Chapitre 35

« Que ces monstres soient tous exécutés, jusqu'au dernier ! »

– Général arixien à l'occasion d'une harangue à ses troupes, an 726.


Taehyung naviguait entre son lit et sa cuisine pour grignoter tout ce qui lui passait sous la main. L'anxiété le rendait gourmand, il fallait qu'il s'occupe mais impossible de tenir en place plus de deux minutes – même son épopée ne contenait pas son angoisse. La réaction de Jungkook lui avait beaucoup déplu, et il ignorait s'il devait l'attribuer à de la jalousie ou bien à un autre sentiment quelconque. Peu importait.

Il sursauta quand un coup frappa à sa porte, et il ne reconnut qu'avec un temps de retard la façon de toquer de Jungkook, à qui il hésita à ouvrir. Que venait-il lui demander à cette heure ? La nuit avait déjà enveloppé de ses ténèbres le Continent, et la capitale s'endormait alors que quelques gouttes de pluie tombaient. Est-ce que le lieutenant... comptait lui réclamer des faveurs d'ordre physique ?

Un frisson d'inquiétude lui parcourut le corps, et quand l'homme insista, il se ressaisit. Il lui ouvrit mais resta debout devant l'entrée pour lui en empêcher l'accès.

« Bonsoir, je suis désolé je travaillais sur mon poème. As-tu besoin de quoi que ce soit ? »

Jungkook, vêtu de sa tenue de militaire – sans néanmoins s'être encombré de ses armes –, comprit le message implicite derrière la position de son aîné. Il se planta sur le seuil de la mansarde ; son visage prit un pli irrité.

« Désolé si je dérange, je voulais juste discuter. Tu sais, nous avions convenu que nous devrions reparler de... notre relation.

— Non, Jungkook. Tu as convenu que nous devrions en reparler. Je n'étais pas d'accord.

— Et pourquoi donc ?

— La raison me semble évidente : coucher avec toi ne m'apporte rien, si ce n'est un bien-être physique qui s'accompagne sans cesse d'un terrible accablement moral. Je n'agissais de cette façon que dans l'espoir de gagner ton affection, ce qui n'a pourtant servi à rien. Je ne t'en blâme pas, je n'ai jamais caressé l'idée de te forcer à m'aimer, mais à présent, je veux m'éloigner un peu de toi. Ne crains rien pour ton épopée, néanmoins : je te l'ai promise, je la rédigerai.

— D'accord pour l'épopée, mais... pourquoi est-ce maintenant seulement que tu décides que tu ne veux plus de moi ? Je suis convaincu que cela a un rapport avec Hoseok, n'est-ce pas ? Est-ce qu'il te plaît ? Pourquoi persister à nier l'évidence ?

— Il ne me plaît pas, je me sens simplement plus proche de lui après trois jours que de toi après un an et demi !

— Comment oses-tu te plaindre de ce que tu as toi-même exigé ! cracha Jungkook. Je t'avais prévenu que je ne souhaitais aucune implication émotionnelle, tu l'as accepté !

— Je crevais d'amour pour toi, j'étais prêt à tout accepter pour te garder à mes côtés ! se défendit Taehyung. Mais je ne sais rien de toi, tu ne me laisses rien savoir à ton sujet ! Je ne me plains pas de notre incapacité à communiquer : je t'explique que c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de couper court à notre relation ! Je ne t'ai jamais reproché de garder tes distances, je l'ai accepté, et quand j'en ai eu marre, je suis parti, un point c'est tout. »

Il croisa les bras contre son torse, le regard chargé de défi. Jungkook le toisa puis se passa une main agacée dans sa tignasse qu'il décoiffa – il n'en parut que plus beau aux yeux de Taehyung, qui toutefois demeura stoïque.

« Tu ne peux pas me laisser tomber, lui opposa le lieutenant.

— Je t'ai dit que je t'écrirais cette épopée, ne t'en inquiète pas.

— Je ne m'en inquiète pas, j'ai confiance en toi, bien que je m'interroge à propos de l'identité de ton personnage principal. Je parlais de notre relation. Je voulais qu'on discute avant d'y mettre un terme.

— Et pourquoi, par Pyros ? l'interrogea-t-il, excédé. Tu as obtenu de moi ce que tu voulais, alors cesse de m'importuner. Il y a parmi tes soldats des dizaines d'hommes et de femmes qui n'attendent que cette occasion pour t'offrir tout ce dont tu peux rêver !

