Chapitre 40

« Je jure que je prendrai soin de mon peuple, que je protègerai le moindre habitant de ces terres bénies de Pyros, et que le feu qui brûle dans mon cœur ranimera la grandeur passée de notre nation. »

– Mincheol de Sawa, allocution à l'occasion de sa prise de pouvoir.


Yoongi frémit à ce nom sans en comprendre tout à fait la raison. Peut-être la manière dont il sonnait, peut-être une simple intuition, ou peut-être, de façon plus vraisemblable, le fait qu'il mettait enfin un prénom sur cette mystérieuse entité qui tirait les ficelles d'un plan machiavélique.

Jimin parut réfléchir, puis il reprit : « En vérité, au sujet de la jeunesse du Prince, on en sait très peu : c'est un homme réservé, à l'image de sa mère. La Princesse sortait peu du palais, elle n'aimait pas les apparitions publiques, et à son sujet on en sait encore moins. Je n'ai jamais eu la chance de voir ni l'un ni l'autre, mais on raconte que la Princesse possédait une longue chevelure aussi noire que l'onyx, des traits d'une beauté incomparable qu'elle légua à son fils, et une grande bonté. Ses sujets la trouvaient magnifique, et parmi toutes les théories sur sa discrétion, deux sont plus populaires que les autres : l'une affirme que le père de Mincheol, l'ancien Prince, jaloux, gardait sa femme au château pour lui éviter de croiser un autre homme, et l'autre prétend que la Princesse aurait été atteinte d'une grave maladie qui l'obligeait à garder le lit.

— Ne sut-on jamais la vérité ?

— Non, même les domestiques qui s'occupaient d'elle refusent de parler. Quoi qu'il en soit, si son fils a hérité de sa beauté et de sa discrétion, il n'a en revanche pas osé lui emprunter un peu de bonté : cloîtré toute la journée dans son palais, il passe son temps à prendre des décisions absurdes qui plongent un peu plus chaque jour son peuple dans la misère. Il réprime toute tentative de rébellion – et de ce que je sais, les rebelles sont de plus en plus nombreux sur le territoire, mais obligés de se cacher. Il a fait couler plus de sang en quelques années que les deux Princes précédents réunis.

— Est-ce... à cause de la mort de la Princesse ? Vous parliez d'elle au passé. »

Jimin leva un regard grave sur son aîné qui frissonna, soudain pris d'un mauvais pressentiment.

« Mincheol a fait torturer puis exécuter sa mère la Princesse il y a maintenant deux ou trois ans, afin de gouverner seul. On raconte qu'il voulait être certain qu'elle ne puisse pas fuir, pas faire d'enfant avec un autre qui pourrait réclamer le trône. Il voulait détenir à lui seul tout le pouvoir de Sawa, de sorte qu'il a aussi poussé au suicide son plus proche conseiller, celui qui était jusque-là envoyé par le pays au conseil des Quatre Peuples pour les négociations.

— Par Hiemis...

— La sécheresse survenue il y a quatre ans lui a fait perdre la tête. Depuis, il agit en conquérant sanguinaire. Il a tenté de nombreuses incursions chez les Serpents, se bornant à piller les réserves de nourriture, les commerçants et leurs magasins, et plus surprenant, les bibliothèques. Pour ce qui est de ce dernier détail, nous pensons que c'est grâce à ces manuscrits immémoriaux qu'il a réussi à retrouver la trace de votre peuple.

— Je ne comprends pas...

— La sécheresse a beaucoup entamé l'économie Scorpion, révéla Jimin en reportant son regard droit devant lui. Le Prince, depuis toujours passionné de mythologie et d'histoire, a certainement cherché à en apprendre plus sur les Phénix dans l'espoir de les capturer afin de lever une armée qui lui permettrait de s'approprier le Continent entier – ce qu'il est, en l'occurrence, sur le point de réussir. Mincheol de Sawa est devenu un immense danger, ses décisions incongrues mettent en péril l'équilibre du Continent : il injecte chaque année l'essentiel de l'argent du pays dans ses forces armées, si bien qu'il n'y a plus d'argent pour le peuple, mais que ce dernier ne peut pas se plaindre car le seul poste bien rémunéré étant celui de soldat, l'armée est devenue si importante qu'elle peut réprimer toute tentative d'insurrection. Or, ces soldats sont pour la plupart trop jeunes et trop inexpérimentés. D'une main et sans arme, je pourrais en affronter trois et l'emporter après quelques minutes à peine.

