elle écarquilla les yeux. Elle le rejoignit, planta son regard sur le cadavre, puis sur son frère.
« Tu as changé, Yoongi.
— Tu m'en diras tant... »
Ils s'apprêtaient à reprendre leur chemin quand des bruits de pas s'élevèrent depuis le couloir d'où Yoongi était venu. Peut-être s'agissait-il du général Park et de ses compagnons, mais par précaution, le gardien enlaça sa sœur et les fit tous deux disparaître. Dès l'instant cependant où il aperçut les prunelles déterminées de son fiancé, il poussa un soupir de soulagement. En le voyant se matérialiser devant lui, Jimin se figea une courte seconde puis baissa son sabre encore couvert de sang.
« Yoongi, je suis soulagé que tout se soit bien passé. Pas le temps pour les présentations, affirma-t-il en se tournant vers Yua, nous devons partir au plus vite.
— Tout s'est bien passé pour vous ? s'enquit le Phénix en se hâtant avec sa sœur de rejoindre le groupe.
— Outre le fait qu'un instant de déconcentration de la part de Rure a failli tous nous faire sauter, aucun souci : une vraie promenade. Mais je doute que nous puissions repartir si facilement, ajouta-t-il toujours en murmurant, des gardes ont forcément donné l'alerte après avoir retrouvé leurs camarades morts.
— Il est encore tôt, lui opposa Beomgyu alors qu'ils se hâtaient, on circule peu dans le palais à cette heure. Un miracle pourrait nous permettre de... »
Il se tut quand les bruits de dizaines de pas martelant le sol s'élevèrent dans les couloirs. Jimin prit une décision aussitôt : au diable la discrétion, ils étaient déjà repérés. À présent, seule la vitesse avait encore une chance de les sauver. Le général accéléra soudain, imité par tous ceux qui le suivaient. Yoongi sentit son cœur s'emballer, sensation qu'il avait appris à détester puisqu'elle ne survenait qu'en cas d'ennuis imminents. Beomgyu courait aux côtés du jeune chef qu'il guidait sans un mot, empruntant les mêmes couloirs et escaliers par lesquels ils étaient venus et que Yoongi ne reconnaissait pas : il avait concentré son attention sur sa sœur et les potentiels soldats autour de lui. Les cadavres toutefois ne mentaient pas : les Élémentaires étaient passés par ici.
Yua pour sa part n'en montrait rien, mais un stress considérable l'avait envahie. Elle avait bel et bien pensé ne jamais revoir son jumeau, et si les actes du Prince sur elle ne l'avaient pas anéantie comme elle avait cherché à le lui faire croire, du moins ils avaient eu le mérite de la dégoûter pour toujours de cet homme. Elle ne voulait plus jamais sentir des mains se balader sur elle sans son consentement. Elle n'avait survécu à ces horreurs qu'en fermant les yeux pour rêver sa vengeance, pour s'imaginer l'étriper tandis qu'il lui volait son corps. Elle s'était blindée pour éviter qu'il ne la détruise, et bien qu'elle ne soit pas convaincue de ne pas craquer tôt ou tard, l'important demeurait qu'elle tienne le coup jusqu'à s'être enfin extirpée de cette situation compliquée.
Au détour d'un couloir, le groupe se retrouva tout à coup face à une horde écarlate. Yeonjun et Rure se placèrent par instinct l'un à côté de l'autre vers Jimin et Beomgyu. Le corridor, large de près de six mètres, permettrait le combat, mais il deviendrait vite handicapant. Les Élémentaires reculèrent de quelques pas.
« Il y a une autre issue, nous pouvons les contourner, souffla Beomgyu. Il suffit de... »
Il se tournait à peine lorsque de nouveaux assaillants apparurent derrière eux. Le jeune homme déglutit.
« Oubliez, je n'ai rien dit.
— En position, » ordonna le général.
Beomgyu se dressa derechef à ses côtés tandis que Rure et Yeonjun se plaçaient de manière à protéger Yoongi et Yua entre eux quatre. Le Phénix d'ailleurs retira sa boucle d'oreille qu'il laissa tomber dans son ombre en toute discrétion : s'il était de nouveau capturé, hors de question que les Scorpions mettent la main sur son bijou.
