Chapitre 66
« Ils sont convaincus que la magie les a quittés, mais ils se trompent : elle circule toujours en eux, ils ne parviennent simplement plus à la ressentir ni la maîtriser. »
– Source inconnue.
Le juge écarquilla les yeux devant cette intervention insoupçonnée. Il se reprit et tonna.
« Un esclave ne peut en aucun cas se constituer avocat de la défense !
— Voilà plusieurs jours à présent que je ne suis plus esclave, asséna Seokjin en plantant son regard dans le sien. Et Maître Kim m'a désigné comme son associé, vous pouvez le vérifier dans les documents possédés par l'Assemblée au sujet de son cabinet d'avocat. Je suis donc légalement habilité à me présenter au tribunal. Je connais aussi bien que vous les lois de ce pays, monsieur le juge. Je les ai subies des années. »
Un frisson remonta le long du dos de Namjoon qui ne sut s'il s'agissait d'un frisson de fierté ou d'excitation – il n'avait jamais vu Seokjin déborder d'une telle assurance, et bon sang, cela le rendait encore plus attirant ! Le port droit, habillé de ces précieux tissus céruléens, il ne ressemblait plus en rien à l'esclave qu'il avait été.
Il traversa la pièce, semant sur son chemin un concert de murmures indignés que la massue de Huyeon calma presque aussitôt qu'elle la brandit. Un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres.
« Il a dit : la loi l'autorise, gronda-t-elle en promenant son regard sur la salle.
— Nous venions de sceller la pièce, protesta un magistrat, il n'avait pas le droit d'entrer. »
Huyeon se tourna vers la porte en morceaux.
« Elle est ouverte, affirma-t-elle.
— Parce que vous l'avez détruite !
— Donc elle est bien ouverte.
— Elle était scellée !
— Ma massue ne vous a pas entendu, voulez-vous bien répéter ? » demanda-t-elle en tendant d'une seule main et sans trembler l'arme de métal.
Sa force épouvanta le jury presque autant que le juge, sans compter que sa réputation laissait présager le pire. On prétendait que la commandante Lee Huyeon, jadis une enfant calme et agréable, était devenue une machine à tuer à sa sortie de l'académie de Noria. Véritable collectionneuse d'armes, elle vouait un culte aux plus lourdes, aux plus sauvages. Elle était férue de haches et de massues, au point que son père en avait fait fabriquer plusieurs inédites afin de répondre à ses désirs. Elle était en effet la seule personne du Continent à posséder ce marteau géant couvert de piques – pas étonnant que la porte ait volé en éclats. Enfin, Huyeon était prétendue instable quand la colère s'emparait d'elle.
Il se racontait qu'un jour, au cours d'une bataille, un adversaire l'avait insultée en affirmant qu'elle n'avait obtenu sa place qu'avec le soutien de sa riche famille. Devant le courroux qui l'avait alors envahie, ses camarades eux-mêmes avaient reculé, la laissant commettre le carnage qui s'annonçait. Pas un ennemi n'en avait réchappé, à elle seule elle les avait tous massacrés sans pitié. Véritable semeuse de mort, elle était crainte sur tout le Continent, d'autant plus depuis qu'elle avait sauvé son général et survécu à une attaque qui aurait dû la tuer.
Longtemps alitée, la voilà qui paraissait plus puissante que jamais en dépit d'une jambe toujours bandée.
Plus personne ne parla, et Seokjin s'installa à la place de l'avocat de la défense sans qu'un commentaire lui soit adressé.
L'audience débuta. Bien que n'ayant jamais pris part à un procès, Seokjin avait appris aux côtés du meilleur, de sorte qu'il ne commit aucune faute. Namjoon l'observait avec une admiration qu'il ne cherchait pas à dissimuler. Son magnifique Tyfodonien...
L'accusation exposa ses quelques preuves, qu'aucun témoin n'appuya – sans doute avait-on considéré les documents assez accablants pour s'en passer afin d'écourter le débat, d'autant qu'il n'était question que de lettres.
