Chapitre 29
« La prêtresse : Si seulement ils savaient. Si seulement ils acceptaient de n'être plus ignorants... »
– Moon Sungpio, La dame de la lune.
Ses armes brandies devant lui, le général Park visa un premier soldat.
« Yoongi, le plus à gauche ! »
Le Phénix comprit ce qui était attendu de lui. Il se concentra, les mains tendues devant lui, le souffle haletant sous l'effet de la nervosité. Il ne devait surtout pas décevoir celui qui lui avait tout appris de son pouvoir et de sa véritable force.
L'ennemi tout à gauche fut stoppé en plein mouvement, d'une façon si brutale qu'il écarquilla les yeux. Il jurerait qu'un être invisible le retenait, cramponné à chacun de ses membres. Il n'eut pas le loisir de réfléchir davantage à sa situation : d'un coup de jingum, Jimin lui trancha la carotide. Le combattant s'effondra tandis que deux autres s'attaquaient au militaire arixien. Le dernier, en revanche, se jetait sur Yoongi qui le regarda approcher, horrifié et tétanisé.
Il était en danger. Lui, pas quelqu'un sous sa protection. Sa vie était en danger.
Reculant de plusieurs pas par réflexe, le Phénix tendit de nouveau les mains devant lui. Le soldat se figea, Yoongi dégaina sa dague. La vraie. Celle en acier. Il lui semblait tout à coup qu'elle pesait plus lourd que celle en bois. Elle pouvait donner la mort. Il devait tuer, sinon quoi ce serait lui qui mourrait. Il devait tuer.
Son pouvoir s'épuisait vite, mais Yoongi, le poing serré sur l'arme qu'il n'arrivait pas à utiliser, demeurait statique. Un Phénix ne devait jamais recourir à ses capacités pour assassiner. Il avait déjà trop bravé l'interdit, et sa conscience se rappelait à lui au pire moment.
L'homme face à lui l'observait avec une telle haine dans le regard que Yoongi en frémit. Abattre l'adversaire avec sa magie lui semblait trop éprouvant, mais avec une lame ! Faire couler le sang, jamais il n'y parviendrait ! Il n'était pas comme eux, il pouvait aider Jimin et ses troupes, mais il n'arrivait pas à se débarrasser même des ennemis ! Ils l'avaient capturé, torturé, ils avaient enlevé sa sœur, massacré les siens ! Ils devaient mourir... mais ils ne mourraient pas de sa main.
Yoongi, percevant des pas qui se rapprochaient derrière lui, relâcha son attention de même que son pouvoir. Son opposant bondit sur lui. Le Phénix bascula en arrière, sa dague pointée devant lui pour se défendre. Il lut la folie dans les iris de celui qui s'apprêtait à le kidnapper.
Puis un éclat brillant entra dans le champ de vision de Yoongi, et il détourna la tête aussitôt quand une longue lame de jet se ficha dans l'œil droit du Sawaï. Ce dernier s'effondra tout près du jeune homme qui se releva de façon maladroite, l'estomac retourné.
Sans un mot, deux silhouettes passèrent devant lui pour rallier Jimin, et Yoongi reconnut avec un temps de retard les frères Han. Désormais à trois contre deux, les Arixiens reprirent le dessus, et Yoongi fit volte-face pour surveiller leurs arrières. Des soldats les avaient repérés et tentaient d'abréger leur combat pour les rejoindre.
Le Phénix, son regard fou sautant d'un groupe à l'autre, serrait sa dague au point qu'il sentit des crampes naître dans ses mains réunies sur son pommeau.
« Jimin ! »
Le général venait d'achever son adversaire, les frères Han avaient assez blessé le leur pour le mettre à mort sous peu. Jimin se retourna le premier, et en voyant l'attention qu'avait suscitée leur combat, il comprit que les Sawaï savaient. Ils savaient que parmi eux quatre se trouvait le Phénix tant recherché – et chacun ici connaissant Jimin, il ne restait plus que trois suspects.
« Par Pyros ! Yoongi, fuyez !
— Je ne serai en sécurité nulle part !
