« La prêtresse, émue aux larmes : Vous seriez donc prêt à renoncer à votre position pour moi ? Pour... rien de plus qu'une femme ?
Le général, lui prenant la main avec ferveur : Je renoncerais jusqu'à la vie si j'étais certain de pouvoir vous aimer dans l'au-delà, mon adorée. Vous êtes bien plus qu'une femme, vous êtes la femme que j'ai choisie. Acceptez de devenir mon épouse, et vous ferez de moi l'homme le plus heureux de ce triste continent.
La prêtresse : Je l'accepte. »
– Moon Sungpio, La dame de la lune.
Taehyung ouvrit les paupières au petit matin, au comble du bonheur, toujours emmitouflé sous la couette et dans les bras de son compagnon. Hoseok bavait sur son épaule dénudée, ce qui l'amusa plus que cela ne le dégoûta. Il le repoussa en douceur et découvrit que le lieutenant ne s'était pas réveillé, ou du moins il n'en laissait rien deviner. Il voulut l'embrasser, le tirer de sa torpeur, mais il y renonça devant son visage angélique. Comment arracher à son sommeil un homme aux traits si paisibles ?
À la place, l'Arixien décida de sortir s'octroyer une promenade matinale sur les remparts de la forteresse. Lorsque Hoseok se lèverait, il leur suffirait d'ouvrir leur sac pour y trouver de quoi se nourrir, rien ne pressait maintenant qu'il n'était plus nécessaire d'organiser une distribution pour chaque repas.
Il revêtit donc sa tunique ainsi que son pantalon, puis il quitta la pièce d'un pas leste. Il longea le couloir silencieux et rejoignit en quelques minutes les remparts. Il y soufflait un vent frais parfumé par l'odeur des pins environnants. En contrebas, les corps des défunts jonchaient toujours le sol, déjà les bêtes s'attaquaient à eux. Des traces de griffes et de crocs apparaissaient sur certains cadavres, preuves que des loups, communs dans la région, s'étaient servis.
Taehyung ignora s'il frémit à cause des températures matinales et de l'humidité ambiante, ou bien à cause de l'idée qu'il finirait probablement comme ces hommes. Comment, après tout, une personne telle que lui pouvait-elle survivre lors d'une pareille guerre ? Il n'avait aucune chance contre des combattants expérimentés. Si Hoseok ne l'avait pas surveillé sans cesse la veille, il aurait été traversé par plus d'un sabre...
Dans un soupir, il croisa une sentinelle qui le salua et qu'il salua en retour. L'impression de compter parmi une armée si cosmopolite le rassura malgré le peu de soldats qu'elle dénombrait : Taehyung éprouvait la sensation de prendre part à quelque chose de beaucoup plus grand que lui.
Une quinzaine de minutes étaient passées lorsqu'il se décida à rejoindre son compagnon. Il commençait à trembler de froid, et il ne se sentait pas à l'aise devant tous ces cadavres. Aussitôt de retour dans la forteresse, il poussa un soupir, et il repartit d'un pas plus tranquille. Il atteignait à peine le couloir des chefs quand une porte s'ouvrit. Du fait d'un éclairage limité, il ne distingua pas de laquelle il s'agissait... puis il se figea en s'apercevant que non, ce n'était pas celle de Hoseok... ni même Jimin et Yoongi, ni Soobin.
Jungkook, vêtu lui aussi de la tunique céruléenne, de son pantalon et ses bottes de guerrier, commença à avancer dans sa direction en se frottant les paupières, sans doute à peine réveillé. Il s'immobilisa en sentant une présence. Il leva les yeux, méfiant, et lorsqu'il reconnut Taehyung, son visage se ferma. Le poète lui avait rarement connu un air si sérieux. Il se ratatina sur lui-même, rentrant la tête dans les épaules.
« Bonjour, Jungkook, » osa-t-il en jetant un regard involontaire à la porte de Hoseok.
Le lieutenant en suivit la trajectoire ; malgré la semi-obscurité, Taehyung distingua son expression se durcir encore. Ses yeux se chargèrent de haine. L'artiste déglutit : il n'avait commis de faute envers Jungkook, mieux valait qu'il file retrouver son compagnon au lieu de traîner ici. Il ne supporterait pas que son cadet s'énerve sur lui sans raison.