Enfin Seokjin prit la parole.
« L'accusation a présenté au jury les lettres supposément échangées entre Kim Namjoon à Park Jimin. J'ai travaillé des années aux côtés du premier, et je peux vous assurer qu'il ne s'agit pas de son écriture. Il en va de même pour le second, après une analyse approfondie de sa graphie. J'ai apporté un texte écrit par Kim Namjoon et qui se trouvait dans les archives de l'Assemblée, de sorte qu'on ne puisse douter de son authenticité. Veuillez observer, je vous prie, les "e" et les "l", lettres qui présentent les plus flagrantes différences entre l'écriture du député Kim et celle de ces textes. Quant au général Park, la commandante Lee ici présente m'a confié des lettres que son supérieur lui avait envoyées. Elles proviennent du bureau de son père, qui pourra jurer sur l'honneur qu'elles sont authentiques. La graphie entre ces deux écritures diffère notamment dans la forme des boucles basses des lettres telles que le "f" ou le "j".
« Ces tics d'écriture, si je puis les qualifier de cette façon, poursuivit-il en tendant ses preuves au jury, sont typiques en revanche d'une tierce personne, et après examen, j'ose l'affirmer : c'est Na Dongho qui les a rédigées. »
Une protestation indignée s'éleva. L'accusation contra aussitôt que l'homme, prisonnier, ne pouvait pas avoir rédigé de telles lettres. Seokjin esquissa un rictus. Namjoon, fasciné par cette guerre, observait les opposants sans un mot.
« Inconcevable, n'est-ce pas ? jubila le Tyfodonien. Or, vous imaginez bien que si je suis à ce point sûr de moi, c'est parce que je ne viens pas avec pour seules preuves de petites boucles. »
Murmure stupéfait dans l'assemblée. Seokjin ménagea son effet, comme son ancien maître le lui avait appris, puis il s'expliqua.
« Observez l'encre utilisée sur tous les documents que je vous ai fournis : Kim Namjoon a pour ambition de laisser de traces de son passage dans ce monde, il utilise de l'encre très peu diluée. De même, le général Park ne prendrait pas le risque que son message parvienne illisible. Il utilise l'encre de l'armée, peu diluée aussi. Le noir est très vif, comme vous pouvez le remarquer sur ces textes pourtant écrits depuis des mois. Or, sur les lettres qui servent de preuve à l'accusation, vous pouvez constater que l'encre est plus claire, visiblement diluée pour baisser son coût. Cela n'indique pas un coupable en particulier, en revanche cela prouve bien d'une part que messieurs Kim et Park n'ont pas écrit ces lettres, et d'autre part qu'une même personne les a écrites avec la même encre.
« Il en va de même pour le papier : celui utilisé pour les lettres du général Park est bien celui fourni par l'armée, que l'on peut se procurer tout simplement en le demandant gentiment aux soldats, en revanche Namjoon utilise un papier bien plus épais que celui, de basse qualité, des lettres que vous tenez. Et qu'il s'agisse de ce papier ou bien de l'encre, je l'affirme : la commandante Lee et moi avons trouvé ceux qui correspondent chez Na Dongho. Nous nous sommes présentés chez lui ce matin, accompagnés par deux gardes pour nous servir de témoins, et voilà ce que nous avons découvert. »
Il tira de sa poche une bouteille d'encre ainsi qu'une liasse de papiers. Des lettres. Il les donna au jury qui transmit au juge les preuves précédentes.
« Ces textes ont été écrits par Na Dongho peu avant son arrestation – des brouillons de discours, rien de bien intéressant. Vous pourrez constater que le papier et l'encre sont les mêmes que ceux prétendument utilisés par Kim Namjoon.
— En effet. »
Seokjin fut déstabilisé par la prise de parole de l'empereur Hwang, qui consultait avec une mine pensive ce qu'il avait apporté. Il n'avait pas imaginé qu'il puisse décider d'intégrer le jury – il peinait encore à se rendre compte que sa toute première plaidoirie était écoutée par les deux souverains d'Arixium.