— Je m'en moque, d'eux : il n'y a que toi qui peux me donner ce que je désire ! Il n'y a que toi dont je rêve ! »

Les mots à peine échappés, Jungkook recula d'un pas, abasourdi, mais il retrouva bien vite son air revêche. Il ne soutenait en revanche plus le regard du poète qui, hébété, le dévisagea d'interminables secondes durant en se demandant s'il avait bien compris ce que son ancien amant lui avait révélé.

« Tu... je ne suis pas sûr de saisir ce que tu veux dire, admit-il enfin. Que veux-tu de moi qu'un autre ne puisse pas t'apporter ?

— Je l'ignore, maugréa Jungkook.

— Tes soldats...

— Mes soldats et toi êtes très différents, l'interrompit le lieutenant. Physiquement déjà, ils ne sont pas celui que tu es. Ils sont robustes, leurs muscles sont saillants. Je préfère ton corps frêle. Ensuite... ils ne dégagent pas cette fragilité, cette tendresse, cette délicatesse qui émane de toi. Si je vous plaçais sur un pied d'égalité depuis le début, crois-tu réellement, Taehyung, que j'aurais accepté de ne coucher qu'avec toi alors que cela impliquait de ne coucher avec personne pendant parfois plusieurs mois ?

— Attends, qu'est-ce que... qu'est-ce que tu veux dire ?

— Je veux juste dire ce que je dis : coucher avec toi est ce que j'ai connu de plus plaisant, et je ne souhaite pas y mettre un terme au profit de relations bien moins plaisantes avec des gens de mes troupes. Tu es le seul à m'offrir des moments de vraie passion. Avec toi, je n'assouvis pas un besoin primaire : nous nous voyons peu, chaque moment est précieux. Avec toi, il y a des... des émotions, je crois, et elles rendent les choses... différentes. »

Taehyung savait combien son cadet peinait à s'exprimer dès lors qu'il s'agissait de ce qu'il éprouvait : il savait l'incapacité de cet homme d'action à parler d'un sentiment. Que Jungkook lui témoigne ainsi son intérêt, qu'il s'interroge sur ce qu'il ressentait, cela le toucha plus qu'il ne l'aurait imaginé quelques instants plus tôt.

« C'est parce que je t'aimais, susurra-t-il à la manière d'un secret qu'il révélait. Alors que tu couchais avec moi, je te faisais l'amour.

— Est-ce que tu accepterais que nous...

— Non, refusa-t-il sans le laisser finir, je n'accepte rien. Je ne veux pas que nous nous revoyions. À partir de maintenant, je ne me donnerai qu'à une personne que j'aimerai et qui m'aimera en retour.

— Mais nous nous entendons bien !

— Alors restons amis.

— Je... »

Jungkook ne sut comment terminer cette phrase. Il poussa un soupir exaspéré et, tic nerveux qu'il développait quand il n'avait aucune arme à triturer, il se passa de plus belle les mains dans les cheveux. Taehyung hésita à le laisser entrer chez lui ; il s'en retint. Ils avaient perdu le lien qui les avait jadis unis, ils n'avaient plus rien à faire ensemble.

« Au revoir, Jungkook. Si j'ai des questions pour mon livre, je te le ferai savoir.

— Je sais que Hoseok et toi vous êtes vus ce matin malgré ce que je t'avais dit.

— Et ?

— Dans trois jours ton cher ami sera renvoyé à Mournan, et j'ai exigé que tu ne puisses plus le revoir d'ici là. J'ai appris que vous n'échangiez que des banalités sans rapport avec ton poème, cela ne sert donc à rien que tu le revoies. Travaille sur tes vers plutôt que de te pâmer devant cet individu.

— Comment as-tu osé ! s'emporta Taehyung. Tu n'as aucun droit sur moi ! Tu ne peux pas m'empêcher de le voir si je le désire ! »

Et dès lors que Hoseok reviendrait à Tyfodon, il se trouverait en grand danger. Le chef Choi l'obligerait à se battre pour lui ou le tuerait. Hoseok devait rester sur le territoire arixien – avait-on au moins envisagé de le faire combattre dans les troupes auxiliaires sous le commandement du général Park ?

« Alors j'avais raison, tu l'aimes.

— Pour la énième fois, non, Jungkook, je ne l'aime pas ! Toi en revanche, je te hais ! Disparais !

— Tu n'es qu'une vulgaire traînée !

— Tu ne vaux pas mieux dans ce cas ! Tu ne fais pas dans le sentimentalisme ? Très bien, alors va-t'en ! Ne viens pas te plaindre quand tu te sentiras seul !

