« L'union, mes amis, est notre seul moyen de gagner contre eux. »
– Yon Palik, Les hommes d'ombre et de lumière.
Choi Soobin, nouveau lieutenant du général Park, rejoignit les troupes arixiennes avec ses deux cent cinquante combattants. Le chef adverse mort, les relais organisés par les Sawaï perdirent très vite de leur efficacité. Jimin observait avec une satisfaction croissante ses hommes reprendre le dessus sur les Scorpions qui agissaient de manière toujours plus brouillonne.
« Lieutenant Jung, côté est ! Jeon, l'ouest ! Choi, avec moi pour attaquer le gros des troupes ! »
Ses soldats étaient encore capables de lutter contre bon nombre d'ennemis à la suite, mieux valait que ce soit eux qui se confrontent aux Sawaï. Jimin, qui n'avait pas perdu la moindre once d'endurance, se plaça auprès de son nouveau subordonné, à qui il adressa un salut déférent. Il savait qui était Soobin, qui il pourrait devenir, et dans tous les cas, hors de question pour lui de manquer de respect à un combattant, quelle que soit son origine – pour preuve, il n'ignorait rien du sombre passé de mercenaire de Jungkook.
Le mouvement des troupes n'impliqua en rien l'arrêt des affrontements, toutefois l'arrivée de cette seconde armée tyfodonienne avait assez perturbé les Sawaï pour que certains reculent. Les autres, les Arixiens avaient réussi à se débarrasser d'eux sans grand problème afin de se réorganiser.
Taehyung restait tout près de son ami et mentor qui s'employait à voler à son secours chaque fois que la situation s'envenimait pour lui. Le poète souhaitait prouver sa valeur, or il s'était aperçu à peine quelques minutes après le début du combat que, s'il avait gardé de bons réflexes et développé des techniques intéressantes, il ne faisait pas le poids face à des soldats expérimentés. Hoseok l'avait tiré de plusieurs mauvais pas, et Taehyung arborait déjà plusieurs coupures superficielles qui témoignaient de son manque de pratique.
La lutte gagna en intensité : les forces s'équilibraient. Même si l'armée du général Park demeurait en sous-effectif, cette fois au moins elle possédait une chance de s'en sortir. Jimin bataillait depuis plusieurs minutes à présent, aux prises avec un lieutenant sawaï à la puissance comparable à celle de Jungkook. Jimin parait, déviait avec aisance. De sa main principale il maniait son jingum, de l'autre sa dague. Son ennemi pour sa part était équipé d'une épée classique que Jimin avait aussitôt identifiée comme une arme lourde capable d'infliger de graves dégâts. L'homme pourtant la faisait tournoyer comme s'il s'agissait d'un prolongement de son bras, et non d'acier.
Jimin attendait qu'il commette une erreur, car lui savait qu'il n'en commettrait pas lui-même. Son endurance à toute épreuve serait fatale à son adversaire, qui de toute évidence se fatiguait déjà alors qu'ils ne s'affrontaient que depuis une poignée de minutes. L'Arixien, lui, se sentait en mesure de continuer ainsi pendant des heures.
L'écarlate abattit son épée, Jimin la tapa de son jingum avec une force inouïe. Voilà l'erreur qu'il attendait : surpris, le Sawaï subit un recul important, et son bras fut projeté vers l'arrière, dégageant tout son torse. Le général planta sa dague entre deux pièces d'armure, et il abandonna là le lieutenant qui ne tarderait plus à mourir, exsangue.
Une lame siffla derrière lui, preuve qu'on s'apprêtait à lui infliger un coup. Horrifié, le cœur s'emballant dans sa poitrine, Jimin fit volte-face d'un mouvement vif pour découvrir, statufié, un soldat sawaï dont la pointe du sabre se trouvait à une demi-douzaine de centimètres de son visage. Il l'abattit sans attendre, et il bénit l'intervention miraculeuse du Phénix qui avait recouvré quelques forces et les surveillait depuis sa cachette. Bon sang, il s'en était fallu de peu !
