Chapitre 43

Nouvelle chanson disponible au chapitre 30 ! « Échouer » est un morceau dans lequel Hoseok exprime ses doutes et ses peurs les plus profonds à travers sa tragique histoire. J'en suis plutôt contente, elle sonne carrément bien je trouve (c'est épique et puissant comme j'aime !). ^^

Les sous-titres sont disponibles pour la vidéo, au cas où le son soit pas dingue (mais en toute honnêteté, ça va, on comprend bien ce que dit l'IA).

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« L'avantage de parler à un mur plutôt qu'à un politicien, c'est que le mur, au moins, ne vous coupera pas la parole. »

– Kim Namjoon, conclusion au discours du 12 septembre 1237 devant l'Assemblée.


Namjoon poussa un soupir, à deux doigts de perdre la raison : voilà bientôt une demi-heure que la séance à l'Assemblée avait été ouverte ce matin-là, et bientôt une demi-heure que les députés présents péroraient tous à la fois alors même que Na Dongho débitait une logorrhée indigeste, debout au centre de la salle.

Un véritable panier de crabes...

« C'est pourquoi, Kim Namjoon, termina l'homme en pointant sur lui un doigt accusateur, je réclame votre éviction de ce conseil ! Vous avez conspiré avec le général Park pour mener une guerre dont nous ne voulions pas contre Sawa, et vous y avez envoyé un nombre d'hommes si insuffisant que notre défaite ne fait aucun doute ! »

Namjoon poussa un profond soupir, las de ces inepties. Il s'apprêtait à se lever pour prendre à son tour la parole quand la porte de la grande salle s'ouvrit. Chacun retint son souffle, horrifié par cet acte sacrilège – quiconque entrait dans cette pièce au cours d'une séance finissait condamné au mieux à une lourde amende, au pire à une peine de prison.

Un silence de mort tomba quand les deux empereurs apparurent. Jamais encore on ne les avait vus arriver après le début de l'audience, de sorte que toute l'Assemblée demeura coite. Na Dongho lui-même quitta la tribune.

Les deux souverains s'avancèrent d'un même pas majestueux pour l'y remplacer. Hwang, celui que Jimin avait bien connu puisqu'il avait été son général jadis, prit la parole une fois face à la foule.

« Mesdames et messieurs bonjour. Nous avons appris la nouvelle en même temps que vous ce matin et avons jugé bon de participer à cette séance afin d'examiner avec vous les choix qui s'offrent à Arixium à présent.

— Comme vous le savez désormais, poursuivit son homologue – l'empereur Seo –, le général Park Jimin est en train d'avancer sur les terres sawaï sans avoir réclamé aucune autorisation. Nous pensons qu'il s'apprête à atteindre le canyon Karnagion avec ses subordonnés, les lieutenants Jeon et Kang. La troupe tyfodonienne qui lui a été accordée étant déjà partie, elle n'a pas encore été rappelée, mais nous avons toujours le pouvoir de l'empêcher de rejoindre son objectif, ou au contraire de l'inciter à continuer sa route pour rejoindre le général et lui apporter son soutien.

— Cette troupe, intervint Na Dongho, a été réclamée il y a quelques semaines à peine par Kim Namjoon. Il savait ce que le général Park préparait, peut-être même lui a-t-il affirmé son soutien en dépit de la loi. Je pense qu'il mérite une punition pour son audace ! »

Ses camarades applaudirent son exhortation. Les empereurs tournèrent leur regard vers Namjoon, qui se tenait droit sur son siège en dépit de sa blessure à peine cicatrisée. Il souffrait de tendre ainsi son corps, mais il refusait de paraître faible devant les dirigeants d'Arixium.

« Nous avons nous aussi compris le lien entre les demandes répétées du député Kim et le brutal départ du général Park pour Sawa, approuva Hwang. Il nous semble tout aussi évident qu'à vous que Kim Namjoon était au courant des projets de son ami et qu'il les soutenait. »

Une importante clameur s'élevait dans la salle alors que le courage de Namjoon se teintait peu à peu d'une crainte viscérale, celle d'avoir tout risqué et d'avoir perdu, démasqué par la plus haute instance du pays.

