Chapitre 44

« La trahison inflige une double blessure : d'abord celle de la trahison elle-même, puis celle du regard de nos proches à qui l'on n'arrive plus à se fier. »

– Ji Sangpo, De la guerre.


Jimin et Yoongi chevauchaient encadrés par les deux lieutenants. Cette nouvelle journée de voyage s'annonçait paisible, mais pour la troisième fois de la matinée, Jungkook plissa les yeux avant de froncer les sourcils.

« Là-bas au loin... encore une caravane de marchands, » affirma-t-il.

Jimin ne vit que des formes houleuses dont il ignorait s'il s'agissait de la caravane repérée par son subordonné, ou bien d'un simple mirage. Il se fiait néanmoins aux assertions de Jungkook, qui ne s'était jamais trompé – ou du moins jamais au point de confondre des humains et des êtres inanimés.

« Il est fréquent que des marchands se déplacent en caravanes dans les déserts sawaï et akashite... mais jamais autant, déclara-t-il d'un ton sombre. Or, sans approcher, impossible de savoir s'il s'agit bien de marchands ou de soldats.

— Je suis presque sûr qu'il s'agit de marchands à première vue, contra Jungkook.

— Et je ne doute pas que le Prince ait placé un peu partout à ses frontières des unités en civil afin de repérer et se débarrasser des ennemis avant qu'ils n'approchent Hurna.

— Devons-nous attaquer ?

— Tant que nous ignorerons s'il s'agit ou non de civils, non, nous n'attaquerons pas. En revanche, nous devons continuer de surveiller les environs : je ne doute pas que nos ennemis, après nous avoir repérés, vont se réunir jusqu'à être convaincus de pouvoir nous vaincre.

— Et nous devrions attendre qu'ils fondent sur nous ? répartit Jungkook, sceptique.

— Ils ne seront pas assez nombreux avant que nous ne soyons descendus dans le canyon. Et je vous rappelle que nous attendons une troupe de Tyfodoniens pour nous apporter son soutien.

— Sont-ils au moins partis de la capitale ? demanda Taehyun.

— Oui. Ils seront là au bon moment, je vous l'assure.

— Eux, sauront-ils quand il leur faudra nous aider ? s'enquit à son tour Jungkook.

— Nous avons convenu d'un signal.

— Lequel ?

— Lieutenant Jeon, je vous ai déjà dit qu'il ne fallait pas vous montrer trop curieux. Tout vient à point à qui sait attendre, vous n'avez rien à craindre.

— Par Pyros, général Park, comment voulez-vous que l'on se coordonne correctement si vous ne nous dites rien ? s'agaça Jungkook – et Yoongi trouva sa colère légitime, Jimin ne pouvait pas sans cesse leur cacher ses plans en espérant que tout se passe sans anicroche.

— Parce que l'ennemi ne doit pas se douter de ce que l'on prépare : nous devons absolument agir comme à l'accoutumée. Les Sawaï se douteront que nous ne sommes pas seuls, que nous avons des renforts, mais ils ne doivent pas savoir d'où il viendra. Moins il y aura de personnes au courant parmi nous, moins notre attitude laissera deviner d'où vient l'aide. Mais je vous garantis que je suis en liaison constante avec la troupe en question.

— Mais nous n'avons reçu aucun messager ces derniers jours, répliqua Taehyun.

— En effet.

— Vous semblez tout prévoir, intervint Yoongi alors que la situation s'envenimait et qu'il espérait changer de sujet.

— C'est bien le minimum, en effet. Du moins j'envisage les éventualités les plus plausibles, et je fais au mieux pour m'y préparer : pour gagner davantage d'alliés ou pour contrer les attaques ennemies, je me débrouille pour que la situation tourne à mon avantage. J'ai passé des heures entières en calculs en tous genres, nous devons continuer d'avancer au rythme où nous allons : sachant que les Scorpions attaquent surtout la nuit, je pense que nous n'avons rien à craindre pour ce qui est de la fin de cette journée. Nous viendrons à peine de descendre dans le canyon, ils n'envisageront pas d'attaquer alors que nous ne serons pas assez enfoncés dans le ravin.