L'approbation de Hwang attisa la curiosité de ses pairs, plus enclins à examiner les preuves pour se forger leur propre opinion. Seokjin jeta un regard à Namjoon pour la première fois depuis le début de la séance. Si l'empereur Hwang se prononçait pour la défense alors que l'empereur Seo penchait pour l'accusation, les jurés seraient plus à même de voter dans leur âme et conscience, et non d'agir comme un troupeau suivant son berger.
« Mais comment Na Dongho aurait-il pu nous faire parvenir ces lettres depuis sa cellule ? l'interrogea Hwang.
— Très bonne question, opina Seokjin, nous nous la sommes posée aussi. Comment en effet Na Dongho aurait-il pu rédiger puis vous transmettre ces lettres ? Cela n'a aucun sens. »
Pour la première fois, toute l'assemblée l'approuva.
« Mais je pense que quelqu'un ici a une petite idée de la façon dont il s'y est pris... n'est-ce pas, empereur Seo ? »
Le Tyfodonien tourna ses yeux emplis d'une fureur calme vers l'empereur qui le foudroya du regard.
« Comment osez-vous ! tempêta-t-il en claquant les mains sur la table devant lui. De quoi donc m'accusez-vous ?
— Plusieurs gardes affirment qu'ils vous ont vu aller et venir dans les prisons ces derniers jours. Ils ont déclaré que vous ne signiez pas le registre de présence, ce qui les a quelque peu surpris, mais aussi que vous demandiez à ce que le couloir dans lequel vous vous rendiez ne soit pas surveillé le temps de votre passage. Et il s'agissait du couloir où croupit encore aujourd'hui Na Dongho. Oh bien sûr, vous avez ordonné que pas un mot ne soit murmuré à ce sujet, mais sachez, empereur Seo, que la sympathie des soldats d'Arixium va d'abord à l'empereur Hwang, qu'ils ont cru protéger en révélant vos manigances. Vous êtes un ancien député, un homme qui n'a pas hésité à se rémunérer plutôt qu'à soutenir son armée. L'empereur Hwang en revanche est un soldat admiré de tous, un homme droit et juste. Vous ne pouviez pas gagner la loyauté des soldats en cherchant à les intimider.
« Voilà donc comment l'affaire s'est déroulée, selon ces éléments : je ne doute pas que Na Dongho avait envisagé que le plan de Lee Seonhyuk pour tuer Namjoon puisse ne pas fonctionner, de sorte qu'il avait prévu ces lettres en second recours. D'après ce que l'on peut voir de l'encre et du papier, elles ont été rédigées il y a un moment déjà, environ un mois, je dirais, soit bien avant son incarcération, alors que l'on venait tout juste d'apprendre que le général Park Jimin allait attaquer Sawa. Je pense que l'ancien député Na y a vu une occasion en or pour discréditer son adversaire. Toutefois, il n'a pas trouvé l'occasion de les présenter aux empereurs, arrêté alors qu'il ne s'y attendait pas pour des faits qu'il ne pensait pas que les empereurs découvriraient.
« Or, très vite, à son tour l'empereur Seo a vu en Namjoon un adversaire potentiel, un homme adulé par le peuple, et un homme bien meilleur que lui, car honnête. Quand il a constaté que Namjoon gagnait aussi peu à peu l'adhésion de l'Assemblée, l'empereur Seo a pris peur : les nouveaux souverains seront élus l'année prochaine, et hors de question pour lui de perdre face à un tout jeune homme qui a fêté l'année dernière ses vingt-cinq ans... car à vingt-cinq ans, le voilà en âge de se présenter aux élections. Empereur Seo, vous savez que l'ancien général Hwang sera réélu, mais vous craigniez qu'à ses côtés ne se trouve Namjoon, de sorte que vous avez décidé d'aller vous entretenir avec son plus farouche adversaire : Na Dongho.