« Or, reprit l'homme, nous avons remarqué autre chose qui nous a beaucoup dérangés. Na Dongho, je vous prie.

— Oui ? se manifesta-t-il en se levant.

— Nous avons interrogé le secrétaire chargé de nous transmettre les demandes relatives à l'armée, et nous avons appris que toutes les réclamations de troupes supplémentaires déposées par le général Park ces sept derniers mois ont été refusées sans nous avoir été transférées. L'Assemblée peut certes décider, mais elle a le devoir de rendre compte de chaque demande aux empereurs, asséna-t-il avec froideur. Vous avez insisté auprès du secrétaire pour qu'il dissimule toutes les demandes, qu'elles aient été formulées par le général Park ou bien par Kim Namjoon en son nom.

« Toutefois, nous avons réussi à les obtenir, et nous avons appris que depuis sept mois à présent, le général sollicite du soutien à la frontière sawaï. Il liste dans chaque formulaire les attaques, les tensions, les provocations de nos voisins. À la lumière de ces éléments, il apparaît de façon évidente que vous avez cherché à déstabiliser le général Park et ses troupes, que vous les avez volontairement mis en danger, et qu'aujourd'hui encore vous tentez de nous tromper.

— Je n'oserais pas ! clama l'accusé sans perdre ses moyens. Les demandes ont toutes été lues, et aucun danger imminent n'y était mentionné, rien qui ne nécessitait l'envoi de troupes supplémentaires !

— Douze attaques sawaï en sept mois ne vous semblent pas encore mériter d'attention ?

— Bien sûr que si, mais il ne s'agit que de petites rixes sans importance. Nous avons accepté, trois mois plus tôt, de renflouer les effectifs du général afin de remonter son nombre d'hommes à cinq cents. Cela nous semblait suffisant. »

Namjoon remarqua que son rival tremblait, les poings serrés et le visage rougi par ce dont il ne savait s'il s'agissait de colère ou d'indignation.

« Votre bêtise a tué bien plus d'hommes que le général Park n'en verra mourir au cours de sa campagne, affirma l'empereur. Votre mauvaise foi et votre médiocrité font honte à notre beau pays. Vous ne méritez pas votre place au sein de l'Assemblée, dont vous pervertissez la magnanimité. Vous avez contourné la loi dans l'espoir de briser la réputation du général Park, un homme à la cheville duquel vous n'arrivez pas. Ce faisant, vous avez mis votre pays en danger à plusieurs reprises.

— Nous avons donc requis l'avis de notre conseil personnel avant de vous rejoindre, affirma l'empereur Seo. Nous avons trouvé un accord qui nous paraît juste. »

La salle, muette de stupeur sous l'effet des accusations des deux dirigeants, écouta avec attention, suspendue aux lèvres de l'homme au hanbok céruléen brodé d'or.

« Il sera demandé à la troupe tyfodonienne de poursuivre son chemin pour rejoindre le général Park et combattre à ses côtés. Nous avons, au moment où cette séance débutait, envoyé une estafette transmettre à Hurna une déclaration de guerre officielle d'Arixium contre Sawa. Une autre est en chemin pour demander de l'aide à nos alliés akashites, à Vanori. Il est trop tard pour préparer et envoyer de nouvelles troupes sur les traces du général Park, mais nous en enverrons à la frontière, afin de la sécuriser et de prévenir toute attaque sawaï.

