Chapitre 28
« Il est des souvenirs que l'on veut graver dans son cœur, et d'autres qui marqueront notre corps à jamais. Le général Phénix dissimulait chacun d'entre eux : un homme sans passé était plus craint que quiconque.
– Yon Palik, Les hommes d'ombre et de lumière.
Le lendemain, à son réveil, Yoongi se sentit soulager de constater qu'aucune attaque n'avait ébranlé la nuit. Jimin était déjà sorti de la tente, sans doute occupé à s'entraîner comme à son habitude ici, et le Phénix se surprit à éprouver une envie viscérale de se joindre à lui. À force de jours et semaines passés à s'exercer, il avait pris goût au fait de se dépenser, de voir grandir ses capacités physiques et son pouvoir. Il souhaitait donner le meilleur de lui-même et, pour cela, il lui fallait apprendre auprès du meilleur : le général Park.
La veille, ils s'étaient reposés tout l'après-midi, après quoi Jimin l'avait aidé dans sa maîtrise de la magie. Yoongi ressentait de mieux en mieux la puissance qui lui permettait de lancer ses sorts : il contrôlait un flux qui, une fois échappé de ses mains, demeurait perceptible jusqu'à ce qu'il le change en ombre ou en lumière.
Et Yoongi trouvait qu'il s'agissait là du constat le plus réconfortant qu'il ait connu : la magie n'était ni bonne ni mauvaise, ni lumière ni obscurité. C'était les Phénix qui décidaient – en général de façon instinctive – en quoi la transformer. Même s'il craignait toujours que les ténèbres ne s'emparent de lui, il comprenait à présent que cela ne pouvait pas arriver aussi simplement qu'il l'avait imaginé. Il faudrait que la magie qu'il possédait en lui, neutre, se teinte d'une noirceur telle qu'elle en contaminerait son âme.
Impossible... du moins il essaya de s'en convaincre.
Ce matin donc, le corps reposé et le cœur vaillant, Yoongi se changea pour rejoindre Jimin à la cour d'entraînement. Il souhaitait pouvoir combattre avec sa dague, et son cadet l'avait complimenté plusieurs fois au sujet de ses progrès, qu'il jugeait flagrants : certes le Phénix ne vaincrait jamais un véritable soldat, mais cela lui permettrait de se défendre sans magie s'il s'épuisait.
Vêtu de son armure, Yoongi sortit dans le froid, ne remarquant qu'une fois dehors que les gardes, en l'absence de Jimin dans la tente, n'y entraient plus. Son ami lui accordait lui aussi toute sa confiance.
Lorsqu'il arriva en vue du lieu où chacun exerçait ses techniques, il reconnut aussitôt celui qu'il cherchait : sa cape flottait derrière lui au gré d'un vent capricieux et de ses mouvements dont la souplesse n'avait d'égal que la puissance. Jimin parait avec une agilité admirable les frappes de deux soldats qui agissaient avec une synchronisation qui souffla Yoongi. Ils paraissaient savoir exactement où et comment l'autre allait attaquer, si bien qu'ils semblaient ne faire qu'un.
Lorsque leur supérieur se mit à répondre, le combat se corsa : les lames d'entraînement s'entrechoquaient avec une violence surprenante. Les deux recrues devenaient de plus en plus complémentaires sans communiquer, s'appuyant l'un sur l'autre pour tenir en respect le chef. Ce dernier néanmoins, après une esquive preste, contrattaqua à l'aide de son jingum... du moins en apparence, car de sa main libre il tira de sa ceinture une dague de bois qu'il plaça sous la gorge de l'homme qui avait évité le sabre et s'était retrouvé confronté à son véritable assaut.
L'affrontement cessa aussitôt, et chacun s'inclina.