« Bon, eh bien passe une bonne journée. »
Il se hâta de rejoindre la porte de Hoseok, mais le bras de Jungkook lui barra le couloir, s'abattant juste devant lui. Les voilà tous deux plantés l'un face à l'autre, moins de quarante centimètres entre eux. Le souffle coupé par la surprise autant que par l'angoisse, Taehyung hésita à reculer. Qu'espérait-il de lui ? Avec un visage aussi contrit, il ne risquait pas de lui présenter ses excuses pour la dernière fois, ni même de s'expliquer avec lui. Non, Jungkook ressemblait davantage à un rapace prêt à fondre sur sa proie pour la dévorer.
Un frisson d'appréhension courut le long de l'échine de Taehyung qui se demanda comment réagir : devait-il forcer ce barrage, ou bien s'enfuir en attendant que Jungkook disparaisse ?
« Comment veux-tu que ma journée soit bonne quand ma nuit a été si horrible ? gronda le lieutenant.
— Je suis désolé pour toi... je vais te laisser, je...
— Comptes-tu encore aller copuler avec ce Tyfodonien ? »
Le poète se figea, son cœur lui parut peser plus lourd que jamais. Il releva lentement le visage jusqu'à plonger son regard stupéfait dans celui de Jungkook. Ce dernier ne cilla pas, refusant de baisser les yeux devant ce petit artiste.
« Je... q-qu'est-ce que tu veux dire ? balbutia Taehyung.
— Pitié, ne me fais pas croire que tu ignores que tout l'étage a profité de vos ébats d'hier soir. Vous n'avez fait preuve d'aucune discrétion, ce misérable et toi.
— Ne le traite pas de misérable, maugréa-t-il d'un ton menaçant.
— Alors ne me prends pas pour un sot. Comment as-tu pu oser te donner à un Tyfodonien ? Un ennemi ! Rien ne t'assure que lorsque nous rentrerons à Arixium, il sera gracié. Il retournera en prison, et tu risques de l'y accompagner pour ta complicité dans son évasion. »
Devant la moue horrifiée de son aîné, Jungkook soupira de dépit.
« Ne t'inquiète pas, je pourrai faire valoir ton cas, prétendre que cet homme t'a menacé. Il te suffira d'affirmer que tu le crains, et... que c'est moi que tu aimes.
— Jungkook !
— Je te propose un marché, rien de plus, se défendit le jeune homme en levant les mains. Rien ne t'oblige à accepter. Mais... si tu tiens à ta liberté, considère mon offre avant de répondre : Hoseok sera renvoyé chez lui, et toi coincé à Noria. Nous pourrions nous retrouver, à la place, et peut-être essayer...
— Je n'ai plus rien à faire avec toi, et tu le sais aussi bien que moi ! le coupa Taehyung dont le corps tendu témoignait de sa fureur. Tu m'as rejeté, insulté, et tu ne m'as jamais aimé ! Pourquoi à présent chercher à me reconquérir ? Je ne t'ai jamais intéressé.
— Je regrette tout cela, je m'en veux du mal que je t'ai infligé. Reviens-moi. Je refuse de te voir avec un homme comme lui. Il n'est qu'un félon, il te trahira.
— Je n'y crois pas. Hoseok au moins m'a offert ce que tu n'as jamais pu me donner.
— Oh vraiment ? Et quoi donc ?
— Son amour.
— Laisse-moi rire ! persifla Jungkook. Cet homme ? Amoureux de toi ? Et tu es encore assez naïf pour y croire ! Ouvre les yeux, tu cherches tant à être aimé que tu en deviens aveugle.
— Non, je suis catégorique : il m'aime.
— Et je serais curieux de savoir comment tu peux en être si convaincu. Est-ce que c'est la façon dont il t'a possédé ? Ne le prends pas mal, mais tu te laisses avoir par un sexe droit et de jolis mots, après tout. Tu as cru que je t'aimais aussi, à l'époque où nous nous amusions ensemble.
