Chapitre 48
« Peur et méfiance sont les fondements de la guerre. »
– Ji Sangpo, De la guerre.
Une tension palpable courait dans les rangs arixiens et tyfodoniens. Chacun chevauchait avec une raideur telle que Yoongi lui-même avait perçu leur malaise à la seconde où ils s'étaient mis en route. Le lieutenant Jeon, surtout, se forçait depuis bientôt une heure à ne surtout pas tourner la tête vers le cheval que le lieutenant Jung et Kim Taehyung partageaient.
Aux yeux du Phénix, aucun doute n'était permis quant à leur lien : ils avaient entretenu une relation très intime. De ce qu'il avait compris quand Jimin avait tenté de lui résumer la situation, Jungkook avait dû se sentir trahi en apprenant que le poète avait aidé Hoseok à fuir. Pas étonnant, donc, qu'à l'aube de ce premier jour d'unification, les troupes ne parviennent pas à s'entendre. Tant qu'elles ne se déchiraient pas, l'espoir restait autorisé.
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Taehyung se sentait gris. Lorsque Hoseok avait accepté qu'il les accompagne, ses combattants et lui, une euphorie savoureuse s'était répandue dans ses veines. Il s'était réjoui d'autant plus quand le jeune homme avait décidé qu'ils soutiendraient bel et bien le général Park, sur les conseils avisés de Taehyung. Ils avaient donc feint de partir vers le sud avant de changer de trajectoire, perturbant ainsi les soldats arixiens qui n'avaient pas eu le temps de mettre des barrages en place. Ils avaient traversé la frontière à vive allure, leurs chevaux au galop, conscients que deux enjeux de taille les contraignaient à une avancée effrénée : ils devaient échapper à leurs poursuivants et arriver à temps pour aider les Arixiens à Sawa.
Taehyung en effet avait reçu un message de Jimin adressé à Namjoon, du fait d'une erreur de Samran. Il avait alors indiqué à l'Arixien que lui, Hoseok et ses troupes se trouvaient assez près d'eux pour les rattraper. Voilà comment ils avaient mis en place, grâce à l'aigle, cette tactique dans le canyon : les Tyfodoniens envoyés par l'Assemblée risquaient de ne pas pouvoir les rejoindre avant plusieurs jours, les révoltés étaient tombés à point nommé pour repousser le premier assaut sawaï.
Tout ce temps, le poète avait refoulé l'idée qu'il retrouverait Jungkook, son amant, celui qu'il avait tant chéri. Peu enclin à y penser, il s'était concentré sur la stratégie du général Park. Cela avait fonctionné, et à présent il ignorait comment réagir face au silence obstiné du lieutenant Jeon. Ils s'étaient quittés en mauvais termes, et voilà qu'un froid polaire avait été jeté entre eux.
L'aîné brûlait de s'excuser, il savait son cadet parfois immature : Jungkook s'était habitué à réprimer ses émotions, non à les accepter et les maîtriser. Taehyung devinait qu'il valait mieux ne pas lui adresser la parole tout de suite. Le sang chaud, le militaire risquait de laisser jaillir sa colère, sa frustration, sa déception... et Taehyung n'était pas prêt à les affronter.
Il resserra son étreinte autour de la taille de Hoseok. Le Tigre s'était montré à la fois avenant et distant avec lui depuis l'évasion. Il avait compris d'emblée la relation qu'entretenaient les deux hommes à peine plus jeunes que lui, et de son propre aveu il la redoutait. Il craignait les foudres du lieutenant avec qui il se verrait forcé de coopérer. Pour cette raison, bien qu'ayant accepté d'accueillir l'Aigle dans ses rangs, il ne lui adressait la parole que pour les conversations essentielles : chaque fois que Taehyung avait cherché à bavarder avec lui, Hoseok avait clos très vite le sujet.