« Or, le fait est que les Akashites sont un peuple très désuni, formé de nombreuses tribus nomades d'à peine cent ou deux cents âmes : face à des militaires plus nombreux qu'eux, peu importe que les militaires en question soient bien entraînés ou non, ils sont terrifiés. L'armée Serpent est bien plus forte que l'armée Scorpion, mais elle est aussi beaucoup moins nombreuse, et en toute honnêteté elle est plutôt mal organisée. Les militaires du désert Akash sont doués dans l'art de la guérilla, mais la manœuvre de gros groupes armés, c'est tout autre chose.

— Je vois... C'est pour cette raison que les Serpents ont décidé de reprendre les terres à l'ouest du mont Phaham, comprit Yoongi. Ils ont voulu s'éloigner de la frontière avec Sawa, quitte à empiéter sur Tyfodon.

— Exactement, vous avez tout compris : les Tigres fonctionnant eux aussi par petits groupes avec une armée de moindre importance, il a été facile pour les Serpents d'attaquer village par village pour étendre leur territoire de quelques kilomètres. Ainsi, puisque Sawa attaquait principalement à la frontière est, au nord de Vanori, la capitale akashite et ville la plus visée par les attaques, les Serpents ont décidé de s'étendre à l'ouest.

— Alors... tous les conflits du moment sont le fait d'un seul.

— Oui, le Prince a bouleversé les ententes entre les peuples, et je crains que ces décisions ne provoquent de très nombreuses morts dans les mois et les années à venir si nous ne l'arrêtons pas avant.

— Alors vous n'exagériez pas quand vous disiez que cette guerre, vous ne la meniez pas que pour Arixium ou les Phénix.

— En effet. »

Sérieux dès lors qu'il parlait de stratégie et de politique, son cadet arborait un visage soucieux aux traits tirés. L'espace d'un instant, Yoongi envisagea de lui proposer de se détendre à leur façon, avant de se raisonner : Jimin ne semblait pas d'humeur, et les troupes venaient à peine de pénétrer en territoire ennemi. Le général jugerait le moment peu idoine à ce genre de distractions.

D'autant plus que le Phénix s'imaginait mal réclamer une relation physique, il s'en sentirait beaucoup trop embarrassé.

« Jimin, se ressaisit-il, pensez-vous qu'il soit possible qu'au cours de notre périple, nous rencontrions... cette fameuse armée composée des miens ?

— Non, je ne pense pas. Pas après ce que vous m'avez dit des vôtres.

— Ah ?

— J'ai cru comprendre que vous étiez une exception, que peu de Phénix maîtrisaient la magie à un niveau semblable au vôtre.

— En effet.

— Alors si le Prince voulait une armée efficace, il lui faudrait au mieux quatre ou cinq mois, c'est ça ?

— Plutôt six mois pour un entraînement complet, approuva Yoongi. Et l'entraînement de base ne comprend pas le sort visant à tuer autrui. Nous... notre peuple a beaucoup faibli.

— C'est une bonne chose pour nous, le rassura son cadet, de cette façon nous sommes certains qu'il n'enverra pas vos camarades au combat : il ne prendra pas le risque de perdre ses précieux mages tant qu'ils ne seront pas prêts, et avant cela, il devra aussi s'assurer de leur fidélité, afin qu'ils ne retournent pas leur pouvoir contre les Scorpions. Nous les libèrerons avant que le prince n'ait le temps de les exploiter, j'en suis convaincu. »

Yoongi acquiesça, rasséréné par la confiance qui émanait désormais du regard charbonneux du jeune homme. Il s'étendit sur son matelas, pensif, et le général ne prit la parole que quand de bruyants borborygmes s'élevèrent.

