Chapitre 52
« Les jumeaux de Hiemis possèdent les pouvoirs du temps : le gardien des savoirs protège le passé de son peuple, tandis que le prêtre pressent l'avenir, souvent à travers des rêves prémonitoires. L'un comme l'autre est lié de façon particulière avec l'œil de son ancêtre. Mon enfant, il est temps que tu apprennes la véritable raison pour laquelle le gardien des savoirs n'est pas autorisé à s'approcher de la pierre. »
– Source inconnue.
Jimin observait, songeur, la lettre qu'il avait ouverte quelques instants plus tôt. Les troupes marchaient aux côtés de leurs chevaux de sorte qu'ils se reposent. Le soleil quittait peu à peu son zénith, et malgré les nuages les températures demeuraient difficiles. Samran était arrivé à peine cinq minutes auparavant, et la longueur de la missive de son ami avait surpris le général, qui s'était attendu à des nouvelles plus brèves.
Puis il s'était aperçu que l'écriture n'appartenait ni à Namjoon, ni même à Seokjin... et il avait remarqué le sceau impérial au bas du papier qu'accompagnait une carte que Jimin dissimula dans la pochette de ses étoiles d'acier.
« Nous approchons du bout du canyon, remarqua Yoongi près de lui. J'imagine que nous devrons grimper la pente à côté de nos montures.
— Bien sûr, répliqua Jimin, vous l'épuiseriez, dans le cas contraire. La déclivité n'est pas très importante, rassurez-vous. Même vous, vous réussirez à la grimper.
— Comment dois-je le prendre, au juste... ?
— Eh bien, c'est évident : vous n'êtes pas un homme d'action, vous vous fatiguez vite. Alors quand je vous dis que le terrain présente une déclivité qui ne vous posera pas de problème, je veux juste insister sur le fait que la pente n'est pas difficile à grimper... parce que sinon, vous n'y arriveriez pas. Vous comprenez ?
— Allez-y, moquez-vous de moi, je vois votre petit regard joueur et votre rictus.
— Pardonnez-moi, pouffa Jimin, mais c'était si tentant ! Vous auriez vu votre visage se décomposer à mesure que je parlais !
— Arrêtez de ricaner...
— Désolé, je me reprends. »
Il se racla la gorge. Yoongi tourna la tête vers lui. Le soleil nimbait le chef d'une lumière que son armure reflétait. Auréolé de gloire par les cieux eux-mêmes, Jimin semblait incarner certains des héros des histoires que le gardien des savoirs avait apprises par cœur. Un homme de sa trempe, jamais Yoongi n'aurait imaginé en rencontrer... et encore moins en attirer l'attention.
Le général reporta son regard sur la lettre. Enfin il se tourna en direction d'un de ses lieutenants qu'il invita à s'approcher d'un signe de la main, autoritaire.
« Mon général, s'inclina Taehyun.
— Lieutenant Kang, j'ai reçu de la part de Namjoon un message des empereurs eux-mêmes. Ils ont une mission de la plus haute importance à nous confier. »
Intrigué, Taehyun opina dans l'attente de plus amples explications. Son supérieur lui résuma la situation et le marché proposé par le chef akashite.
« Ils combattaient à dix contre deux cent cinquante ? lâcha Yoongi, qui ne s'était jamais soucié de couper l'Arixien.
— Je suis content de constater que la politesse ne vous étouffe pas, mais pourrais-je au moins terminer mon explication ? râla Jimin.
— Non mais attendez, c'est incroyable !
— Deux Phénix comme vous suffiraient à réduire à néant deux cent cinquante soldats en moins de cinq minutes...
— Je ne crois pas qu'il existe... un autre Phénix comme moi, marmonna Yoongi en se frottant la nuque. Et puis je suis doué de pouvoirs, pas les Akashites.
— Vous rappelez-vous les explosions provoquées par Jung Hoseok lors de la bataille qui nous opposait ?
— Oui, c'était un moment marquant.
— Il s'agissait d'une technique akashite. Les Arixiens sont doués pour les combats à l'épée, les duels ; les Tyfodoniens possèdent un talent inné pour la chasse et les combats à distance ; eh bien les Akashites, pour leur part, ont développé leur propre façon de guerroyer, fondée sur la discrétion, les embuscades, le harcèlement.