Jamais le poète ne s'était senti à ce point rejeté. Ses sentiments s'emmêlaient, il ne savait plus ce qu'il éprouvait pour ceux qui l'entouraient : son affection pour Jungkook s'était effondrée, quant à Hoseok, il ne parvenait pas à décrire leur lien. Comment, dans ces conditions, pouvait-il poser un mot sur la façon dont il le considérait ? Le regardait-il comme un camarade ? Un ami ? Attendait-il plus de lui ?
Bien sûr qu'il trouvait le chef tyfodonien magnifique – qui après tout pourrait ne pas tomber sous le charme de cette force brute, de cette habileté sans pareil, de cette générosité et cette humilité admirables ? Or, s'il s'était senti de plus en plus attiré par lui lorsqu'ils partageaient leurs expériences, à présent leur communication avait perdu tout ce qui l'avait rendue si attrayante.
Lui qui avait rêvé de se rapprocher de Jungkook, lui qui avait espéré voyager avec Hoseok, réaliser tous ses désirs l'avait rendu plus malheureux que jamais. Son égoïsme de plus le tourmentait : il lui fallait sauver un peuple, un continent, et lui ne pensait qu'aux affres du cœur.
Pourtant, impossible de le nier : il souffrait en silence, jour après jour, avec l'impression que d'invisibles ténèbres se refermaient sur lui. L'indifférence de Jungkook et la distance de Hoseok lui donnaient envie d'aller s'allonger dans son lit pour y réfléchir des heures durant à ses décisions, jusqu'à ce que quelques larmes lui échappent – voilà le meilleur remède contre le chagrin, selon lui.
Comme il aimerait que son cadet le serre contre lui, le rassure, lui murmure les mots tendres dont ils avaient l'habitude. Il ne s'apercevait de la valeur de ces brefs instants qu'une fois qu'il les savait perdus à jamais : Jungkook ne lui pardonnerait pas sa rebuffade...
« Hoseok... enfin, lieutenant Jung ?
— Hum, j'avoue que j'aime bien ce statut, sourit le guerrier. Oui ?
— Est-ce que... j-j'ai vraiment besoin de parler... est-ce qu'on...
— Désolé, je dois rester concentré sur les alentours, nous sommes constamment en danger ici.
— Pardonnez-moi. »
Taehyung se mordit l'intérieur de la joue. Sans un mot supplémentaire, il posa le front contre le dos de son aîné. Ce dernier, qui observait les lieux et scrutait les hauteurs du canyon pour déjouer tout piège, fronça les sourcils en sentant derrière lui son ami trembler.
« Que se passe-t-il ? Tout va bien ?
— Oui, répondit Taehyung d'un murmure étranglé qui laissait peu de doutes quant à son état.
— Je n'en ai pas l'impression.
— Pardonnez-moi.
— De quoi vouliez-vous parler ?
— Je vous dérange.
— Je vous présente mes excuses, je me suis montré injuste avec vous, soupira Hoseok, maintenant expliquez-moi ce qui vous arrive.
— Je suis désolé... »
Et sur ces mots, ses sanglots s'élevèrent, étouffés mais juste assez bruyants pour que le Tyfodonien avec qui il partageait sa monture les entende. Hoseok posa alors par réflexe la main sur la cuisse de son cadet qu'il frotta, réconfortant. La prise de Taehyung se resserra sur sa taille, et il finit par réussir à ravaler sa douleur pour expliquer de la façon la plus concise possible à Hoseok ce qui lui pesait. Le jeune homme resta silencieux un moment avant de hocher la tête, l'air songeur.
« Je comprends votre détresse, affirma-t-il. Je n'ignore pas votre relation avec le lieutenant Jeon, et parce que ce dernier ne semble pas me porter dans son cœur, je préfère ne pas paraître me rapprocher de vous. Notre mission compte beaucoup pour moi, je me suis juré de couper court au règne de terreur du Prince, et je veux à tout prix éviter de me mettre à dos votre amant. Je me suis fixé des objectifs précis, il est hors de question que quoi que ce soit m'empêche de les remplir.