— Le général Park est un homme en qui nous pouvons avoir confiance, conclut son ancien chef. Il a survécu sept mois durant alors que, parce que nous ignorions tout de la situation à la frontière, nous l'avons privé de troupes supplémentaires et l'avons envoyé aider le camp n° 5. Il s'est montré digne de la confiance que nous avions placée en lui lorsqu'il fut promu général. S'il a décidé de déclarer la guerre au Prince, je ne doute pas d'une part de la pertinence de son choix, et d'autre part de sa capacité à l'emporter. S'il a décidé d'attaquer, il savait qu'il pouvait vaincre. Enfin, député Na, il va de soi que vos actes vous rapportent une accusation de haute trahison. Par conséquent, vous n'êtes plus le bienvenu dans cette pièce. Messieurs, occupez-vous de lui. »

Les deux soldats admis à chaque séance afin de faire régner l'ordre en cas d'altercation violente acquiescèrent et se dirigèrent vers le prévenu, qui se récria qu'il était innocent. Namjoon, resté passif, déboussolé par la surprise autant que par le soulagement, cligna à plusieurs reprises des paupières avant de se rendre compte de ce qui venait de se passer.

Na Dongho, son plus farouche adversaire, celui qui menait une véritable fronde contre la jeunesse ambitieuse qu'incarnaient Jimin et Namjoon, avait été arrêté. Le voilà qui quittait la pièce en se répandant en invectives contre celui qu'il accusait d'avoir causé sa perte. Namjoon y demeura insensible, encore ébranlé par l'enchaînement d'évènements auquel il venait d'assister. Il observait, ébahi, les deux empereurs s'approcher de lui alors que l'Assemblée dardait sur sa personne des regards méfiants.

« Député Kim, nous souhaitons nous entretenir avec vous à propos de ce qui s'est produit ces derniers temps. Seriez-vous libre demain matin ? Nous passerons chez vous pour vous éviter un nouveau déplacement... malheureux.

— O-Oui, bredouilla-t-il, mais... de quoi exactement voudriez-vous que l'on discute ? Dois-je préparer quoi que ce soit ? Espérez-vous des documents ?

— Non, nous ne souhaitons qu'entendre votre version des faits. Nous possédons bon nombre de documents, mais avant d'en tirer davantage de conclusions, nous voudrions votre récit.

— Qu'il en soit ainsi, je vous attendrai demain matin.

— Merci beaucoup pour votre complaisance. Bonne journée, député Kim. »

Le jeune homme inclina la tête avec déférence, et les deux empereurs s'installèrent sur les sièges qui leur étaient dédiés afin d'assister à la séance. Sans comprendre tout à fait ce que signifiait pour lui cette approbation, cette confiance qui lui était accordée, Namjoon tenta de recentrer son attention sur le débat qui animait les députés ce matin-là.

Quand tous sortirent alors qu'approchait l'heure du déjeuner, Namjoon rentra chez lui, songeur. Devant sa porte stationnait désormais en permanence un garde qu'il salua. Il payait deux soldats, l'un le jour, l'autre la nuit, afin non seulement de s'assurer que l'on ne chercherait plus à lui causer le moindre tort, mais aussi de rasséréner Seokjin, qui s'était rongé les sangs jusqu'à ce qu'il suggère cette idée.

Le seul fait de penser à son cher esclave remua tout l'être de Namjoon qui en oublia presque aussitôt ses soucis. Seokjin se remettait peu à peu de sa blessure. Avant de partir ce matin-là à l'Assemblée, il avait salué le Tyfodonien qui lui avait semblé un peu moins secoué par ce qui s'était produit. Seokjin en effet lui avait souri et lui avait proposé de préparer le repas. Il avait affirmé se sentir en meilleure forme et désirer bouger de sorte à occuper son temps.

Namjoon avait compris qu'il souhaitait penser à autre chose qu'à son interrogatoire et que les livres le lassaient ; il avait cédé, ce qui avait ravi l'esclave.

Ainsi, ce midi-là, lorsqu'il rentra chez lui, ce fut pour humer une odeur exquise qui émanait de la cuisine. Il y déjeuna dans le calme avec son ami, qui lui raconta sa matinée avant de lui demander comment la sienne s'était passée à l'Assemblée : on avait appris quelques heures plus tôt que le général Park avait franchi la frontière sawaï pour attaquer, et le Tyfodonien s'inquiétait de la réaction des ennemis de Namjoon à cette révélation.