— Pourquoi ?

— Parce qu'ils craindront que nos alliés ne soient dans les parages et ne les prennent en tenaille. Quand en revanche nous serons plus enfoncés dans le ravin et qu'ils verront que personne ne nous suit, là ils attaqueront.

— Mais des alliés nous suivent, non ?

— En effet, mais ils n'emprunteront pas le même chemin que nous, alors que les Scorpions partiront du principe que nos alliés, des Arixiens selon toute logique, nous suivront dans le canyon. »

Yoongi comprit enfin.

« Ce sont des Tyfodoniens, souffla-t-il, des archers qui sont à l'aise dans l'attaque à distance. Vous allez les placer... en haut des falaises. »

Jimin esquissa un rictus et posa l'index contre ses lèvres.

« Un magicien ne dévoile jamais ses tours.

— Je comprends mieux, acquiesça enfin Jungkook. Et vous auriez pu nous le dire. J'imagine de toute façon que nous ne les verrons pas d'où nous serons.

— Les Tyfodoniens sont d'excellents pisteurs, ce sont des chasseurs de talent, affirma Jimin. Ils sauront exactement où nous trouver, d'autant que nous avons convenu d'un signal qu'ils ne pourront pas rater, de nuit comme de jour. Ils ont pour ordre de se dissimuler au mieux jusque-là, et même s'ils ne sont pas habitués au désert sawaï, je ne doute pas qu'ils réussissent mieux que nous à passer inaperçus.

« D'ici là, lieutenant Jeon, continuez de surveiller les alentours, et chaque fois que vous repèrerez une caravane, je veux en être informé. Chaque détail m'importe, même celui qui vous semblera le moins important. J'ai besoin de tout savoir pour adapter ma stratégie. Je pense qu'avec nos troupes et les Tyfodoniens, nous pourrons au minimum arriver à la chaîne des Neraï sans dommage particulier.

— Bonne nouvelle, répliqua Jungkook. Or, si je me souviens bien, il était question, à l'origine, d'arriver jusqu'à Hurna et de délivrer les Phénix.

— Eh bien croisons les doigts pour survivre, plaisanta le général en adressant un rictus ironique à son cadet.

— Vous jouez à un jeu dangereux en refusant de nous livrer tous les détails de votre plan, lui reprocha Jungkook. Ne vous étonnez pas si l'un de nous agit d'une manière différente de ce que vous espériez, dans ces conditions.

— Ne vous inquiétez pas. Quelle que soit votre réaction, elle ne modifiera pas ce qui est déjà prévu. Je vous demande juste de me faire confiance. Je prévois ce que je peux prévoir : je suis stratège, pas devin.

— Je m'inquièterai tant que je ne saurai pas exactement ce que vous prévoyez, mon général. Je suis lieutenant, et tant que la commandante ne sera pas de retour, vos seconds, ce sont le lieutenant Kang et moi. Nous méritons d'être au courant de toute stratégie afin d'une part de donner notre avis voire nos suggestions, et d'autre part d'être en mesure d'anticiper nous aussi ce qui se passera à tel ou tel moment plutôt que d'être laissés dans le flou.

— J'apprécie votre implication, lieutenant Jeon, mais il n'est pas nécessaire pour vous de vous inquiéter, je le répète. Je vous dis tout ce que vous avez besoin de savoir ; le reste, je me réserve le droit de le garder pour moi. »

Jungkook pestait intérieurement, cela se lisait sur son visage aux traits tirés. La mâchoire contractée pour se forcer à garder le silence, il tentait de s'empêcher d'exploser contre son supérieur, dont il estimait qu'il prenait des risques inconsidérés. Pourquoi, de plus, leur cacher des données d'une telle importance ?

« Nous sommes en guerre, affirma Jungkook, il ne s'agit plus de petites batailles gagnées d'avance. À présent, une seule mauvaise décision peut briser des centaines de vies. Est-ce que vous ne nous faites pas confiance ?