— Je comprends... »
Il ne représentait qu'un obstacle entre Hoseok et le Prince. Ses états d'âme, comme d'habitude, le desservaient voire agaçaient ceux qui l'entouraient. Il maudissait sa sensibilité. Ce fier Tyfodonien s'acharnait contre le destin, combattait pour une cause qui aurait pu sembler perdue à l'instant où Jimin et Jungkook étaient arrivés au camp n° 5 pour l'affronter, pourtant il avait gardé la tête haute. Il avait tenu bon, il ne se laisserait pas abattre... Taehyung enviait sa force de caractère, son courage. Lui aurait baissé les bras depuis longtemps.
Assoiffé de vengeance, recherché par le chef Choi, désormais orphelin, le voilà qui poursuivait un noble but, qui luttait pour protéger le Continent parce qu'il n'avait pas réussi à protéger sa famille. Bien sûr que Hoseok refusait qu'un incapable comme lui l'éloigne de son objectif : Taehyung après tout ne s'était plus battu depuis des années, il ne pouvait se montrer utile qu'en tant que médecin. Il ne valait pas la peine que son ami se dispute avec le lieutenant Jeon sous le seul prétexte qu'il lui adressait la parole.
Pourtant, Taehyung avait beau se raisonner, tenter de rationaliser ses émotions, rien ne fonctionnait : le vide en lui ne cessait de croître. Il n'en voulait pas à Hoseok, dont il comprenait les actes. En revanche, il éprouvait à l'encontre de Jungkook un douloureux ressentiment. Son amant ne l'avait abandonné que par jalousie, il l'avait rejeté parce qu'il avait blessé son égo en s'intéressant davantage à Hoseok qu'à lui.
Taehyung osa tourner les yeux vers le majestueux destrier du lieutenant Jeon. Son cadet, comme attiré par son regard, pivota au même instant. Ils passèrent un long moment à se jauger, à échanger des mots silencieux, les mots du cœur, ceux qui ne parlaient pas mais qui n'en signifiaient pas moins. Jungkook se détourna le premier pour se concentrer sur la rivière près d'eux, et Taehyung appuya la joue contre le dos de son ami, une moue peinée au visage.
Le lieutenant arixien l'avait observé avec une telle froideur, un tel dédain, qu'il ne le reconnaissait pas. Ces prunelles sombres, il était habitué à y lire tant de complicité, tant de désir, de fougue... qui était cet homme rongé par l'amertume ?
Devait-il lui parler, ou bien risquait-il, comme il le craignait, de s'attirer ses foudres ? Peut-être oserait-il plus tard, quand il jugerait que Jungkook semblait un peu plus enclin à l'échange. Il était après tout venu aussi bien pour rester avec Hoseok que pour retrouver Jungkook afin de s'expliquer enfin avec lui.
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Yoongi échangeait de temps à autre avec Jimin, ils avaient bavardé de tout et de rien avant que le Phénix ne remarque un long regard entre Taehyung et Jungkook. Il en frémit tant la tension qui s'en dégageait était palpable.
« Croyez-vous sincèrement qu'accueillir parmi nous les hommes de Jung Hoseok était une bonne idée ? Je m'inquiète à vrai dire à l'idée qu'Arixiens et Tyfodoniens peinent à s'entendre... vous avez écouté comme moi les vitupérations de Nur.
— Je m'assurerai que chacun s'entende. Et ne vous inquiétez plus pour lui, le lieutenant Kang s'en est occupé comme il le méritait.
— Et... puis-je savoir ce que cela signifie ?
— Le souhaitez-vous ?
— Je crois en éprouver la malsaine curiosité, admit Yoongi d'une voix penaude.
— La punition pour les hommes de cette engeance est toujours la même au sein de mon unité, du moins quand le lieutenant Kang s'en charge : il empêche toute possibilité de récidive, puis il achève le condamné.
— Il empêche toute possibilité de récidive ? répéta-t-il.
— Comment un homme peut-il en trahir un autre ? En l'observant, en l'écoutant, puis en répétant ses faits et gestes.