— Tu es immonde ! »
La colère sourdait en Taehyung. Il avait cédé son cœur sur un plateau d'argent au beau lieutenant, qui l'avait refusé jour après jour, se contentant de se servir de son corps pour assouvir ses désirs avant de prendre la fuite. Le poète avait tout accepté pour lui plaire, il l'avait laissé faire de lui un homme anéanti qui n'attendait qu'une chose : que son amant vienne le baiser, comme il disait, pour qu'il reçoive un peu d'affection. Il s'était abandonné à une liaison sans espoir, et cela juste parce qu'il s'était toujours révélé trop aveugle pour se rendre compte que Jungkook, même s'il l'appréciait peut-être, craignait trop l'engagement pour lui offrir ce qu'il souhaitait.
Hoseok, lui, l'aimait avec une telle ardeur qu'à la simple pensée de ces mots qu'ils avaient échangés la veille, Taehyung pourrait pleurer d'émotion. Jungkook savait se montrer délicat pendant leurs ébats, mais maintenant qu'enfin son compagnon lui avait fait l'amour, Taehyung s'était aperçu de l'absence de sentiments dans la façon dont Jungkook le touchait, le pénétrait. Il avait cru parfois y percevoir de l'affection, mais il s'était trompé, il ne s'agissait que de passion enflammée. Pas une étincelle d'amour n'avait incendié leurs nuits.
Jungkook avait voulu le posséder, mais il ne l'aimait pas.
« Alors vas-y, dis-moi : comment peux-tu être convaincu de sa sincérité ? le provoqua encore le guerrier.
— Parce que son regard me couvait comme le mien te couvait jadis. »
Surpris par l'honnêteté et l'émotion qui perçaient sa voix, Jungkook fut déstabilisé. Il cligna des paupières, déglutit, et prit un air mauvais. Taehyung, néanmoins, le devança.
« Et toi, Jungkook, pourquoi es-tu si jaloux, soudainement ?
— Je ne suis pas jaloux. Ton corps me manque, voilà tout, et j'ai réfléchi, je...
— Ta troupe grouille de soldats qui tueraient pour passer dans ton lit, l'interrompit-il. Va donc coucher avec eux si tu te sens si sexuellement frustré, au lieu de me tenir la jambe comme un misérable amant éconduit. »
Rendu furieux par cette marque de mépris, Jungkook perdit son calme.
« Tu m'as juré ton amour à maintes reprises, et voilà qu'en quelques semaines à peine, tu tombes dans les bras de ce Tyfodonien de malheur ! Ton comportement m'écœure : combien de temps prétendras-tu l'aimer avant de te lasser de lui ? Avec quel autre homme coucheras-tu quand tu te seras lassé de sa verge ?
— Il suffit ! fulmina Taehyung. Nous nous aimons tous les deux, je n'ai aucune raison de m'intéresser à un autre ! Tu m'as rejeté, assume que j'aie accepté ta décision et choisi de trouver quelqu'un d'autre à qui confier mon cœur ! J'étais prêt à tout pour toi, même à t'oublier pour te laisser enfin tranquille, pour cesser de t'imposer mes sentiments !
— Alors pour me narguer tu as choisi de te laisser prendre par mon ennemi !
— Hoseok est à présent un lieutenant du général Park, au même titre que toi ! Et ton prétendu ennemi est un homme bien plus doux, plus loyal et plus compréhensif que tu ne le seras jamais ! Tu n'es qu'un minable, Jeon Jungkook, jamais tu ne deviendras général avec un comportement aussi violent. »
Sans réfléchir une seconde, le guerrier leva le poing, prêt à l'abattre sur le joli minois qu'il avait jadis embrassé. Taehyung tourna aussitôt la tête en dressant l'avant-bras dans un geste défensif. Le coup néanmoins ne tomba pas. L'Arixien rouvrit les yeux, étonné que Jungkook ait réussi à se contrôler... et une cuisante déception l'envahit quand il vit Yoongi approcher, suivi par Jimin qui terminait de revêtir sa tunique. Le Phénix, un bras levé, fixait le lieutenant avec une intensité qui prouvait qu'il exerçait son pouvoir sur lui.