« Hum, je crois que mon estomac essaie de me rappeler que nous n'avons pas dîné, plaisanta-t-il. Yoongi, désirez-vous que je vous ramène votre part ? »

La nuit approchait, déjà Daimòn avait jeté sur les cieux clairs sa couverture piquée de trous minuscules. Entre l'installation des tentes et leur longue conversation, les deux amis avaient à peine vu la précédente heure et demie s'écouler. Yoongi approuva en le remerciant, et son cadet quitta leur toile qu'il ne regagna qu'une dizaine de minutes plus tard, après avoir discuté avec quelques subordonnés rencontrés en chemin.

Ils se restaurèrent dans un silence que seuls leurs mâchonnements rompirent, et une fois les derniers morceaux de nourriture avalés, les deux jeunes gens décidèrent de se coucher. Plus tôt ils partiraient le lendemain, mieux cela vaudrait.

~~~

Yoongi se réveilla à la pointe du jour d'un sommeil sans rêve. Dans la tente, on commençait à distinguer plus que de simples silhouettes, de sorte que le Phénix se permit de contempler le visage assoupi de son cadet, qu'il trouvait empreint d'une délicatesse et d'une innocence stupéfiantes. Militaire accompli, Jimin semblait pourtant si doux que Yoongi peinait encore à admettre que cet homme tuait chaque année quantité de soldats ennemis...

Comme il aimerait passer la main sur ses joues qu'il avait à peine effleurées au cours de leurs baisers, comme il aimerait épouser de nouveau ce corps aux muscles noueux !

Tout à son admiration, Yoongi ne remarqua qu'alors le léger mouvement près de son ami. Il tourna les yeux, se figea une seconde, puis bondit de son lit tandis qu'une lumière puissante s'allumait dans la tente, réveillant Jimin au passage. L'Arixien parut d'abord déboussolé, avant de râler en se protégeant les paupières d'une main.

« Bon, où est-elle, cette fois ? grommela-t-il

— Juste là ! »

Tout s'éteignit, à l'exception d'une lueur qui désignait la vile araignée, près du matelas de Jimin. Plus petite encore que les précédentes, la pauvre bête s'attira la pitié du militaire, qui néanmoins l'écrasa sans hésiter du bout de l'index. Yoongi écarquilla les yeux ; il suivit du regard la main de son cadet.

« Vous l'avez écrasée !

— Que vous êtes perspicace, le railla Jimin en se recouchant.

— C'est ignoble, vous auriez pu la faire sortir !

— Hors de question que je quitte mon lit maintenant. Il me reste au moins une dizaine de minutes de sommeil.

— Mais...

— Non mais c'est un comble, vous allez vous plaindre que je l'aie tuée ?

— Non, vous auriez simplement pu vous montrer moins brutal.

— Essayez-vous de me dire que vous auriez voulu que je l'écrase en douceur ? demanda Jimin avec une mine contrariée.

— Oui !

— Il est trop tôt pour que j'écoute vos élucubrations, Yoongi, rendormez-vous.

— Pour dix minutes, cela n'en vaut pas la peine.

— À vos yeux, peut-être, pas aux miens. Laissez-moi dormir.

— Jimin, où avez-vous essuyé votre main ?

— Vous me fatiguez profondément...

— Et dire qu'il ne vous reste que dix minutes de sommeil.

— Ma main, je vais l'essuyer sur vous si vous continuez, alors tenez-vous à carreau.

— Bon sang, je me sens mal...

— Oh mais ce n'est pas possible ! »

Agacé, Jimin se leva en grommelant, et il s'empara d'un mouchoir de tissu sur lequel il essuya sa main d'un geste rageur. Bras croisés contre son torse, il observa ensuite le Phénix de guingois.

« Voilà, êtes-vous satisfait ?

— Rassuré, je dirais. Merci beaucoup pour votre sollicitude.

— Vous me provoquez.

— Je n'oserais pas. »

Jimin retourna à son matelas, s'agenouilla face à son aîné dont il attrapa le col pour tirer son visage tout près du sien. Yoongi déglutit, son regard bleu désireux de se noyer dans l'océan noir des iris de son ami. Il y chercha une trace d'humour, ou bien de luxure. Il n'y trouva qu'une lueur de défi.

« Le voulez-vous ? s'assura Jimin dans un murmure.

— Bien sûr. »

Et sur ces mots, l'Arixien plaqua ses lèvres sur les siennes dans un geste impatient qui recélait une tendre violence. Jimin, très vite, incita le Phénix à entrouvrir la bouche, et le baiser se gorgea de sensualité alors que Yoongi n'osait plus bouger, toujours prisonnier de la poigne de Jimin qui, plus que l'embrasser, le dévorait avec appétit. Il le mordillait, s'amusait avec sa langue, la taquinait de la sienne, trop habile pour le mage qui en éprouva une puissante chaleur dans le bas-ventre.