« Je te raconterai une fois que nous aurons rangé la cuisine. »

Seokjin opina ; au moins son cadet ne semblait pas se sentir en mauvaise posture, au contraire il le trouvait plus détendu qu'à l'accoutumée, et bien plus encore que quand il était parti ce matin au travail. Ainsi, désireux d'en savoir davantage au plus vite, le serviteur se pressa de tout nettoyer, aidé par Namjoon.

Une fois les tâches achevées, ils se rendirent dans la chambre du maître qui souhaitait s'asseoir. Il s'installa sur le bord de son lit, imité par son aîné qu'il incita à se placer près de lui. Puis il lui raconta cette séance invraisemblable. Il lui rapporta chaque parole, chaque expression, chaque silence sidéré.

Namjoon enfin évoqua cette entrevue qu'il avait programmée le lendemain matin avec les empereurs afin de discuter de ce qui s'était passé.

« Alors vous pourrez enfin expliquer aux empereurs tout ce qui s'est tramé, n'est-ce pas ? devina Seokjin. Et dire que tout cela s'est passé dans leur dos ! Je n'en reviens pas que cet infâme Na Dongho ait réussi à leur dissimuler si longtemps des documents de cette importance !

— Il a été arrêté.

— Comment ?

— Je te réservais le meilleur pour la fin, sourit Namjoon. Na Dongho a été arrêté pour trahison. Il ne pourra plus m'atteindre.

— Oh bon sang, Namjoon, c'est merveilleux ! »

Porté par un inénarrable bonheur, le cœur soudain en apesanteur alors qu'il se sentait plongé dans une euphorie semblable à un saut dans un bassin d'eau chaude, il ne réfléchit pas une seconde à ses gestes : il se jeta au cou de son ami, l'enlaçant avec une ferveur exaltée.

Son enthousiasme retomba dès lors qu'il s'aperçut de son affront, de son insolence éhontée. Il recula d'un bond, quittant le matelas, et toisa d'un regard effrayé son maître qui se redressa à son tour, comprenant ce qui se jouait en lui. Les esclaves apprenaient très tôt à respecter ceux qui les possédaient, ce qui signifiait qu'ils ne devaient jamais les insulter ni poser la main sur eux pour quelque raison que ce soit. Aux yeux de certains, même, être touché par un misérable serviteur s'avérait bien pire que tout le reste. Ils étaient assimilés à des parasites, tout contact entraînait un profond écœurement.

« Par Pyros, je... je suis désolé, monsieur, je me suis emporté, pardonnez-moi ! »

Jamais Seokjin n'avait osé effleurer son maître, jamais il ne se serait permis pareille offense. Les rares contacts physiques qu'ils avaient connus, Namjoon les avait toujours initiés.

Le Tyfodonien se comporta donc comme il était attendu d'un homme de sa condition. On lui avait appris à demander pardon de la manière la plus appropriée pour un esclave : tremblant de peur et de honte, il s'agenouilla, posa les mains à plat sur le sol, puis le front sur le parquet, en guise de preuve de sa plus parfaite soumission.

Namjoon, fatigué et sous le coup de ce geste inespéré venant de son ami, avait esquissé un pas en arrière sans savoir quoi répondre. Jamais il n'aurait envisagé que Seokjin puisse réagir de façon si violente après l'avoir simplement enlacé ! Bon sang, comment pouvait-il encore penser que Namjoon souhaitait une telle attitude ! Cette obédience abusive le dégoûtait bien plus qu'un contact avec son beau domestique !

Distrait, ces derniers temps il avait remarqué qu'un rien le désarçonnait et qu'il se laissait submerger par ses émotions plutôt que d'agir avec son habituel détachement mêlé de raison. La fatigue du surmenage qu'il s'imposait, peut-être.

« Seokjin... relève-toi, s'il te plaît. »

Son ton monocorde effraya l'esclave, qui estimait avoir franchi la limite. Namjoon l'avait toujours encouragé à plus de proximité, mais engager une étreinte sans sa permission... un autre maître l'aurait fait fouetter pour un tel camouflet. Il se releva alors que son regard restait fixé sur le parquet. Le corps tendu au point que ses muscles en souffraient autant que sa récente cicatrice, Seokjin s'apprêtait à accepter le châtiment qui lui serait imposé ; connaissant Namjoon, il lui rappellerait sans brutalité leur relation en lui demandant d'éviter les débordements de sentiments.