— Ce qu'ils appellent la guérilla, compléta Taehyun. Parce que le lieutenant Jung a grandi près de la frontière, pas étonnant qu'il ait appris certaines de ces techniques. J'en connais moi aussi quelques-unes que j'ai appris par-ci par-là, notamment en ce qui concerne les pièges. Mes méthodes se concentrent plutôt sur l'espionnage, mais au moment de passer à l'action, la guérilla est redoutablement efficace et peut vite déstabiliser une armée entière. »
Jimin écoutait en approuvant de façon régulière d'un hochement de tête. Yoongi trouvait fascinant que tous ces peuples aient développé des stratégies différentes dans l'espoir qu'elle l'emporte sur les autres.
« Pourquoi dans ce cas sont-ils en difficulté ? se demanda-t-il soudain.
— Parce que leur armée est dix fois moins nombreuse que celle des Sawaï, et que les groupes d'élite comme celui-ci ne sont qu'une infime partie de la petite armée akashite. Par ailleurs, il faut que les troupes se déploient sur toute la longueur de la frontière.
— Cela se complique très vite en effet.
— Et cela explique les dérives, ajouta Hoseok qui s'était rapproché. L'armée est dans son intégralité massée à la frontière nord. Alors la frontière ouest... elle est sous le contrôle de civils effrayés qui seraient prêts à tout pour fuir leur pays. Ils ont formé leurs propres troupes pour déferler sur les villages tyfodoniens frontaliers.
— Je suis désolé, affirma le général avec sincérité. C'est aussi pour cette raison qu'il nous faut gagner la guerre. Je pense que vous pouvez le comprendre mieux que quiconque, lieutenant Jung.
— Je n'éprouve aucun ressentiment contre l'armée de Vanori, je sais faire la différence entre ces vaillants soldats qui cherchent à protéger leur pays, et les fous qui tentent par tous les moyens – y compris le massacre d'innocents – de le fuir. En revanche... j'ignore comment les miens vont réagir à l'arrivée de ces troupes. Certains ne vivent que pour se venger de ceux qui ont massacré leurs proches.
— Je vois... puis-je compter sur vous pour les préparer à cela ?
— Bien sûr, mon général. Je ferai de mon mieux pour qu'ils ne confondent pas ces hommes et ceux à qui ils doivent leur chagrin.
— Merci beaucoup. Quant à cette mission, je pense que nous serons tous ici d'accord sur le fait qu'elle ne peut être remplie que par un groupe assez peu nombreux pour passer inaperçu, des soldats qui devront rester les plus discrets possibles... »
Tous fixèrent le lieutenant Kang qui esquissa un sourire.
« Votre description flatteuse me fait honneur, mon général.
— Je veux que vous et neuf de vos meilleurs pisteurs et combattants vous rendiez à la frontière sud. La forteresse attaquée par les Akashites se trouve sur le même méridien que le lac Kéïani, mais Vanori suppose que ses soldats ont pu tenter de s'enfoncer en territoire sawaï pour fuir le gros des combats... peut-être à cause d'un soldat blessé, cela n'est pas mentionné.
— Je vais tout de suite réunir mes meilleurs éléments, affirma Taehyun. J'imagine que nous devons partir maintenant.
— Le plus tôt sera le mieux. Et sachez que le chef akashite nous transmet aussi ce qu'il appelle un "mot de passe" qui permettra à son groupe de vous reconnaître comme envoyés par lui.
— De quoi s'agit-il ?
— S'il vous demande de lui prouver votre bonne foi, il faudra lui répondre ceci. »
Il tendit la lettre à son lieutenant en lui pointant le mot en question, destiné à Taehyun et personne d'autre.
« Bien, approuva ce dernier. Je saurai m'en souvenir.
— Allez-y. Vous connaissez de toute façon notre trajet.