Le général le relâcha en s'écartant. Yoongi, les iris embrumés de volupté, haletait – il jurerait avoir retenu son souffle tout au long de ce baiser sauvage.

« Jimin...

— Pardonnez mon geste. »

Déjà le militaire se redressait sous le regard inquiet de son aîné, qui ne comprenait plus rien des humeurs du jeune homme.

« Que voulez-vous dire ? balbutia-t-il.

— Je vous ai embrassé de façon si...

— Passionnée, compléta Yoongi devant l'hésitation de son ami. Et j'ai beaucoup aimé.

— Nous ne devons pas agir ainsi trop fréquemment, je vous prie de m'excuser.

— Jimin, nous devrions peut-être éclaircir certaines choses...

— Que voudriez-vous éclaircir qui mérite de retarder notre départ ? »

Yoongi se sentit soudain misérable, et il se rendit compte que ses émotions valaient bien peu face à leur quête. Peu importait ce petit quelque chose qui s'épanouissait jour après jour en lui. Il hocha la tête de gauche à droite, refoula son désir, et s'excusa à son tour auprès de son cadet.

« Vous avez raison, concéda-t-il, nous devrions nous préparer. »

Jimin acquiesça alors qu'il s'éloignait déjà. Il attrapa les pièces de son armure, placées dans un coin de la tente, et Yoongi détourna les yeux quand il se sépara de ses habits de nuits. À son tour il se changea, bien plus lent que le général, qui en profita pour partir chercher de quoi manger pour eux deux.

Environ une heure plus tard, le campement rangé, les troupes s'apprêtaient à reprendre leur chemin.

Tous deux sur le même cheval, Jimin et Yoongi se mirent en route les premiers sous un soleil déjà brûlant. Peu d'arbres se dressaient dans ce lieu désertique : aucune ombre n'offrait de protection contre les rayons ardents. La veille, les nuages avaient permis de limiter les températures. Aujourd'hui en revanche, elles risquaient de grimper vite. Il leur faudrait sans doute s'arrêter en milieu de journée pour éviter de surmener les montures aussi bien que les hommes.

Le trajet se passa sans encombre pour les Aigles, qui avançaient en une lente procession vers leur destin – du moins Yoongi percevait-il ainsi les troupes en marche. Le Phénix contemplait les alentours avec une lassitude qu'il n'avait pas éprouvée à Arixium : là-bas, le panorama se renouvelait sans cesse. Ici, les pierres succédaient aux pierres, et les couleurs ternes du paysage sawaï le déprimaient autant qu'elles l'angoissaient. Il se sentait opprimé par un espace beaucoup trop grand pour lui, amusant paradoxe.

Jimin ordonna une halte lorsqu'il estima que la chaleur avait trop crû, et chacun en profita pour se désaltérer et faire boire aux chevaux un peu d'eau. Leurs réserves néanmoins viendraient vite à se tarir, de sorte que le général décida de leur départ trois heures plus tard, alors que les températures n'avaient pas baissé mais qu'au moins le soleil avait entamé sa descente à l'horizon. Leurs ombres devant eux, preuve qu'ils avançaient dans la bonne direction, les troupes poursuivaient leur route quand un cri strident retentit. Les soldats, habitués, n'y prêtèrent pas attention, tandis que Jimin tendait le bras pour enjoindre à Samran de s'y poser. Il savait son aigle assez discipliné pour s'y placer sans le lui lacérer – d'autant plus qu'il portait ses protections de métal et d'épais gantelets.

L'oiseau piqua afin de rejoindre son maître qui avait sifflé pour lui ordonner le retour, agréablement surpris de sa rapidité. Samran attendit que Jimin prenne le message puis lui indique d'un mouvement de quitter son bras, et il fondit sur le morceau de viande séchée que lui offrit Jimin pour ses services.

Le jeune homme déplia la missive sous le regard curieux de Jungkook qui espérait lui aussi des nouvelles de la capitale. Jimin fronça les sourcils, revint au début du texte qu'il relut. Son lieutenant ne lui trouva pas l'air mécontent ni effrayé, mais... perturbé.

« Que s'est-il passé ? s'enquit-il avec un mauvais pressentiment. Qu'avez-vous appris ?

— Hum, je pense qu'il est encore trop tôt.

— Pardon ?

— Je n'ai pas appris ce que je souhaitais.

— Est-ce que vous en savez plus au sujet... enfin, vous savez... ?

— Je suis désolé. »