Jungkook, immobile, poing toujours levé, ne quittait pas du regard Taehyung, qui se sentit frappé par le ressentiment qui en débordait. Les deux autres portes de chambre s'ouvrirent presque en même temps : Soobin sortit de l'une d'elles, torse nu, et Hoseok, habillé, accouru auprès de son compagnon qu'il prit dans ses bras. Encore remué, Taehyung ne répondit pas à son étreinte. Il se contenta de poser la joue contre son épaule en fermant les paupières alors que les battements de son cœur s'apaisaient enfin.
Yoongi libéra Jungkook, qui fit volte-face en direction du mage qu'il découvrit en compagnie de son général. Il s'inclina devant ce dernier.
« Mon général...
— À quoi rime donc tout ce boucan ? s'enquit Jimin d'un ton dénué d'émotions. Et que vous apprêtiez-vous à faire subir à ce jeune homme, lieutenant ?
— Je suis désolé. Il s'agit... d'une affaire entre nous.
— Visiblement non, puisque tout le monde a pu profiter de votre conflit. Rien ne vous obligeait à partager avec nous votre colère.
— Je vous présente mes excuses.
— Je pense que ce n'est pas envers moi qu'il vous faut vous excuser. »
Jungkook releva la tête pour fixer son supérieur, qui pour sa part lui adressa un signe du menton en direction de Taehyung, que Hoseok serrait contre lui de façon protectrice. Il voulut répliquer qu'il refusait de s'excuser auprès d'eux, mais Jimin prit la parole le premier, d'un ton toujours aussi serein.
« Il me semble que lui et vous n'avez jamais formé un couple, lieutenant Jeon, bien que je n'ignore pas l'identité de la personne chez qui vous vous précipitiez chaque fois que nous revenions à Noria... et l'identité de celle que notre ami poète évoque dans son œuvre la plus célèbre.
— Vous... vous saviez, bredouilla Jungkook.
— Bien évidemment. Je sais tout de mes hommes, lieutenant, sans compter que votre dispute a eu le mérite d'éclaircir les quelques points que j'ignorais encore et au sujet desquels il m'arrivait de me questionner.
— Je suis désolé, s'excusa à son tour Taehyung. Je ne voulais pas vous déranger.
— Je ne vous reproche rien.
— Rien ? Même pas... »
Il coula un regard sur son compagnon qui resserra sa prise autour de sa taille en lui offrant un maigre sourire.
« Même pas votre couple, affirma Jimin en comprenant ce qu'il lui demandait. Ni vous ni lui n'appartenez tout à fait à mes troupes. Je n'ai donc aucune raison de juger votre relation... bien que j'admette que le lieutenant Jeon a raison sur un point : il n'était pas nécessaire de faire profiter tout le monde de votre amour, hier soir.
— Par Pyros, quelle honte, marmonna Taehyung dont les joues s'empourprèrent de manière évidente.
— Nous prendrons garde à ne gêner personne, la prochaine fois, promit Hoseok en inclinant la tête devant son supérieur provisoire.
— Parfait. Lieutenant Jeon, expliquez-vous avec votre ancien amant une bonne fois pour toutes, et sans le frapper je vous prie. Je ne supporterais pas un tel comportement envers un homme de toute évidence plus faible que vous. »
Taehyung ne fut pas vexé par la remarque. Le général Park présentait les faits de manière objective : il était poète, non soldat. Impossible pour lui de se défendre si Jungkook décidait de le battre. Ce dernier justement dirigea sur lui un regard glacial. Taehyung se recroquevilla dans l'étreinte rassurante de Hoseok, que Jungkook ne semblait même pas voir.
« Soit, nous nous expliquerons, affirma le lieutenant d'une voix qui ne cachait rien de sa haine. Pour lors, je dois aller préparer mes bagages. »
Il retourna à sa chambre sans un mot de plus, et Taehyung se sentit plus serein une fois loin de lui.
« Je vous renouvelle mes excuses pour le dérangement, soupira-t-il en jetant un regard aux garçons autour. Je ne sais pas comment tout cela est arrivé.