— Je préfère encore me retrouver seul qu'avec toi.

— Le sentiment est réciproque, espèce d'ordure.

— Et seul, tu le seras, sans Hoseok, le railla Jungkook.

— Tu es horrible. Je t'ai dit que j'aimais bien parler avec lui parce que je sentais que l'on pouvait parler de tout, contrairement à toi qui te fermes dès qu'on parle d'autre chose que de combats !

— Et moi je t'ai dit des mois plus tôt que je ne voulais pas parler d'autre chose, ce qui ne te dérangeait pas tant qu'on couchait ensemble !

— Parce que j'espérais que tu m'en parles tôt ou tard ! Parce que je pensais qu'en gagnant ta confiance, je deviendrais assez important pour toi pour que tu décides de me parler sans que j'aie à te poser la moindre question !

— Mais te parler de quoi, par Pyros ? En quoi ces banalités peuvent-elles t'intéresser ? hurla à son tour Jungkook. C'est une pure perte de temps !

— Parce qu'en te connaissant mieux, j'aurais enfin pu te comprendre ! Je voulais que nous soyons sincères !

— Tu veux savoir d'où je viens ? De l'aristocratie, voilà ! Mes parents étaient de petits aristocrates sans grande envergure, rien de plus !

— Étaient ? »

Posée d'une voix soudain plus douce, la question de Taehyung déstabilisa Jungkook qui ne se rendit qu'alors compte que ce seul élément en disait bien plus que sa phrase entière. Étaient. Ils étaient...

« C'est ridicule, grommela-t-il. Je vais m'en aller, tu as raison. Adieu, Taehyung.

— Qu'est-il arrivé à tes parents ?

— Rien, bon sang ! s'agaça-t-il alors qu'il s'en allait.

— Attends ! l'arrêta le poète en lui attrapant le bras – il s'était promis de ne pas le toucher, mais il ne pouvait pas le laisser s'enfuir. Que leur est-il arrivé ? Que me caches-tu depuis tout ce temps ?

— Rien !

— Jungkook... »

Enfin Taehyung réussit à capter son regard. La main gauche toujours accrochée au poignet de son cadet, il passa la droite sur sa joue avec cette délicatesse que Jungkook adorait, celle-là même que seul son aîné savait lui offrir. Il ferma un instant les paupières, soupira, et il le repoussa sans brutalité.

« J'y vais.

— Dis-moi. »

Le militaire s'arrêta. Il demeura silencieux ; son ancien amant ne le brusqua pas davantage. Il patienta.

« Ils appartenaient à la petite aristocratie, et ils étaient fauchés. Ils ont emprunté, emprunté... puis ils se sont retrouvés incapables de rembourser. On est venu nous dépouiller de nos biens, et une fois les dettes remboursées, ils ont tué mes parents. J'avais douze ans, je m'entraînais depuis des années pour accéder un jour à l'Académie. Mon rêve s'est effondré, jamais je n'aurais pu m'offrir seul l'école militaire la plus courue de Noria, et je me retrouvais orphelin.

— Non...

— Alors j'ai décidé de prendre ma revanche sur la vie : venger mes parents et m'entraîner pour intégrer l'armée. Un à un j'ai traqué puis exécuté jusqu'au dernier de leurs créanciers. Il m'a fallu deux ans, mais j'ai réussi.

— Et pendant ces deux années... Jungkook, qu'es-tu devenu ? »

Il reçut un regard de guingois pour sa curiosité. Taehyung la savait déplacée, mais il devait comprendre. Jungkook s'ouvrait enfin à lui, là, sur le pas de sa porte, alors qu'ils se déchiraient encore un instant plus tôt. Suspendu à ses lèvres, le poète attendit de nouveau un long moment la réponse, que cependant le visage sombre de son cadet trahissait.

« J'ai revêtu l'armure noire. »

Euphémisme très connu sur le Continent : Jungkook, à peine âgé de douze ans mais déjà guerrier redoutable, avait intégré l'ordre des mercenaires. Il avait tué sur commande. La mort des autres l'avait nourri. Taehyung détestait ces mercenaires qu'il considérait comme un fléau, un moyen pour les plus riches de se faire justice eux-mêmes, mais il ne pouvait pas reprocher à celui qu'il avait tant aimé d'avoir tenté de survivre.

Il peinait, en vérité, à croire qu'après un tel traumatisme, Jungkook avait réussi à se reconstruire au point de devenir un lieutenant respecté.