— Que voulez-vous faire alors, vous battre ?
— Assurer vos arrières. »
Jimin échangea un regard avec les frères Han au pied de qui gisait un cadavre encore chaud.
« Vous nous expliquez, mon général ? demanda l'aîné avec un geste de la tête en direction de Yoongi.
— Yoongi est un Phénix, il est le prisonnier que votre petit frère suspectait se trouver dans la forteresse sawaï attaquée le mois dernier, maintenant nos punaises préférées souhaitent le récupérer à tout prix, et le tout est supposé rester secret. Des questions ?
— Non, c'était très clair.
— On ne peut plus clair, confirma le plus jeune frère. Et si on allait tuer des gens ?
— Avec plaisir, à toi l'honneur, petit frère. »
Le cadet s'élança avec une vigueur nouvelle en direction des affrontements. Jimin, à cet instant, attrapa le poignet de son ami pour l'inciter à concentrer son attention sur lui.
« Yoongi, vous ne devriez pas tant vous approcher, ils risquent de vous avoir.
— Je compte sur vous pour me protéger. Protégeons-nous mutuellement.
— Je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit.
— Alors combattez comme vous savez le faire. »
Il hésita encore, mais quand des hommes avancèrent, il ne put s'accorder davantage le temps de réfléchir. Il s'en alla sous le regard du Phénix qui s'occupa d'immobiliser un court instant ceux qui osaient s'approcher de trop près de son cadet. Comprenant qui était celui qu'ils recherchaient, une femme dont l'autorité prouvait le grade élevé – sans doute le lieutenant de cette unité – ordonna que l'on capture le garçon que protégeait le général Park.
« Par Hiemis ! » maugréa Yoongi lorsque toute l'attention se concentra sur lui.
Et dire qu'il avait espéré rester discret...
« Arixiens, protégez celui dont nos ennemis cherchent à s'emparer ! clama à son tour Jimin d'une voix forte. Protégez votre peuple ! »
Des cris d'un enthousiasme forcené lui répondirent, et les combats s'intensifièrent, car à présent l'enjeu était plus clair qu'à l'accoutumée : un unique et frêle jeune homme que remporterait le gagnant.
Jimin avait lancé toutes ses étoiles d'acier. Impossible désormais d'attaquer de loin pour lui. Il devrait compter sur les quelques archers de la troupe de Taehyun.
Pour lors, aucun camp n'avait l'avantage. Les heurts se poursuivirent pendant un temps incalculable, et Yoongi immobilisa plus d'ennemis qu'il l'avait espéré. Or, sa fougue commençait à se tarir, et malgré l'écart que ses capacités permettaient de creuses entre Arixiens et Sawaï, l'affrontement n'en finissait pas : il se déroulait à présent aux flambeaux, alors que le ciel s'était endormi en dépit de la fureur de l'acier dont les hurlements émaillaient la nuit.
Yoongi avait manqué par deux fois de se faire capturer, la seconde bien plus marquante que la première, puisque le soldat adverse avait réussi à lui attraper le bras avant de s'effondrer, la dague de Jimin plantée dans le dos. Il l'avait lancée, il ne lui restait que son sabre alors même qu'il se chargeait de deux ennemis à la fois. Son talent ne cessait pas d'émerveiller le Phénix, qui ne se sentait néanmoins plus la force de lui porter secours. Il tremblait de fatigue, son front cognait, ses sens lui semblaient engourdis, et un premier vertige l'avait assailli quelques instants plus tôt.
Il ne tiendrait plus longtemps.
Les blessés quittaient le champ de bataille un à un. Épuisé, Yoongi cherchait un moyen de continuer d'aider Jimin, et il le trouva en touchant par réflexe le pommeau de sa dague, qu'il lui envoya après l'avoir interpelé. Le général tourna à peine la tête. Il attrapa l'arme d'une main, parant une attaque de l'autre, et il brandit les deux lames avec un sourire victorieux.