« Souvenez-vous pourquoi vous combattez, recommanda Jimin d'un ton froid, et gardez à l'esprit l'ampleur des bienfaits que procureront nos sacrifices au Continent. »
Tous approuvèrent.
« Yoongi, murmura Jimin, je te dirai de disparaître avec Yua et de courir. À l'instant où je t'ordonnerai d'y aller, je veux que tu fonces sans te retourner. »
Yoongi acquiesça sans parvenir à lui offrir une réponse orale. Fuir sans son bien-aimé... À peine se sentait-il complet que de nouveau une part de lui serait arrachée. Il ne pouvait toutefois pas faire courir à ce risque à sa sœur ni au reste du Continent. Il fallait mener la guerre à son terme, avec ou sans eux.
Le Phénix néanmoins ne pourrait pas s'empêcher de les soutenir aussi longtemps que possible. Ainsi, lorsque les deux armées sawaï se jetèrent sur eux, fort de sa pierre retirée afin de libérer toute la puissance de ses pouvoirs, Yoongi immobilisa les deux groupes à la fois. Les quatre combattants s'élancèrent pour un massacre : Jimin et Beomgyu au jingum, Yeonjun et Rure avec leur sabre cranté, ils fondirent sur les soldats qui ne pouvaient plus qu'admirer leur vie s'achever de façon sanglante.
« Yoongi, stop ! hurla sa sœur en lui agrippant le bras. Tu vas mourir si tu t'acharnes à provoquer le chaos !
— Je n'irai pas jusqu'à ma limite, nia-t-il en secouant la tête sans perdre sa concentration. Je ne laisserai pas Hiemis prendre le contrôle, tout va bien. Il suffit qu'ils les éliminent tous.
— Alors je vais les aider. »
Sans attendre sa réponse, Yua s'associa aux Élémentaires. Elle avait compris à leurs regards l'un pour l'autre qu'il existait entre son frère et le général Aigle bien plus qu'une banale amitié, et hors de question que cet homme se mette en danger devant Yoongi : qu'il reçoive un mauvais coup et Yoongi risquait de ne plus rien maîtriser sous l'effet du désespoir et de la douleur.
Les émotions les plus violentes provoquaient les magies les plus instables.
Yua abattait son poing sans merci, s'assurant par de régulières œillades que son jumeau tenait toujours. Jimin un peu plus loin s'entêtait à ouvrir une voie aux deux Phénix, et lorsqu'il y parvient...
« Allez-y ! »
Yoongi se figea à la manière des soldats qui demeuraient sous son emprise. Le général se tourna vers lui, agacé autant qu'angoissé par son manque de réactivité. Il planta son regard dans le sien puis pivota vers Yua.
« J'ai dit d'y aller ! Partez ! Le chemin est marqué en bas du mur, par des encoches ! »
La prêtresse acquiesça et attrapa le bras de son frère qu'elle n'avait jamais connu si tendu. Il paraissait sur le point d'exploser de douleur ou de rage – ou bien d'un savant mélange des deux.
Or, alors que les deux Phénix avaient à peine esquissé un pas, de nouveaux arrivants les rejoignirent. De stupéfaction, Yoongi relâcha son sort quand ses amis se furent écartés.
Ce ne pouvait être que lui.
Cet homme qui traversait la mer de soldats, vêtu d'écarlate et d'or, le port fier, le menton haut et le dos droit, sa cape brodée d'un scorpion traînant derrière lui. Beomgyu fronça les sourcils, tout à coup sur la défensive, tandis que Jimin se plaçait devant Yoongi et Yua. Cette dernière frémit de dégoût.
Mincheol...
« Eh bien, eh bien, il semble que nous n'ayons pas été présentés, commença le Prince avec un sourire au moins aussi altier que narquois. Puis-je savoir qui s'est introduit chez moi ? »
Il fixait Jimin avec une intensité déstabilisante.
« Je suis le général Park Jimin du camp n° 7 d'Arixium, se présenta-t-il d'une voix forte.
— Et vous êtes accompagnés d'un ancien de mes lieutenants, de ce que je vois...
— Je refuse d'être lié à vous de quelque manière que ce soit ! cracha Beomgyu.
— La punaise devient un scorpion. Mais... qu'avons-nous là ? Des cheveux blancs et un regard assassin, collé à sa jumelle... Min Yoongi, je présume. Le gardien.