Lorsque Jimin repartit à l'assaut, ce fut aux côtés de Soobin, qui avait dégainé une hallebarde d'acier qu'il dirigeait avec une dextérité fabuleuse, preuve non seulement de sa souplesse, mais aussi de sa puissance. Il parait en même temps qu'il attaquait, son visage fermé du fait de sa concentration et de son sérieux. Jimin ne l'observa pas longtemps, très vite à son tour impliqué dans un combat.
Le général et ses lieutenants décédés, les Arixiens reprirent la tête du conflit, et pas parce qu'ils vainquaient à tour de bras les hordes ennemies : bon nombre de Sawaï préféraient déserter, de toute façon devenus soldats non par vocation mais par simple envie de survivre dans un pays au bord du gouffre. Seule la solde les intéressait, et elle ne valait pas encore de mettre leur vie en jeu pour des idéaux auxquels ils ne croyaient pas.
Près d'un tiers de l'armée s'enfuit, ce qui plaça aussitôt les troupes de Jimin en surnombre. D'autres défections advinrent, en chaîne, et les Arixiens se débarrassèrent sans grand mal des ultimes Sawaï restés sur le champ de bataille.
Un silence de mort s'étira avant que ne retentissent les premières acclamations. Soobin lui-même esquissa un sourire triomphant en se retournant vers ses hommes qui célébraient à grands cris cette première victoire. Un sentiment d'union coula dans les veines du général quand il vit ces guerriers de deux couleurs différentes fêter une réussite commune, et il ne s'étonna pas de remarquer que Hoseok se frayait un passage jusqu'à eux.
Le Tyfodonien, accompagné par Taehyung, que Jimin assimilait désormais à l'ombre du lieutenant, parvint auprès du groupe émeraude. Il étudia un instant le visage de Choi Soobin, devant qui il se baissa pour poser un genou respectueux à terre.
« Votre Majesté, permettez-moi de me présenter, je...
— Jung Hoseok, un des plus virulents opposants de mon père. Je sais qui vous êtes, opina Soobin avec un éclat amusé dans le regard. Ne vous inclinez pas devant moi, je vous prie. Dans cette armée, nous sommes égaux, et dans notre patrie, vous êtes devenu la légende que je n'ai pas su devenir. J'ai beaucoup à apprendre de vous si je veux espérer régner un jour sur Mournan.
— Beaucoup d'entre nous souhaitent vous voir mettre la main sur Tyfodon. Vous seul pouvez l'unifier.
— Pas sans vous à mes côtés, je l'ai compris dès l'instant où j'ai été tenu au courant de votre prouesse dans les villes et les villages. »
Hoseok garda la tête basse, ému autant qu'honoré de ces déclarations. Il devait absolument discuter avec Soobin, savoir ce qui s'était produit à Mournan, pourquoi il avait décidé de quitter à son tour le pays. Il se jura de lui parler dès que les troupes s'arrêteraient pour la nuit.
Jimin connaissait l'identité de celui qui deviendrait son nouveau lieutenant, Namjoon la lui avait révélée peu de temps auparavant, convaincu qu'elle représenterait un atout pour aider Soobin et les siens à s'intégrer à l'armée arixienne. Il ignorait pourquoi Soobin avait choisi de fuir son père, il ignorait pourquoi il n'avait pas tenté de le combattre comme Hoseok. Mais peu importait. En les voyant à présent l'un face à l'autre, il comprenait que si les deux hommes devaient se révolter contre le chef Choi, ils agiraient de concert, et non chacun de leur côté.
L'après-guerre s'annonçait mouvementée avant même la fin de la guerre en question...
Jimin, donc, posa à son tour un genou à terre, reconnaissant par ce geste la place légitime de Soobin à la tête de son pays. Taehyung, intimidé, les imita, et quelques instants plus tard, Arixiens et Tyfodoniens rendaient hommage à ce jeune homme à la réputation déjà bien établie. Les premières gouttes de pluie se mirent à tomber lorsqu'ils se relevèrent.
« Reposons-nous au fort pour la nuit, décida Jimin. Cela vaut mieux pour nos blessés et chacun ici s'est battu avec bravoure : vous méritez du repos et un véritable dîner. »
Sa décision fut accueillie pas des vivats, et les troupes pénétrèrent le bâtiment tandis que les rejoignaient les quelques blessés restés à l'arrière pendant tout le combat, parmi lesquels Yoongi, qui tenait à peine debout et qu'Ina aidait à avancer, la mine soucieuse. Jimin le repéra aussitôt et se hâta de lui porter secours. Il souleva son aîné comme une plume.