« Je vous avais dit que vous n'aviez rien perdu de vos aptitudes, soldat, sourit Jimin en observant celui qui s'était laissé berner. Dans quelques jours à peine, vous aurez retrouvé votre niveau et progresserez à grande vitesse. Continuez de peaufiner votre technique, tous les deux, et vous deviendrez plus redoutables que quiconque. Vous formez un duo fantastique. »
Les deux jeunes gens échangèrent un regard empli de fierté. Ils remercièrent leur général et retournèrent s'exercer.
« Le spectacle vous a-t-il plu ? s'enquit Jimin sans se retourner.
— Il fut impressionnant. Qui sont-ils ?
— Ce sont les frères Han.
— Ils sont impressionnants.
— Seulement quand ils combattent ensemble. L'un sans l'autre, leur technique est imparfaite, bancale. En revanche, quand ils sont deux, même à moi ils donnent du fil à retordre. J'ignore comment ils font : malgré leurs cinq ans de différence, ils se comprennent sans se parler, sans même échanger un regard. D'ailleurs... savez-vous pourquoi le frère cadet a insisté pour combattre contre moi ?
— Je l'ignore. »
Le visage de Jimin s'assombrit sous l'effet d'un souvenir que son aîné devina pénible.
« Il voulait s'assurer qu'il n'avait rien perdu de ses capacités au combat. Il vient juste de revenir de la capitale où il se remettait de graves séquelles. Il y a un peu plus de trois mois environ, il a été fait prisonnier durant un assaut Scorpion sur notre territoire. Il a été retrouvé le soir où nous avons envahi la forteresse ennemie... il y a un mois, le soir où nous vous avons retrouvé.
— Oh...
— Son frère a passé ce temps à travailler sa technique seul dans l'espoir de le sauver une fois le jour venu. Quant au prisonnier, sachez que c'est grâce à lui que nous vous avons trouvé : c'est lui qui a remarqué que plusieurs signes semblaient indiquer la venue d'un prisonnier différent des autres.
— Je l'ignorais...
— En arrivant parmi nous, reprit Jimin alors qu'ils s'éloignaient de la cour en direction de l'armurerie, vous étiez convaincu que la guerre était l'apanage des barbares. L'un de nous ici vous apparaît-il comme tel ? Les lieutenants Jeon et Kang, vous semblent-ils être d'horribles monstres ? La jeune Aena aux histoires de qui vous rigoliez il y a trois jours vous semble-t-elle sauvage ? Et ces deux frères qui se vouent une affection et une confiance infinies, au point de remettre leur vie l'un à l'autre, vous semblent-ils, eux aussi, barbares ? »
Yoongi baissa la tête. Le visage de son ami s'adoucit. Un sourire, même, releva la courbe de ses lèvres.
« Vous avez passé votre vie à lire des livres. Vous avez appris plus que quiconque. Vous qui avez cru tout savoir, que diriez-vous, à présent, de lire les âmes des gens ? Et si vous appreniez aussi à nos côtés ?
— J'en serais honoré, reconnut Yoongi avec une humilité que le général se sentit fier de lui avoir transmise. Merci, Jimin.
— C'est moi qui vous remercie. J'apprends autant de vous que vous apprenez de moi et de mes hommes. À présent et au vu de votre tenue, je dirais que vous veniez vous entraîner, n'est-ce pas ? s'enquit-il alors qu'ils entraient dans la pièce où l'on conservait les armes. Que diriez-vous de retrouver votre chère dague de bois ?
— Ce sera avec plaisir.
— Avez-vous donc fini par apprécier l'exercice matinal ?
— Il faut croire que vous exercez sur moi une influence que je ne soupçonnais pas.
— On dirait bien, en effet. »
Jimin, qui s'était éloigné vers l'endroit où se trouvaient les armes d'entraînement, en lança une à son aîné qui leva la main dans sa direction. La lame s'immobilisa en plein vol, et il lui suffit de tendre le bras pour l'attraper. Le général esquissa un rictus narquois.
« Je trouve que ces pouvoirs vous facilitent beaucoup la tâche. Allons travailler à la vue de tous, que vous ne puissiez pas vous en servir.