Yoongi prit une profonde inspiration qui rendit plus nette sa vision. Il aperçut alors un homme et une femme, tous deux vêtus de rouge et de noir, tous deux en train d'avancer derrière des tentes qui les dissimulaient de Jimin, qui de toute façon était aux prises avec deux adversaires coriaces. Le Phénix, haletant et les tempes vrillées par la douleur, tenta un regard en direction de Jimin qui pour sa part ne lui en accorda pas un seul.
Puis il redirigea ses yeux glacés sur les deux silhouettes, et il essaya de s'éloigner, rejoignant Jimin en chancelant dans l'espoir d'attirer son attention. Il trébucha et s'agenouilla dans l'herbe du camp. Sa vue s'assombrit un bref instant, après quoi il remarqua que les soldats sawaï s'étaient rapprochés.
« Jimin... »
Le soldat se tourna après avoir repoussé ses adversaires. Il écarquilla les yeux en découvrant son ami à terre, deux Scorpions prêts à fondre sur lui. Absorbé une trop longue seconde par ce spectacle, cette urgence qu'il ressentit soudain, il ne vit pas le katana qui se levait derrière lui, sur le point de s'abattre dans son dos.
« Derrière vous ! » hurla Yoongi en tendant le bras dans l'espoir de lui indiquer le danger.
Ses ultimes forces se concentrèrent et, sous l'effet de la panique, il provoqua un phénomène ahurissant : un immense mur d'ombre se dressa entre Jimin et ses deux assaillants, ce qui attira l'attention sur le général qui fit volte-face. Des boucliers similaires s'élevèrent entre chaque combattant arixien et son ennemi, et très vite Jimin remarqua qu'au contraire de ceux précédemment érigés par le Phénix, cette fois ils paraissaient évanescents, constitués de fumée plutôt que d'une obscurité solide.
Il comprit aussitôt et abattit son arme sur un Scorpion qui s'effondra, touché à travers le rempart que lui ne pouvait cependant pas franchir.
« Attaquez, Aigles : il s'agit de boucliers que vos armes traversent ! » hurla-t-il.
Et tandis que chacun se jetait à corps perdu dans une bataille soudain bien plus simple pour lui, Yoongi, qui avait reposé les paumes à plat sur le sol pour s'y appuyer et retrouver son équilibre, se laissa choir à plat ventre, fourbu et incapable de garder les paupières ouvertes plus longtemps.
Il perçut une présence tout près de lui, quelques sons qui témoignaient d'un duel tout proche, puis une main bienveillante glissa sous sa tête tandis qu'une autre lui caressait les cheveux avec douceur.
« Yoongi, m'entendez-vous ?
— Jimin...
— Je vais bien. Grâce à vous, il a suffi de quelques minutes pour que les Scorpions abandonnent l'attaque. Votre pouvoir nous a sauvés.
— Ma tête... J-Jimin...
— Tout va bien, je suis là. Je vous ramène à la tente. Laissez-vous faire. »
Le Phénix sentit une larme lui échapper tandis que les deux bras puissants de son cadet passaient sous son corps pour le soulever avec prudence. Il s'abandonna à cette douceur réconfortante, posant la tête contre le torse du général Park alors que tout son être lui semblait devenu léthargique. Pareil à une poupée de chiffon, il n'arrivait plus à bouger, et une seconde larme coula.
« Vous pleurez du sang, » souffla Jimin.
Yoongi ne sut pas quoi répondre, il garda le silence – parler lui coûtait trop. Il resta contre son ami de longues minutes avant de sentir qu'on le manipulait pour l'étendre sur la méridienne. Les pas de Jimin s'éloignèrent, de l'eau ruissela dans le petit coin qui servait de salle de bains, et l'Arixien revint. Le Phénix fut surpris quand un chiffon humide fut appliqué sur ses pommettes. Jimin épongeait le sang qui avait coulé sur ses joues.
Vidé de toute énergie, Yoongi se contenta d'apprécier ce contact.
« Êtes-vous blessé ? lui demanda le guerrier.
— Non.
— Sûr ?
— Certain. Et vous ?
— Une ou deux égratignures, ricana-t-il. Rien de grave.
— Jimin...