— Par Hiemis... »
Inutile pour Jimin de développer, le Phénix avait compris : les yeux de Nur avaient été énucléés, Taehyun lui avait percé les tympans, arraché la langue, et tout cela sous le regard de ses camarades. Tout cela parce qu'il avait tenté de vendre Yoongi.
« Et bien sûr, termina le général, nous l'avons aussi privé de façon symbolique de ses index.
— Pourquoi les index ?
— Le mot possède la même racine que le mot "indiquer" : le traître pointe du doigt – de l'index – celui dont il veut que l'ennemi s'occupe. Enfin, nous l'avons laissé à demi conscient dans le désert. Si aucun Scorpion ne le tue avant, la nature et son infirmité devraient l'achever en quelques jours.
— Je sais que la trahison est un acte grave, mais... bon sang, rien que de me figurer ce qu'il a pu vivre, je me sens pâlir.
— Nur est un vétéran, il a déjà vu des traîtres recevoir la punition pour leur crime. Il sait que je peux aussi bien faire appel au lieutenant Jeon, plus rapide, qu'au lieutenant Kang, beaucoup plus... précis dans sa manière de faire.
— Y a-t-il une véritable différence entre eux ?
— Bien sûr : je fais appel au premier pour des cas de moindre importance, seule la langue est arrachée, en guise de simple avertissement. Le second, lui, intervient dans des cas où la trahison aurait pu engendrer de très graves conséquences. Yoongi, si je... si nous vous avions perdu, se rattrapa Jimin, nous aurions perdu l'un de nos plus importants atouts. Le Prince vous veut, et cela pour une excellente raison, à n'en point douter.
— Yua est sa prisonnière.
— Nous tenterons tout pour la délivrer. Et pour cela, nous devons pouvoir nous fier au maximum aux nôtres.
— Avez-vous... confiance en votre nouveau lieutenant ?
— Le lieutenant Jung me semble tout à fait digne de confiance, approuva Jimin. Il brûle de se venger des Scorpions.
— Comment le savez-vous ?
— Taehyung m'a écrit très brièvement au sujet de ce qu'il a vécu. Croyez-moi, cet homme veut au mieux la destitution du Prince, au pire sa mort après une pléthore de souffrances. L'ennemi de votre ennemi est votre ami, n'est-ce pas ? Jung Hoseok, de plus, est un homme droit, un homme de parole. J'apprécie sa modestie autant que son dévouement à ses soldats.
— Et son arc à poulies, le taquina Yoogni pour alléger l'atmosphère.
— En effet, j'en suis admiratif ! approuva Jimin dans un rire. Quoi qu'il en soit, je réfléchis depuis quelques jours à une stratégie qui nous permettrait d'utiliser tout le potentiel tyfodonien à notre avantage. Nous devons les placer de façon intelligente, aussi bien lors de déplacements que lors de combats. Or, cela implique une grande discipline. J'ai besoin que tout le monde m'obéisse sans discuter, et je vous avoue que c'est la partie de mon plan qui me laisse le plus perplexe. J'aimerais souder les troupes d'une manière ou d'une autre, forcer le rapprochement : il ne nous est plus permis de perdre la moindre seconde. »
Yoongi ne répondit pas. Que devenait un général sans troupes prêtes à se sacrifier les unes pour les autres, sans troupes capables de se concerter puis de se déplacer de façon soudée ? Des soldats qu'il ne pouvait pas commander ne servaient à rien.
« Je vous ai vu réaliser bon nombre d'exploits, remarqua Yoongi. Pourquoi échoueriez-vous à tisser des liens entre Arixiens et Tyfodoniens ?
— Parce que tisser ces liens ne revient pas à accomplir un exploit, mais un miracle. Les peuples du Continent n'ont pas l'habitude de se mêler les uns aux autres. Les seuls Tyfodoniens que mes hommes aient jamais rencontrés étaient soient des commerçants dont ils se souciaient à peine, soit des ennemis. À présent il leur faut remettre leur vie entre les mains de ces gens. Même mes hommes les moins réticents peineront à se fier à un Tigre autant qu'à un Aigle, ce qui est après tout normal, mais qui risque de poser problème dans un contexte comme celui que nous vivons.