Jungkook, amer, comprit que Jimin n'en dirait pas plus. S'il ne souhaitait pas répondre, cela signifiait-il que Namjoon avait apporté de mauvaises nouvelles ? Qu'était-il advenu de Taehyung ? Avait-il péri au cours d'une attaque ? Non, le général Park ne lui cacherait pas quelque chose de si grave, il en était convaincu. Il ne pouvait pas douter à ce point de son chef, qui s'était toujours montré digne de confiance. S'il était arrivé malheur à son amant, il le lui aurait dit, conscient que Jungkook ne supporterait pas d'être tenu à l'écart.

Rassuré en dépit du comportement de son aîné, Jungkook reporta son attention sur la route. Le désert défilait à une lenteur accablante, pourtant après une heure supplémentaire, alors que le milieu d'après-midi approchait, le lieutenant fut le premier à repérer une silhouette au loin.

« Village ! clama-t-il une fois sûr de lui. Général, que fait-on ?

— Eh bien, pourquoi ne pas aller nous y reposer ? À quelle distance se trouve-t-il, d'après vous ?

— Je dirais entre cinq et sept kilomètres. Je ne pourrai pas être plus précis dans un environnement que je ne connais pas.

— Cela suffit amplement, merci pour vos informations, lieutenant.

— Voulez-vous vraiment que nous y allions ? s'étonna Jungkook.

— Oui : dans un village si isolé, nous ne rencontrerons pas beaucoup de soldats, et nous n'approcherons pas les habitants.

— Alors pourquoi nous y rendre ?

— Parce qu'étant donné qu'aucune rivière n'est visible, répondit Taehyun à la place de son supérieur, la présence d'un village signifie celle d'une source souterraine. Nous pourrons boire à notre guise. De plus, un village si loin de Hurna doit se sentir rejeté, nous y rencontrerons sans aucun doute beaucoup de personnes très pauvres que le Prince ne soutient plus du fait du peu de moyens qu'il accorde à ses sujets. Ils ne seront pas très enclins à risquer leur vie pour un royaume qui ne leur accorde plus aucune importance.

— Tout juste, lieutenant Kang, » approuva son supérieur avec fierté.

Jungkook observa les alentours, et il ne constata en effet la présence d'aucune rivière. Pour survivre au village, les habitants avaient forcément percé la terre afin d'y construire un puits.

À mesure qu'ils approchaient du hameau désolé, dont Jungkook ne distinguait rien derrière les murailles délabrées, le lieutenant se sentait de plus en plus anxieux.

« Mon général, intervint-il, n'est-ce pas trop dangereux d'approcher ce village ? Nous allons signaler notre position, impossible qu'aucun habitant ne dénonce notre incursion. Certains essaieront peut-être de s'en prendre à nous pendant la nuit.

— Je ne l'ignore pas.

— Et c'est tout ?

— Si le village s'est installé ici, cela signifie qu'à une journée de marche à la ronde – au moins – il ne se trouve aucune source d'eau. Après avoir passé ce village, il nous faudrait donc chevaucher encore des heures durant pour trouver une source. Or, nous n'avons rien pour nous repérer dans ces terres, nous n'en connaissons que très vaguement les principales régions. Nous devons pouvoir observer les alentours, et surtout nous devons pouvoir remarquer le moindre signe qui indiquerait la présence d'ennemis. De nuit, cela nous sera impossible, nous risquons même de manquer la seule rivière à la ronde et de nous retrouver épuisés et désœuvrés. L'eau est ce qui nous handicape le plus, nous n'avons pas la liberté de choisir de continuer, il nous faut nous arrêter.

— De toute façon, poursuivit Taehyun qui laissa s'exprimer son expérience en matière d'espionnage, au vu du paysage, même à des kilomètres nous serons repérés, alors à moins d'un large détour qui nous ralentirait et nous éloignerait encore de la prochaine rivière, nous ne pourrions pas échapper à la vigilance de ces villageois. Nous sommes sûrement déjà repérés depuis un bon bout de temps. Si vous les avez vus, partez du principe qu'ils vous ont vu aussi.

— Élémentaire, commenta Jimin en guise d'approbation. Mais je comprends vos craintes, lieutenant Jeon, et pour ne rien vous cacher, je les partage aussi. Or, les chevaux ont soif, nous ne pouvons pas, dès le début de notre périple, leur infliger des heures de marche forcée sans eau. »

Jimin affichait un visage grave, preuve du dilemme qui l'avait lui-même hanté. Il avait pourtant jusqu'à présent gardé un air confiant, et Jungkook comprenait qu'il avait dissimulé ses doutes pour que son assurance le rassérène, non parce qu'il était inconscient des dangers auxquels ils s'apprêtaient à faire face. Au contraire, le général mieux que quiconque savait ce qu'ils risquaient en approchant du village.

Ils n'avaient plus le choix.