« Je comprends, maintenant, pourquoi tu peines tant à exprimer tes émotions. »

Il avait dû retenir son désespoir des années durant, mettre de côté son chagrin pour continuer d'avancer. Poser des mots sur ses émotions revenait à risquer la noyade. Il cherchait sans cesse à esquiver ce flot grondant de sentiments qui se battaient en lui.

Jungkook déglutit, osa plonger un court instant ses yeux dans les siens, puis il partit sans une parole supplémentaire. Taehyung avait eu le temps de lire dans ses prunelles une supplication silencieuse, une détresse qu'il n'y avait jamais devinée. Le pauvre enfant avait commencé à tuer avant même que lui ne commence à composer des poèmes.

Resté devant sa porte, Taehyung demeura interdit jusqu'à ce que sa voisine d'en bas monte les marches et le toise avec inquiétude.

« Est-ce que vous allez bien ? J'ai entendu des cris et... je n'ai pas osé sortir.

— Tout va bien, ne vous inquiétez pas. Nous nous sommes juste... un peu disputés.

— J'ai cru comprendre. Vous faisiez beaucoup de bruit, alors... j'ai pris peur, vous comprenez ?

— Pardonnez-moi, je vous prie, je ne voulais pas vous déranger. »

La dame acquiesça puis s'en retourna, satisfaite de ces excuses et soulagée que son voisin se porte bien.

~~~

Comme à Noria, le camp n° 7 était plongé dans une paisible obscurité. Jimin, sous sa tente, était occupé à consulter quelques ouvrages militaires. D'habitude avec lui, Yoongi avait proposé ce soir-là d'aller chercher lui-même leur dîner afin que lé général puisse se concentrer sur son étude. Ravi, Jimin avait accepté. Pas besoin de lui rappeler où se situait la cantine, il la lui avait montrée plusieurs fois ces derniers jours : elle se trouvait dans le bâtiment qui enceignait la cour d'entraînement.

Yoongi était parti depuis une dizaine de minutes quand son cadet entendit le bruit d'une course se rapprocher de ses quartiers. Détourné de son travail, il leva la tête lorsqu'un sergent entra sans en demander la permission – attitude qui trahissait soit une urgence absolue, soit une soudaine envie suicidaire.

Jimin s'en voulut d'avoir pensé que Yoongi rentrait en panique après avoir aperçu une araignée.

« Mon général ! Une bagarre a éclaté entre quatre camarades et le Phénix ! »

Le jeune homme bondit de sa chaise, stupéfait. Yoongi contre quatre Aigles ? Il courait au massacre ! Il n'avait même pas sa dague sur lui, il l'avait laissée près de son armure !

« Où sont-ils ? Conduisez-moi ! »

Il s'élança à la suite de son subordonné qui le guida dans le camp. Ils approchaient de la cour d'entraînement quand Jimin repéra le lieu de la rixe : près de la cantine, dans un recoin qui, d'habitude mal éclairé, s'avérait ce soir entouré de lumières surnaturelles. Plusieurs soldats observaient déjà les combattants.

Acculé contre le mur du bâtiment, Yoongi tenait une lame qu'il pointait vers quatre Arixiens qui hésitaient à attaquer. Ce ne fut que lorsqu'il rejoignit le groupe que Jimin se rendit compte que son aîné arborait à présent bon nombre de bleus et de coupures, sur le visage et les parties non couvertes de son corps.

Un homme attaqua, Yoongi tendit sa main libre pour créer un bouclier contre lequel l'assaillant se heurta. Ses amis s'apprêtaient à en profiter pour le frapper à leur tour quand Jimin, sans un mot, se glissa comme une ombre derrière eux. Il attrapa la capuche de la tunique de deux d'entre eux qu'il tira si fort qu'ils s'effondrèrent. Moins de dix secondes plus tard, les deux autres soldats étaient estourbis, allongés à terre.

« Maintenant que nous pouvons discuter, agissons en adulte, affirma-t-il avec un visage impassible. Pour commencer, expliquez-moi, soldats, pourquoi vous vous en prenez à un homme seul.

— C'est un sorcier ! se justifia l'un d'eux.

— Et cela explique que vous l'attaquiez à quatre, bien sûr.

— C'est lui qui a donné le premier coup ! cracha un autre.

— Très mature, messieurs. Autre chose à dire ? »

Les soldats restèrent silencieux. Jimin s'avança vers Yoongi sur le visage de qui était imprimée une colère mêlée de panique. Il serrait son arme au point que ses jointures avaient blanchi – et le général était convaincu qu'il courait à la crampe.