Seokjin en serait pourtant plus blessé que par des coups de fouet. Il peinait de plus en plus à admettre que jamais Namjoon et lui ne...

La respiration du serviteur se coupa quand, d'un pas, Namjoon fut contre lui, passant les bras autour de sa nuque pour l'enserrer avec une tendresse qui l'émut. D'abord immobile sous l'effet de la surprise, Seokjin se ressaisit bien vite et, hésitant, il enlaça la taille de son cadet. Ses gestes furent maladroits, timides, mais il en émanait une telle affection que Namjoon se sentit plus amoureux que jamais du doux jeune homme.

Il posa le front contre l'épaule de son meilleur ami qui, sans plus se soucier de leur différence sociale, glissa une main dans sa chevelure pour la lui caresser. Namjoon se délectait de cette émouvante chaleur contre son corps. Plus le temps passait, plus il était physiquement attiré par celui qu'il aimait. Plus le temps passait, plus il rêvait du contact de sa peau contre la sienne. Coupable de pensées licencieuses, il se rendait compte que malgré ses désirs, une banale étreinte comblait déjà tout son être qui se réchauffait sous l'effet de ce bonheur simple. Tout ce dont il avait besoin, c'était de sentir son cœur battre près du sien.

Paupières closes, les deux jeunes gens profitèrent un long moment de cette connexion de leur âme, et quand ils s'écartèrent, ce fut pour échanger un sourire embarrassé. Namjoon se racla la gorge et changea de sujet : « Enfin, voilà donc ce dont nous avons discuté ce matin. J'aimerais pouvoir en faire plus pour le général Park, mais je doute y parvenir, même avec le soutien des empereurs : il est trop tard. Si nous envoyions une troupe maintenant, il lui faudrait une semaine pour arriver près du canyon Karnagion, où le général doit à présent se trouver. Il ne peut pas attendre si longtemps en terres ennemies, et une troupe seule se ferait massacrer à Sawa si elle ne ralliait pas assez vite celles du général. Nous sommes coincés.

— Ne pouvez-vous pas envoyer les troupes des autres campements situés à la frontière ?

— Cela a été envisagé, mais ils ne sont pas assez nombreux, et nous devons à tout prix renforcer la frontière maintenant que nous sommes en guerre. Le général Park n'a plus le choix, il doit continuer avec les troupes dont il dispose.

— Quand pensez-vous que les Tyfodoniens le rejoindront ?

— Sûrement dans quelques jours. Je n'ai pas reçu de nouvelles de Jimin depuis un moment, et je ne suis pas au courant de l'avancée de la troupe de soutien, je n'ai plus reçu de nouvelles du général depuis ce message qui a conduit son lieutenant et Taehyung à nous porter secours.

— Étrange, ne devait-il pas rester en contact avec vous ?

— En principe, si. J'espère qu'il faut y voir un bon signe... Quoi qu'il en soit, nous devons gagner : si nous perdons, l'Assemblée tentera de me tenir pour responsable de l'échec de la campagne. Je suis convaincu que le député Na tentera encore, depuis sa cellule, de nous atteindre : il n'abandonnera pas si facilement, il est beaucoup trop entêté pour cela.

— Pensez-vous qu'il tentera de fomenter un nouveau complot contre le général Park ou vous-même ?

— Je pense que oui.

— Par Pyros, non... »

Horrifié, il tressaillit alors qu'il reculait d'un pas. Namjoon lut dans son regard toute son appréhension, toute la douleur qui l'avait assailli lorsqu'il avait appris que son ami se trouvait entre la vie et la mort après une tentative de meurtre. Namjoon, en vérité, y lut plus la crainte de la perte que la peur d'être de nouveau accusé et torturé, et cette réaction le toucha.

« Nous avons un garde à présent pour surveiller la maison, tu n'as rien à craindre, affirma-t-il.