— Lieutenant Jeon, apprenez à rester à votre place, je vous prie.

— Vous nous mettez tous en danger ! pesta le jeune homme aussi bas que possible. Comment suis-je supposé me fier à quelqu'un qui ne me confie rien en retour ? La confiance est un sentiment qui doit être réciproque pour perdurer, car si je perds confiance en vous, m'accorderez-vous toujours, vous, votre confiance ? Et si j'estime que vous ne me faites pas confiance, à votre avis, serai-je enclin à vous accorder la mienne ?

— Dans ce cas, je vous demande simplement de croire en moi. Cette discussion est close. »

Yoongi resserra son étreinte autour de la taille du général alors que Jungkook, furieux, carrait les épaules et se redressait sur sa monture. Le Phénix comprenait son désarroi et sa colère : à présent que la guerre avait commencé, chacun était crispé, et les reproches jadis à peine murmurés donnaient lieu à ce qui ressemblait de plus en plus à des altercations. Or, tous deux obstinés, Jimin comme Jungkook s'avéraient incapables de changer d'avis ou de reconnaître le moindre tort.

La journée se poursuivit, aussi tendue que la matinée. Trop peu de nuages passaient pour cacher le soleil qui déposait sur le désert une lourde chape de plomb. Les troupes tentaient de maintenir leur rythme, si bien qu'ils parvinrent, en fin d'après-midi, devant le canyon Karnagion.

Yoongi en avait maintes fois entendu parler, que ce soit dans d'anciens récits qu'il avait appris, ou bien plus récemment dans le trajet prévu par Jimin et que ses lieutenants n'avaient pas manqué de lui reprocher. Il savait à quel point l'endroit était spectaculaire, on l'avait ainsi vanté à chaque occasion. Jamais pourtant il n'aurait imaginé un tel panorama.

Devant lui le sol s'ouvrait soudain en une pente qui demeurait praticable, même à cheval. Le gouffre offrait une largeur d'une centaine de mètres, voire plus. Pareil à une faille qui menait dans l'antre de la terre, il s'enfonçait sur des dizaines de mètres, provoquant d'emblée un vertige à Yoongi qui déglutit péniblement. Autour d'eux, le désert restait le même, inchangé, et le Phénix comprit pourquoi Karnagion était un choix de route cohérent lorsqu'il repéra, tout au fond, une vaste rivière dont il entendait d'ici le clapotis.

Voilà pourquoi quiconque souhaitait se rendre aux montagnes sawaï passait par ce coupe-gorge. Avancer se révèlerait beaucoup plus facile, d'autant qu'ils bénéficieraient, une bonne partie de la journée, de l'ombre offerte par les parois autour d'eux.

Enfin ils ne souffriraient plus de la chaleur écrasante du désert Scorpion !

« Eh bien, nous y voilà, soupira Jimin. Nous allons descendre et nous installerons notre campement autour de la rivière. Cela vous convient-il comme plan, lieutenant Jeon ?

— Tout à fait, répondit l'appelé avec froideur.

— Parfait ! Alors descendons. »

Yoongi frémit lorsqu'ils s'enfoncèrent dans les profondeurs. Plus leur convoi avançait, plus les escarpements lui semblaient dangereux. Impressionné par leur hauteur, par les contours des rocs que l'érosion avait taillés à la manière d'une chaussée de géants. Des boyaux de roche se découpaient des parois, architecture dont Yoongi admirait la complexité, l'identifiant à de véritables orgues sédimentaires.

Au sol, plus ils descendaient, plus la pierre laissait la place à un sable mêlé de graviers. Parce que le soleil déclinait à l'horizon, ils se retrouvèrent vite à l'ombre. Les températures rafraîchirent, d'autant plus qu'ils approchaient de la rivière et qu'ils s'enlisaient dans les profondeurs. Le Phénix longea le cours d'eau du regard pour découvrir qu'il jaillissait d'un escarpement : il s'agissait d'une des fameuses sources Scorpions qui coulaient sous terre.

« Où la rivière se jette-t-elle ? demanda-t-il à son ami.