— Nous vous retrouverons. »
Sur ces mots, il salua son supérieur et partit à l'arrière. Jimin avait organisé ses troupes de façon optimale : à l'avant se trouvait une partie des soldats de Jungkook, les plus puissants, ceux aptes à repousser un assaut de front. Au centre étaient placés les plus jeunes, ceux qui se défendaient bien sans pour autant cumuler plus de huit ou neuf ans d'expérience, ainsi que les soldats-médecins, et Ina. Derrière, le reste des meilleurs éléments de Jungkook. Tout autour, les redoutables pisteurs de Taehyun, qui repéraient de loin une présence ennemie. Ces espions étaient accompagnés par les combattants de Hoseok : leur capacité à attaquer à plus de cent mètres complétait les talents arixiens pour débusquer l'adversaire.
Jimin savait d'emblée que son subordonné partirait avec les frères Han, de qui il ne se passait jamais pour d'importantes missions. Quelques autres noms lui vinrent, d'hommes et femmes tous terriblement dangereux. Cette équipe aussi, bien que ne dénombrant que dix personnes, pourrait faire ployer une troupe entière sans grand mal, si elle y était préparée.
Et ils étaient préparés, Jimin n'en doutait pas.
Ils quittèrent le canyon peu après. Ce fut à cet instant que le lieutenant Kang et son unité filèrent en direction du sud-est, tandis que Jimin et les siens pour leur part avançaient plein est, vers les collines qui se changeaient au loin en montagnes.
« Nous allons entrer dans la région du lac Kéïani, indiqua le général à son ami. À partir de là, nous risquons de croiser de façon régulière des troupes ennemies. Le reg ne les intéresse pas, en revanche ce lac entouré de verdure accueille bon nombre de villages et de villes. Nous tâcherons de passer plus au nord, afin d'en rencontrer le moins possible. Dans la montagne, il sera plus simple de se dissimuler. »
Une chance : maintenant qu'ils progressaient en compagnie de Tyfodoniens, des terrains tels que la forêt ou la montagne s'avéraient à leur avantage, même si les Sawaï les connaissaient mieux. Ces derniers en effet guerroyaient pour l'essentiel au sabre et à la lance. Ces armes, typiques des espaces dégagés, démontraient que les Scorpions étaient habitués à combattre aux frontières, non chez eux : leur frontière ouest, avec Arixium, se situait entre le reg et le plateau Uraio, tandis que leur frontière sud, avec le désert Akash, était localisée au niveau de la limite entre les dunes de l'Exil et les premières collines de la chaîne des Neraï.
Bien que concentrée à l'intérieur de leur territoire pour des raisons évidentes de confort, les soldats ne s'y battaient pas.
Les seuls guerriers aptes à agir en forêt ou en montagne demeuraient donc ceux de Tyfodon, du fait de leurs compétences en chasse. De même, puisqu'ils connaissaient ce type de paysages par cœur, ils sauraient repérer aussi bien la présence de gibier que celle de soldats.
Jimin était convaincu que son armée pouvait l'emporter, et à cette idée il esquissa un sourire.
« À quoi pensez-vous ? s'enquit Yoongi de qui le visage encore rougi prouvait tous les efforts fournis pour sortir du canyon à pied.
— Savez-vous ce qui se passera lorsque le lieutenant Kang nous rejoindra avec les Akashites ?
— Nous attaquerons Hurna ?
— Mais encore ?
— Nous sauverons les Phénix.
— Je l'espère. Mais encore ?
— Euh... y a-t-il autre chose ?
— Cette armée comptera dans ses rangs des Aigles, des Tigres, des Serpents, un Scorpion, et un Phénix. Au moins un représentant de chaque peuple du Continent... je ne crois pas que cela soit déjà arrivé.
— L'armée arixienne n'emploie donc que des Arixiens ? Aucun affranchi étranger ne peut y entrer ? s'étonna Yoongi.
— Si, mais ils combattent sous la bannière arixienne, avec la tunique céruléenne. Lorsque nous attaquerons Hurna en revanche, nous représenterons bel et bien chacun notre propre peuple... tous soudés pour la première fois de l'Histoire. Vous rendez-vous compte ? Après l'avoir tant de fois écoutée et apprise, cette fois c'est à vous de la construire – à nous, même, d'y entrer.
— Seulement si nous ne mourons pas en chemin.