— Mais si c'est à vous qu'ils souhaitent s'en prendre, il suffira que vous sortiez pour devenir une cible facile :

— À partir de maintenant je sortirai armé, je te le promets. Tu n'as pas à t'inquiéter.

— Pourquoi ne pas demander au soldat qui surveille la demeure de vous escorter quand vous la quittez ? Ne serait-ce pas plus prudent ?

— En théorie, oui, soupira Namjoon. Toutefois, je crains que mes adversaires n'y voient une preuve de faiblesse, et connaissant les plus radicaux, ils en profiteront pour prétendre que puisque je suis accompagné par un garde, cela signifie que je dois penser avoir tort.

— Cela n'a aucun sens !

— Penses-tu que cela arrêtera mes ennemis ? Ils préfèrent proférer des accusations insensées plutôt que de se taire. C'est là toute la preuve de leur bêtise. Enfin, et je pense que c'est là ma meilleure raison de laisser la sentinelle à l'entrée de la maison... Seokjin, je ne veux surtout pas qu'en espérant m'atteindre, quelqu'un s'en prenne à toi. Tu as déjà tant souffert, je refuse que cela continue ainsi. Tu ne mérites rien de tout ce que tu as enduré, et ton soutien ainsi que l'aide que tu m'apportes pourraient donner à mes adversaires l'idée de t'attaquer.

— Namjoon...

— En plus de quoi... ma mère m'a dit qu'un simple regard trahissait le fond de mon cœur, et je ne doute pas que cela ait été le cas lorsque nous nous sommes montrés tous les deux lors de ce réquisitoire contre la torture.

— Que voulez-vous dire, je ne vous suis pas... »

Namjoon, à cet aveu implicite qu'il avait formulé, avait senti son cœur s'emballer et ses pommettes s'empourprer. Seokjin, l'air soudain plus fragile que jamais, attendait sa réponse avec une appréhension qui se lisait sur les traits de son visage. Il devait l'entendre, l'entendre sans allusions, l'entendre de façon honnête, comme l'avaient toujours été leurs sentiments l'un pour l'autre.

Le cadet, donc, réduisit l'écart qui les séparait. Posté devant lui, il hésita à lui prendre la main, à établir un contact physique ; il se contenta de plonger son regard dans le sien en lui adressant un sourire d'une douceur renversante.

« Cette vie est difficile pour nous deux, admit-il. Je ne suis pas très doué pour les relations amicales avec les autres membres de l'Assemblée, je défends ceux sur qui crachent les puissants, et je me bats pour la justice quand la corruption règne parmi les hautes sphères. Je rentre souvent contrarié, toujours enseveli sous une montagne de travail, en plus de quoi les dangers que je cours sont désormais susceptibles de t'affecter aussi.

« Cette vie est difficile, mais elle me plaît telle qu'elle est. Lorsque l'on me témoigne de la reconnaissance, lorsque l'on me raconte à quel point la vie que j'ai défendue s'est améliorée après un procès, lorsque je constate que les lois que j'ai réussi à faire passer font progresser notre nation, je suis heureux. Pourtant, la raison qui, plus que tout autre, me pousse à affirmer que j'aime ma vie telle qu'elle est, c'est toi, Seokjin. »

Stressé par cette déclaration, le jeune homme prit les mains de son esclave entre les siennes – et ciel, qu'elles lui semblaient délicates, comme il aimerait qu'elles courent sur son corps, comme il aimerait juste les tenir ainsi jusqu'à la fin de ses jours !