— C'est une machination ! clama l'empereur Seo.
— Laissez-le poursuivre, je suis curieux, l'arrêta l'empereur Hwang. Kim Seokjin, continuez je vous prie.
— Merci. Empereur Seo, vous avez rendu plusieurs visites à Na Dongho pour fomenter avec lui ce plan. Vous avez ourdi votre vengeance à l'ombre de votre propre prison, et quand il vous a parlé de ces lettres, vous avez su que vous teniez votre moyen de faire tomber Kim Namjoon : vous saviez qu'une accusation de trahison le perdrait, qu'il n'aurait aucune chance d'en réchapper. Or, mes preuves et mes témoins démontrent que vous et vous seuls vous cachez derrière ce que vous dénoncez, car le véritable coupable de trahison ici, c'est vous.
« Vous avez tenté de faire assassiner un innocent pour forcer le peuple à voter pour vous par dépit, vous avez bafoué la règle la plus importante de notre belle démocratie en cherchant à vous débarrasser d'un rival ! »
Sa voix était montée peu à peu, et Namjoon s'émerveilla devant le ton réprobateur de son amant qui demeurait mesuré, gardant un certain respect pour l'empereur. Par Pyros, quel homme !
À cette accusation portée contre leur souverain, les jurés se levèrent, la posture menaçante. Huyeon posa sa masse contre son épaule en les fixant, le regard vide – elle devenait terrifiante, on la jurerait capable du pire. L'empereur Hwang, lui, observait le déroulement du procès, calme. Namjoon crut même remarquer un rictus ourler ses lèvres.
Les témoins de Seokjin furent appelés à s'exprimer au sujet de ce qu'ils avaient vu ; tout concordait, et Hwang acquiesçait de façon régulière alors que ses plus fidèles et honnêtes soldats expliquaient les étranges allées et venues de Seo ces derniers temps à la prison.
Les discours s'enchaînèrent, Seokjin présenta toutes les preuves qu'il avait recueillies. Enfin, on demanda au jury de se retirer pour délibérer. La mine pensive, le Tyfodonien se redressa, et aussitôt qu'il put se délivrer du poids de sa nouvelle fonction, il se précipita vers son bien-aimé dont les menottes avaient été attachées à un crochet planté dans le banc sur lequel il était assis. Namjoon ne put bouger, mais il fleurit sur son visage un doux sourire lorsque le Tigre se jeta à son cou pour le serrer contre lui.
« Namjoon, bon sang, comme j'ai eu peur pour toi !
— Je vais bien... mieux que toi, même, j'ai l'impression. As-tu au moins dormi cette nuit ?
— Crois-tu sincèrement que je puisse dormir quand tu te trouves emprisonné injustement et sur le point d'être condamné à mort ? Sot ! J'ai passé ces vingt-quatre dernières heures à chercher à comprendre ce qui avait bien pu se passer ! J'ai réuni des preuves, étudié à la loupe des parchemins jusqu'à ce que mes yeux me brûlent ! J'ai vécu un enfer, et en plus j'ai bien failli arriver en retard !
— Tu es arrivé en retard, je te rappelle...
— La porte était ouverte.
— Je te trouve un peu de mauvaise foi, ricana-t-il en posant son front contre le sien.
— Du tout. Huyeon s'est jetée devant moi, ensuite j'ai cligné des yeux, et sans arrêter de marcher, j'ai pu passer. Donc la porte était ouverte.
— Cette femme est une furie.
— Et elle en est fière, clama la commandante en les rejoignant. Ravie de voir que le verdict ne sera peut-être pas celui que l'autre rat espérait. Est-ce que vous allez bien, député Kim ?
— Oui, merci beaucoup. Comptez-vous rester jusqu'au verdict ?