— Que vous êtes pessimiste ! Visualiser la victoire vous aidera à la décrocher, voilà ce que l'on m'a enseigné. Vous devriez en prendre bonne note, cela vous aidera. »
Yoongi s'apprêtait à répliquer, mais il se ravisa. À défaut de fonctionner, il devait reconnaître qu'envisager de l'emporter lui mettait au moins un peu de baume au cœur. Retrouver Yua, la serrer de nouveau dans ses bras, et regagner ses pénates aux côtés des siens... voilà bientôt trois mois qu'il en rêvait. Trois mois que le cauchemar avait commencé.
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Yua demeurait prostrée dans un coin de sa chambre de princesse. Le regard vide, le cœur plein, elle avait emprisonné son chagrin au fond d'elle-même pour éviter de se laisser déborder.
« Je serai à vous si vous ne lui faites aucun mal. »
Voilà ce qu'elle avait affirmé, voilà comment elle avait sombré dans les abîmes. Mincheol n'avait pas hésité, il ne s'était pas même vexé de son visage bouleversé lorsqu'il avait posé les mains sur elle. Un marché était un marché : Yua venait de sauver son frère des potentielles tortures qu'avait prévues le Prince une fois qu'il l'aurait attrapé – si d'aventure il le capturait. Yua continuait de croire en son jumeau, mais de cette façon, elle avait gagné l'assurance que s'il échouait, Yoongi serait envoyé auprès d'elle, et plus jamais on ne les séparerait.
Elle épouserait Mincheol.
Pour ses tentatives d'évasion et d'assassinat, Yua avait écopé non seulement d'un mariage, mais aussi d'une chaîne. Attachée à sa cheville, elle était reliée au lit et lui laissait juste assez de distance pour qu'elle puisse rejoindre la salle de bains et s'y laver. Impossible néanmoins de quitter la chambre, ni même d'en approcher la porte.
Elle qui avait tant voulu se montrer forte, aujourd'hui elle se sentait épuisée. Elle avait lutté en vain contre le Prince des semaines durant, et voilà où elle se trouvait : misérable, recroquevillée contre un mur, avec pour unique soulagement l'idée que soit son frère la délivrerait, soit il la retrouverait pour terminer son existence ici.
Elle refusait pourtant d'envisager que cela advienne : si les Phénix capturés intégraient l'armée Scorpion, si Mincheol conquérait le Continent, s'il contraignait les enfants de Hiemis à procréer avec des Sawaï pour agrandir les rangs... bon sang, à quoi bon vivre, si c'était pour assister à de telles horreurs ? Elle savait que tout comme elle, Yoongi préfèrerait encore mourir.
Et elle, la protectrice de l'œil, avait échoué dans toutes les missions qui lui incombaient. La faute lui échoirait, à elle et elle seule.
À bout, la prêtresse laissa échapper une larme, puis une seconde, puis un filet salé ruissela sur ses joues pour rejoindre son menton et dégouliner sur sa robe aussi laide qu'inconfortable. Que ses sanglots la souillent, elle s'en moquait ! Au contraire, la jeune femme ne se gêna pas pour se moucher dans ses manches, peu encline de toute façon à bouger. Elle avait perdu le courage de s'entraîner, de garder la forme. Plus les jours passaient, moins elle mangeait. Elle savait que ses muscles fondaient, mais peu lui importait. Son cœur se délitait, alors qu'elle se délite avec lui. Peut-être de cette manière souffrirait-elle un peu moins.
Elle ne se sentait plus digne de son statut de prêtresse de Hiemis. Elle avait déçu tous les siens, elle les avait même trahis pour protéger son frère et sa propre vie. Minable, tel était le seul adjectif capable de qualifier la chose tremblante de détresse qu'elle était devenue. Elle qui se battait depuis bientôt trois mois, elle se rappelait chaque cri, chaque stratagème, chaque coup porté... tout cela pour rien. Elle était épuisée, tout son corps lui semblait lourd, gauche, et son esprit embrumé par la fatigue que le stress avait engendrée.