« On s'est rencontrés quand j'entrais à peine dans l'adolescence. Tu étais alors si renfermé, si silencieux, si discret, si différent. Par Pyros, je t'ai apprécié à l'instant où je t'ai vu, parce que j'ai senti en toi une intelligence au moins aussi grande que ton cœur, et je ne me suis pas trompé : j'ai beaucoup appris à tes côtés, et j'ai aimé t'apprendre le peu que tu ignorais encore. En toi j'ai découvert un indéfectible soutien, et plus encore un précieux ami. Mes premiers procès, je les ai travaillés avec toi, et c'est toi qui as ensuite rédigé chacun de mes discours afin de me rendre plus populaire. C'est grâce à toi que j'ai acquis auprès du public une telle renommée, grâce à toi que j'ai été élu à l'Assemblée dont je suis encore aujourd'hui le plus jeune membre. Mes victoires sont les nôtres, tu m'as toujours placé dans la lumière en me regardant depuis l'ombre, mais le fait est que jamais l'on ne m'aurait accordé une telle attention sans tes interventions.

« Seokjin, tu es l'homme le plus généreux, le plus attentionné, le plus honorable et le plus admirable que j'aie jamais connu. Tu es mon plus précieux trésor, celui que j'ai voulu protéger et garder au point de l'en faire souffrir. Je suis désolé de ne pas t'avoir affranchi comme je te l'avais promis, je ne parvenais simplement pas à accepter que tu risques ensuite de t'en aller pour ne jamais revenir. Mes parents l'ont vite remarqué, et j'ai peur qu'en voyant les regards que j'ai posés sur toi l'autre jour devant l'Assemblée, mes adversaires l'aient eux aussi compris : Seokjin, voilà des années maintenant que je suis passionnément, éperdument, désespérément, amoureux de toi. »

Toute la pression qu'il avait accumulée au fur et à mesure de sa déclaration se dissipa aussitôt qu'il eut avoué ce qui lui pesait depuis si longtemps sur le cœur. Peu importait ce que répondrait Seokjin : au moins, à présent, il n'ignorait plus ce que son maître éprouvait pour lui. Libéré de cette cage qu'il s'était lui-même imposée, Namjoon poussa un soupir tandis que ses épaules s'affaissaient. Tout son être bouillonnait d'une anxiété mêlée d'impatience alors que son aîné, le regard agrandi par la stupeur, demeurait immobile, ses mains toujours prisonnières des siennes.

« Je t'en supplie, dis quelque chose, n'importe quoi, souffla Namjoon qui sentait peu à peu l'angoisse revenir. Puis-je espérer que mes sentiments soient réciproques ?

— N-Namjoon, vous... e-enfin... Bien sûr qu'ils le sont ! Bien sûr qu'ils l'ont toujours été ! » clama le Tyfodonien alors que ses yeux fuyaient ceux de Namjoon.

Il voulut s'enfuir, honteux de cet aveu subversif. Par Pyros, il aurait pu être puni de mort auprès d'un autre maître pour de tels sentiments ! Or, son ami le retint, resserrant ses mains autour des siennes. Le cœur de Seokjin lui sembla bondir au creux de sa poitrine, son estomac se tordit de façon douloureuse, ses jambes se mirent à flageoler alors que son visage exsangue témoignait de son malaise.

Il avait avoué à Namjoon l'amour qu'il lui vouait, après que ce dernier lui avait lui-même confessé son affection. Il n'en revenait pas – peut-être rêvait-il, peut-être délirait-il !

« Tu es blanc comme un linge, affirma Namjoon en l'attirant à lui, assieds-toi. »

Seokjin, comme dressé pour obéir, agit sans même s'en rendre compte. Il s'exécuta aussitôt l'ordre donné, et Namjoon s'installa auprès de lui ; il ne lui avait pas lâché les mains, au contraire il en caressait le dos à l'aide de ses pouces, prodiguant à son serviteur des gestes d'une douceur qu'il n'avait jamais osé espérer auparavant.

« Seokjin... est-ce que tu pourrais me dire ce que tu ressens pour moi ? Je désire plus que tout te l'entendre dire, j'en ai besoin, je t'en prie. »

Le Tyfodonien déglutit. Le regard toujours fixé devant lui, il prit la parole.

« Depuis toujours, je...

— Non, regarde-moi en face. »

Namjoon s'était tourné, il attendait de son aîné qu'il en fasse de même. Comme à son habitude, Seokjin ne broncha pas. Son buste pivota, puis il s'accorda une profonde inspiration. Ce qu'il s'apprêtait à révéler... cela bafouait toutes les normes sociales, toutes les règles établies – toutes sauf celles du cœur.