« Yoongi, avez-vous attaqué le premier ? »

Le Phénix parut revenir à lui quand les iris sombres de son cadet rencontrèrent les siens. Il cligna des paupières, fit disparaître sa lame dont Jimin comprit qu'elle n'était constituée que d'ombre, puis se mordit l'intérieur de la joue.

« Oui, mon général. »

Presque surpris d'entendre ce titre dans sa bouche, son ami ne se laissa néanmoins pas déstabiliser. Il attrapa Yoongi par l'épaule et le tira sans douceur derrière lui, sous les regards scrutateurs des Arixiens qui avaient assisté à l'altercation. Les soldats parurent satisfaits du traitement de l'agresseur et de ses victimes, même s'ils se doutaient que des sanctions allaient tomber, au moins pour le Phénix qui avait admis avoir engagé le combat.

Yoongi ne se plaignit pas, il suivit Jimin tant bien que mal, manquant de trébucher à plus d'une reprise du fait de l'obscurité, de son épuisement, et de la douleur qui irradiait là où il avait reçu les coups des plus violents. Le général le fit entrer dans la tente, puis il le relâcha d'un mouvement brusque qui envoya l'aîné promener. Le jeune homme sentit son genou droit flancher, il s'écrasa au sol sans lutter.

Lorsqu'il réussit à s'asseoir et se retourna, il remarqua que Jimin le toisait d'un air sévère. Puis, peu à peu, son visage s'adoucit, et il s'accroupit auprès de lui.

« Maintenant que nous sommes seuls et qu'il n'est plus nécessaire ni pour vous ni pour moi de jouer la comédie, dites-moi ce qui s'est réellement passé.

— Je les ai attaqués, souffla Yoongi sans oser soutenir son regard bienveillant.

— Je vous avais cru quand vous l'avez affirmé la première fois. Ce que je veux savoir, c'est la raison pour laquelle vous avez décidé de frapper.

— Ils... ils ont parlé de mon peuple.

— Qu'ont-ils dit ?

— Ils... »

Yoongi déglutit, et Jimin lui tendit une main qu'il saisit sans hésiter, en confiance avec lui. Ils se redressèrent tous deux, puis le Phénix s'assit sur la méridienne dans un soupir d'aise. Il ne s'y allongea pas néanmoins de peur de la salir. Il était en piteux état, couvert de terre et d'un peu de sang.

« Je n'ai pas réagi quand ils nous ont traités de sorciers. D'une certaine manière, même s'il s'agit d'une insulte pour eux, surtout au vu de leur ton, je ne le perçois pas de cette façon. Nous pratiquons la magie, cela peut être associé à de la sorcellerie, j'en conviens. »

Jimin acquiesça pour marquer son attention. Yoongi baissa les yeux sur ses propres mains qui jouaient l'une avec l'autre sous l'effet de la nervosité. Il se décida à poursuivre.

« Ils ont compris que cela ne me vexait pas, alors ils... ils ont dit que nous, les Phénix, étions des monstres.

— Yoongi...

— Je suis gardien des savoirs, Jimin : savez-vous quelles sont les seules occurrences de cette insulte envers mon peuple ?

— Je l'ignore.

— Le seul moment de l'histoire où elles apparaissent, c'est dans l'année qui précède le génocide. Yon Palik, Jang Jinhwa, Ji Sangpo : même les hommes de lettres les plus virulents ne nous avaient pas traités de monstres en leur temps. Et quand cette insulte se répandit, quand enfin les Élémentaires se convainquirent qu'ils ne s'en prenaient pas à des humains mais à des monstres... alors ils n'éprouvèrent plus aucun remords à nous massacrer. Jimin, c'est en déshumanisant autrui qu'on signe son arrêt de mort. Et je ne suis pas un monstre. Un sorcier, peut-être, mais pas un monstre.

— Vous n'êtes pas un monstre, Yoongi, j'en conviens volontiers. »

Le jeune homme s'assit auprès de son aîné sur le genou de qui il hésita à poser une main réconfortante avant de se raviser. Il se contenta de se pencher pour lui sourire de façon sincère.

« Vous voyez ? Je n'oserais pas m'asseoir à côté d'un monstre.

— Merci

— Pour tout dire, au vu de nos forces respectives, je pense que si mes hommes devaient craindre l'un de nous deux, ils devraient avant tout me craindre moi, et non vous.

— J'en conviens, pouffa Yoongi que cette remarque avait détendu. Je vous laisse cet honneur avec plaisir.