— Au bout du canyon, elle plonge sous terre de nouveau.

— Incroyable...

— L'endroit vous plaît-il ?

— Le seul fait d'y découvrir une rivière me le rend tout à fait agréable.

— Je ne m'en étonne même pas, sourit Jimin. Elle s'avère en plus peu profonde, nous pourrons y marcher et y faire marcher les chevaux : du sable en tapisse le lit.

— Quelle joie ! Où allons-nous nous arrêter ?

— Juste au bas de la pente, afin qu'il ne vienne pas à l'idée des Scorpions de nous attaquer cette nuit. Je doute, de toute façon, qu'ils s'avèrent déjà assez nombreux. Comme chez nous autres Arixiens, les Sawaï sont nombreux dans les camps qui sont dédiés aux troupes, sinon quoi ils se déplacent rarement en groupes de plus d'une cinquantaine de personnes. De cette façon, ils peuvent couvrir le désert sans avoir besoin d'une quantité démesurée d'eau et de nourriture.

— Les Scorpions connaissent-ils par cœur les plans d'eau de leur territoire ?

— C'est le minimum pour intégrer l'armée, je pense même qu'on les apprend à tout Scorpion qui se respecte. Sawaï et Akashites, de plus, ont de grands talents dans le domaine de l'orientation : parce qu'ils sont confrontés jour après jour aux mêmes paysages, ils savent mieux que quiconque se repérer à l'aide des étoiles et du soleil. »

Yoongi se demanda dans quelle mesure Ina pouvait se repérer sans carte : elle qui n'avait jamais quitté son village, saurait-elle s'orienter dans ce désert pour rejoindre les montagnes ? À présent qu'ils s'engouffraient dans le canyon néanmoins, la question ne se posait plus : le ravin formait un couloir naturel jusqu'aux Neraï.

Les troupes s'arrêtèrent au bas de la pente. Tout ici était de sable et de roche, ce qui tranchait avec la rivière qui roulait au centre du paysage et où l'on se hâta de faire boire les chevaux. Les premiers soldats commencèrent à ériger leur tente, et Yoongi aida son camarade dans l'espoir qu'ils puissent se délasser au plus vite après cette longue journée.

Par mesure de sécurité, Jimin avait ordonné une surveillance accrue pour la nuit, et il avait conseillé à chacun de se tenir prêt à une éventuelle attaque nocturne. Il n'y croyait pas, mais mieux valait prévenir que guérir.

Une fois leurs quartiers montés et leur dîner avalé, l'aîné décida d'aller se coucher tandis que son cadet partait s'entraîner. Dès lors qu'il lui restait un peu d'énergie, Jimin souhaitait la mettre à profit. Le camp serait protégé de façon importante jusqu'au matin par des équipes habituées à ces veillées et efficaces : ils ne risquaient pas d'assaut, quoi qu'il advienne on le réveillerait à temps. Il pourrait dormir sur ses deux oreilles cette nuit.

Ses exercices achevés, le corps fourbu et l'esprit embrumé par l'épuisement, il regagna la tente où il trouva Yoongi occupé à travailler ses pouvoirs.

« Vous m'influencez, déclara-t-il en guise d'explication quand il remarqua le regard du nouvel arrivant sur lui. Vous savoir en train de vous entraîner à cette heure alors que personne ne vous y oblige, pendant que moi je dors, cela me frustre au plus haut point. Vous me donnez l'impression d'être paresseux.

— Vous l'êtes un peu.

— S'il me restait assez d'énergie, je vous obligerais à vous agenouiller devant moi pour vous excuser.

— Dommage, donc, que vous soyez déjà épuisé, » rétorqua le militaire avec un rictus moqueur.

Yoongi plissa les yeux, attrapa le premier objet qui lui passait sous la main – sa tunique – et le lança sur Jimin. Ce dernier, peu impressionné, voulut lever le bras, or le Phénix, bien qu'affaibli par l'entraînement qu'il venait de s'infliger, possédait encore juste assez de forces pour lui empêcher tout geste l'espace d'une courte seconde. Lorsqu'il put de nouveau bouger, le général reçut en pleine figure le vêtement de son aîné, qui à son tour afficha un sourire sardonique.