« Que s'est-il passé ? Vous a-t-on attaqué ? s'inquiéta-t-il.
— Non, non, tout va bien. Il... c'est simplement qu'une fois qu'il s'est senti un peu mieux, il a décidé de se rapprocher un peu de la bataille. Je crois qu'il... enfin, qu'il a utilisé sa magie à plusieurs reprises. Il est épuisé.
— Je comprends mieux... merci, Ina. Je vais m'occuper de lui. »
Elle acquiesça, rassurée, et retourna auprès de certains blessés avec qui elle avait sympathisé – il lui avait bien fallu s'occuper pendant la bataille, de sorte qu'elle avait bavardé avec ces hommes et ces femmes qui brûlaient d'envie de rejoindre leurs camarades en dépit de leur incapacité à se battre.
« Je peux marcher, protesta Yoongi en le repoussant sans y mettre trop de brutalité, reposez-moi.
— Je n'en ai pas envie.
— Vous me faites passer pour bien plus fragile que je ne le suis, c'est humiliant.
— Je vous aime. »
Yoongi ne trouva plus rien à répliquer, d'autant plus humilié de laisser le général l'emporter grâce à cette réponse un peu trop facile à son goût.
« Vous m'épuisez bien plus que mes pouvoirs, grommela-t-il enfin alors qu'ils entraient dans la forteresse sous les regards inquisiteurs de bon nombre de soldats.
— J'aime qu'ils voient que nous nous appartenons, lui susurra Jimin alors qu'il grimpait un escalier qui devait les mener – d'après ce qu'il savait de l'architecture habituelle des forts Scorpions – aux quartiers des chefs.
— Nous ne nous appartenons pas !
— En effet, mais est-ce qu'eux le savent ? »
Yoongi renâcla encore alors que Jimin poussait du pied la dernière porte du couloir, toujours celle du personnage le plus important, ici le général. Enfin l'Aigle relâcha son amant sur le matelas, bien assez grand pour les accueillir tous deux.
« Pour cette nuit au moins, les troupes ne regretteront pas l'abandon des charrettes, » sourit le militaire en détaillant du regard la pièce.
Il savait que chacun de ses soldats bénéficierait d'un lit confortable dans les dortoirs, et la chambre qu'il s'était choisie lui plaisait déjà : non seulement le lit lui permettrait de se reposer avec Yoongi, mais en plus il remarqua un bureau près de la cheminée... un bureau sur lequel l'ennemi, dans sa précipitation, avait oublié des papiers.
Il s'y hâta sans prêter attention aux tentures et aux tapis écarlates, ni à la richesse du lustre de cristal qui décorait le plafond. Il ne se concentra pas non plus à la commode sur laquelle avaient été placés de précieux objets et trophées qui attirèrent en revanche l'intérêt de Yoongi. Le Phénix se sentit rasséréné de constater qu'aucune lame appartenant à son peuple ne s'y trouvait. Peut-être que seule une minorité d'entre elles avaient été volées – du moins s'en convaincre lui mettait du baume au cœur, de sorte qu'il évita d'y penser davantage.
Jimin feuilletait les documents abandonnés tandis que Yoongi se débarrassait de son armure pour s'enfoncer ensuite sous les draps à l'odeur de savon, serrant contre lui un oreiller aussi moelleux que celui sous sa tête. Il s'étira dans un soupir de bien-être, et peu à peu il se sentit basculer dans une agréable torpeur.
~~~
Les trois lieutenants s'étaient installés dans les chambres près de celle occupée par leur général. Hoseok avait choisi la plus éloignée, celle prise par le chef de plus basse classe – à mesure que les pièces approchaient le fond du couloir, elles incombaient aux personnes les plus importantes. Il n'y demeura que le temps de retirer son armure, filant ensuite à la rencontre de son voisin, Choi Soobin. Il frappa de façon timide à sa porte, craignant de le déranger. Le Tigre cependant lui ouvrit, un sourire bienveillant aux lèvres. Lui aussi n'avait gardé que sa tunique et son pantalon.