— Quelle bonté. Je l'accepte avec joie. »

Ils échangèrent un regard amusé, et le général poussa un soupir en retrouvant son sérieux.

« Est-ce que vous allez bien ? Vous semblez avoir essuyé bon nombre de coups...

— Ils se contentaient de me menacer avec leurs armes. Ils ne m'ont frappé qu'avec le poing ou le pied. Je ne suis pas blessé. J'aurai sans doute quelques bleus.

— Et vous, que faisiez-vous avec cette dague sombre ?

— Je peux modeler l'ombre à ma guise puis la densifier à loisir. Cette dague servait à les faire reculer, je ne l'ai pas utilisée contre eux. J'ai essayé de les immobiliser, j'ai essayé de les faire reculer, mais... à quatre contre un, c'était difficile.

— Pourquoi les avoir frappés si vous saviez qu'ils répliqueraient ensemble ?

— Je n'ai pas réfléchi, vous vous en doutez.

— En effet. »

Acculé, Yoongi avait compris que ces Arixiens s'apprêtaient à l'attaquer. Ils l'avaient encerclé, insulté, ils n'hésiteraient pas. Or, le Phénix savait que dans un tel moment, il ne fallait témoigner d'aucune faiblesse : il devait frapper le premier, au moins pour les surprendre, au mieux pour les inciter à le laisser en paix. Il avait généré une vive lumière qui avait aveuglé ses assaillants sans l'éclairer lui, son visage protégé par l'ombre, et il s'était jeté sur les hommes face à lui. Déstabilisés, ces derniers avaient tenté de répliquer. Plusieurs coups l'avaient atteint. Quand ils s'étaient habitués à cette clarté, Yoongi l'avait fait disparaître, et lui qui y voyait davantage que les Elémentaires dans l'obscurité s'était retrouvé contre des adversaires incapables de distinguer sa silhouette, tous soudain plongés dans le noir.

Un uppercut bien placé l'avait déconcentré et il ne s'était plus trouvé apte à utiliser de puissants sorts. On l'avait battu, il avait réussi à se cacher sous un bouclier d'ombre et reculer puis se redresser, une dague à la main, quand Jimin était arrivé. Son sauveur.

« Yoongi, mes hommes ont été stupides de s'en prendre à vous, mais vous l'avez été tout autant de répondre par la force. Je vous prive de nourriture pour une journée, jusqu'à demain midi donc, et vous serez de corvée de nettoyage demain, nous ne nous entraînerons pas.

— Bien... et les autres soldats, seront-ils punis ? »

Jimin esquissa un rictus espiègle en se relevant. Yoongi savait que cela annonçait quelque chose qui risquait de ne pas lui plaire.

« Ils seront privés de nourriture jusqu'à demain midi... et vous serez de corvée de nettoyage ensemble, pour vous apprendre la camaraderie. »

Hébété, le Phénix ne répondit pas. Son ami se posta devant lui et l'examina des pieds à la tête. Il prit une moue songeuse.

« Hum, ce n'est pas joli, vous êtes couvert de terre et de sang. Vous devriez vous rendre à l'infirmerie.

— Ce ne sera pas nécessaire. »

Jimin avança la main vers le visage glabre de son aîné qui ne broncha pas. Il enveloppa sa joue gauche de sa paume et, du pouce, appuya sur sa pommette sans forcer. Yoongi grimaça. Il avait pris ici un coup qui, sans aucun doute, avait dessiné une marque hideuse.

Le jeune général néanmoins ne recula pas, frottant avec douceur la zone abîmée, dont le Phénix comprit qu'il retirait de la terre ou du sang – il ne s'était pas regardé dans un miroir, et il envisageait d'esquiver son reflet pendant quelques jours. Pourtant, son geste recélait une telle délicatesse, exprimait une telle empathie, que Yoongi dut rassembler tout son flegme pour ne pas laisser deviner que cela lui plaisait.

Jimin mieux que quiconque savait le mettre à l'aise, depuis un moment déjà il l'attirait, et Yoongi se sentit stupide de se demander à quoi pouvait bien ressembler le fait de perdre sa virginité dans les bras d'un homme comme lui. Il s'interrogea sur sa façon de caresser le corps d'un amant, sur sa façon d'embrasser, sur sa façon de faire l'amour.

Le Phénix écarta la main de son ami d'un mouvement incertain.

« Très bien, je vais aller me faire examiner. »

Jimin insista pour l'accompagner, craignant que le Phénix ne se mette dans l'embarras une nouvelle fois. Yoongi voulut y lire une preuve d'affection.