« Yoongi, enfin, je sais que vous me désirez, mais il n'est pas nécessaire d'en venir à de telles extrémités pour obtenir mon attention !

— Par Hiemis, vous m'épuisez, Jimin !

— Ce qui explique pourquoi vous me lancez vos habits sales dans l'espoir de me séduire ?

— Taisez-vous, je suis las de vos inepties ! »

Yoongi se rencogna sur son matelas, bras croisés en signe d'exaspération. L'Arixien, que cette attitude amusait plus qu'elle ne l'agaçait, s'assit à ses côtés. Le Phénix éprouva soudain une sensation de manque : plus Jimin s'approchait, plus il songeait à ces baisers passionnés qu'ils avaient pris tant de plaisir à échanger. Plus Jimin s'approchait, plus il rêvait qu'ils partagent à nouveau une telle intimité. Avec lui il avait découvert le désir, et il avait appris à ses dépens qu'il pouvait s'avérer dévorant.

Il se ressaisit néanmoins, détournant le regard quand il s'aperçut que Jimin avait compris le fond de sa pensée et l'observait avec la même intensité.

« Qu'êtes-vous en train d'envisager ? demanda le jeune militaire en s'avançant au bout de son lit, trop près du sien.

— Je n'envisage rien d'autre que de vous ignorer jusqu'à demain matin.

— Vous n'en seriez pas capable. Je pensais juste vous taquiner quand je disais que vous me désiriez, mais... je vois que ma plaisanterie recélait un fond de vérité.

— Cela vous surprend-il ? rétorqua Yoongi, prêt à assumer l'évidence.

— Non, cela me flatte. Vous me l'aviez déjà dit, mais le constater par moi-même est toujours plaisant.

— Toujours ? releva le Phénix. Vous constatez souvent que l'on vous désire ?

— J'imagine que ma position de général me rend plus désirable auprès des miens. »

Yoongi songea que son grade ne devait pas être la seule caractéristique qui lui valait tant de regards empreints de luxure.

« Malheureusement, poursuivit Jimin, ce soir, je suis bien trop fatigué pour vous accorder davantage d'attention, et vous l'êtes tout autant que moi. Nous devons nous reposer.

— Je ne voulais de toute façon pas de quoi que ce soit d'autre, s'agaça Yoongi devant sa prétention. Vous m'horripilez bien trop.

— Vous allez pourtant devoir me supporter, je vous rappelle que nous dormons sous la même tente.

— J'en viendrais presque à aller dormir dehors.

— Il y a des insectes.

— Vous êtes un parasite bien plus contrariant qu'une araignée.

— Dois-je vous rappeler que les araignées, je les chasse pour vous ?

— Et je vous en sais gré. Mais cela ne change pas mon avis à votre sujet, général.

— Je vous ennuie donc à ce point ?

— Ce soir, oui. D'autant que je suis aussi contrarié par ce qui s'est passé ce matin.

— Ce matin ?

— Les réprimandes que Jungkook vous a adressées sont tout à fait justifiées, moi aussi je trouve dangereux de ne pas tenir au moins vos lieutenants au courant de vos plans. La vie de ma sœur et des miens dépend de cette guerre, et j'ai le sentiment que vous cherchez à la remporter seul plutôt qu'avec votre armée, ce qui ne sera pas possible, rendez-vous à l'évidence. »

Le visage du militaire avait perdu sa mine rieuse, il affichait à présent un sérieux grave qui fit craindre à Yoongi une dispute. Il ne souhaitait pas embraser un feu qui s'était déjà éteint, mais cette affaire le préoccupait depuis des heures, et il ne parvenait pas à surmonter ses appréhensions. Le général ne gagnerait pas cette guerre seul, il ne pouvait pas la mener de cette façon. Si ses lieutenants s'inquiétaient, s'ils restaient dans l'ignorance, les soldats le ressentiraient et se tracasseraient à leur tour. Toute l'armée serait déstabilisée.