« Je me doutais que vous viendriez, entrez. J'ai mis de l'eau à chauffer, le lieutenant qui vivait ici gardait des feuilles de thé dans un pot.
— Oh, c'est très généreux de votre part, mais ne vous donnez pas ce mal, je...
— Du calme, lieutenant Jung, il ne s'agit que de préparer le thé, je ne risque rien, à part une infime brûlure si je me montre maladroit. Asseyez-vous je vous prie, nous avons des choses à nous dire. »
Hoseok obéit, stupéfait par la confiance que dégageait ce garçon. Il n'avait que vingt-deux ans, l'âge de Jungkook...
L'aîné jeta un bref regard à la pièce, presque identique à la sienne : lit, armoire, commode, cheminée, table et chaises. Rien ou presque ne les distinguait, si ce n'était les quelques effets personnels des deux lieutenants qui y avaient vécu. Il s'assit à la table sur laquelle se trouvaient déjà deux tasses dans lesquelles Soobin avait placé une boule à thé. Hoseok patienta, anxieux, jusqu'à ce que le jeune homme s'installe face à lui et verse l'eau bouillante.
« Je sais déjà quelles questions vous brûlez de me poser, admit Soobin. Me permettez-vous de tout vous raconter depuis le début, afin que vous compreniez mes actes et ne me jugiez pas trop sévèrement.
— Je ne me permettrais pas de vous juger sans savoir ce qui s'est passé.
— Vous êtes un homme sage, Jung Hoseok.
— Je vous renvoie le compliment. »
Il lui paraissait bien plus mature que d'autres garçons de vingt-deux ans.
« Je n'ai pas grandi dans l'ombre de mon père, mais à ses côtés, expliqua donc Soobin en fixant sa tasse dont l'eau se teintait d'un vert frais. Il m'a appris dès l'enfance le métier de chef, qu'il désirait que j'exerce une fois que lui-même n'y parviendrait plus. Il m'a appris le respect des autres, et en particulier des aînés, il s'est toujours assuré de m'être indispensable, afin que je ne risque pas de le renverser un jour, mais que je souhaite à mon tour diriger à ses côtés, non à sa place. J'ai assisté à mes premiers conseils à l'âge de huit ans, et dès treize ans j'ai dû y prendre la parole. On me demandait mon point de vue afin d'aiguiser mon sens critique, ainsi que mon aisance à l'oral. Alors bien sûr, je respectais mon père, et je l'admirais au moins autant que je l'aimais.
« Or... vous savez ce qui s'est récemment passé. Entre les problèmes avec les Akashites et ceux avec les Tyfodoniens... mon père a révélé son véritable visage, et je l'ai trouvé laid. J'ai tout tenté, tout je vous l'assure, pour le dissuader de mettre à exécution les plans qu'il avait fomentés. Je l'ai confronté devant son propre conseil, j'ai dénoncé ses agissements devant ses principaux partenaires commerciaux, ses généraux, tous ceux qui ont une place importante à Mournan... mais tous ont pris part à ce complot pour renverser les petits chefs des villes et villages de Tyfodon. Tous sont prêts à laisser mourir ceux de leur couleur qui refuseront de passer sous leur commandement, car tous y trouvent leur compte : les militaires se verront offrir des territoires, et les commerçants verront les échanges facilités. J'étais dévasté... et plus encore quand mon père, comprenant que je ne changerais pas d'avis, s'est retourné contre moi. »
Une douleur incommensurable brilla dans les iris de Soobin, qui porta sa tasse à ses lèvres d'un geste las, empreint d'une souffrance telle que la boisson semblait devenue aussi lourde qu'une enclume. Hoseok se sentit peiné pour lui : sa mère lui avait toujours appris à diriger, elle aussi. Il l'admirait autant qu'il la chérissait. Comment aurait-il réagi s'il avait découvert derrière son si doux visage celui d'une personne si ignoble ? Il refusait de l'imaginer.