— Tout va bien, l'important est que personne n'ait été blessé, affirma Jimin en posant une main sur l'épaule de Yoongi. Que tout le monde termine de se préparer, nous devons repartir au plus vite. À présent, nos ennemis sont à nos trousses. »
Chacun acquiesça et le groupe éclata. Hoseok accueillit de nouveau son amant dans sa chambre. À peine la porte en fut-elle close qu'il l'enlaça de plus belle et appuya un doux baiser sur ses lèvres.
« Je suis désolé de n'avoir pas pu intervenir plus tôt, soupira-t-il. Je me suis réveillé quand le ton est monté, et le temps que je m'habille...
— Ne t'excuse pas. Tout va bien.
— Cet homme est horrible. Ce qu'il t'a dit... Taehyung, je suis désolé que tu aies eu à affronter pareilles abjections.
— Ce n'est rien. J'ai été touché que tu te précipites vers moi pour me défendre, souffla le poète en se blottissant contre lui. Jungkook n'est qu'un enfant capricieux, il ne mérite pas que nous nous intéressions à lui. Nous nous aimons, rien d'autre ne compte.
— Je suis soulagé qu'il ne t'ait pas rendu méfiant vis-à-vis de moi, admit Hoseok. Je sais que... que j'ai été un ennemi des tiens, mais je veux me racheter, et... ta bonté, ta tendresse... je suis sincèrement amoureux de toi. Je n'ai pas aimé que Jungkook prétende que je feignais.
— Je sais bien, de toute façon tu n'aurais aucun intérêt à prétendre m'aimer. Si tu voulais t'assurer ta liberté, tu aurais jeté ton dévolu sur quelqu'un d'important, pas...
— Ne continue pas cette phrase. Tu es la personne la plus importante qui existe à mes yeux. Je n'ai plus de famille, mais... peut-être qu'un jour, ensemble, nous en formerons une. Je t'aime, mon petit oiseau.
— Oh, Hoseok... »
Ému par cette déclaration, Taehyung prit son visage en coupe pour un baiser enfiévré que lui rendit son amant. Enlacés, ils s'embrassèrent jusqu'à ce que le ventre de l'Arixien gronde, preuve de sa faim. Hoseok s'écarta en silence, le toisa, perplexe, puis éclata de rire.
« Je crois comprendre qu'il est temps que nous nous nourrissions d'autre chose que d'amour et d'eau chaude ! Allez, dépêchons, nous nous sommes déjà assez fait remarquer pour aujourd'hui, mieux vaut qu'on ne mette pas les troupes en retard ! »
~~~
Rentré dans la chambre de Jimin, Yoongi resta planté près de la porte. Le général jeta un regard étonné dans sa direction. Il attendit que le Phénix lui explique ce qui lui arrivait, mais devant son silence, il parla le premier.
« Cette dispute vous aurait-elle secoué, Yoongi ?
— Pas spécialement.
— Alors pourquoi semblez-vous si pensif ?
— Je n'imaginais pas que l'amour pouvait provoquer de tels conflits...
— Vous comprenez donc désormais pourquoi j'interdis à mes soldats d'être en couple à moins de n'en parler à personne d'autre que moi.
— En effet...
— Merci, d'ailleurs, d'être intervenu. Si Jungkook l'avait frappé, je n'ose pas imaginer les tensions qu'il aurait provoquées avec Hoseok et les Tyfodoniens.
— Je vous en prie. »
Yoongi se sentait avant tout soulagé que rien de grave ne soit advenu. Quand le ton était monté dans le couloir et qu'il avait reconnu les éclats de voix de Jungkook et Taehyung, Jimin avait insisté pour qu'ils interviennent. Le Phénix, en découvrant l'un prêt à s'en prendre à l'autre, avait réagi sans réfléchir.
Chacun se prépara en silence, et alors qu'ils terminaient de manger, Jimin jeta un regard malicieux à son aîné.
« Dites-moi, Yoongi, vous n'auriez pas envie par hasard que nous reprenions où nous en étions quand tout ceci est arrivé ?