— Je comprends un peu mieux... et j'imagine que je suscite la même aversion.
— Cela, en revanche, j'en doute. Je pense au contraire que les miens sont en majorité fiers de progresser à vos côtés.
— Vraiment ? Non, vous devez plaisanter.
— Réfléchissez une seconde : mes soldats mènent une guerre sur un territoire inconnu où nous entrons en sous-nombre évident. Tous vous ont déjà vu utiliser de manière prodigieuse vous pouvoirs, et cette nuit encore vous avez déployé sous leurs yeux une puissance incommensurable. Cela les rassure de savoir qu'un Phénix se trouve dans leur camp, surtout un Phénix de votre envergure.
— Je n'y avais pas pensé... cela n'empêche pourtant pas plusieurs des vôtres de demeurer hostiles à mon égard.
— Ne leur en voulez pas, ils craignent l'inconnu comme la peste, mais je pense que votre... démonstration, disons, de cette nuit en a convaincu plus d'un.
— J'aurais préféré convaincre autrement..., souffla Yoongi avec dépit.
— Vous êtes parmi des soldats : force et courage sont les deux meilleurs moyens de vous attirer leur sympathie. Ici, on n'a cure des pourparlers. »
Yoongi ne répondit pas. Il profita en silence des borborygmes de l'eau qui heurtait les rochers à sa surface. Jimin à son tour dirigea son regard sur la rivière. Elle présentait un avantage considérable en matière d'organisation, et son agitation permettait aux troupes d'avancer sans être entendues dans un lieu qui résonnait pourtant beaucoup. Or, ce tapage risquait de devenir fatal : les Scorpions pourraient attaquer, les Aigles ne les repèreraient qu'au dernier moment. Ici en effet, mieux valait ne plus compter sur leur ouïe.
Le général néanmoins ne s'inquiétait pas outre mesure : il avait profité de saillies rocheuses praticables pour demander à une dizaine d'hommes de former un groupe de reconnaissance en haut. Équipés d'une longue corde, les combattants pouvaient requérir puis remonter des vivres et de l'eau dès que nécessaire. Si des Sawaï les suivaient, ils seraient au moins localisés par ce détachement. De plus, Jimin et les siens avaient vaincu cette nuit des centaines de soldats ennemis. Il ne devait plus s'en trouver beaucoup alentour. Les ressources dans le désert demeuraient très limitées, le Prince ne voyant dans ce lieu aride aucun intérêt financier. Les montagnes des Neraï en revanche grouillaient de guerriers : plus ils approcheraient de Hurna, plus ils se mettraient en danger.
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En fin d'après-midi, alors que les troupes progressaient à pied de sorte à reposer les chevaux, Hoseok s'avança à la rencontre de Jimin. Ce dernier lui adressa un sourire et un signe de tête poli qui l'invitaient à prendre la parole.
« Je m'inquiète de la cohésion des troupes, mon général, avoua le lieutenant. Les miens sentent bien les réticences des vôtres, eux-mêmes sont embarrassés de marcher aux côtés de ceux qui les ont défaits, qui leur ont volé leurs proches – des couples ont été brisés au cours des batailles qui nous ont opposés, nous avons tous perdu beaucoup. Une hostilité perceptible règne, et si je parviens à ne pas en faire grand cas, je comprends que certains Tigres soient peu emballés par cette guerre que nous devons mener en commun.
— Je m'en étais rendu compte, admit Jimin en se tournant pour observer les troupes derrière eux. Ils ne se mélangent pas, et j'ai surpris à plusieurs reprises des regards torves.
— Je crains que cela ne devienne très vite un handicap.
— Ce soir, je vous rassure, je compte bien faire en sorte que chacun se couche avec un peu moins d'appréhensions à ce sujet. Vous n'êtes pas le seul à avoir fait remonter pareilles craintes.
— Merci. »
Il hésita, puis il jeta un regard à l'homme qui marchait auprès du jeune chef.