Elle avait perdu sa superbe. Que restait-il d'elle, si ce n'était cette enveloppe charnelle tout juste bonne à servir de monnaie d'échange ? Voilà ce qu'elle avait songé quand Mincheol lui avait posé cette question fatidique. Puisqu'elle avait échoué à aider les siens, soit : elle cèderait son âme au diable afin de sauver au moins son petit frère bien-aimé.
Yua laissait ses sanglots contracter sa poitrine alors qu'elle versait pour la première fois des larmes dont chacune contenait un univers de douleur. Chaque perle transparente était un océan de désespoir battu par une tempête de tourments. La Phénix ne cherchait même pas à s'essuyer les yeux : elle voulait que ce voile trouble sa vision, qu'enfin elle regarde autre chose que cette prison pourpre qui lui agressait la rétine.
Elle ne retint pas ses gémissements, ses pleurs bruyants qu'elle avait jusqu'à présent refusé d'offrir au Prince. Sawa l'avait emporté sur elle, Mincheol l'avait brisée...
La jeune prêtresse serrait ses genoux contre son buste, le visage enfoncé entre pour se procurer elle-même un peu de chaleur. Comme elle aimerait étreindre son frère, ou bien Hyunbin – n'importe qui, pourvu qu'il ne s'agisse pas de ce maudit Mincheol ! Elle frissonnait de manière quasi convulsive, les joues rougies par les larmes.
Quand la porte s'ouvrit, elle leva un regard aveugle vers la forme qui approchait. Son pas sûr le trahissait sans même qu'elle ait besoin de le voir. Le Prince se planta devant elle avant de s'accroupir. Il pencha la tête, elle devina qu'il la considérait avec une moue étonnée qui s'adoucit.
« Courage, très chère, inutile de se mettre dans de tels états, affirma-t-il d'une voix tendre qu'elle s'étonna de sentir sincère. Je te prouverai que je ne suis pas un mauvais parti, je tâcherai de te rendre heureuse, je le jure. Entre les murs du palais, tu finiras par t'épanouir.
— Tu m'as... je..., s'étrangla-t-elle.
— Je te présente mes excuses, je ne pensais pas te mettre dans un tel état : tu t'es toujours montrée si solide, je n'imaginais pas que tu te sentirais mal à cause de cela. Je te désirais depuis si longtemps... Enfin, songe que tu as obtenu ce que tu désirais : une existence paisible aux côtés de ton frère. Essaie de voir cela plutôt comme un échange de bons procédés, tu en souffriras moins.
— C'était la seule façon d'aider au moins une personne de mon peuple.
— Exactement, et je te renouvelle ma promesse : Yoongi ne risque rien. Déjà le mot est en train de passer entre mes généraux et leurs hommes, afin que pas une égratignure ne lui soit infligée lors de sa capture. Je reconnais que mes méthodes ne sont pas des plus acceptables, mais je sais aussi me montrer magnanime. Et puis, je n'ai rien ni contre lui ni contre toi... même si tu as tenté de me tuer. Tu l'as sauvé, c'est tout ce qui doit compter pour toi, pense au futur. »
Elle voulut rétorquer que la tentative d'assassinat était méritée, mais la force lui manquait. Elle se contenta de s'essuyer les yeux de plus belle. Mincheol lui offrit un sourire innocent. Il était vêtu de ses habits de prince, bien plus élégants que son costume de domestique. Une magnifique tunique rouge brodée d'or épousait son torse, tandis qu'une ceinture de cuir soulignait sa taille. Il portait un pantalon noir ample rentré dans des bottes, et Yua devinait que sur sa cape apparaissait un scorpion. Son front enfin était ceint d'une tiare d'or qui piquait en son centre vers un rubis d'une couleur envoûtante.
Aucun doute, Mincheol était redevenu le Prince.
Lorsqu'une énième larme échappa à Yua, son futur mari s'empressa de tendre la main pour la lui enlever. Il en profita pour lui caresser la joue ; la prêtresse ne trouva pas la force de le repousser.