~~~

« Voilà pourquoi j'ai besoin de votre aide, » conclut Taehyung avec un visage suppliant.

Assis face à lui, Namjoon acquiesça, l'air pensif.

Le poète était arrivé un quart d'heure plus tôt, affirmant qu'il devait lui parler de toute urgence, s'excusant pour la gêne occasionnée – il savait son ami encore très fragile du fait des récents évènements. Namjoon, qui se doutait que son cadet ne le dérangerait pas sans une excellente raison, ne lui en avait pas tenu rigueur et lui avait proposé de préparer le thé, puisque Seokjin s'en avérait incapable pour l'instant et que lui-même ne tenait pas debout longtemps avant de ressentir des douleurs. Taehyung s'était exécuté aussitôt, et Namjoon était allé s'asseoir au salon.

À peine l'avait-il rejoint que le jeune homme lui avait raconté tout ce qui s'était passé, tout ce qu'il avait appris au sujet de Jung Hoseok et ses soldats. Son ami l'avait écouté sans le couper, et Taehyung avait parlé avec un débit si rapide qu'il l'avait épaté.

« Écoutez, soupira enfin Namjoon, ce que vous me demandez... c'est de la folie. »

Taehyung baissa les yeux, coupable.

« Ce qui tombe bien néanmoins, reprit son aîné, puisque l'on m'a fait remarquer plus d'une fois que j'étais fou.

— M'aiderez-vous ? s'enquit Taehyung dans les prunelles de qui se mit à étinceler l'espoir.

— Je vous aiderai, oui. Je pense que c'est effectivement le mieux que nous puissions faire. En revanche, un détail m'ennuie, je vous l'avoue.

— Ah ? Lequel ? »

Il avait pourtant pensé à tout, il le savait !

« Vous courrez un grand risque, vous risquez de devoir tout abandonner et, malgré tout, de ne trouver votre place nulle part.

— Je ne le sais que trop... mais que représente ma vie face à des enjeux si importants ?

— Je vous comprends, mais comprenez vous aussi que je m'inquiète pour vous, mon ami.

— Je suis désolé, je ne changerai pas d'avis.

— Je le respecte, » approuva Namjoon.

Taehyung connaissait assez cet homme politique brillant pour savoir qu'il lui cachait quelque chose. Namjoon avait concentré son attention sur son thé qu'il remuait sans raison, de façon distraite. Le poète patienta, les mains serrées autour de sa propre tasse à la céramique brûlante. Quel autre scénario pouvait-on envisager ?

Namjoon poussa un soupir exagéré.

« Pardonnez-moi, je suis un peu ailleurs en ce moment. Entre mes blessures et le message du général Park, je fatigue.

— Un message ? »

Il ne lui parlait jamais de sa correspondance, pourtant.

« Oui, mon ami le général m'a fait savoir que le contingent tyfodonien que j'avais réussi à faire voter à l'Assemblée lui apporterait une aide précieuse, et qu'il espérait surtout qu'elle soit suffisante pour ses projets.

— Des... projets ? Qu'entendez-vous par là ?

— Le lieutenant Jeon ne vous en a-t-il pas parlé ? Je comprends, cependant : la chose est supposée rester secrète.

— Je n'en piperai mot, jura Taehyung.

— Le général Park et ses troupes ont besoin de renforts... car ils s'apprêtent à envahir Sawa afin de délivrer les derniers Phénix du Continent, retenus prisonniers par le Prince.

— Des... i-il reste des Phénix sur le Continent ? bredouilla-t-il ébahi.

— Oui, dont un a été sauvé par le général Park quelques semaines plus tôt. Un homme doué de magie et qui a affirmé que les siens, qui avaient réussi à se cacher cinq siècles durant, avaient été retrouvés par l'armée sawaï qui les avait capturés. Pour empêcher, donc, le Prince de disposer à sa convenance de leur immense pouvoir, il a été décidé de le combattre, de faire une percée éclair jusqu'à Hurna et de délivrer les Phénix.

— Bon sang, je n'en reviens pas...

— Et vous imaginez bien que même rapide, le général Park, s'il ne dispose que de trois troupes, risque d'être vite mis en difficulté. Quant à moi, j'ai beau plaider sa cause, vous comprenez que je ne peux pas révéler cela à l'Assemblée, qui se hâterait de faire arrêter et condamner le général Park et ses lieutenants – et allez savoir ce qu'ils feraient du Phénix. De fait, ne sachant pas ce qui se prépare, ils refusent sans arrêt l'envoi de nouvelles troupes au camp n° 7. Je ne sais plus quoi faire. »

Taehyung sourit, amusé de ce manque de subtilité volontaire.