« Il me regardait avec... enfin, je lisais une telle noirceur dans ses yeux, une haine si prégnante. J'ai compris qu'il ne me pardonnerait pas mes tentatives pour le ramener à la raison. Peu après ces évènements, une nuit, alors que je peinais à trouver le sommeil, la porte de ma chambre s'est ouverte sans aucun bruit, une ombre s'y est glissée. À la pâle lumière de la lune, le métal de sa lame s'est reflété, me prévenant de sa dangerosité. J'ai voulu bouger, m'enfuir... et puis je me suis aperçu que je n'avais plus effectué le moindre mouvement depuis près d'une heure. La tisane que je prenais avant de me coucher avait été empoisonnée. J'étais piégé.
— Comment vous en êtes-vous sorti ? s'enquit Hoseok alors que Soobin laissait planer un silence trop long à son goût.
— La personne supposée me liquider était un vieil ami qui travaillait en tant qu'homme à tout faire. Il a approché, et nous avons échangé un regard. Je voulais que s'il me tue, il voie la vie s'éteindre dans mes yeux, qu'il sache l'acte atroce qu'il avait commis. Il n'a pas réussi à me tuer. Il s'est excusé, puis il m'a transporté sur son dos pour nous faire sortir du château de Mournan. Il connaissait bien les lieux, il savait quand et par où passer pour éviter les ennuis. Il m'a sorti de ce piège, et nous avons fui ensemble. Quelques heures à peine plus tard, je retrouvais ma mobilité.
« Nous avons envisagé de lever une armée, de contrer mon père, malheureusement il était déjà devenu trop puissant. Alors nous avons décidé d'aller vers le nord avec ceux qui désiraient entrer à Arixium, car nous savions que nous aurions une chance de vous y trouver. En chemin, nous avons réuni nos propres troupes. Beaucoup de familles nous ont suivis avec l'espoir de rentrer un jour chez elles dans de bonnes conditions. Les hommes et les femmes avec lesquels je suis venu sont de très bons chasseurs, mais ils n'ont jamais combattu. Mieux vaut, à l'avenir, que nous soyons placés à l'arrière ou bien à l'écart, à des points stratégiques pour tirer nos flèches. Nous espérions pouvoir prétendre à un talent similaire à celui de vos hommes, Hoseok, mais nous en sommes loin.
— Les miens se sont entraînés sans relâche, approuva le lieutenant Jung avec une touche d'émotion dans la voix. Ils sont tous de très braves soldats. Nous n'avions, à l'origine, qu'une dizaine de militaires avec nous, qui ont pris la responsabilité de nous apprendre à tous le combat au sabre ou à la dague.
— Voilà pourquoi vous avez réussi à tenir tête à Arixium... Vous savez, mes hommes et moi-même vous admirons beaucoup, votre capacité à fédérer vous a offert une grande réputation qui fait enrager mon père. Lui est perçu comme le méchant, celui qui ne mérite pas de régner, alors qu'il se considère comme un roi brillant et clément, qui a offert aux villes et villages alentour de le rejoindre. Il ne se rend pas compte de sa propre infamie. Il croit agir pour le bien de tout le monde – lui compris bien évidemment. Pourtant, ses discours débordent d'égoïsme, tout ce qu'il désire, c'est de l'argent et des territoires. Il se moque des problèmes liés aux commerçants arixiens, il se moque des villages détruits par les Akashites. Et il se moque d'inciter un serviteur à tuer son fils. »
Abattu, il porta en silence sa tasse à ses lèvres pour en siroter une gorgée. Hoseok l'imita, en pleine réflexion, avant d'oser prendre la parole.