— Jaloux. »
Son interlocuteur haussa les épaules. Ils passèrent la matinée en divers échauffements et exercices en vue d'améliorer non seulement l'agilité de Yoongi, mais aussi sa vitesse, sa force, et ses réflexes. Ils répétaient des combats comme s'il s'agissait de chorégraphies : Yoongi devait en apprendre tous les mouvements, tous les positionnements, ainsi il pourrait réagir sans réfléchir quand un réel adversaire se placerait de la même façon que son mentor.
Quand l'heure du déjeuner arriva, les deux jeunes gens s'éclipsèrent sous la tente du général, où les attendait déjà un plateau garni de mets appétissants et rassasiants.
« Je suis fourbu, » soupira Yoongi en se laissant tomber sur la méridienne, les cheveux trempés de sueur au point qu'il allait falloir d'urgence les teindre de nouveau s'il souhaitait cacher son identité.
Il ne comptait de toute façon pas poursuivre l'entraînement physique pour aujourd'hui. Son ami approuva, éreinté lui aussi après cinq heures d'efforts. Il décida de s'accorder au moins une heure de pause avant de continuer sa journée : il lui restait bon nombre de tâches à effectuer dans le camp dont il était chargé. Il s'en occupait dès qu'il sentait que ses muscles avaient besoin de repos.
Après avoir mangé en adressant quelques remarques à propos des points forts et faibles du Phénix, Jimin lui proposa de l'accompagner voir le lieutenant Kang à l'infirmerie.
« Je veux bien, mais êtes-vous sûrs que ma présence ne vous gênera pas ?
— Ne vous en faites pas. Et je voudrais aussi qu'un médecin vous examine.
— Moi ? Mais je n'ai pas été blessé récemment.
— Certes, mais je vous rappelle que nous ne tarderons plus à nous lancer dans une guerre d'envergure, aussi me semble-t-il important de m'assurer que vous vous êtes remis de votre longue captivité. Votre visage a perdu sa maigreur, votre corps reprend des forces jour après jour, mais je ne vous ferai pas combattre sans un avis médical favorable.
— Je comprends. C'est d'accord.
— Parfait, allons-y au plus vite. »
Yoongi ne protesta pas. D'une certaine manière, obtenir l'aval du corps médical le rassurerait pour la suite des évènements, il le savait. Après avoir pris un bain et coloré ses cheveux, il se rendit donc avec le général dans l'un des rares bâtiments du campement. Une première salle servait à s'occuper des blessés qui nécessitaient des soins immédiats : bon nombre de lits s'y alignaient et permettaient une circulation optimale des médecins. Ils traversèrent les lieux pour arriver aux chambres réservées à ceux qui devaient rester en observation. Du fait de sa plaie qu'il avait rouverte la veille, le lieutenant Kang y avait passé la nuit. Privilège octroyé par son grade, il disposait d'une pièce pour lui seul, à la porte de laquelle Jimin frappa avant d'entrer.
Yoongi le suivit à l'intérieur. L'espace, réduit, offrait malgré tout le confort nécessaire pour que les soignants puissent procéder à divers examens sans problème. Taehyun était allongé sur son lit, somnolent. Il salua son général en le voyant, puis s'adressa avec la même politesse au Phénix qui le lui rendit.
« Vous semblez fatigué, remarqua Jimin.
— Disons que je souffrais un peu, cette nuit, alors je n'ai réussi à fermer l'œil qu'au matin.
— J'en suis désolé. Je ne pensais pas vous déranger.
— Vous ne me dérangez pas. Que puis-je faire pour vous ?
— Reposez-vous et cessez de vouloir en faire trop.
— À vos ordres, mon général, sourit le blessé.
— Lieutenant Kang, une dernière chose...
— Oui ? s'inquiéta-t-il en constatant que le ton n'était plus à la plaisanterie.
— Dès que possible, je veux que nos troupes attaquent Sawa. Est-ce bien compris ? »
Le jeune homme écarquilla les yeux à cette annonce.