« Je t'en prie, cesse de pleurer. Je te promets que tu ne souffriras plus. Tu seras traitée comme la princesse que tu deviendras, je t'en donne ma parole. Je ferai en sorte que tu tombes amoureuse de moi, et seulement lorsque cela sera le cas, alors nous nous marierons. D'ici là, je ne te toucherai plus comme je l'ai fait, et je te présente encore mes sincères excuses, je t'assure que je ne pensais pas que cela te blesserait à ce point. Cela te console-t-il ? »
Elle voulut répondre qu'elle ne comprenait pas en quoi ce délai supplémentaire était supposé la consoler ; elle opina sans un mot, docile.
« Viens, allons nous allonger un instant, cela te fera du bien, tu sembles épuisée. Est-ce que tu te nourris correctement ?
— Je bouge moins, il est normal que je mange moins qu'avant.
— Je suis désolé, ta chaîne doit te déranger, mais je n'ai pas d'autre choix : tu dois comprendre que tu as dépassé les limites. Quand tu auras appris à tenir en place, je te la retirerai, je te l'assure. »
Il se redressa puis lui tendit une main qu'elle saisit de façon mécanique. Il l'aida à se lever, et il l'attira sur le lit. Ils s'y couchèrent ; Mincheol incita sa prisonnière à se serrer contre lui. Yua avait perdu la volonté de le repousser. Après un peu plus d'une heure, malgré la rage, la frustration et la peur, la fatigue prit le pas. Yua s'assoupit contre son geôlier.
Elle rêva que c'était Yoongi qui l'étreignait.
~~~
Namjoon était resté tout la journée à l'Assemblée, le matin pour la séance quotidienne, l'après-midi pour un procès qu'il avait remporté sans grand mal – une énième petite querelle entre voisins. Il avait passé tout ce temps dans ses pensées, encore ému de sa visite à l'orphelinat, et il avait fini par décider d'affranchir son esclave ce soir. Il souhaitait à cette occasion lui offrir un repas inoubliable, voilà pourquoi, sorti de son travail, il se trouvait désormais au marché. Il y acheta pour l'essentiel des gâteaux et des boissons, conscient qu'à son retour, Seokjin aurait déjà préparé le dîner.
Le jeune député termina ses courses sur la promenade qui longeait la Nabacea, et il rentra les bras chargés. Quand Seokjin lui ouvrit, il écarquilla les yeux de surprise.
« Namjoon... est-ce qu'il s'est passé quelque chose ? Que fais-tu avec tout cela ?
— Je voulais que nous festoyions ce soir, j'ai passé une agréable journée.
— Eh bien, tu n'y es pas allé de main morte ! Heureusement que j'avais préparé quelque chose de léger. Porte tout cela à la cuisine, je vais nous servir.
— C'est très gentil, j'ai les bras en compote. »
Il laissa son ami s'occuper de ses paquets pendant qu'il partait ranger quelques documents dans son bureau. Lorsqu'il en redescendit, la table était déjà dressée au salon, et son serviteur n'attendait plus que lui.
Ils passèrent un moment exquis à discuter de tout et de rien. Après un succulent dessert composé de tout ce qu'avait acheté Namjoon, Seokjin se leva pour débarrasser.
« Je vais t'aider, décida son maître en l'imitant.
— Allez vous reposer, vous en avez déjà beaucoup fait aujourd'hui, lui reprocha-t-il d'un ton affectueux. Je me charge de tout ranger.
— Tu m'as vouvoyé.
— Oh... pardon, je ne m'en étais même pas aperçu, rit Seokjin d'un ton léger.
— Ne t'excuse pas, et... accepte, s'il te plaît, de n'être plus jamais obligé de me vouvoyer.
— Qu'est-ce que... »
Le cœur soudain en pleine panique, Namjoon tira d'une poche de son hanbok le contrat de son esclave, qu'il avait récupéré en se rendant un peu plus tôt à son bureau. Seokjin ouvrit des yeux aussi ronds que des billes ; il savait exactement ce que signifiait ce geste. Avec l'impression de vivre une chute libre, il tendit une main tremblante vers le parchemin.