— Oui ? »
Devant son silence, le général lui prit la main.
« Je suis là. Tout va bien, reposez-vous. Je reste à vos côtés. »
Jimin tint sa promesse : il resta auprès de son aîné jusqu'à ce que la fatigue emporte ce dernier. Alors seulement il s'autorisa à quitter sa tente. Dans le campement, il remarqua très vite que l'on ne parlait plus que d'une chose : il y avait un mage ici, un mage qui avait protégé tous les Arixiens contre les Sawaï. Un Phénix se cachait chez eux, et ils avaient tous compris qu'il s'agissait de Yoongi, le mystérieux amant – oui, ils croyaient encore qu'il l'était – du général Park.
Bon nombre de soldats étaient réunis dans la cantine malgré l'heure avancée, en train de discuter, loquace, des évènements advenus ce soir. Quand Jimin entra, un silence parfait s'abattit sur l'assistance.
« J'imagine que cela signifie que vous avez tous compris...
— Général, qui est-il ? osa une femme près de l'entrée d'où le jeune homme n'avait pas bougé.
— Il s'appelle Min Yoongi, et c'est un des derniers représentants du peuple Phénix. »
Des murmures s'élevèrent, que Jimin interrompit en se plaçant au centre de la large pièce. Il résuma au mieux ce qu'il acceptait que les siens sachent. Sa voix gagnait en ferveur à mesure qu'avançait son récit.
« Voilà pourquoi, dès que le lieutenant Jeon nous aura rejoints, nous marcherons sur Hurna : pour contrer les plans des Scorpions, pour délivrer les Phénix, et pour rétablir la paix sur le Continent ! »
Des vivats exaltés résonnèrent, et Jimin sentit un poids quitter ses épaules. Il avait craint que ses soldats ne refusent de combattre pour un peuple qui n'était pas le leur... mais le fait de lutter aux côtés d'un Phénix avec une puissance similaire à celle de Yoongi gonflait leur poitrine d'une farouche envie d'en découdre – sans compter qu'une amitié avec ces gens aptes à manipuler ombre et lumière leur assurait une alliance inouïe.
Les soldats mesuraient l'impact positif de cette quête héroïque non seulement sur leur carrière, mais aussi sur leur vie, sur leur pays, sans compter que tous ou presque respectaient leur chef, auprès de qui ils étaient capables de braver les dangers. Le général Park les conduirait à la victoire, ensuite il pourrait vivre au grand jour son histoire d'amour avec Yoongi – vraiment, ils en étaient convaincus.
Une fois les foules galvanisées, Jimin quitta la cantine. Il se rendit à l'infirmerie où un sergent lui fit son bilan : environ trente morts et vingt blessés, dont six graves. Le jeune homme se rembrunit. Si les Sawaï attaquaient encore avant l'arrivée du lieutenant Jeon, les Arixiens ne seraient pas assez nombreux pour provoquer la guerre sans courir à leur perte. Il lui fallait des soldats supplémentaires, cela devenait urgent.
Pendant qu'il discutait, Jimin fut examiné par un chirurgien qui lui certifia qu'aucune de ses plaies ne nécessitait de points de suture, et qu'il suffisait d'appliquer un baume cicatrisant après les avoir nettoyées.
En rentrant à sa tente, Jimin ne put retenir un regard en direction de la masse recroquevillée sur la méridienne, bien au chaud sous plusieurs couvertures. Il approcha, passa une main tendre dans sa chevelure, et frotta une mèche entre ses doigts, de sorte qu'elle blanchit, peu à peu débarrassée de la poudre qui l'assombrissait. Il esquissa un sourire d'une douceur sans bornes.