« Vous... vous voulez marcher sur Hurna ? résuma Taehyun.
— Exactement. Prenez donc grand soin de vous : vous ne voudriez pas retarder notre départ, n'est-ce pas ?
— Non, mon général, bien sûr que non.
— Alors dormez, demandez aux médecins de quoi vaincre la douleur, et accordez-vous le temps nécessaire pour être opérationnel lorsque le lieutenant Jeon reviendra.
— Je dormirai toute la journée s'il le faut, mon général, et je demanderai aux médecins de mettre du baume sur la cicatrice pour qu'elle guérisse mieux.
— Parfait. À bientôt.
— À bientôt. »
Quand ils quittèrent la pièce, Jimin souriait. Son cadet n'aimait pas prendre des médicaments ou réclamer des onguents cicatrisants, il préférait une guérison naturelle, ce que Jimin respectait... mais qu'il ne pouvait pas se permettre pour l'instant. Il croisa un soignant qui vérifiait l'inventaire et l'informa de la décision du lieutenant ainsi que son désir de le voir rétabli au plus vite. Il se hâta d'attraper quelques remèdes et fila en direction de la chambre.
« Ah, Miyeon, justement, je vous cherchais, » lança ensuite le général.
La femme interpellée, sans doute âgée d'une trentaine d'années, portait une blouse noire, preuve de son appartenance au corps médical malgré une ceinture à laquelle brillait le pommeau d'un poignard. Ses cheveux coupés aussi courts que ceux de Yoongi étaient colorés d'ébène, de même que ses iris pourtant lumineux. Sa silhouette musculeuse témoignait de sa force physique redoutable tout autant que de sa ténacité – elle avait dû s'entraîner avec acharnement pour obtenir une stature pareille. Elle salua son général avec tout le respect qu'elle lui devait, et Jimin se chargea des présentations.
« Yoongi, je vous présente Miyeon. Elle fait partie d'une section très spécifique des médecins : celle capable de tuer aussi bien que de sauver. Ils savent combattre et s'occuper des premiers secours sur le champ de bataille puis des soins avancés ensuite. Pour cette raison, ils ne sont jamais en première ligne lors des affrontements, ce qui n'en rend pas moins leur rôle crucial.
— Enchanté, opina le Phénix en inclinant le buste.
— Moi de même, répondit-elle.
— Miyeon est spécialisée dans les soins et la récupération qui suit les périodes de captivité et de torture. Elle propose un accompagnement aussi bien physique que moral, et si votre état ne m'a d'abord pas semblé nécessiter ses soins, j'aimerais aujourd'hui que vous passiez entre ses mains expertes pour savoir si vous êtes prêts pour le combat. »
Dès leur rencontre, Yoongi lui avait prouvé qu'il possédait une force psychologique hors du commun, capable d'oublier sa détention pour se focaliser sur les siens qu'il devait sauver. Or, à présent qu'il était question de guerre, d'entrer sur le champ de bataille, Jimin désirait s'assurer que son protégé avait repris le poids nécessaire et ne serait pas pénalisé par le mois passé en sous-nutrition, immobile et blessé. Lui plus que quiconque devait survivre.
« Voulez-vous bien me suivre ? » s'enquit Miyeon avec un regard affable en direction de son patient.
Yoongi jeta un regard soucieux à Jimin, demande muette, toujours aussi mal à l'aise à l'idée de s'éloigner de lui. Le général lui offrit un sourire réconfortant.
« Nous vous suivons, passez devant. »
Miyeon obéit. Elle les mena jusqu'à une salle qui servait aux examens de routine : les murs étaient tapissés d'étagères qui contenaient divers bandages, baumes et médicaments, et en son centre se trouvait un lit couvert d'un drap fin et blanc.
« Mettez-vous torse nu et asseyez-vous sur la table d'examen, s'il vous plaît. »
Yoongi regretta d'avoir supplié Jimin de venir.