~~~

Lorsque les troupes arrivèrent à moins d'un kilomètre du hameau sawaï, elles remarquèrent qu'une horde de soldats écarlates approchait. Jimin fronça les sourcils, surpris de découvrir autant d'ennemis.

« On pouvait légitimement s'attendre à une dizaine de soldats, affirma-t-il. J'en vois une centaine. En êtes-vous arrivés aux mêmes conclusions que moi ?

— Ce n'est pas un village, comprit Jungkook. C'est un campement...

— Les murailles sont trop basses, analysa Taehyun, les Sawaï ont des normes très strictes pour leurs camps, et il s'agit essentiellement de forteresses. Il ne leur viendrait pas à l'idée de dresser un campement comme le nôtre. Non, ce n'est pas un camp militaire, c'est bel et bien un village, mais un village soit habité soit envahi par des militaires.

— Un village sawaï envahi... par des Sawaï ? N'est-ce pas un peu étrange ?

— Non, pas depuis que le Prince a décidé d'avoir des oreilles partout afin de prévenir tout risque de complot venant de son peuple. »

Le lieutenant Kang possédait une solide culture à propos des Sawaï, au moins autant que du corps humain. Il les avait étudiés avec ardeur lorsque le général l'avait fait chef d'une troupe et qu'ils avaient été affectés au camp n° 7 : conscient que sa mission principale consisterait en l'observation des ennemis et en la compréhension de leurs plans, il avait aussitôt décidé qu'il lui fallait emmagasiner autant de savoirs que possible.

Taehyun connaissait les techniques, l'art, l'architecture, les coutumes, ainsi que certaines spécificités de la langue sawaï – tous les peuples du Continent parlaient la même langue, mais chacun avait développé, notamment dans des villages ou de petites communautés, des argots particuliers.

« En somme, conclut Jimin, nous sommes peut-être arrivés après les troupes du Prince dans un village dissident.