« Une fois le conflit avec Sawa réglé, nous pourrions peut-être nous allier afin de marcher sur Mournan : notre armée sera certes moins nombreuse, mais je ne doute pas qu'ensemble, nous réussirons à attirer bon nombre de nouveaux combattants, même parmi les troupes que nous serons supposés affronter. Beaucoup ne rêvent que d'une occasion de se retourner contre votre père. Et cette occasion, c'est vous. Je ne connais personne qui vous croie inférieur à votre père. Si quelqu'un doit régner sur Tyfodon, c'est vous, car nous savons que vous saurez diriger le pays sans contraindre les villages à se séparer de leur chef, ou bien en imposant des taxes exorbitantes. »
Soobin approuva d'un hochement de tête reconnaissant : chaque Tyfodonien tenait à son système hiérarchique comme à la prunelle de ses yeux, voilà des siècles qu'ils fonctionnaient de cette manière. Les villes et villages possédaient chacun leur propre responsable, et ils s'acquittaient tous envers ce dernier d'une taxe différente. Or, impossible de remplacer des centaines de chefs par un seul roi, d'une part car un pouvoir central ne parviendrait pas à gérer les nombreuses communes du territoire, et d'autre part car les chefs étaient très appréciés, souvent considérés comme des patriarches de qui les citoyens s'avéraient très proches. Une telle familiarité avec un roi unique serait absurde. Soobin le savait : son père se verrait confronté à d'importants et réguliers soulèvements des provinces les plus éloignées qui se sentiraient abandonnées.
Si une personne devait régner sur Tyfodon, elle ne devait pas supprimer les petits dirigeants, elle devait travailler avec eux. Or, ce qui apparaissait comme une évidence à Soobin n'avait pas effleuré l'esprit de son père qui ne semblait pas s'apercevoir qu'il courait à la catastrophe : il deviendrait roi d'un pays instable, chef de contrées plongées dans le désespoir et la colère, contrôlées par une armée impitoyable et une autorité intransigeante.
« Quoi qu'il en soit, je suis vraiment heureux de vous rencontrer enfin, Jung Hoseok. Qu'il s'agisse de votre tempérament ou de vos idéaux, vous me plaisez beaucoup. J'espère que nous réussirons à avancer ensemble à l'avenir.
— Je l'espère aussi, et à mes yeux vous resterez pour toujours mon roi, le seul à mériter ce titre.
— J'en suis touché. Et sachez que si nous devions réussir à renverser mon père, je serais honoré de vous avoir à mes côtés, que je devienne le chef de Mournan ou le roi de Tyfodon.
— J'en serais tout aussi honoré.
— Parlez-moi un peu de vous à présent, je voudrais mieux vous connaître, dépasser le mythe pour comprendre la réalité : j'ai entendu bon nombre d'histoires à votre sujet, mais j'aimerais me forger de vous une opinion aussi juste que possible.
— Des histoires à mon sujet ?
— Vous devez bien vous en douter, n'est-ce pas ?
— Je l'ignorais.
— Ah, mon ami, si vous saviez ! Vous êtes très vite devenu une sommité parmi les nôtres ! Vous avez rendu votre nom célèbre malgré la triste origine de votre périple.
— Alors vous savez...
— Certaines histoires voyagent plus vite que ceux qui en sont l'origine. Je suis désolé pour votre famille. »
Hoseok opina, touché par sa sollicitude malgré les tristes souvenirs qu'elle faisait remonter. Ils discutèrent jusqu'à ce que parte dormir le soleil. Ils se saluèrent, heureux de cette occasion d'échanger.
Le lieutenant Jung retourna à sa chambre après mille remerciements à Choi Soobin, qui lui souhaita de se reposer avant le lendemain, impatient de découvrir ses capacités au combat. Juste à côté, Hoseok remarqua devant sa porte Taehyung, qui paraissait embarrassé et s'empourpra soudain en comprenant que son ami ne se trouvait pas dans la pièce.
« Hoseok, j-je... b-bonsoir, je...
— Bonsoir Taehyung, que faisiez-vous ici ? Vous n'avez pas attendu trop longtemps, j'espère. »
Le poète en vérité était planté ici depuis dix minutes à débattre avec lui-même : devait-il frapper ou non ? Hoseok ne risquait-il pas de s'énerver à force de le voir traîner sans cesse dans ses pattes ? Le voilà donc qui hésitait, hésitait, jusqu'à ce que Hoseok lui-même mette un terme à ce dilemme.
Vêtu de sa tunique et de son pantalon, il avait entremêlé ses doigts, hésitant. Ses cheveux humides prouvaient qu'il avait pris une douche récemment. Son corps portait encore l'odeur de savon, ce que Hoseok remarqua en passant à sa hauteur pour ouvrir.
« Eh bien, quel silence. Est-ce que tout va bien ?