« Nous n'avons pas été officiellement présentés, affirma-t-il en inclinant la tête. Je suis Jung Hoseok, ancien chef des révoltés tyfodoniens.
— Min Yoongi. Je... euh...
— Vous êtes la raison de cette guerre, n'est-ce pas ?
— Je suis un des derniers Phénix, en effet.
— Enchanté de vous rencontrer dans des conditions plus favorables. »
Yoongi fronça les sourcils avant de comprendre. Aussitôt ses pommettes s'empourprèrent tandis que son corps se réchauffait sous l'effet de la honte.
« Oh... oui, je... enfin cette bataille, je... je suis désolé pour les vôtres, s'emmêla-t-il au souvenir de tous ces Tigres qu'il avait immobilisés pour que les Arixiens les achèvent.
— N'évoquons pas ces souvenirs difficiles, répliqua Hoseok en chassant ces sombres pensées d'un geste de la main. Je faisais référence à cette nuit. »
Derechef plongé dans l'incompréhension, le Phénix fit la moue. Il avait été évacué au moment de l'arrivée des Tigres : Hoseok et lui ne s'étaient pas vus, même de loin, avant le lever du soleil. Avait-il oublié quoi que ce soit ? Son épuisement avait-il embrumé ses souvenirs ?
Le Tyfodonien sourit, amusé de constater qu'il n'avait pas saisi de quoi il parlait.
« Je vous ai remarqué à cause de la lumière qui émanait de vos mains. Heureusement pour vous, si vous étiez caché par les saillies rocheuses aux yeux de vos camarades, nous en revanche avons pu vous repérer.
— La flèche... c'est vous qui m'avez sauvé de cette femme, devina-t-il enfin alors que tout prenait sens dans son esprit.
— Exact. Et aussi des Sawaï qui vous attendaient un peu plus loin. Ils étaient trop bien organisés pour que l'opération n'ait pas été préméditée. Par chance pour vous, puisqu'ils souhaitaient demeurer discrets, ils s'avéraient peu nombreux, ce qui les a perdus.
— Je vous remercie de tout mon cœur.
— Cela n'est pas nécessaire, mais je suis touché par votre reconnaissance. Et je le répète, mais je suis enchanté de vous rencontrer. Je n'imaginais pas qu'il puisse rester des Phénix en vie, et c'est un bonheur de savoir que nous pouvons désormais tenter de réparer la faute commise par nos ancêtres. Votre magie est un don merveilleux qu'il faut protéger, non détruire.
— Merci beaucoup, vous n'imaginez pas l'émotion que me procurent ces mots.
— Je crois... que depuis quelques mois, au contraire, je comprends de mieux en mieux ce qu'ont pu ressentir les vôtres. »
Yoongi déglutit en hochant la tête de façon distraite. Assailli par ses propres souvenirs, il se demanda ce qu'avait pu vivre Hoseok pour en venir à se joindre non à l'armée du chef de Mournan, mais à celle de Jimin. Si comme lui il se trouvait dans une pareille situation, alors cela signifiait-il qu'il avait traversé des épreuves similaires ?
« Mon village a été détruit par les Akashites, révéla Hoseok après avoir rassemblé son courage. Je fais partie des rares survivants, et je suis le seul de ma famille à n'avoir pas péri.
— Par Hiemis, quelle horreur !
— J'ai cru comprendre que vous aviez vécu quelque chose de similaire. »
Taehyung lui avait résumé ce qu'on lui avait appris de la présence du Phénix à Arixium. Il s'était aussitôt senti proche de ce mage inconnu. Le rencontrer provoquait en lui une indescriptible émotion. Les Tigres avaient trop souffert ces derniers mois, et Hoseok n'ignorait pas que les Phénix avaient vécu à deux reprises ce que lui-même peinait encore à surmonter.
« En effet, approuva Yoongi. Je partage votre douleur. Je suis désolé pour votre famille.