— Oui, j'en ai très envie : je n'ai jamais vu quiconque accuser un empereur de trahison, et s'il doit être arrêté, je veux être celle qui lui passera les menottes. »
Elle prononça cette dernière phrase assez fort pour être entendue de l'accusation. L'empereur lui jeta un regard aussi perçant qu'une flèche. Huyeon posa sans délicatesse son arme sur la table – un bruit sourd retentit – ; l'homme détourna aussitôt les yeux. Amusant comme quelques piques pouvaient effrayer même le plus puissant des Arixiens. À croire qu'il craignait une infirme.
Il avait bien raison de se méfier. Sa jambe ne l'empêcherait pas de soulever des montagnes pour blanchir la réputation de son meilleur ami et supérieur. Personne n'avait le droit d'accabler Park Jimin sans se frotter à elle.
Les minutes se transformèrent en heures. Namjoon ne pouvait se déplacer qu'en présence de soldats, et Seokjin insista pour rester auprès de lui jusqu'au verdict. Ni l'accusation ni la défense ne souhaitaient proposer d'autres éléments ni proférer d'autres charges. Seokjin néanmoins était prêt à tout. Si le jury désirait plus de preuves pour se prononcer, il les lui apporterait... il lui faudrait juste un peu plus de temps que le celui, trop court, dont il avait disposé.
Heureusement que l'empereur Seo s'était montré négligent, convaincu que l'affaire serait pliée en quelques minutes, car s'il avait soigné davantage ses preuves, Seokjin se serait retrouvé coincé. Dans son cas en effet, le crime de trahison était un crime d'intention, puisque Namjoon n'avait encore rien tenté contre l'intérêt du pays. Et comment établir, dans ce cas, que le suspect n'avait pas de mauvaise intention ? Sans ces lettres mal travaillées, Seokjin n'aurait pas pu démontrer l'innocence de son amant.
Plusieurs heures s'étaient écoulées quand le jury regagna la salle. Seokjin, bien qu'épuisé, se tint droit sur son banc, solennel. Le destin de son compagnon se jouait à présent. Il avait tout mis en œuvre pour lui venir en aide, il n'avait pas dormi une seconde : quoi qu'il advienne, il s'interdisait tout remords. Or... si Namjoon devait être condamné malgré ses efforts pour le sauver, il savait qu'il serait anéanti.
L'empereur Hwang se leva pour annoncer la décision.
« Le jury ici présent et moi-même avons décidé que les preuves fournies par l'accusation ne suffisaient pas à étayer une suspicion de trahison. Le plaidoyer de la défense en revanche a semé le doute parmi nous : nous déclarons Kim Namjoon non-coupable et condamnons l'empereur Seo à la surveillance pour une durée d'un an, jusqu'à la fin de son mandat. S'il cherche à s'en prendre par quelque moyen que ce soit à un député dans un but pernicieux, il sera accusé de trahison et condamné à une mort immédiate. »
La surveillance était une peine en cas de suspicion que l'on ne parvenait pas à étayer assez pour qu'elle convainque tout à fait. Le jury hésitait à condamner Seo mais le pensait coupable, de sorte qu'il avait choisi cette voix pour l'empêcher de récidiver. Dorénavant, des gardes se relaieraient jour et nuit – des gardes de l'empereur Hwang, autrement dit des hommes trop difficiles à corrompre pour envisager de les soudoyer – afin de veiller à ses fréquentations, son courrier serait lu, chacun de ses mouvements observés.
Conscient d'avoir échappé au pire, Seo affichait un visage placide quoique dur, preuve de sa fureur. Namjoon pour sa part peinait à assimiler le verdict : innocent ? Il avait été déclaré... innocent ? Seokjin, que tout le monde prenait encore pour un misérable esclave tyfodonien peu lettré, avait réussi à déjouer une accusation de trahison alors qu'il parlait pour la première fois devant les Arixiens ?
Hébété, le jeune homme observa le soldat qui arrivait pour lui retirer ses menottes. Il lui tendit ses poignets ; la clé tourna dans la serrure, les pièces de métal s'ouvrirent, retenues dans leur chute par le crochet auquel elles étaient fixées. Ses bras lui parurent soudain plus légers, et il releva les yeux sur son compagnon qui le toisait avec un soulagement mêlé d'un amour tel qu'ils surent qu'il durerait toujours.