— Où nous en étions ? répéta-t-il avant de toussoter sous l'effet de l'embarras.
— Auriez-vous déjà oublié ? »
Oublié ? Non, bien sûr que non : les deux hommes avaient dormi ensemble dans le lit après s'être promis d'avertir Hoseok et Taehyung au sujet du boucan qu'ils avaient provoqué. Malgré une certaine envie partagée de les imiter, ils étaient parvenus à s'assoupir enlacés. Or, ce matin-là, réveillés tous deux avant l'heure, ils n'avaient pas réussi à résister : embrasés par leur désir, ils avaient échangé des baisers de plus en plus lascifs. Yoongi même avait développé une érection que son cadet avait sentie contre la sienne lorsque leurs deux bassins s'étaient entrechoqués. Il s'apprêtait d'ailleurs à la lui faire remarquer, espiègle, quand les cris dans le couloir les avaient sortis de leur occupation.
« Non, non, je n'ai pas oublié...
— Mais vous n'en avez plus envie.
— Je crois bien. »
Jimin poussa un soupir de dépit avant de s'étaler sur le bord du lit.
« Le lieutenant Jeon m'entendra : qu'il essaie de frapper son ancien amant est une chose, mais qu'il m'empêche de vous toucher...
— Jimin...
— Je considère ce crime comme une trahison.
— Vivez-vous donc si mal la frustration ?
— Oh que oui, mais seulement quand elle est provoquée par quelque chose de stupide. »
Yoongi laissa poindre sur ses lèvres un rictus, et il haussa les épaules.
« Eh bien j'en suis désolé pour vous, mais tout mon désir s'est bel et bien envolé.
— Vous enfoncez le clou...
— Pourtant, poursuivit le Phénix comme s'il n'avait rien entendu, je me sentais prêt à aller plus loin cette fois.
— Yoongi...
— J'avais si envie de vos mains sur mon corps...
— Yoongi.
— De sentir votre peau nue contre la mienne... »
Jimin ne répéta pas son avertissement : d'un mouvement vif, il se redressa et se planta devant son aîné qui esquissa un pas en arrière. Le général toutefois avait déjà passé un bras autour de son corps pour le maintenir contre lui.
« Ne jouez pas avec mes nerfs, mon ami, je suis déjà bien assez en colère.
— Oups, où avais-je la tête ?
— Vous riez, vous riez, mais j'ai hâte de voir qui rira ce soir.
— Pourquoi donc ? se méfia tout à coup Yoongi.
— Vous verrez...
— Qu'est-ce que vous comptez faire ? Je vous rappelle que j'ai quand même mon mot à dire.
— Vous verrez, répéta le général en enfilant son sac sur une épaule.
— Vous ne pouvez rien me faire sans mon accord.
— Je sais très bien, opina-t-il encore alors qu'il s'en allait.
— Général ! Eh, revenez ! »
Le Phénix fila chercher son bagage au fond de la pièce et se hâta de le rattraper. Jimin affichait toujours son sourire agaçant, celui qui prouvait qu'il cachait une idée diabolique. Yoongi néanmoins, sachant qu'il n'obtiendrait rien de plus à ce sujet, se renfrogna et se contenta de le suivre jusque dans la cour de la forteresse.
Le général annonça à ses troupes regroupées là que les destriers allaient être laissés dans les écuries sawaï : ils s'apprêtaient en effet à passer par des chemins impraticables pour les bêtes, qu'il valait mieux abandonner ici qu'en pleine nature. Des Scorpions reviendraient bientôt s'emparer des lieux, et les montures ne risquaient rien avec eux – sans compter que trop de chevaux avaient été tués au cours du combat, ils ne représentaient donc plus un avantage tactique à ce stade de leur progression.
L'armée repartit à pied, et Jimin observa Samran s'envoler en direction des carrières.
~~~
L'aube se lèverait dans quelques minutes derrière les dunes de l'Exil au loin. Taehyun n'avait pas fermé l'œil de la nuit, pas plus que Yeonjun et les dix-huit soldats avec lesquels ils voyageaient. L'Arixien s'étonnait de constater que son homologue akashite n'avait pas menti : il clignait à peine des paupières, le regard ancré sur le fort à quelques centaines de mètres d'eux.