« Ah si vous saviez, se plaignit Namjoon de façon exagérée. Pourtant, une mission comme celle-ci, tant de guerriers rêveraient d'en mener : vainqueurs, ils reviendraient auréolés de gloire, admirés de tous. Il va de soi que même si le général sera d'abord critiqué pour avoir provoqué cette guerre, quand il la gagnera, on l'acclamera, on oubliera ce que l'on a considéré comme une erreur, et on célèbrera son nom. »

Le poète acquiesça, Namjoon se tut.

« Je comprends tout à fait qu'il soit dans une situation tendue, approuva Taehyung. Si seulement il y avait en ville des soldats prêts à tout pour laver leur honneur et retrouver une vie paisible ! Je suis convaincu qu'ils vous aideraient avec joie. Mais je me disperse, revenons à notre discussion première : m'aiderez-vous ?

— Bien évidemment. »



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Ouh, ça devient intéressant... :3

Bref ! Pour ceux qui l'ignorent malgré toutes les images que j'ai déjà générées pour ce roman, j'adore les IA génératrices. Elles me permettent d'habiller mon texte d'une façon qui n'aurait jamais pu se faire autrement (non, jamais je n'aurais rémunéré un artiste pour me dessiner 90 illustrations si complexes, je suis pas encore milliardaire), mais surtout de lui donner corps, à ce texte. A plusieurs reprises les images que j'avais générées m'ont aidée à mieux visualiser un lieu ou un personnage.

Après les images, donc, je suis passée à l'étape supérieure : j'ai rentré les paroles du poème que chante le personnage de Yoongi au chapitre 13 sur un site qui permet de générer une chanson. J'ai trouvé le rendu vraiment excellent pour une musique composée et interprétée par une intelligence artificielle (c'est épique, ça envoie grave du lourd, j'adore !), alors je l'ai sauvegardée et postée sur YouTube pour pouvoir l'intégrer à ce livre. Ainsi, au milieu du chapitre 13, vous pouvez désormais retrouver cette vidéo. ^^

D'ailleurs, j'ai tellement adoré que je suis en train d'en écrire une autre pour un passage bien plus avancé du roman. J'avais à l'origine prévu un nouveau poème à cet endroit mais avais abandonné l'idée par flemme, sauf que là, si c'est pour une nouvelle chanson, y a plus aucun souci, je veux le faire ! XD

Je vais finir avec un album entier d'OST, on est pas prêts, je vous le dis.

Plus sérieusement, j'ai strictement aucun talent musical. J'aime beaucoup écrire des poèmes, mais impossible pour moi d'imaginer une mélodie, quant au fait de chanter, croyez-moi ni vous ni moi ne voulons entendre ça. Ma seule chance d'entendre un jour mes textes sous forme de chanson, c'était l'IA. Et je sais pas si vous pouvez vous figurer ce que j'ai ressenti la première fois que j'ai écouté cette chanson. Savoir que ce sont mes paroles, mes mots... c'est incroyable.

Alors je sais que beaucoup de gens sont contre les IA, mais je fais partie de ceux qui considèrent l'intelligence artificielle comme un couteau : tu peux t'en servir tranquillement chez toi pour appliquer ton beurre sur ton pain, ou bien tu peux t'en servir pour blesser autrui. J'ai vu des gens utiliser les IA de façon aberrante, allant même jusqu'à railler de véritables artistes en leur mettant sous le nez des images qu'ils avaient réussi à générer en une poignée de secondes. C'est juste cruel et ça n'apporte strictement rien. Donc je suis désolée si certains d'entre vous méprisent les IA comme celle de Bing ou comme Suno (celle que j'utilise désormais pour créer des chansons), mais pour ma part, elles me permettent de développer l'univers de mon roman, de lui apporter une consistance dont je n'aurais pas même osé rêver jadis. Désormais, L'œil du Phénix, c'est un monde que l'on peut lire, voir, et même entendre. T-T

Donc voilà, il y aura sans doute au moins une autre chanson, je verrai si d'autres passages m'inspirent mais pour lors, seul un me paraît adéquat. J'espère que cette histoire et tout ce qui s'y rapporte continuera de vous plaire, merci encore de me suivre depuis le début  de ce livre, à très bientôt pour la suite ! ^3^

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