Namjoon esquissa un premier pas, un second, puis se jeta dans l'étreinte de son aîné qui le réceptionna dans un rire attendri, ému de l'avoir sauvé. Pas un mot ne fut prononcé, ils s'enlacèrent en silence, sous les regards rassérénés de Huyeon et de l'empereur Hwang, qui n'avait jamais douté de la loyauté de Namjoon envers Arixium.
« Rentrons, souffla le cadet, je meurs de faim et tu sembles épuisé.
— Je le suis, marmonna Seokjin, je pourrais dormir par terre.
— Évitons de t'abîmer le dos. »
Enfin libéré du stress qui l'avait habité des heures durant, Seokjin ne put s'empêcher de rire, et Huyeon insista pour les raccompagner chez eux, peu rassurée à l'idée qu'ils se promènent seuls dans la rue après ces aventures. En chemin, le Tyfodonien lui jeta un regard reconnaissant.
« Merci encore pour votre aide, commandante Lee, je n'aurais pas pu y arriver sans vous... et votre masse.
— Ma fidèle ! Haha, que serais-je sans elle ? se vanta la jeune femme avec un éclat de folie douce dans le regard. Heureuse de vous avoir aidé en même temps que je sauvais l'honneur de Jimin. Que cette ordure ait osé dire du mal de lui me révulse. Quand il a montré et lu ces lettres, je n'avais qu'une envie : lui exploser la tête avec ma masse ! Si vous avez de nouveau besoin de mes services, n'hésitez pas ! J'ai beaucoup aimé cette petite enquête ! »
Arrivés devant la maison des deux amants, ils se saluèrent, puis Huyeon s'en alla, le pas tranquille en dépit de sa jambe blessée et de son arme lourde avec laquelle elle jouait comme si elle était aussi légère qu'une brindille.
« Tu as raison, cette femme est une furie, » admit Seokjin en l'observant s'éloigner.
Namjoon rit et l'attira dans la demeure à sa suite. Il se dirigea aussitôt vers la chambre, à la plus grande surprise du Tyfodonien qui l'arrêta en chemin.
« Attends, ne voulais-tu pas manger ? Je peux te préparer un peu de...
— Non, on va dormir.
— Tu avais faim !
— Oui, mais j'ai reconsidéré mes priorités : je veux me coucher à tes côtés et te regarder dormir. »
Conscient que lutter ne servirait à rien, Seokjin baissa les bras et se laissa guider. Dans la chambre, son amant se plaça devant lui pour dénouer son manteau. Il ne protesta pas, il profita de ces attentions.
« Tu étais éblouissant avec ce hanbok, remarqua Namjoon, il faut absolument que je t'en offre un encore plus beau.
— Tu es ridicule.
— Et tes cheveux... bon sang, jamais je n'aurais pu imaginer qu'un chignon te rendrait si viril.
— Je ne l'ai fait que pour éviter que mes cheveux me tombent dans les yeux pendant que j'étudiais les parchemins. Cela a failli me rendre fou.
— Tu seras mieux sans pour dormir, puis-je le défaire ?
— Amuse-toi. »
Les yeux déjà clos, bien que toujours debout, Seokjin ne réagit pas quand Namjoon passa derrière lui afin de dénouer le ruban qui retenait sa majestueuse coiffure. Ses cheveux retombèrent sur ses épaules, et un léger sourire s'épanouit sur son visage. Vêtu de sa chemise et son pantalon, il rouvrit les paupières pour s'enfoncer dans le lit auprès de son amant qui avait soulevé pour lui la couverture.
À peine les deux furent-ils couchés que Namjoon se pressa contre son compagnon. Ce dernier se lova dans son étreinte, l'enserrant afin de le garder tout contre lui. Il refusait d'imaginer qu'ils puissent un jour être séparés par des hommes comme ces vils sycophantes.