« À présent, vous pouvez redevenir vous-même, susurra-t-il, il ne sert plus à rien de vous cacher ici. »
~~~
Lorsqu'il ouvrit les paupières, Jungkook se trouvait à Noria. Il s'étira, un sourire léger aux lèvres, et s'assit sur son lit sur lequel il posa un regard qui s'éternisa. Il était arrivé la veille du camp n° 5 avec ses soldats ainsi que ses prisonniers, près de deux cents ennemis, dont Jung Hoseok, le puissant chef de la rébellion contre Tyfodon et Arixium. Il se doutait que du fait des récents évènements, le jeune homme serait remis, avec les siens, à la famille Choi, à la tête de Mournan et donc, de façon indirecte, du territoire de Tyfodon. Eux feraient preuve d'une plus grande souplesse et relâcheraient sûrement les révoltés après une peine de prison ou, pour les plus aisés, une amende. En ce moment, il n'était pas étonnant que les Tigres cherchent par tous les moyens à quitter le pays en dépit de l'interdiction des Choi, que beaucoup ne considéraient pas comme leurs dirigeants.
Jungkook soupira : tout semblait bien plus compliqué quand l'État n'était pas gouverné par un chef unique. Quelle idée de s'organiser en villages indépendants... Mournan elle-même méritait à peine le statut de ville.
Avec l'intention de se détendre, le jeune lieutenant se remémora son arrivée triomphale à la capitale, et il se jura de garder dans son cœur le souvenir délicieux des applaudissements de ses concitoyens... parmi lesquels il espérait que s'était trouvé Taehyung, à qui il entreprit de rendre une petite visite.
Habillé et confiant, Jungkook quitta son domicile peu après le lever du soleil, et lorsqu'il frappa à la porte de la mansarde de son amant, ce dernier mit un temps fou à se lever. Il entrouvrit à peine le battant, les yeux mi-clos, la joue encore marquée par son oreiller, et sa tignasse en bataille. Comme à l'accoutumée, quand il vit l'homme qui occupait la moindre de ses pensées, il s'illumina. Un sourire magnifique éclaira son visage, et il se jeta dans les bras du lieutenant.
« Jungkook, quel plaisir de te voir ! J'espérais que tu me rendes visite ! Tu étais si beau hier sur ton cheval, quel triomphe !
— Tu étais là, je suis heureux, se réjouit-il en lui rendant son étreinte.
— Entre, tu as beaucoup de choses à me raconter, je crois. Je vais préparer le thé. »
Taehyung le laissa passer, son cadet lui adressa un regard reconnaissant et s'installa à la table. Le poète referma puis alla au petit coin qui lui servait de cuisine, autour d'une cheminée qui ralluma pour y faire chauffer son eau. Dos à son bien-aimé, il recula pour l'étagère où il rangeait sa boîte contenant les feuilles à l'odeur de menthe, quand son dos heurta la silhouette de Jungkook, qui lui enlaça les hanches.
« J'aime quand tu m'accueilles... vêtu ainsi. »
Taehyung ne portait qu'une chemise.
« Je sais que tu dors toujours avec un pantalon, poursuivit le militaire, même en été.
— Alors... peut-être cela signifie-t-il que... j'espérais que tu me rendrais visite.
— Et si un autre était venu ? Si un client était venu frapper à ta porte pour un poème ?
— Je ne l'aurais pas laissé entrer, je lui aurais dit d'attendre une minute pendant que je me changeais. Il n'y a que pour toi... que je m'habille de cette façon.
— Essaierais-tu de m'aguicher ?
— Peut-être.
— Avoue que c'est de me voir parader hier soir qui t'a donné envie, minauda Jungkook en déposant des baisers sur son cou laiteux.
— Hum... c'est bien possible... je t'ai attendu toute la soirée, tu sais...
— Après mon petit numéro, j'ai dû m'entretenir avec plusieurs supérieurs. Mais moi aussi, je n'attendais que de te voir de nouveau... te toucher de nouveau...
— Me faire l'amour de nouveau ? tenta Taehyung en se tournant pour lui faire face tandis qu'il jetait les bras autour de son cou.
— Aussi. C'était dans mes projets.
— Avant ou après le thé ?
— Avant quoi que ce soit d'autre. »
Le poète rayonnait d'un bonheur candide. Son cadet lui prit le menton en douceur.
« Puis-je t'embrasser ?