« Je suis allé déclarer ton affranchissement juste avant de partir pour le marché, avoua Namjoon dont la voix était emplie de trémolos. Deux témoins ont pris connaissance de ma décision, et elle a été approuvée. Je refuse que quiconque te regarde encore comme un esclave : tu es un homme libre à présent. »
Un sentiment indescriptible submergea Seokjin. Il prit une longue inspiration que tenta de lui bloquer sa gorge nouée. Une pointe aussi douloureuse que délicieuse lui tisonna l'estomac tandis que s'envolait sa température corporelle. Un immense sourire s'épanouit sur son visage alors que l'émotion embuait son regard que déjà emplissait l'amour.
Il se mordit la lèvre inférieure alors que tout l'air contenu dans ses poumons se vidait, lui tirant un soupir tremblant. Il déglutit avec difficulté, puis enfin il quitta la feuille des yeux pour les lever vers celui qui n'était désormais plus que son ami.
« Je suis... libre, murmura-t-il – et ces mots, il les goûta, les laissa prendre forme sur sa langue, les savoura. Je suis libre.
— J'imagine que tu as pensé à de nombreux projets pour profiter de ton nouveau statut, sourit Namjoon en levant la main pour effacer la larme qui traçait déjà un sillon sur la joue de son aîné. Il va de soi que je t'aiderai à les réaliser. Un voyage à Tyfodon te plairait-il ? Tu...
— Je veux rester avec toi, le coupa son bien-aimé dans ce qui ressemblait à un gémissement, s'il te plaît, je veux rester à tes côtés !
— Seokjin...
— Je veux que la première chose que je fasse en tant qu'homme libre, ce soit de te répéter à quel point je t'aime ! »
Bouleversé, l'affranchi laissa enfin s'exprimer ce soulagement qui traduisait l'étendue des souffrances qu'il avait éprouvées en tant qu'esclave. Il s'effondra à genoux, les joues trempées de sanglots alors qu'il serrait son contrat contre sa poitrine de façon désespérée.
Namjoon s'agenouilla à son tour, et sans réfléchir davantage, il enroula les bras autour de son ami qui enfonça le visage dans son cou en lui enlaçant la taille. Il lui caressa le dos dans l'espoir de le calmer puis, dans un souffle, il avoua ce que lui-même avait tu bien trop longtemps.
« Moi aussi, Seokjin, je t'aime. Je t'aime du plus profond de mon cœur, qui n'a jamais appartenu qu'à toi.
— Je t'en supplie... embrasse-moi de nouveau. »
Comment résister ? Et pourquoi résister, de toute façon ? Voilà qu'ils se révélaient éprouver les mêmes sentiments l'un pour l'autre. Namjoon n'aurait pu rêver soirée plus belle !
Brûlant d'appréhension autant que d'impatience, le jeune homme ne s'écarta de son bien-aimé que pour plonger un regard affectueux dans le sien. Il prit son visage en coupe, lui essuya les pommettes, puis il se pencha pour poser, pour la deuxième fois seulement, ses lèvres sur les siennes.
Seokjin, comblé, ferma les paupières pour apprécier au mieux ce contact dont il regrettait de n'avoir pas profité la première fois. À présent, il souhaitait découvrir la bouche de son compagnon, l'explorer pour n'en oublier jamais ni le goût ni la forme. Oh comme il se sentait bien, tout à coup, dans les bras de celui qu'il avait tant chéri en secret !
Namjoon pressait un baiser avide et doux, incapable de retenir les pulsions de son être. Il mordilla finalement la lèvre inférieure de Seokjin, geste en réponse duquel ce dernier entrouvrit la bouche. Tous deux savaient où cela les mènerait, et tous deux l'attendaient, fébriles. Les langues se trouvèrent, et sans chercher à réfréner leur désir, les deux hommes se rapprochèrent. Namjoon, même, attrapa les hanches de son aîné pour l'inciter à s'asseoir sur ses cuisses. L'autre s'exécuta, passa les bras derrière la nuque de son cadet sans couper leur échange, et finit par pousser un soupir lascif quand une des mains de son ancien maître lui caressa la jambe par-dessus ses vêtements.
« Namjoon...
— Par Pyros... je t'en supplie, laisse-moi t'aimer. Accepte de devenir mien une bonne fois pour toutes.
— Bien sûr que j'accepte, geignit Seokjin alors que son amant lui butinait le cou de baisers éthérés.