Seokjin s'assoupit presque aussitôt, à bout de forces. Son cadet le sentit se détendre contre lui, sa respiration se calma, et il se laissa bercer par l'apaisement qui l'envahissait. Parce qu'il avait peu dormi cette nuit-là, il sombra à son tour, entraîné dans l'inconscient alors qu'il songeait encore au courage touchant dont avait témoigné Seokjin pour le sauver.
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Réveillé alors que la nuit commençait à peser sur Noria, Seokjin s'aperçut que son compagnon avait quitté le lit. Il se leva à son tour et s'apprêtait à sortir quand il entendit des pas approcher. Il observa la porte s'ouvrir sur Namjoon qui tenait un plateau à l'odeur alléchante. L'Arixien posa leur dîner sur la table basse et y alluma une bougie afin d'illuminer un peu la pièce.
« Bien dormi ? s'enquit-il en se penchant pour lui voler un baiser.
— Oui, merci, et toi ? As-tu trouvé le sommeil ?
— Sans aucun mal. Je me suis réveillé juste à temps pour nous préparer et nous servir de quoi manger. Régale-toi. »
Deux bols étaient disposés sur son plateau, accompagnés de deux verres remplis d'eau. Seokjin le remercia pour l'attention, et il se hâta de prendre sa portion. Lui aussi s'était peu nourri depuis l'arrestation de Namjoon : l'estomac noué, il n'avait pas réussi à avaler plus de quelques bouchées depuis la veille.
Ils se régalèrent, affamés, l'esprit à présent soulagé. Namjoon s'assit à côté de Seokjin, la cuisse contre la sienne, lui adressant par moment un sourire complice, ou bien une œillade débordante d'affection. Repu, l'aîné se leva et tendait déjà le bras vers le plateau qu'il souhaitait prendre pour aller le nettoyer. Or, son compagnon l'en empêcha d'un bref mouvement.
« Laisse, je vais m'en occuper. Repose-toi, tu me sembles encore fatigué.
— Je vais beaucoup mieux.
— S'il te plaît, laisse-moi faire. »
Il faillit rajouter qu'il n'était plus son esclave à présent, mais la remarque lui semblait mal choisie, de sorte qu'il se tut, insistant d'un simple regard. Seokjin n'y résista pas : il se recoucha dans le lit de son amant et le remercia alors que Namjoon rapportait le tout à la cuisine. Après un brin de vaisselle, il était de retour dans la chambre, où il s'allongea derechef face au Tyfodonien.
« Veux-tu encore dormir ? s'enquit Namjoon. La nuit est déjà tombée.
— Je me sens moins fatigué, mais dors si tu le souhaites. J'imagine que tu ne prendras pas ta journée demain pour te remettre de tes émotions...
— En effet. Je ne veux pas montrer la moindre faiblesse, je dois me présenter à l'heure à l'Assemblée.
— L'opinion des autres est si pesante, se plaignit Seokjin dans un soupir.
— J'en suis désolé. Moi aussi je voudrais rester ici et profiter de toi toute la journée.
— La tournure prête à confusion...
— Du tout, j'ai bien insinué ce que je souhaitais insinuer : si je devais rester ici toute la journée... chaton, comment voudrais-tu que je te résiste ? Même avec tous les efforts du monde, je ne pourrais pas m'empêcher de chercher tes lèvres et tes bras. Tu finirais par vouloir me chasser d'ici, » rit-il.
Seokjin détourna son regard sans répondre, et Namjoon vit là une occasion parfaite de le taquiner : « À moins que toi aussi, tu passes ta journée à désirer mes bras et ma bouche, bien sûr...
— Ne dis pas de sottises.
— En ai-je dit ? Ne me désires-tu donc pas ?
— Bien sûr que si. Mais je n'oserais jamais réclamer... enfin, je...
— Je sais, je sais, du calme, souffla l'Arixien en levant une main pour lui caresser la joue. Je te taquinais, tu vois bien.