— Vous ne toucherez plus à un seul de ses cheveux. Je ne vous laisserai plus lui faire de mal, affirma Yoongi.
— Du mal ? Vous vous méprenez : Yua et moi sommes fiancés. »
La nouvelle resta en travers de la gorge du Phénix qui ne se permit qu'une réflexion : cette ordure avait contraint sa sœur à accepter cette proposition. Comment l'avait-il amadouée ? Sans doute en promettant la vie sauve à son peuple...
« Je n'ai qu'un fiancé, argua la prêtresse d'un ton corrosif, et il n'est pas Scorpion.
— Veux-tu donc annuler notre marché, ma chère ? Tu sais que je tiens sincèrement à toi, et que si tu promets de rester auprès de moi, aucun Phénix ne subira la moindre blessure.
— Il a torturé Hyunbin, souffla Yoongi en prenant la main de sa sœur. Il doit se trouver loin à présent, mais aucun doute : il a atrocement souffert ici.
— Tu n'es qu'un menteur invétéré, une ordure de la pire espèce, maugréa la prêtresse. Tu es le pire Élémentaire que cette terre ait porté. »
Un rictus naquit sur les lèvres du Prince, qui acquiesça d'un lent mouvement.
« Aucun Phénix n'a souffert depuis ma promesse, j'en fais le serment. Mais soit. Soldats, tuez les Élémentaires et attrapez les Phénix, je vous prie. Notre victoire est à portée de main, il nous suffit de tendre le bras pour la saisir. »
En un clignement de paupières, Yoongi évalua sa force : débarrassé de sa boucle d'oreille, il pouvait déployer un pouvoir phénoménal. Or, il s'épuiserait rapidement. S'il tuait tous ces gardes, il finirait exténué et deviendrait un fardeau, sans compter que d'autres approchaient peut-être à leur tour. Impossible de s'affaiblir à ce point, et les immobiliser tous soulèverait un problème identique. Quant à utiliser son invisibilité sur sa sœur et lui pour s'esquiver, la tentative s'avèrerait vaine : la horde de Scorpions s'était épaissie au point que personne ne passerait sans attirer l'attention sur lui.
Jimin et Beomgyu se jetèrent dans un même élan sur les soldats devant eux tandis que Yeonjun et Rure massacraient ceux de l'autre côté du couloir. Yua se serra contre son frère qui n'arrivait pas à se détourner du spectacle macabre qui se déroulait sous ses yeux. Jimin attaquait avec une élégance et une agilité remarquable. Malgré le talent des combattants face à lui, il les écrasait avec une aisance redoutable. Il virevoltait, ses deux lames entre les mains, pareilles à des prolongements de ses bras.
Un seul faux pas, un minuscule déséquilibre, et c'en était fini. Yoongi refusait de le voir mourir, mais il ne parvenait pas à détacher son regard de lui, car il lui semblait aussi qu'à l'instant où il concentrerait son attention ailleurs, son amant serait touché. Il tentait de l'aider de son mieux, paralysant de son pouvoir quelques soldats quand trop l'entouraient, mais il s'épuisait, et il se sentit bientôt envahi par la peur de s'affaiblir au point de ne plus réussir à agir, de sorte qu'il limita ses interventions au strict minimum.
Beomgyu se battait à la manière des Scorpions, de façon plus agressive que Jimin qui paraissait calculer tous ses mouvements. L'ancien lieutenant n'hésitait pas à éliminer les siens : ces hommes déshonoraient son peuple, leur immoralité ternissait l'image des Sawaï forts et vaillants d'antan. Quel mérite existait-il à réduire des gens paisibles à l'esclavage pour les forcer à combattre ? Élémentaires et Éthéréens s'étaient alliés contre ce prétendu prince, preuve de leur capacité à s'unir face à un ennemi commun, qui pour sa part cherchait à les dominer tous.
Rure et Yeonjun, complémentaires, luttaient l'un à côté de l'autre. Leurs sabres crantés provoquait des dégâts atroces, et en remarquant que de nouveaux Scorpions arrivaient, la jeune femme profita d'une seconde de répit pour lancer une fiole au centre des troupes devant elle. Le verre éclata en tombant, et une violente détonation retentit à quelques mètres à peine d'eux. Yoongi sursauta avant de faire volte-face pour se concentrer sur eux. Ils venaient de liquider tous les soldats de leur côté, ainsi que ceux qui couraient en leur direction. De cette manière il ne leur restait qu'à se jeter dans la mêlée à laquelle participaient Jimin et Beomgyu, qui commençait à s'épuiser et avait déjà reçu une coupure à la joue.