— Et... accepterais-tu que nous allions dans la chambre ?
— D-Dans la chambre ?
— Je rêve de m'étendre contre toi et de t'embrasser jusqu'à n'en plus pouvoir.
— Est-ce que tu attends plus que des baisers ?
— Je ne t'obligerai à rien qui te mettra mal à l'aise, je te l'assure. Ne doute pas de moi, et souviens-toi que tu n'es plus contraint à l'obéissance... et que même lorsque tu l'étais, je ne me serais rien permis que tu refuses. Je t'aime, Seokjin, je sais les difficultés que tu éprouves, et il est hors de question de te forcer à t'y confronter si tu n'es pas prêt. »
Il savait que son aîné ne se sentait pas encore capable de montrer son corps couturé de cicatrices. Il savait à quel point ces marques continuaient de le hanter, et il préférait ne pas raviver de mauvais souvenirs alors qu'il essayait d'en créer de bons.
« Dans ce cas, allons-y, » approuva l'affranchi en se redressant.
Il tendit la main à Namjoon qui s'en saisit pour se lever à son tour. Ensemble, ils se rendirent dans la chambre du propriétaire des lieux qui, en passant la porte, enroula un bras autour de la taille de son amant en lui embrassant la tempe – une chance, les deux hommes mesuraient la même taille.
« Est-ce que tu penses qu'il est convenable que je te demande d'emménager dès maintenant dans cette chambre ? Je ne veux plus passer une nuit sans te serrer dans mes bras.
— J'adorerais dormir blotti contre toi. »
Arrivés devant le lit, ils échangèrent un regard qui témoignait d'une certaine timidité. Namjoon s'assit au bord du matelas qu'il tapota avec un rictus embarrassé pour indiquer à son aîné d'y prendre place. Seokjin obéit, rayonnant malgré la retenue. Le plus jeune recula pour étendre ses jambes, et d'un sourire il invita son bien-aimé à le rejoindre. À peine à ses côtés, ce dernier fut attiré dans une énième étreinte tandis que Namjoon s'allongeait, l'entraînant avec lui.
Ils laissèrent échapper un bref éclat de rire avant de partager de nouveaux baisers, qu'ils agrémentèrent d'effleurements débordants d'amour. Seokjin frissonnait de plaisir alors que la main de son compagnon se contentait de frôler son avant-bras sous sa manche. Jamais on ne l'avait touché, jamais lui-même ne s'était touché – acte inimaginable pour un esclave, à qui les délices de la chair n'étaient autorisés qu'avec l'accord du maître. Namjoon ne quitta ses lèvres que pour parsemer sa mâchoire, son cou puis sa gorge de baisers, désormais penché sur lui qui s'était allongé sur le dos. Les yeux clos, la tête rejetée en arrière pour offrir son épiderme de nacre à son cadet, Seokjin ne protesta pas quand Namjoon, jusque-là installé sur un coude, se plaça au-dessus de lui.
Son nez se frotta au sien, ils s'embrassèrent derechef, et Seokjin caressa les bras de son ami sous son vêtement.
« Je t'aime, Namjoon.
— Et moi donc. Je n'ai jamais aimé que toi. Je l'ai gardé pour moi des années durant, mais je t'ai aimé peu de temps après t'avoir rencontré. Tu es une personne si incroyable. Seokjin, mon cher Seokjin, quelle chance j'ai de pouvoir te serrer dans tes bras...
— Cela me touche tellement... Namjoon... »
Il l'attira à lui, et de délicieuses minutes passèrent pendant lesquelles chacun se sentit de plus en plus excité. Namjoon luttait contre lui-même pour s'empêcher d'onduler du bassin contre son amant, de qui les idées s'embrasaient. Il refusait de lui imposer ses désirs. Seokjin néanmoins, après une dizaine de minutes, bougea lui-même les hanches pour engager une friction.
« Mon amour, souffla le cadet, je... s'il te plaît, évite de...
— Je... j'aimerais... est-ce qu'on peut... garder nos vêtements mais juste... hum, Namjoon, j'ai tellement envie...
— De quoi as-tu envie ?
— Je l'ignore... de toi.
— Je suis tout à toi. »
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