— Pardon... je ne suis toujours pas à l'aise avec ce sujet.
— J'ai cru comprendre. Et pourtant, ce n'est pas faute d'envie, n'est-ce pas ?
— Hum...
— Pardon, je continue de t'embêter. »
Seokjin se recroquevilla contre lui, embarrassé à l'excès mais heureux de profiter de son étreinte. Namjoon entreprit de lui caresser le dos sous sa chemise, leurs deux peaux soudain en contact. L'aîné se tendit sans pour autant s'écarter.
« Du calme, susurra Namjoon. Tu aimes quand je te caresse ainsi, n'est-ce pas ?
— Oui...
— Alors détends-toi, je ne te ferai jamais rien sans ton consentement.
— Je sais. »
Enfin il accepta de se détendre, et ils s'embrassèrent. Seules leurs lèvres furent impliquées, entamant une chorégraphie sensuelle et tendre, pas dénuée d'une certaine innocence. Seokjin se laissa envoûter par les émotions que Namjoon lui transmettait de cette façon, touché par l'amour qui émanait de chacun de leurs contacts. Il poussa un soupir de soulagement, se serra davantage contre son bien-aimé. Seokjin éprouvait soudain l'intense besoin de ressentir le corps de son amant, de se réchauffer contre lui. Il passa une jambe par-dessus les siennes dans un geignement nécessiteux.
« Tu vas me donner envie à force de gémir de cette façon, souffla Namjoon en lui embrassant le front.
— Je ne veux plus jamais m'éloigner de toi.
— Chaton...
— J'ai eu peur, tu n'imagines même pas comme les heures que j'ai vécues ont été horribles... j'ai lutté pour me concentrer sur les preuves, mais je n'ai pas arrêté de penser à toi, de m'inquiéter pour toi. Plusieurs fois je me suis senti au bord de la crise de nerfs.
— Je suis désolé, tu m'avais dit de prendre garde à ce que je disais devant les empereurs... j'aurais dû t'écouter.
— Laisse tomber, tout cela est fini.
— Pourtant tu cherches absolument le contact. »
Namjoon l'enlaça et l'incita à mouler son corps au sien. Il passa les deux mains sous sa chemise pour les plaquer contre son dos. Après un frisson, Seokjin ressentit leur chaleur, et il sut que son amant percevait les battements de son cœur contre ses paumes.
« Je te promets de ne plus rien faire d'inconsidéré.
— Tu n'en seras jamais capable. Tu es député et avocat.
— Bon... eh bien disons rien de trop inconsidéré.
— Je m'en contenterai.
— Est-ce que je peux retirer ma chemise ?
— Oui. »
Seokjin ne s'en rendait compte que maintenant que Namjoon le lui proposait, mais il désirait plus que tout caresser sa peau, s'en repaître. Il souhaitait que plus rien ne le sépare de celui qu'il chérissait tant. Il s'écarta un bref instant, juste le temps que son cadet retire son habit. Ses muscles apparurent à la lueur de la bougie, dont la flamme fragile dessinait les reliefs en oscillant.
Le Tyfodonien se hâta de regagner son étreinte, posant la tête contre son torse pour profiter tant de sa chaleur que des sourds battements de son cœur. Namjoon l'enserra avec amour de ses bras nus, et il s'amusa à passer les mains sous sa chemise pour la remonter un peu.
« Pas touche, protesta Seokjin en remuant.
— Tu t'affirmes... j'aime ça.
— Tu sais bien que je ne supporte pas mon corps, et tu continues de me taquiner, se plaignit-il avec la crainte d'avoir vexé son partenaire.
— C'est parce que j'aimerais que tu me laisses t'aider.
— Si je savais comment faire...
— Il suffit que tu me fasses confiance.
— Cela paraît si simple.
— Voudrais-tu que nous essayions ? lui proposa Namjoon avec un soudain sérieux.
— Que nous essayions quoi ?
— De te montrer que tu es magnifique, chaton. »
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