« Le lieutenant Jeon a mentionné ma commandante, déclara Jimin après quelques secondes d'un silence plus lourd que la chaleur du désert. Vous ai-je déjà parlé d'elle ?

— Peut-être, mais je n'en ai pas le souvenir.

— Ma commandante est ma seconde, mon bras droit. Elle est supérieure aux lieutenants. Voilà des mois qu'elle se remet de graves blessures advenues lors d'une attaque, alors que je venais à peine d'obtenir le grade de général et de la nommer commandante. Elle est ma plus proche amie depuis l'enfance, elle est ma sœur, celle qui me comprend mieux que quiconque.

— Je suis désolé, j'espère qu'elle se remettra vite.

— Lors de l'attaque, nous avons perdu quelques soldats ainsi qu'un des sergents du lieutenant Jeon. L'attaque a eu lieu par surprise, ma commandante m'a sauvé la vie en manquant de perdre la sienne. Et ce que tous ici ignorent encore, c'est que si cette attaque a eu lieu, si l'ennemi, à ce moment-là, avait su où nous trouver, c'était parce que quelqu'un nous avait trahis et l'avait informé de notre plan. Cette personne, je l'ai tuée de mes propres mains avant de prétendre qu'il avait été tué lui aussi pendant l'assaut que nous avons par miracle réussi à repousser. Il s'agissait du sergent dont je vous ai parlé. Le lieutenant Jeon lui vouait une telle confiance qu'il lui avait parlé, comme à ses autres sergents, de l'attaque prévue, et cet homme en avait informé l'ennemi en échange d'une importante somme d'argent. Je l'ai appris au cours de la bataille, et j'ai supprimé ce nuisible sans remords. »

Jimin se mura dans un nouveau silence qui laissa à Yoongi le temps de prendre la mesure de ces révélations. Le jeune militaire avait gardé pour lui seul cette vérité ; comme elle devait lui peser, depuis tout ce temps !

« Voilà pourquoi je garde pour moi autant d'éléments que possible, reprit Jimin après un profond soupir. Une vie qui m'est précieuse a failli être perdue, et ma commandante est encore aujourd'hui en train de se remettre de ses blessures. Je ne permettrai pas qu'on fasse de nouveau souffrir ceux que j'aime, mais j'ai compris que même une personne en qui l'on croit peut nous tourner le dos. Jungkook aurait été dévasté d'apprendre que son ami l'avait trahi, il n'y aurait peut-être même pas cru.

— Alors à votre tour vous craignez que quelqu'un en qui vous avez toute confiance vous tourne le dos, conclut Yoongi.

— Exactement. J'aimerais vouer à mes lieutenants une confiance aveugle, mais je n'y parviens pas. Il est trop dangereux de se fier à quelqu'un de façon si inconsidérée.

— Il est question de vos lieutenants, Jimin, vous les avez nommés à ce poste justement parce que vous croyiez en eux.

— Et Jungkook avait nommé son ami sergent parce qu'il croyait en lui. Vous l'avez dit, nous sommes en guerre, une guerre cruciale pour la stabilité du Continent. C'est pourquoi je garderai pour moi toutes les informations que je ne jugerai pas absolument nécessaire de dévoiler.

— Je vois... me permettez-vous une dernière question ?

— Vous pouvez la poser, mais je ne vous garantis pas d'y répondre.

— Vous avez dit ne pas réussir à vous fier à vos lieutenants... mais à moi ? Oseriez-vous me confier vos plans ?

— Est-ce que vous permettez que je vous réponde par une question ? s'enquit-il – et comme Yoongi acquiesçait, il poursuivit. Si vous étiez capturé et que les Scorpions vous proposaient de relâcher votre sœur et vous uniquement en échange de nos plans, accepteriez-vous de me trahir ? Si les Scorpions vous prouvaient de façon évidente qu'ils vous laisseraient repartir avec Yua, est-ce que vous leur donneriez ces informations ? »

Le Phénix parut réfléchir... puis il baissa les yeux, coupable de douter de sa réaction s'il se trouvait face à un tel choix.