De nouveaux pas résonnèrent, et Yoongi comprit que Mincheol avait prévu non quelques unités, mais une véritable armée. Il comprit qu'à cette allure, ses quatre amis finiraient tués. Impossible pour lui de fuir, impossible de sauver ses compagnons. Il refusait abandonner ceux qui depuis le début avaient accepté de le soutenir, ceux qui par la suite avaient décidé de se joindre à lui. Sans lui, les troupes de Jimin ne pourraient peut-être pas gagner la guerre... mais sans lui, celles du Prince, que cette guerre avait déjà considérablement réduites, ne pourraient pas non plus la mener.
C'était sa magie qui devait tout résoudre – son pouvoir, le sien et celui de personne d'autre, qui changerait la donne. Yoongi s'écarta de sa sœur qui lui jeta un regard torve. Les soldats approchèrent, méfiants en découvrant le visage déterminé du général Park, qui avait acquis ici une réputation de militaire au talent fabuleux.
Yoongi s'éloigna, et alors que Yua s'apprêtait à protester, à le réclamer près d'elle pour ce moment, il fit apparaître au-dessus de ses amis un dôme d'ombre. Jimin écarquilla les yeux en s'apercevant que son amant se trouvait à l'extérieur.
« Laissez-les passer et je serai à vous, céda le Phénix.
— Non ! Yoongi, tu avais promis ! » s'époumona Jimin en plaquant les mains contre la paroi qui l'enfermait.
Le Phénix tenta de le rassurer d'un regard : il savait ce qu'il faisait. Sans s'en rendre compte, sa sœur lui avait donné la solution.
Le Prince parut évaluer la situation, un sourcil surpris levé. Puis une mine satisfaite se dessina sur les traits délicats de son visage de jeune adulte, et il acquiesça.
« Très bien, ils pourront tous partir.
— Écartez-vous, laissez-les passer tout de suite, asséna Yoongi.
— Obéissez. »
Les soldats s'exécutèrent dès l'ordre de leur chef prononcé.
« Yoongi, je t'en prie, ne fais pas ça ! gémit sa sœur en le suppliant du regard.
— J'ai besoin de toi, souffla Jimin.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, tout ira bien, affirma le Phénix en approchant pour poser une main contre la paroi obscure – et sa sœur y appuya la sienne, le cœur lourd, les yeux larmoyants. Rejoignez les autres et gagnez cette guerre. Je crois en vous.
— Assez parlé, les coupa Mincheol. Qu'ils s'en aillent, et vite. Ma clémence ne durera pas.
— Je refuse de partir, déclara Jimin avec fermeté.
— Je t'en supplie, murmura Yoongi en plongeant son regard dans le sien, ne rends pas cela plus compliqué. Je sais ce que je fais.
— Je ne te crois pas.
— Dans ce cas je ne te laisse pas le choix. »
Et le dôme d'ombre se déplaça lui-même alors que Yoongi laissait son cœur brisé lui entailler les côtes. Il brillait dans les iris de son amant un désespoir si vif qu'il le transperçait. Le Phénix savait qu'il avait promis de ne pas s'offrir au Prince, qu'il tâcherait de lui échapper quoi qu'il en coûte. Or, ils étaient bloqués : pas assez nombreux, cernés, ils devaient mourir et Yoongi être capturé.
S'il sauvait ses amis, au moins sa capture ne s'avèrerait pas vaine. Quitte à ce que leur mission échoue, autant qu'il limite les décès.
Jimin tenta de résister, mais après de si longues minutes de combat contre deux à quatre soldats à la fois, après une pareille décision de son fiancé, il avait perdu la fougue viscérale qui l'animait à l'accoutumée. Il se sentait éteint, et il abandonna la lutte, se laissant guider avec ses quatre acolytes à l'autre bout du couloir, là d'où ils venaient. Tête basse, Yua retenait ses larmes avec de plus en plus de peine : son frère avait tout risqué pour la rejoindre, jamais elle ne l'aurait imaginé développer un tel pouvoir avec pour seul but celui de protéger les siens – un but si noble qui témoignait bien de sa véritable nature.