Parce qu'il n'avait pas remis son armure après avoir pris son bain, le Phénix ne possédait plus que sa tunique épaisse et son pantalon. Il hésita encore un instant avant de trouver le courage de retirer son haut. Dans son village, tout le monde s'avérait pudique : hommes et femmes montraient leurs bras l'été, quand les températures le permettaient, mais presque jamais plus que cela, si bien que l'on avait fini par n'être plus habitué au fait de se dévoiler.
Il s'assit sur la table, les yeux rivés sur le dos de Miyeon qui s'affairait face à un lavabo auquel elle se nettoyait les mains depuis vingt bonnes secondes. Jimin pendant ce temps tentait de ne pas réagir à ce qu'il voyait : Yoongi s'était plusieurs fois changé près de lui, mais il veillait toujours à ne pas le regarder, simple politesse que les soldats respectaient entre eux. Il se souvenait de son corps cachectique, de ses os qui déformaient sa peau. En un mois seulement, il avait retrouvé une forme remarquable. À présent, ses os avaient presque disparu, remplacés par des muscles encore frêles. Il semblait à la fois si fort et si fragile...
Jimin repoussa les pensées concupiscentes qui s'insinuaient en lui – bon sang, Yoongi possédait un physique qui embrasait son désir ! – et se concentra sur Miyeon. La médecin approcha son patient qu'elle invita à lui donner les détails les plus pragmatiques de sa captivité : durée, lieu, et elle ne posa que quelques autres questions fermées, de sorte que Yoongi ne soit pas obligé de replonger dans cet enfer. Il devait répondre par oui ou non, sans plus.
« Torturé ?
— Oui.
— Plusieurs semaines ?
— Non.
— Trois marques de stylet, c'est juste ?
— Oui.
— Ont-ils été enlevés en douceur ?
— Non, à l'exception du premier.
— Sous-alimentation ?
— Oui.
— Un mois sans bouger, donc ?
— Oui.
— Un pot de chambre dans la cellule ?
— Oui.
— Vous dormiez à même le sol ?
— Souvent.
— Des rats, des insectes ?
— Non.
— Yoongi, faites-vous des cauchemars qui visent cette période précise de votre vie ?
— Non.
— Aucun ?
— Étrangement... non. »
Il pensait trop à l'avenir pour ressasser sa détention. Jimin l'entraînait tant qu'il ne réfléchissait plus à rien une fois couché, et les rares cauchemars qu'il avait faits ces dernières semaines se concentraient sur l'attaque de son village. Sa captivité, il s'en souciait peu : tout ce qui occupait à présent son esprit était son besoin vital de développer ses pouvoirs pour sauver les siens.
Même quand les lames des Scorpions glissaient sur son épiderme pour le forcer à parler, il se rappelait s'intéresser davantage à son peuple qu'à sa propre condition. Il avait souffert physiquement, mais la peur de ne plus revoir les siens l'avait dévoré au point que depuis qu'il savait pouvoir les aider, plus rien d'autre n'importait. Un mois passé pour l'essentiel allongé dans une pièce sombre et silencieuse, il s'en moquait, du moment que sa sœur était encore en vie.
« Très bonne nouvelle, sourit Miyeon. Si vous estimiez la gravité des séquelles psychologiques laissées par ce mois passé parmi les Sawaï sur une échelle d'un à dix, quelle note lui donneriez-vous ?
— Deux ou trois... je pense.
— Parfait. Il va de soi que si vous voulez en discuter, vous pourrez toujours venir me chercher, et nous nous isolerons pour en parler en toute confidentialité. Est-ce bien compris ? Vous pouvez venir n'importe quand, même pendant la nuit, je vous écouterai.
— Merci, c'est noté.
— Bien. Maintenant, passons à l'examen physique. »
Elle vérifia ses cicatrices, puis son pouls, procéda à divers tests, et une dizaine de minutes plus tard, elle donna sa conclusion aux deux garçons qui attendaient en silence.