Ému à cette idée, à l'idée qu'il obéissait enfin à ses sentiments, Seokjin prit à deux mains son courage et les mains de son cadet, dans les yeux de qui il planta les siens pour reconnaître, d'une voix tremblante : « Depuis toujours et de tout mon cœur, je vous... je t'aime, Namjoon. »

Cet aveu ainsi que le tutoiement manquèrent de faire hurler de joie le jeune député, qui sans plus s'en retenir enlaça le cou de son ami alors que son plus beau sourire fleurissait sur ses lèvres, dévoilant ses deux magnifiques fossettes – oh comme Seokjin les trouvait précieuses, comme il adorait quand elles se montraient !

Son étreinte lui fut rendue ; Namjoon huma l'odeur ténue qui émanait de son bien-aimé, et l'encens lui paraissait si fade en comparaison, sa fragrance si insipide ! Quand il s'écarta de lui, ce ne fut que de quelques centimètres, gardant le visage tout proche du sien alors que, un bras autour de sa nuque, une main sur sa joue, son regard accroché au sien, il murmura : « Seokjin... m'autorises-tu à t'embrasser ?

— Avec le plus grand plaisir. Embrasse-moi, s'il te plaît. »

Arixium n'était pas connu pour ses débordements de liesse, au contraire de Sawa qui organisait, pour célébrer certains évènements annuels, des feux d'artifice. Namjoon avait assisté une fois à ce spectacle, au cours d'une année d'études à Hurna. Si à présent il lui fallait décrire ce qu'il approuvait, ses lèvres délicatement appuyées sur celles de Seokjin, il comparerait ce baiser chaste à cette explosion de couleurs, ce boucan fracassant, ce goût d'une vie intense qui atteignait son paroxysme.

Il aimait Seokjin de toute son âme, tout en lui appartenait au beau Tyfodonien. Il donnerait tout pour jouir de sa présence jusqu'à la fin de ses jours et jusque dans l'au-delà, quand leurs deux corps seraient envoyés à Pyros et Hiemis.

Namjoon glissa sa main depuis la joue jusqu'à l'arrière du crâne de son amant, qui pour sa part s'accrochait comme un damné à sa taille. Seokjin en effet serrait son hanbok entre ses poings, il goûtait avec curiosité et envie aux lèvres de son cadet, tentant d'en imprimer le souvenir dans sa mémoire. Il ne voulait jamais oublier ce premier baiser, et une part de lui continuait de croire que les évènements allaient basculer, que Namjoon le rejetterait aussitôt l'instant achevé, et qu'il demanderait qu'ils agissent comme s'il ne s'était rien passé.

Une part de lui refusait d'admettre qu'il puisse connaître un si pur bonheur, une part de lui était convaincue qu'il ne méritait pas l'honneur de recevoir l'amour de son propriétaire, cet homme si respectable, si admirable, quand lui n'était qu'un esclave.

Leur relation tenait de la folie.

Les mains, trop timides pour se faire baladeuses, n'osèrent que de légers effleurements. Ils se découvrirent l'un l'autre, s'embrassèrent de manière surfacique jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ce que cet océan tempétueux d'euphorie se soit apaisé. De longues minutes durant, ils accumulèrent les petits baisers, mordillèrent les lèvres de l'autre, ou bien s'enhardirent au point de glisser le bout de la langue sur le pourtour de la bouche dont ils se délectaient de mille façons.

Jamais Seokjin n'avait connu tant de frissons, jamais son corps ne s'était tant réchauffé. Un brasier prodigieux que chaque contact alimentait rugissait au creux de sa poitrine.

Quand ils trouvèrent la force de s'écarter, ils ne se séparèrent pas pour autant : Namjoon reprit les mains de Seokjin dans les siennes, et ils ne se quittèrent plus du regard. Tous deux affichaient des pommettes rougies par le plaisir, leurs yeux pétillaient de félicité.

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