Yoongi était né gardien, et s'il devait mourir, il mourrait gardien. Son cadet encore si timoré trois mois plus tôt, incapable d'envisager mener une bataille, en gagnait désormais.
Le Phénix observa ses compagnons s'éloigner et, pour s'assurer que le Prince tiendrait son engagement, dès lors que le groupe fut hors de portée des soldats, il leva le dôme pour le changer en un mur qui les coupa de cette portion du couloir. Jimin pivota, le fixa avec une intensité aussi émouvante que déstabilisante, puis il conduisit ses troupes, décidé à incarner jusqu'au bout le chef de guerre qu'il était.
Yoongi sentit sa gorge se nouer à cette image. Tous ceux qu'il aimait filaient loin de lui, incapables néanmoins de marcher sans se retourner. Un dernier regard pour vérifier qu'il allait bien. Le gardien leur sourit, et une fois les jeunes gens disparus, il observa les écarlates resserrer leur étau autour de lui. Mincheol croisa les bras.
« Eh bien, quel héros, ironisa-t-il. En avez-vous fini ou bien souhaitez-vous verser une larme avant que l'on ne passe aux choses sérieuses ?
— Je ne vous obéirai jamais, rétorqua Yoongi. Je ne ferai pas le moindre mal aux miens. Vous ne pourrez pas m'y forcer. »
Ils ne détenaient plus sa sœur, avec qui Jimin et les autres fuyaient. Mincheol avait perdu, jamais quoi que ce soit ne l'inciterait à se retourner contre les siens, et même si cela devait arriver, à présent le Phénix connaissait la solution.
Le Prince esquissa un rictus malveillant avant de lâcher un gloussement amusé.
« Moi ? Vous obliger à faire du mal à vos petits amis ? Non, quelle idée enfin. Je sais que vos pouvoirs sont immenses : vous imaginez comme il serait stupide de vous amener sur le champ de bataille et vous demander de tuer les Élémentaires alliés ? Vous vous retourneriez contre nous, c'est ridicule. J'envisageais bel et bien de créer une armée de Phénix, mais il me fallait des esprits influençables, des enfants, des adolescents. Pas un adulte aussi conscient que vous de ce que sont le bien et le mal. »
Yoongi cilla, stupéfait.
« Oh bien sûr, je sais que vos amis ont fait évader tous mes Phénix, mais je finirai par remettre la main dessus, je n'en doute pas le moins du monde. Ils ne pourront de toute façon pas aller bien loin. Mes troupes sont prêtes à attaquer la plaine où les vôtres ont trouvé refuge, et j'ai hâte de mener moi-même cette bataille qui promet de rester dans les mémoires.
— Si vous ne vous intéressez pas à mon pouvoir, alors que me voulez-vous ? se méfia-t-il aussitôt. Pourquoi avoir attaqué mon village ? Pourquoi avoir retenu ma sœur ? Qu'est-ce qui vous motivait vraiment ?
— Vous m'intéressiez davantage quand vous n'aviez pas encore développé vos pouvoirs. Quelqu'un qui se croit faible cède bien plus facilement à l'ennemi que quelqu'un qui se sait presque invincible. Vous me trouverez sans doute idiot, mais j'espérais même que nous nous entendrions bien. Pour le reste, je vous l'ai dit, je veux mon armée de mages. Avec eux, je compte bien prendre possession du Continent et plier enfin à ma volonté le conseil des Quatre Peuples, cette institution ingrate qui a laissé périr les miens des années durant alors que nous les avons suppliés de nous aider après la sécheresse qui a affamé les miens. Pas une aide, pas le moindre soutien. Arixium a volé au secours de ses alliés akashites, et nous les avons regardés revivre alors que nous périssions. Nous espérions que l'année suivante serait prodigue, mais voilà que les carrières d'Arawen ont cessé de produire – d'une part les réserves de minerais s'épuisaient, et d'autre part, quelle surprise : des travailleurs affamés ne sont pas capables de travailler ! Ces évènements ont sonné le glas de notre économie. Il m'a fallu prendre les choses en main.