Jimin avait obtenu sa réponse, et même s'il l'avait su dès le départ, elle lui serrait le cœur malgré tout.

~~~

Yua s'était remise de son empoisonnement volontaire en une demi-journée. Elle avait dormi, et le seul fait de retrouver un matelas confortable après des mois passés sur un amas de couvertures l'avait soulagée. Elle mangeait ce qu'on lui apportait, elle se reposait dans l'imposant et pompeux lit à baldaquin, et elle changeait chaque matin de tenue, rejetant malgré tout les robes qui entravaient ses mouvements.

Elle ourdissait sa vengeance depuis, et sa colère ne cessait de croître. Elle refusait de se laisser dominer ainsi plus longtemps. Quitte à ne rien pouvoir tenter, sans cesse surveillée par des gardes, elle avait décidé de passer à l'attaque. Tant pis si elle devait retourner en prison, au moins elle y croupirait aux côtés des siens. Elle n'avait, ces dernières semaines, rien perdu de sa force ni de son endurance. Yua savait qu'à défaut de l'emporter, elle pouvait réussir à fragiliser l'ennemi.

Quand approcha l'heure du dîner, alors qu'elle s'était échauffée et étirée pour être au meilleur de ses capacités, la jeune femme s'était vêtue d'une simple chemise pourpre et d'un baji noir. Son poignard de fortune dans la main, elle s'était placée derrière la porte et attendait avec impatience l'arrivée de son serviteur.

Qu'elle gagne ou non ne l'importait plus, elle ne désirait qu'une chose : exprimer enfin sa colère.

Mincheol frappa comme à l'accoutumée avant d'entrer. Yua réagit avec la vivacité de la foudre : elle s'abattit sur lui dans un cri empli de haine et tenta de lui asséner un premier coup de couteau. Le domestique, néanmoins, perçut à temps l'éclat de miroir qu'il esquiva avec agilité, se protégeant avec le plateau de métal dont il fit tomber tous les mets au sol. Il répliqua par un coup que la prêtresse évita de justesse, tandis qu'elle contrattaquait de nouveau avec son arme. Mincheol bondit en arrière, se défendant à l'aide de son bouclier improvisé.

« Bon sang, Yua, qu'est-ce qui vous prend ! »

Sans répondre, la jeune femme hurla de rage alors qu'elle se jetait de nouveau sur lui, emplie d'une fureur dévastatrice. Il repoussa l'attaque d'un mouvement qui mit son plateau en travers du chemin de la lame, mais Yua comptait bien profiter de cette parade pour tourner la situation à son avantage : avec une souplesse impressionnante, elle leva sa jambe que Mincheol esquiva au dernier moment en se baissant, le regard arrondi par la stupeur.

Lui qui avait cru qu'ils étaient alliés, voilà plusieurs jours qu'elle le défiait, et maintenant elle tentait même de l'assassiner !

« Yua, si vous continuez, je vais devoir prévenir le Prince ! Les gardes se retiennent d'agir uniquement parce qu'ils savent que je vous maîtriserai sans problème ! Mais en dernier recours, ne doutez pas qu'ils vous arrêteront de façon bien moins sympathique que moi ! »

Murée dans son silence, concentrée sur le combat, aucun mot n'échappa à Yua ; son regard en revanche trahissait toutes les émotions qui se battaient en elle à cet instant, toute la haine qui brûlait dans son cœur. Elle tenta derechef une estocade qu'il para, et il répliqua d'un coup de pied avec lequel il espérait la faire reculer. Il échoua néanmoins, car elle évita à temps et en profita pour lui asséner une coupure au mollet, peu profonde mais pas moins douloureuse. Il cilla.

« Par Pyros, expliquez-moi ce que vous avez, enfin ! »

Yua ne perdit pas son souffle pour lui, elle s'élança de tout son corps, poignard pointé sur lui. Mincheol attendit la dernière seconde pour abattre d'un geste fluide son bouclier sur ses phalanges. La prêtresse hurla de douleur à ce coup tandis que son arme lui échappait, volant à travers la pièce jusqu'à se briser en retombant sur le parquet.