— Oui, oui ! s'empressa-t-il de répondre en agitant les mains devant lui. Je... je voulais juste, e-enfin...
— Entrez, nous y serons plus confortablement installés pour discuter. »
Taehyung hocha la tête dans la précipitation et entra à la suite de son aîné avant de refermer.
« Pardonnez-moi, je me trouvais en compagnie de Choi Soobin, nous avions beaucoup de choses à nous dire. Alors, de quoi désiriez-vous que nous nous entretenions ? »
Taehyung était demeuré debout en plein milieu de la pièce ; son ami s'était assis sur le lit, l'air interrogateur. Le jeune homme en vérité ignorait bien ce qu'il fabriquait ici. Il avait éprouvé l'ardente envie de voir le lieutenant, et il n'avait pas réfléchi, il n'avait pas résisté. Son cœur avait hurlé son besoin de rejoindre le beau Tyfodonien... celui de qui Taehyung s'était alors aperçu être tombé amoureux.
Oui, il l'aimait, et d'une façon bien différente de celle dont il avait aimé Jungkook. Il aimait Hoseok parce qu'ils se comprenaient, parce que le Tigre se montrait toujours d'une douceur rassurante, qu'ils avaient appris à se connaître pendant plusieurs semaines et qu'ils partageaient bien plus que cette guerre. Quoi qu'il advienne, l'Arixien était convaincu d'une chose : il voulait rester auprès de celui qui incendiait ses sens, partir avec lui dans une nouvelle quête pour sauver Tyfodon, pourquoi pas.
Il s'en moquait. Il s'était épris, et son âme d'artiste passionné ne demandait qu'à trouver une flamme pour déclencher un brasier. Il avait trouvé Hoseok.
« En vérité, je voulais... peut-être, pourquoi pas... enfin, comment allez-vous après cette bataille ? balbutia Taehyung de qui les joues arboraient un rouge encore plus foncé qu'auparavant.
— Bien, comme vous pouvez le constater. Quelques égratignures, rien de plus. Et vous-même ?
— Je suis passé entre les mains d'un médecin pour mes quelques plaies, mais tout va bien dans l'ensemble. Rien de grave.
— J'en suis rassuré.
— Je suis désolé de vous avoir inquiété. Je ne me suis pas défendu aussi bien que je l'espérais.
— Vous vous êtes mieux défendu en tout cas que ce que j'avais craint. Quand vous avez décidé de rester avec moi malgré le danger... je vous avoue que je vous imaginais déjà une épée dans le ventre. Je n'étais pas rassuré.
— Je suis désolé, je me suis montré imprudent.
— Au contraire, vous vous êtes montré courageux. Avec peu d'entraînement vous avez décidé de vous confronter à ce qui, quelques jours plus tôt à peine, vous terrifiait. J'ignore où vous avez trouvé votre témérité, mais gardez cette motivation, vous avez été excellent.
— Auprès de vous, combattre est moins effrayant. »
Convaincu de l'avoir pensé, Taehyung écarquilla les yeux en se rendant compte qu'il s'était exprimé à voix haute, puis il enfouit son visage entre ses mains, mort de honte.
« Bon sang, je suis désolé, oubliez cela ! C'est ridicule !
— En quoi l'est-ce ? Il est normal d'être rassuré auprès d'un guerrier expérimenté.
— Je... Hoseok, je... je vous aime. »
Taehyung ne s'était pas attendu à avoir le courage de parler, surtout pas alors que Hoseok avait trouvé seul une excuse à cette phrase qui lui avait échappé. Il aurait pu esquiver, oui, il aurait pu continuer de prétendre ne pas l'apprécier outre mesure... mais il s'y refusait. À présent, il souhaitait que son ami sache tout de ses sentiments.
Hoseok demeura coi, stupéfait par cet aveu.
« Je vous en prie, ne me rejetez pas ! supplia alors son interlocuteur. Je resterai discret, je ne vous dérangerai pas, je le jure ! Permettez-moi de vous accompagner, mes sentiments ne...