— Et moi pour la vôtre. Je n'ai pas pu sauver mes sœurs, mais j'espère que nous retrouverons la vôtre. »
Le Phénix se sentit infiniment reconnaissant. Hoseok le salua et retourna auprès de Taehyung qui guidait sa monture à la suite de celle du général. Le Tigre scruta les environs, pensif. Oui, il désirait sauver la jumelle de Yoongi, se prouver qu'à défaut de changer le passé, au moins son implication dans cette guerre pourrait bousculer le futur.
Chaque fois qu'il se rappelait que sa vie avait tenu à un fil, à un ami qui l'avait empêché de se jeter dans le bûcher funéraire de ses proches, il éprouvait soudain l'ardent besoin de ressentir qu'il ne vivait pas en vain. Il s'était lancé, éperdu, dans une quête pour redonner du sens à son existence. Et la vengeance lui apparaissait comme le seul moyen d'y parvenir. Il devait arrêter les Sawaï, éviter qu'ils s'en prennent à d'autres, qu'ils incitent davantage les Akashites à empiéter sur ses terres.
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Échanger un simple regard appuyé avec Taehyung des heures plus tôt avait ruiné la journée de Jungkook, qui n'arrivait plus à se retirer son amant de la tête. Il se maudissait de penser à lui avec une telle nostalgie. Ce petit poète de pacotille s'intéressait plus à Hoseok qu'à lui, au point que pour ce chef Tigre, il avait accepté d'intégrer l'armée, ce que jamais il n'aurait osé si Jungkook le lui avait demandé afin qu'ils se voient plus souvent. Taehyung s'était opposé à lui, avait tenté de l'inciter à passer du côté des révoltés, de le convaincre qu'ils agissaient pour le bien de leur peuple – mais il s'en moquait, des Tigres !
Jungkook avait accédé au poste de lieutenant parce qu'il s'inquiétait du bien-être des siens : peu importait ce qui pouvait arriver aux Tyfodoniens tant qu'ils ne dérangeaient pas les Arixiens ! Se soucier des siens lui demandait bien assez d'énergie, bien assez de ressources, sans qu'en plus il s'impose de se préoccuper des autres ! Tous les malheurs du monde ne devaient pas reposer sur ses épaules !
En l'état actuel des choses, le jeune homme souhaitait autant laisser exploser sa colère contre Taehyung qu'attraper ce dernier par la nuque pour plaquer ses lèvres contre les siennes. Depuis des mois, chaque fois qu'ils se voyaient, ils en profitaient pour coucher ensemble. Ce moment confus provoquait en lui un irrépressible désir qu'il s'en voulait de ressentir. Taehyung avait choisi son camp : s'ils gagnaient cette guerre, il partirait sans doute avec les Tigres.
Jungkook rumina jusqu'à ce que le général indique qu'ils s'arrêtaient pour la nuit. Il jeta un regard circulaire pour découvrir que la rivière s'avérait plus large, de même que le canyon – une chance, car leur nombre s'élevait désormais à environ six cents. Le sable s'était changé au fil de la journée en gravier, et les parois rocheuses semblaient s'être écartées pour céder davantage de place aux troupes.
« Lieutenants Jeon et Kang, appela Jimin alors qu'il relâchait Samran en direction de la capitale, je veux que vous expliquiez au lieutenant Jung la disposition du camp, afin que ses troupes puissent apporter leur aide à sa construction. Il sera par ailleurs attendu des Arixiens qu'ils partagent leur tente avec les Tyfodoniens. Qu'un seul refuse, et tout le monde dormira à la belle étoile – y compris vous et moi, et croyez-moi : le soldat qui m'empêchera de dormir sous ma tente s'en mordra les doigts... s'il lui en reste. »
Les hommes s'exécutèrent. Yoongi tourna un regard de guingois sur son ami.
« À ce point ?
— Je dors peu, il me faut un sommeil réparateur. De plus, lorsque nous arriverons dans les montagnes, si nous pouvons espérer garder nos chevaux, nous ne pourrons en revanche très certainement pas continuer d'avancer avec tout notre matériel. Nous devrons nous répartir le maximum et abandonner le reste derrière nous.