— Exactement, approuva son lieutenant. C'est ce qui me semble le plus probable.

— Des chances pour qu'il existe des survivants ?

— Essentiellement les gens dont ils auraient besoin pour une installation durable, et les moins rebelles, bien sûr. »

Jimin acquiesça, tendu. Il ne s'inquiétait pas pour la bataille qui se profilait : à peine cent soldats Scorpions contre près du quadruple du côté des Aigles, ils ne risquaient rien. En revanche, l'Arixien s'inquiétait à l'idée qu'il reste sans doute des civils dans le village. Il ignorait encore le sort que leur avaient réservé les militaires, et au cours de pareilles campagnes, il préférait éviter au maximum le contact avec les habitants.

Les troupes céruléennes s'immobilisèrent quand, à une centaine de mètres d'eux, se déployèrent leurs adversaires. Jimin tira son jingum de son fourreau dans un bruit auquel firent écho ceux de ses hommes arrachant à leur tour leur lame de leur ceinturon. Face à eux, les soldats parviendraient presque à s'attirer leur pitié : seul leur chef était monté à cheval, et alors qu'ils s'approchaient au pas, les Arixiens distinguaient non des épées propres et prêtes à tuer, mais des armes aux tranchants émoussés, brandies de façon maladroite.

« Lieutenant Kang, allez à l'arrière.

— Oui, mon général. »

Hors de question qu'il combatte tant qu'il pouvait l'éviter. Décimer cette troupe s'avèrerait rapide et ne nécessiterait pas l'utilisation de toute leur force de frappe.

« Yoongi. Le seul homme menaçant est celui qui est à cheval, leur lieutenant, indiqua Jimin – les généraux portaient des capes à Sawa aussi, de sorte qu'il était évident que cet homme ne possédait encore que le grade inférieur.

— En êtes-vous sûrs ? N'est-ce pas suspect ?

— Les Scorpions n'ont que faire de ces terres arides, ils ne les surveillent pas de façon acharnée. C'est dans les montagnes que nous rencontrerons des troupes coriaces, c'est là qu'elles sont massées.

— Je comprends mieux pourquoi vous vouliez que l'on agisse le plus vite possible.

— Exactement : avec l'effet de surprise, nous pouvons effectuer la moitié du trajet jusqu'à Hurna sans rencontrer de résistance, ou alors très peu.

— Je vois... j'immobiliserai leur lieutenant.

— Parfait. »

Il ne restait entre les deux armées que quelques dizaines de mètres. Angoissé de se retrouver pour la première fois au cœur même de la mêlée, Yoongi rassembla le peu de courage qui circulait dans ses veines au milieu d'un flot bouillonnant de terreur et de couardise. Le jour de l'attaque du village Phénix, il le savait très bien : si Yua n'avait pas insisté, il aurait cherché à fuir avec elle plutôt que de protéger l'œil. Certes, porter la mémoire d'un peuple décimé et méprisé ne servait plus à rien, mais il ne s'était jamais battu : à quoi servait-il dans ce cas ?

Il s'était fait capturer, sans surprise, et il avait à peine résisté. Depuis, il se demandait encore s'il avait pris la bonne décision ce soir-là. Pour les siens, oui ; pour lui-même, non.

Or, à présent le voilà doué de pouvoirs qui le rendaient bien plus dangereux que n'importe quel Élémentaire. Descendant de Hiemis, il sauverait son peuple. En dépit de la peur, Yoongi était déterminé à venger les siens. L'occasion lui était offerte sur un plateau d'argent, à lui de s'en saisir.

« Halte ! clama le chef ennemi. Vous avez été repérés depuis bien longtemps, Arixiens, et un messager est déjà parti prévenir l'arrière ! Rebroussez chemin si vous ne souhaitez pas affronter notre puissante armée. »

Il fallut à Jimin quelques instants pour comprendre que le lieutenant ne parlait pas de son misérable régiment, mais bien de l'armée sawaï au complet. Jungkook pour sa part esquissa un rictus, amusé à l'idée que ces cent énergumènes se considèrent comme une « puissante armée ».