— Ils sont réciproques, du moins vous m'attirez vraiment, l'interrompit Hoseok qui avait senti l'émotion gagner son cadet et souhaitait couper court à sa panique. J'ignore encore si je peux affirmer être amoureux de vous, mais du moins je peux affirmer que je me sens bien en votre présence, et que vous me plaisez – qu'il s'agisse de votre caractère ou de votre physique.
— Vous... ê-êtes-vous sérieux ?
— On ne peut plus. »
De puissants sentiments submergèrent Taehyung qui ne retint pas son sourire, alors que son ami se redressait pour s'avancer jusqu'à lui, devant qui il se figea. Il leva une main qu'il passa sur la joue du poète ; ce dernier s'y blottit en fermant les paupières. Cette délicatesse, ce geste si chaste lui donnait l'impression de flotter parmi les nuages, devenu plus léger que l'éther – Taehyung ne s'était pas aperçu que dissimuler son amour lui pesait tant.
« Puis-je vous embrasser ? s'enquit le Tyfodonien.
— Allez-y. »
Hoseok se pencha. Il appuya ses lèvres sur celles de son cadet qui, si son cœur s'était avéré un brin plus sensible, en aurait pleuré : ce baiser débordait d'une affection criante de sincérité. Taehyung n'avait connu que Jungkook, jamais il n'avait été embrassé de cette façon, et il comprit à cet instant d'une part que Hoseok le chérissait malgré sa difficulté à mettre des mots sur ses sentiments, et d'autre part que lui-même l'aimait de tout son cœur. Il lui semblait qu'ils étaient connectés d'une manière inexplicable, mais de façon si puissante que rien ne pourrait les séparer – du moins il l'espérait : il refusait d'imaginer qu'une passion si forte puisse se déliter.
Sa naïveté lui avait fait rêver d'un amour pur et éternel, comment lui en vouloir de désirer ce qu'il avait idéalisé toute sa vie durant ?
Les lèvres de son aîné épousaient les siennes, chaudes et sèches – Hoseok s'en arrachait parfois la peau, Taehyung l'avait remarqué en les fixant avec un peu trop d'insistance. Ils s'enlacèrent, leurs deux corps avaient besoin de se rapprocher, d'entrer enfin en contact. Quelque chose sembla exploser en Taehyung, un feu d'artifice de bonheur célébrait cette passion réciproque, tout son être bouillonnait.
Dans un soupir, il entrouvrit la bouche ; tous deux s'empressèrent d'approfondir le baiser, consumés par le désir. Si l'Arixien pouvait paraître timide et réservé, Hoseok se rendit vite compte qu'une fois que ses pulsions le contrôlaient, il se dévoilait de manière spectaculaire. Certes il offrait au Tyfodonien de le dominer, il se contentait de suivre le mouvement de sa langue en une danse habile, mais ses gestes laissaient entrevoir qu'il agissait ainsi parce qu'il souhaitait que son amant prenne l'ascendant. Il adorait se sentir choyé.
Hoseok mit fin au baiser, il recula juste assez pour contempler son poète à qui il sourit.
« Nous devrions nous arrêter là. »
Le visage de Taehyung se décomposa.
« Je... est-ce que vous...
— J'ai aimé, j'ai adoré, affirma-t-il en comprenant le malentendu. Je risque simplement de... trop aimer, si vous voyez ce que je veux dire. »
Et il baissa les yeux sur son propre corps, imité par l'Arixien qui rougit de plaisir en découvrant un léger renflement dans son pantalon.
« Peut-être... que j'en ai envie aussi, avoua-t-il en se blottissant contre lui.
— En êtes-vous sûr ? Je ne voudrais pas vous brusquer, nous venons à peine de nous trouver.
— Jamais on ne m'a... fait l'amour. La façon dont vous m'avez embrassé était unique, si délicieuse. Je brûle de découvrir à quoi ressemble une nuit à vos côtés. Je vous en supplie, aimez-moi.
— Inutile de me supplier... je crois que ce baiser m'a ouvert les yeux : mon cœur bat si fort, tout est si nouveau. Je vous aime, Taehyung. »
_________________________
Au prochain chapitre... /!\ ;)
Et dire que depuis que j'ai posté l'avant-propos de cette histoire j'y ai mis le tag « vhope » justement parce que je savais que personne n'allait voir les tags XD
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