Ils l'avaient repéré douze heures plus tôt environ, alors qu'ils remontaient le territoire sawaï pour rejoindre les montagnes. Ils n'avaient pas encore quitté le désert de sable quand une éclaireuse avait remarqué le bâtiment qui semblait abriter une unique troupe – et le lieutenant Kang savait que si seuls deux cent cinquante hommes protégeaient ces lieux, cela signifiait que les autres se trouvaient plus à l'intérieur du pays, sans doute à la poursuite du général Park.
Ainsi, comme promis au capitaine Choi, les vingt militaires s'étaient arrêtés afin d'affronter ces ennemis pour soulager la frontière akashite avant de continuer leur route. Ils avaient passé la nuit à peaufiner leur plan, ne restait plus qu'à le mettre à exécution... autrement dit, à attendre et savourer le spectacle, car ils avaient plus exactement passé la nuit à s'assurer que les adversaires mourraient sans combat frontal.
« Le soleil va bientôt se lever, murmura Yeonjun. La relève approche. »
Avec une discrétion digne de celle d'un spectre, c'était Taehyun lui-même qui s'était chargé de poser le déclencheur sur le chemin qu'emprunterait le prochain soldat à traverser les remparts pour rejoindre son camarade et prendre la relève. La mission s'était avérée d'une facilité presque ennuyeuse. L'Arixien supposait que seule la troupe la plus faible était demeurée ici, puisqu'aucune difficulté ne s'était présentée : dissimulé dans l'ombre, il s'était approché à pas de loup, avait escaladé avec une aisance à peine croyable les fortifications puis placé son piège, presque tenté de siffloter pour se corser un peu la tâche. Il était ensuite reparti comme il était venu, tandis que Yeonjun et les siens s'occupaient du reste du dispositif, puis de relier ce dernier au déclencheur installé.
L'éclaireuse akashite qui avait repéré ce fort la veille se trouvait désormais allongée à couvert dans le sable, les yeux fixés sur leur objectif à travers les épaisses lentilles d'une longue-vue. Elle ne décrochait pas un mot, aussi concentrée que son chef sur la cible. Si Taehyun avait pensé que Yeonjun avait choisi pour bras droit un homme au physique massif et au regard déterminé, il avait compris cette nuit que non, c'était à cette frêle demoiselle qui le rôle avait échu.
Presque muette, elle restait focalisée sur sa mission. Elle avait installé avec son capitaine les pièges, et depuis elle surveillait avec lui les Sawaï. Taehyun avait ignoré le prénom de la fille jusqu'à ce que Yeonjun l'appelle Rure, à peine une heure plus tôt, pour lui demander si elle percevait le moindre mouvement.
« Il arrive. »
L'Arixien s'étonna presque d'entendre sa voix. Rure s'assit, reposa sa longue-vue, et s'étira. Les frères Han, près d'elle, échangèrent un regard perplexe puis un haussement d'épaules. Comme il leur avait été conseillé un peu plus tôt, les Arixiens placèrent contre leur nez et leur bouche un tissu, tandis que les Akashites attrapaient ce qui ressemblait à un simple collier et qui se révéla être une bande d'étoffe capable de masquer la moitié inférieure de leur visage. Taehyun comprit qu'il s'agissait d'un accessoire qui empêchait les particules de les étouffer : le peuple Serpent était habitué à la poudre, bien sûr qu'ils avaient développé des stratagèmes pour qu'elle ne les gêne pas lorsqu'ils restaient à proximité des lieux piégés.
Soudain, une onde de choc souffla les environs. Un nuage de sable s'éleva alors que le grondement d'une explosion résonnait dans le désert de même qu'en chacun des jeunes gens, suivi par une pétarade tonitruante qui annonçait que les autres traquenards s'étaient déclenchés à leur tour. Tout allait être balayé. Taehyun éprouva la surprenante sensation que tout son être était secoué par les bombes, il jurerait que ses organes vibraient. Contraint de fermer les yeux, il ne les rouvrit qu'une fois le sable retombé, d'interminables secondes plus tard. La nuée finissait de se dissiper, et il fallut à l'Arixien cligner plusieurs fois des paupières pour en chasser les quelques poussières qui s'y étaient logées et lui arrachèrent même quelques larmes. Malgré un flou provoqué tant par les nuages dorés que par sa vue obstruée, il parvint à distinguer le fort... ou du moins ce qu'il en restait.