Ils allaient les massacrer.

« Nous venons punir le Prince pour ses crimes, affirma à son tour Jimin d'une voix puissante, et nous allons délivrer les Phénix. »

Son armée derrière lui hurla son soutien, sous les yeux stupéfaits du lieutenant. Le général Park ne comptait néanmoins pas rouvrir le dialogue, et il se doutait que l'ennemi ignorait tout ou presque de la présence Phénix sur le territoire. Ces hommes de moindre importance n'étaient pas tenus au courant des complots de ses chefs, et encore moins du Prince lui-même.

Il ordonna l'attaque, brandissant devant lui son jingum. Yoongi se recroquevilla, le regard fixé sur l'adversaire. Le soleil tapait, il voyait son ombre sans mal, et dès qu'il se concentrait dessus, il la sentait. Il lui suffirait d'en prendre possession au moment adéquat.

Lancées l'une contre l'autre, les deux armées se heurtèrent de façon violent. Le lieutenant ennemi, dès qu'il arriva à la hauteur de Jimin, leva son sabre. Il ne baissa pas le bras, bloqué par le pouvoir de Yoongi. Bras tendu au-dessus de sa tête, l'homme se trouvait incapable de se protéger.

« Vous ne gagnerez pas, » cracha le général Park alors qu'il faisait coulisser sa lame sur le cou du Scorpion.

La peur qui s'était inscrite dans les yeux du militaire s'effaça lorsque la vie quitta son regard, et Yoongi se demanda si le sien s'était de nouveau assombri. Il frémit à cette idée.

La cavalerie arixienne provoqua un véritable bain de sang, tout en veillant à offrir aux Sawaï un trépas rapide et digne. Ces jeunes gens inexpérimentés n'avaient intégré l'armée que pour la solde fixée par le Prince afin d'attirer les pauvres hères dans ses rangs. Ils ne méritaient pas la mort, ils ne se battaient pas pour l'honneur de leur peuple, mais pour leur propre survie, reversant parfois une importante partie de leurs émoluments à leurs proches.

Jimin tenta de ne pas y penser. Mieux valait ne pas éprouver trop de scrupules dans son métier et se figurer les soldats comme des pions ennemis, non comme des personnes avec un cœur, un passé, une famille et des amis. Il n'y avait pas de place en lui pour une si grande culpabilité.

Le général Park ordonna la prise du village et la capture de tous les militaires qui y seraient retrouvés. Les opérations ne demandèrent que quelques dizaines de minutes, le temps d'atteindre puis de fouiller le hameau. On y découvrit une quinzaine de gens du peuple effrayés et suppliants pour leur vie qu'on laissa sauve, et les prisonniers furent envoyés dans des geôles qu'ils avaient eux-mêmes construites pour les villageois qui oseraient se révolter.

Agenouillés pour réclamer grâce à Jimin, les hommes et femmes se relevèrent quand il les y enjoignit, intimidés par son si haut grade en dépit de son âge. Le général prit une posture plus détendue, il leur adressa un sourire qui se voulait rassurant.

« Nous ne vous voulons aucun mal, Sawaï, nous ne nous attaquerons à aucun habitant, je vous en fais la promesse. »

Habillés de hardes, les traits tirés par l'angoisse et la maigreur, les yeux chassieux, ils ne représentaient aucune menace pour son armée. Jimin d'ailleurs refusait encore de croire que le Prince puisse infliger pareil supplice à son propre peuple, celui qu'il avait promis de protéger au péril de sa vie.

Un tel souverain ne méritait pas de régner.



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Véridique j'ai failli remettre une image du Yoonmin en train de s'embrasser, parce qu'on n'a jamais assez de Yoonmin qui s'embrasse. XD

Et comme je sais que certains auraient préféré l'image de notre adorable petit couple à celle du village sawaï, c'est cadeau (oui, ils sont dans la grande tente du campement arixien, mais on s'en fout, ils s'embrassent, c'est tout ce qui compte mdr)

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