— Je vois... Donc le maximum, ce sont les matelas et les couvertures, et le reste, ce sont les tentes.
— Exactement.
— Pourquoi avoir amené les chevaux si nous risquons aussi de devoir les abandonner dans les montagnes ?
— Pour traverser au plus vite le désert : la nouvelle de notre attaque ne tardera plus à parvenir à Hurna si le Prince n'est pas déjà au courant. Si nous avions avancé à pied, nous aurions perdu un temps considérable qui lui aurait permis de nous envoyer tous ses hommes à la fois. Les hordes de Scorpions que nous avons combattues cette nuit auraient ressemblé à un simple entraînement à côté de ce que nous aurions affronté. Dans une guerre, la vitesse peut tout changer, et mieux vaut ne pas s'attarder dans un endroit comme ce désert, où nous sommes constamment à découvert... sans compter que vous pouvez me croire : quand nous marcherons toute la journée dans la montagne, vous serez bien content d'avoir passé avant cela l'essentiel de vos journées à dos de cheval. »
Yoongi grimaça : il n'avait pas envisagé leur périple de cette façon, mais en effet, traverser les Neraï risquait de s'avérer harassant. Les soldats arixiens et tyfodoniens étaient habitués à l'exercice, mais qu'en serait-il de lui ? Il s'épuisait à une vitesse considérable, même s'il avait gagné en endurance, et s'il utilisait de manière incontrôlée ses pouvoirs, il savait d'emblée qu'il ne tiendrait pas le rythme.
Préférant garder ses doutes pour lui, Yoongi se concentra à aider son ami à installer leur tente et les matelas. Sans l'admettre, le Phénix fut ennuyé de dormir d'ici quelques jours à la belle étoile dans les montagnes : il se moquait bien des températures, le mois d'avril touchait à sa fin, toutefois ne plus s'offrir des moments lascifs avec Jimin le rendait amer.
Certes il ne s'agissait pas de sa préoccupation principale, pour autant il aimait à se détendre de cette manière. Jimin avait le don de dissiper d'un baiser ses craintes, d'effacer ses doutes à l'aide d'une simple caresse. Il rêvait d'explorer avec lui plus d'aspects des relations humaines. S'abandonner dans sa puissante étreinte était devenu le seul moyen pour Yoongi d'oublier un peu ses malheurs et de retrouver une sérénité qu'il ne connaissait plus que pendant son sommeil.
Alors qu'avec des efforts collectifs, les soldats avaient terminé plus vite qu'à l'accoutumée de monter le campement, Jimin invita chacun à l'écouter une dernière fois avant le dîner, que tous attendaient avec impatience.
« Mes chers amis, déclara-t-il d'un ton bienveillant, maintenant que nous sommes réunis, je souhaiterais que nous profitions de cette soirée pour faire connaissance. Pour cela, j'ai décidé d'organiser une compétition amicale, dont l'équipe gagnante remportera une double ration de nourriture pour le jour suivant. »
Une franche approbation s'éleva de ces compétiteurs nés. Chacun dardait sur ses voisins des regards qui tantôt les exhortaient à le rejoindre, tantôt lui promettait de l'écraser lors des épreuves.
« Attention néanmoins, les équipes devront être équilibrées et représenter notre armée dans son intégralité : il s'agira d'équipes de quinze qui devront comporter dix Arixiens et cinq Tyfodoniens. »
Des protestations s'élevèrent à cette condition que beaucoup estimaient injuste : eux préféraient l'idée de former des équipes non mixtes afin de déterminer qui des Tyfodoniens ou des Arixiens étaient les meilleurs dans telle ou telle discipline. Il se murmura cependant qu'au moins, de cette façon, une potentielle épreuve de tir pourrait être remportée par n'importe qui. Le mélange leur offrirait un certain équilibre des chances.
Jimin se délectait de les entendre marmonner : peut-être à la fin de la journée auraient-ils compris que cet équilibre, la présence des Tyfodoniens l'offrirait aussi à leur armée lors de combats décisifs.
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