— Bien sûr. »
Il n'attendit pas une seconde de plus pour fondre sur sa bouche tandis qu'il glissait les mains sous sa chemise pour lui caresser le dos, les reins, puis se repaître de la rondeur sublime de son postérieur qu'il malaxa tout en collant son bassin au sien.
Le cœur de Taehyung bondit dans sa poitrine à cette tendre sauvagerie qu'il adorait. Ses gestes, sa façon d'agir, ses mots, sa voix, même son odeur : tout chez lui le rendait fou de désir. Il l'aimait de toute son âme, et chaque fois que Jungkook et lui couchaient ensemble, la symbiose qui se dégageait de leur union lui prouvait que ses sentiments étaient, d'une certaine manière, partagés.
Ils s'embrassèrent, se touchèrent, se dénudèrent, finirent sur le lit un peu trop petit, dont la taille leur importa peu, puisqu'au moins elle leur permettait de se serrer l'un contre l'autre. Ils s'abandonnèrent aux plaisirs charnels, remplirent la pièce pauvrement meublée de leurs gémissements, de leurs soupirs, de la fragrance de leur passion, et de la chaleur de leurs deux peaux en sueur.
Leur désir assouvi, ils s'enlacèrent, se câlinèrent, s'embrassèrent de nouveau, et les mains redevinrent baladeuses, les yeux brasillant, les lèvres quémandeuses. Ils firent l'amour derechef, échangeant leur position pour savourer tout ce que l'acte pouvait leur offrir. Ils profitèrent à leur manière de leur matinée ensemble – quoi de mieux que cette extase débordante de luxure pour jouir d'un peu de temps libre ?
Jungkook, qui s'était laissé aller aux coups de reins délicieux de son aîné, s'endormit dans ses bras tandis que ce dernier l'observait, empli d'admiration pour son sourire séraphique et son visage d'une pureté sans pareille. Il caressa sa chevelure, lui embrassa le front, et se lova contre lui tant pour se régaler de sa présence que pour éviter de tomber de son lit trop étroit. Il ferma les yeux à son tour, des vers plein la tête pour chanter la gloire de celui qu'il chérissait de tout son cœur.
Ils se réveillèrent presque en même temps, les mouvements de Jungkook tirant l'autre de son sommeil.
« Bonjour, beau jeune homme, ricana le militaire en lui effleurant la joue du dos de la main.
— Bonjour, beau guerrier.
— Hum, tu as ce genre de fantasmes ?
— On dirait bien. »
Ils échangèrent un regard trop long pour être anodin, et après un ultime baiser, ils se rhabillèrent. L'hôte prépara comme convenu le thé, et ils se retrouvèrent face à face à la table, leur tasse devant eux.
« Tu étais venu me voir pour le poème, est-ce bien cela ? s'enquit Taehyung.
— Oui, si tu savais tout ce qui s'est passé ! Il faut que je te raconte, j'ai tenté de ressasser tous les soirs chaque détail pour tout te dire sans oublier quoi que ce soit ! Bon sang, les combats étaient épiques, et cet ultime affrontement avec Hoseok... j'en tremble encore d'excitation ! Le général Park m'a témoigné une confiance incroyable, et je suis fier d'avoir accompli ma mission avec succès.
— Combien de temps vas-tu rester ici ? Auras-tu le temps de tout me raconter ?
— Sans aucun doute : je dois rester quelques jours, j'ai pas mal de soldats un peu amochés, nous ne pouvons pas retourner tout de suite à notre camp.
— Je t'avoue que si je suis désolé pour eux... je suis malgré tout content de savoir que je pourrai rester avec toi plusieurs jours.
— Oh, je... oui, je pourrai prendre le temps de tout te raconter, mais... j'ai aussi plein de choses à faire, tu comprends ? »
Taehyung comprenait : à part pour préparer son épopée à son sujet et peut-être profiter de son corps, Jungkook ne comptait pas rester auprès de lui.
« Oui, bien sûr, ce n'est pas un souci. Tu es un homme important, un lieutenant, acquiesça-t-il avec un entrain mal feint.
— Exactement. Ne m'en veux pas, s'il te plaît.
— Je ne t'en veux pas.
— Très bien.