Un tas de ruines fumantes. Les détonations avaient tout balayé, aucune chance que quiconque ait survécu. Les Akashites, de toute façon, avaient veillé à poser leur piège de manière à ce que pas un centimètre carré n'échappe au souffle des explosifs. En effet il ne suffisait pas de savoir mélanger des produits pour créer de jolis feux d'artifice : tout devait être calculé, chaque paramètre pris en compte, qu'il s'agisse de la vitesse et la direction du vent, l'humidité, les températures, etc. Un rien pouvait changer une bombe en un misérable pétard mouillé.
« Bon, eh bien il est temps d'aller apprécier le spectacle de plus près, » affirma Yeonjun avec un rictus.
Son masque donnait à sa voix des sonorités nouvelles, plus graves. Taehyun opina ; ses soldats et lui suivirent le capitaine qui avait sorti de leur fourreau ses deux katanas crantés. Il les fit tourner dans ses mains, habile, prêt à achever quiconque aurait survécu.
Les guerriers avaient à peine effectué une quinzaine de pas que Rure s'arrêta, le regard fixé sur le sol. Un sourire carnassier orna ses lèvres lorsqu'elle se baissa pour ramasser ce que Taehyun identifia d'abord comme un caillou.
« Chef, j'ai gagné, c'est moi qui ai trouvé la première dent. »
Les Akashites autour d'elle parurent déçus, et les Arixiens froncèrent les sourcils. Avaient-ils bien compris la situation ? Yeonjun esquissa un rictus devant leur stupeur. Il continua d'avancer en fixant son objectif du regard.
« Un petit jeu entre nous, expliqua-t-il d'un ton badin, n'y prêtez pas grande attention. »
Taehyun le toisa. Un détail sans rapport avec la dent trouvée piqua son attention, mais il garda le silence.
« Rure, du mouvement ? demanda Yeonjun alors qu'ils approchaient des ruines.
— Non, mon capitaine, pas âme qui vive. »
La jeune femme s'assura de sa déclaration en tirant sa longue-vue de son ceinturon afin de vérifier les alentours. Rien ne bougeait. Elle confirma donc ses premières impressions à ses camarades.
Plus ils avançaient, plus ils découvraient des restes humains. Rares étaient ceux de tissus corporels, que la déflagration avait brûlés.
« Il s'agissait de vos dernières ressources, n'est-ce pas ? s'enquit Taehyun alors qu'il s'était placé à la droite de l'Akashite.
— Il ne nous reste en effet plus grand-chose pour préparer des explosifs. Nos ressources sont limitées mais nous trouverons le nécessaire en chemin, je vous rassure. Nous sommes préparés à toute éventualité.
— Même à un combat de front ?
— Nous nous débrouillons bien mieux que vous ne semblez l'insinuer. »
Malgré sa voix posée, il perçait dans le ton de Yeonjun une pointe d'agacement, de sorte que Taehyun n'insista pas. En dépit du fait qu'ils privilégiaient des attaques à distance et des pièges, il ne doutait pas que cette unité demeure capable de défaire à elle seule bon nombre de soldats ennemis.
Le lieutenant ordonna le déploiement des troupes pour couvrir au plus vite le périmètre du bâtiment, désireux de repartir au lever du jour en direction de Hurna.
« Je vais de ce côté, indiqua Yeonjun en partant à son tour.
— Restez avec moi, je vous prie. »
Parce que chacun s'était déjà éloigné et qu'il ne restait qu'eux devant ce qu'ils avaient reconnu comme les débris de la porte du fort, personne n'intervint. Yeonjun accepta, suspicieux malgré tout face à cet étrange comportement. Taehyun marchait à côté de lui d'un pas tranquille...
Puis il l'attaqua.
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