Hors de question d'abandonner pour autant : Yua s'interdit de gâcher la moindre seconde, et en dépit de sa main blessée, elle serra les poings, lançant le droit directement dans la mâchoire de son adversaire qui recula de plus belle. Il tenta de la frapper avec son plateau, mais esquivant avec grâce, elle parvint à lui attraper les poignets et, d'un mouvement sec du genou, elle lui fit lâcher sa prise. D'un coup de pied, elle envoya l'objet à l'autre bout de la pièce, parmi les débris de verre laissés par sa propre arme.

À présent, les voilà à égalité.

Mincheol décida de la devancer cette fois : il frappa du pied, puis il enchaîna avec un uppercut, tous deux évités par Yua dont les réflexes impressionnèrent le jeune homme, qui cependant n'en fut pas déstabilisé. Il essaya de lui saisir le bras, ce à quoi elle répondit d'un coup de poing magistral qui l'atteignit à la pommette. Mincheol chancela, il se reprit à temps pour parer un coup de pied circulaire qu'elle avait tenté de lui asséner au visage. Il serra les dents quand son tibia lui heurta l'avant-bras, mais il parvint à la repousser.

Yua voulut lancer une autre attaque quand, jouant le tout pour le tout, son ennemi se jeta sur elle. Il essuya un nouveau coup, qui sans aucun doute lui laisserait une trace lui aussi, mais n'en démordit pas. Il attrapa les poignets de la brute qu'il tordit sans pitié. La prêtresse hurla de douleur.

Elle comprit qu'elle avait échoué.

Elle résista avec férocité, se débattit avec une hargne que Mincheol n'avait encore jamais connue et qu'il admira – il fallait le reconnaître, cette femme était une véritable lionne. La savoir si farouche la lui rendait même plus désirable, il se figurait déjà dominer cette prédatrice intransigeante, et comme cela lui plut ! Comme il aimerait la faire sienne !

Mincheol parvint à obliger Yua à se tenir dos à lui. Il lui serrait le cou d'une main, et de l'autre il lui maintenait les poignets derrière elle. Elle tenta de se dégager d'une façon qu'il n'avait pas envisagée : elle jeta la tête en arrière : son crâne heurta le nez du domestique qui se crispa sous l'effet de la souffrance. La Phénix s'apprêtait à recommencer quand, dans un mouvement vif et précis, Mincheol se pencha, ne la relâchant qu'une d'une main pour lever le bas de son pantalon et tirer d'un fourreau discret une dague qu'il plaça sous la gorge de la furie.

Yua s'immobilisa, les mains toujours coincées derrière elle. Un silence tendu s'abattit sur la pièce. Le torse plaqué contre son dos, Mincheol sentait le cœur de la prisonnière s'agiter sous l'effet de l'effort qu'elle venait de fournir aussi bien que de la soudaine montée d'adrénaline que son geste lui infligeait.

La prêtresse garda le menton haut, ne baissant qu'un instant les yeux sur l'arme. Une lame d'or damasquinée de cuivre rouge qui formait un motif de scorpion.

« Je ne voulais pas en arriver là, Yua, vous ne m'avez pas laissé le choix. Qu'espériez-vous ? Pensiez-vous sérieusement réussir à vous enfuir ?

— Non, bien sûr que non, grinça-t-elle, je n'avais pas cette prétention. J'étais juste lasse de votre petit jeu, et j'espérais que vous vous révèleriez... Prince. »




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Elle savait (et elle est dans la merde) ! *-*

J'adore cette fille.

J'y pense, mais encore merci à tous ceux qui suivent cette histoire : je sais que les chapitres sont super longs, il y en a pour qui c'est pas très engageant, ce que je peux totalement comprendre. Alors ça me touche qu'il y ait quand même des gens pour plonger chaque semaine dans cet univers. Je continuerai de faire de mon mieux pour que cette histoire vous plaise. ♥♥♥

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