— Es-tu libre aujourd'hui ?
— Oui.
— Parfait, alors tu vas pouvoir tout me raconter. N'oublie pas que chaque détail est important, depuis les odeurs jusqu'à l'ambiance dans les rangs des soldats.
— Je n'ai pas oublié. »
Taehyung lui sourit, et une fois le thé bu, il alla chercher une pile de parchemins ainsi qu'un crayon. Jungkook commença son récit, qu'il ne coupa que lorsque la faim resserra son étau sur les estomacs des deux hommes qui décidèrent d'une pause après une heure de discussion. Le poète relut ses notes, satisfait de ce qu'il avait déjà collecté, puis proposa à son lieutenant qu'ils aillent déjeuner dans un petit restaurant près de chez lui. Il lui vanta des plats copieux à prix raisonnable, ce qui incita Jungkook à accepter.
Redevenus de simples amis, ils rassasièrent leur appétit en conversant de façon banale, et quand ils rentrèrent au domicile de Taehyung, ce ne fut que pour que ce dernier prenne ses affaires avant de suivre son cadet chez lui pour continuer son travail dans un lieu plus confortable.
Ils s'installèrent au salon, et Jungkook poursuivit son histoire. D'abord assis, il se laissa lui-même submerger par son récit : il effectuait des gestes amples pour mimer aussi bien des coups de sabre que d'autres concepts plus vagues – ce qui ne manqua pas d'amuser Taehyung qui ne l'aurait pas imaginé si impliqué –, et il en vint même à se lever pour une meilleure liberté de mouvement.
Le poète acquiesçait par moment, et une fois son épopée terminée, Jungkook porta son verre d'eau à ses lèvres.
« Et voilà, maintenant tu sais tout, conclut-il. As-tu des questions ? »
Taehyung feuilleta ses notes, songeur, en nia d'un mouvement de tête.
« C'était très complet, j'ai bien plus d'informations que je ne pouvais l'espérer, merci beaucoup, Jungkook.
— C'est vrai ? Alors penses-tu... réussir à l'écrire, cette épopée ?
— Je pense que oui, mais il faudra que je voie Jung Hoseok.
— Comment ? Mais... pourquoi ?
— Je te l'avais dit, non ? s'étonna Taehyung devant sa réaction. Je préfère avoir les points de vue de tous les protagonistes, cela me semble plus juste.
— Mais Hoseok va diminuer mon exploit, j'en suis convaincu ! Il va peut-être même chercher à me ridiculiser !
— Ne t'en fais pas. En vérité, ce qui m'intéresse le plus, ce n'est pas tant son point de vue sur le combat, c'est plutôt son avis sur ce qui l'a provoqué, sa motivation pour nous attaquer, est-ce que tu comprends ? Ce qu'il me dira du combat, je le garderai en tête si cela concorde avec ta version, et de toute façon tu es le vainqueur : il pourra changer tout ce qu'il voudra, cela ne changera pas l'issue du combat, il a perdu.
— Hum... je comprends un peu mieux.
— Ne t'en fais pas, mon but est avant tout de te mettre en valeur, pas forcément de rapporter tous les faits tels qu'ils ont réellement eu lieu.
— Tout ce que je t'ai dit était vrai.
— Je te crois, approuva-t-il. Ce que je veux dire, c'est que le témoignage de Hoseok me sera utile pour certaines parties qui le concernent lui, mais quand il s'agira de toi, je ne tiendrai pas compte de son avis, je te rassure.
— D'accord... oui, je vois. Je suis d'accord.
— En revanche, je n'ai pas mes entrées dans la prison des empereurs, hésita soudain le jeune poète. Alors... si tu pouvais... me prêter mainforte, tu comprends...
— Je t'y ferais entrer. Je pense pouvoir t'y amener demain. Le gardien ne verra aucun mal à ce que tu interroges le prisonnier. Je lui demanderai à ce que tu restes en dehors de sa cellule et à ce qu'il veille sur toi. Ne t'en fais pas, tu seras protégé.
— Je sais, tu me protèges toujours, Jungkook.