— Les militaires ne sont pas acceptés aux conseils, lui opposa Yoongi, cela ne servira à rien de monter une armée avec laquelle vous ne pourrez pas approcher le bâtiment dans lequel se déroulent les négociations.
— C'est juste, tu as bien appris tes leçons, petit Phénix. Je ne peux entrer qu'avec un de mes conseillers, celui de mon choix. »
Yoongi frémit à l'idée que Mincheol attende en vérité de lui qu'il devienne sont conseiller et se débarrasse des émissaires des autres peuples du Continent. Il s'y opposerait avec toute sa verve.
« Sais-tu ce qui est arrivé à mon précédent émissaire ?
— Tu l'as tué ? proposa Yoongi, bien décidé à ne plus vouvoyer cet homme qui se permettait le tutoiement.
— Le tuer ? Par Pyros, il était un des plus vieux amis de la famille. Non : devant les refus incessants de l'Assemblée, la pression qui pesait sur ses épaules, le désespoir de son peuple qu'il ne parvenait pas à soulager et un drame personnel, cet homme admirable a préféré se donner la mort. Je regrette beaucoup son départ. »
Pour la première fois, Yoongi perçut dans la voix du jeune homme une vulnérabilité et une honnêteté qu'il n'aurait jamais pensé y entendre. Il n'était toutefois pas décidé à se montrer clément envers lui pour autant : son peuple avait souffert et pour se venger, il choisissait d'en faire souffrir quatre ? Quelle folie !
« Et ta mère, la Princesse ? Tu vas me dire que tu ne l'as pas condamnée à la torture et la mort ? répliqua-t-il.
— Si, c'est juste. Elle a subi la peine appropriée à son crime.
— Quel crime avait-elle commis ?
— Je suis las de ces bavardages. Gardes, je vous prie. »
Deux hommes immobilisèrent Yoongi qui ne tenta pas de leur résister : son attention était focalisée sur le Prince qu'il défiait du regard. Il voulut le tuer, peu importait que cet acte le tue, or il ne parvenait pas à percevoir correctement son ombre. Il la cherchait de son mieux, mais impossible d'utiliser son pouvoir pour la jeter à sa gorge. Alors qu'il essayait de comprendre à quoi rimait ce phénomène, Mincheol s'avança, et il adressa un sourire au Phénix qui cracha à ses pieds dans un geste de dédain.
« Qu'attends-tu de moi, à la fin ? fulmina-t-il.
— Ce que j'attends de toi ? Rien de plus simple : pour l'instant, je veux juste que tu me donnes un petit quelque chose... »
Le Prince s'agenouilla devant Yoongi qui ne saisit pas ce qui lui arrivait, jusqu'à ce que l'homme plonge sans difficulté la main dans son ombre. Avec l'impression qu'on le transperçait, Yoongi poussa un hurlement de douleur. Ses ténèbres agissaient comme un prolongement de son corps, qu'un inconnu s'y enfonce lui donnait une sensation d'une brûlure au fer rouge. Tous ses muscles se contractèrent et il s'effondra alors que Mincheol s'écartait enfin, ses deux boucles d'oreilles entre le pouce et l'index. Sans bouger, il les observa et en jeta une auprès du Phénix. Celle de Jimin.
« Voilà... désormais je l'ai, le dernier fragment de l'œil...
— Pourquoi vouloir cette pierre ? souffla Yoongi. Elle ne fera jamais effet sur les anciens pouvoirs des Élémentaires. »
Mincheol étouffa un rire, puis il releva la tête. Le gardien en eut le souffle coupé.
« Je sais, » argua le Prince d'un ton prétentieux alors que ses iris, jusqu'à présent noirs, brillaient désormais d'un bleu envoûtant.
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OMG ÇA Y EST !!! Enfin le méga twist de cette histoire ! J'avais tellement hâte de poster ce chapitre ! Vous imaginez pas comme je crevais d'impatience ! Et pourtant, toutes les informations étaient données depuis le début, distillées goutte à goutte, chapitre après chapitre ! Toutes ces petites choses mentionnées dès les premiers chapitres et tout au long de l'histoire ! Putain, ça fait des dizaines de chapitres que ça attend d'être enfin utile à l'histoire, et boum, la révélation ! XD
Ouais, je suis on fire, je sais ^^'
Attendez-vous à du lourd, le prochain chapitre promet un paquet de révélations...
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