— C'est cela d'être militaire, je protègerai les Arixiens jusqu'à mon dernier souffle. »
Il serra le poing avec une détermination qui attendrit Taehyung, lequel avait néanmoins espéré que son amant lui avoue le protéger lui plus que quiconque. Il en attendait décidément trop. Quoi que Jungkook ressente pour lui, il n'accepterait jamais ni de le reconnaître ni de le concrétiser.
Taehyung réunit ses parchemins et s'inclina devant le soldat pour le remercier pour la journée qu'il lui avait accordée, puis il s'en alla.
Une étrange appréhension lui alourdissait le ventre à l'idée de rencontrer Jung Hoseok dès le lendemain.
~~~
Comme au camp arixien n° 5, le soleil avait baigné Noria toute la journée avant de se coucher à l'horizon. La ville dormait, sereine, tandis que s'obscurcissaient ses rues. On y allumait des réverbères d'un geste sûr et tranquille pour y apporter un brin de lumière en dépit du peu de personnes qui y circulaient. Les habituelles odeurs des dîners préparés par les paisibles citoyens de la capitale se mêlaient pour former une fragrance agréable qui mettait l'eau à la bouche, promesse de festins par dizaines, et l'air s'était rafraîchi au point que l'on ne sortait plus qu'avec un épais manteau, les bras malgré tout couverts de chair de poule.
Dans un recoin discret d'une venelle, un homme replet incapable de tenir en place se tortillait d'impatience autant que d'anxiété. Il tournait sans cesse la tête de gauche à droite, au point qu'il risquait bien de finir par se la dévisser. Or, il s'immobilisa dès qu'il avisa un colosse qui approchait depuis l'artère principale de Noria. Il frémit devant son physique massif, ses muscles volumineux et, surtout, son regard qui semblait plus sombre encore maintenant que seule la lune éclaircissait la pénombre. Au contraire de celui qui l'attendait en hanbok, l'étranger portait une armure noire dépourvue du céruléen arixien : cette couleur unique indiquait l'appartenance au groupe des mercenaires.
« Monsieur Na, salua ce dernier.
— On m'a conseillé vos... services, affirma l'autre. On dit qu'avec vous, il n'y a rien à craindre.
— Donnez-moi deux noms et un mobile, et vous aurez ce que vous désirez.
— Kim Namjoon, homme politique, Kim Seokjin, son esclave, et pour le mobile... sa liberté.
— Sa liberté ? s'étonna le guerrier. Mais s'il est esclave, tuer son maître ne le libèrerait pas, c'est l'une des premières choses qu'on leur apprend lors de leur éducation : quand le maître meurt, l'esclave est soit transmis à un proche, soit revendu.
— Faites-moi confiance.
— Si le mobile n'est pas cohérent, alors je risque...
— Il l'est, asséna-t-il avec froideur. Ne vous occupez pas des détails. Et de toute façon, je vous couvrirai.
— Très bien.
— Avez-vous bien reçu le détail du lieu et de l'endroit ?
— J'ai tout.
— Vous ne devez surtout pas le manquer, sinon quoi ce sera trop tard, tout cela ne servira plus à rien. Veillez à venir en avance.
— Je n'y manquerai pas. J'imagine aussi que vous savez comment je procède pour le paiement. »
Le dénommé Na écarta les pans de son manteau dont il tira une épaisse bourse qu'il ouvrit sous les yeux émerveillés de son complice, qui y découvrit plus de pièces qu'il n'en avait jamais vu. Avec tout cet argent, il pourrait s'enfuir si les choses tournaient mal. Il coulerait une existence paisible loin de la misère, loin des rues reculées et sales qu'il avait appris à connaître autant qu'à haïr.
Son salut coûterait une vie – voire deux.
« Vous aurez la seconde moitié une fois mon homme mort, précisa l'homme pour lui rappeler qu'il ne s'agissait que d'une partie de la somme qu'il lui verserait.
— Considérez déjà qu'il est réduit en cendres. »
Ils échangèrent un rictus mauvais, et ils se séparèrent sans plus attendre.
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