« D'un point de vue psychologique, rien à redire, vous avez très bien encaissé le choc. En revanche, votre état physique reste préoccupant, notamment votre maigreur. Ressentez-vous parfois des maux de tête ?
— Non. »
Jimin fronça les sourcils.
« Étiez-vous soldat depuis longtemps quand vous avez été capturé ? Quel était votre état physique à l'époque ?
— Je n'étais pas soldat, j'ai toujours eu un physique mince.
— Je comprends mieux. Et vous, que pensez-vous de votre apparence, de votre poids ?
— Je suis plus lourd et plus musclé qu'avant ma captivité.
— Dans ce cas j'imagine qu'il n'y a finalement pas à s'inquiéter beaucoup, vous êtes de constitution plutôt fine, mais si l'exercice a réussi à vous transformer malgré une détention d'un mois, alors je pense que vous continuerez à gagner du muscle auprès de nous. Continuez de vous nourrir correctement et vous rivaliserez rapidement avec notre général.
— Je me sens vexé, commenta ce dernier avec humour. J'ai mis des années à forger ce physique, vous rendez-vous compte ? »
Peu après, Yoongi rhabillé, ils quittaient l'infirmerie. Un silence s'installa entre eux. Jimin s'immobilisa alors qu'ils approchaient de sa tente.
« Yoongi, pourquoi n'avoir pas dit pour vos maux de tête ? Vous en avez encore souvent quand vous vous entraînez trop. Cela s'explique peut-être par le fait que vous ne mangiez pas assez.
— Non, c'est mon pouvoir qui provoque ces douleurs, pas la faim ou la fatigue.
— Comment vous...
— Je le sais, c'est tout. Merci en tout cas, je suis rassuré de constater que tout va bien pour moi. »
Jimin acquiesça sans répondre. Une fois dans les quartiers du général, Yoongi jeta un regard à ce dernier qui retirait à son tour les protections de son armure. Il annonça partir pour s'occuper des soucis du camp, et le Phénix se reposa, après quoi il se contraignit à une heure d'exercice de ses pouvoirs, qu'il acheva avec de douloureux maux de tête.
Au matin suivant, Yoongi fut réveillé par le bruit d'une course. Il s'assit sur la méridienne que lui avait laissée Jimin pour dormir plutôt sur un matelas au sol, et il observa le jeune chef se redresser, déjà prêt à entamer cette journée. Ses yeux ne traduisaient pas la moindre fatigue alors même qu'il venait d'être arraché à son sommeil. Quand le soldat entra, Jimin comptait partir à sa rencontre pour s'enquérir de la raison de son agitation.
« Mon général, les Sawaï quittent leur camp, il n'y reste que peu d'hommes ! »
La nouvelle ne parut pas surprendre Jimin.
« Bien, opina-t-il. Ils tenteront sûrement une attaque de la dernière chance avant de réellement s'en aller. S'ils sont contraints à partir, ils voudront d'abord nous affaiblir autant que possible : se montrer forts pour cacher qu'ils sont faibles. Soldat, demandez aux sergents de faire passer le message à leurs unités : ils doivent rester vigilants.
— Bien. »
Il partit après s'être incliné, et Yoongi osa exprimer sa surprise : « Ils seraient contraints à partir ? répéta-t-il. Pourquoi donc ?
— N'avez-vous toujours pas deviné ? s'enquit Jimin avec un demi-sourire espiègle.
— Il faut croire que non.
— Je vous donne un indice : loin de leur capitale, le camp Scorpion tout près de la frontière arixienne n'est ravitaillé qu'une fois toutes les trois semaines en vivres, et seulement en vivres. Il coule à environ un kilomètre plus à l'intérieur des terres une rivière qui leur permet un approvisionnement constant en eau. »
Yoongi fit la moue, resta silencieux un instant, puis son visage s'éclaircit.
« C'est de cela que vous discutiez avec la chef du village, comprit-il, vous lui avez demandé de lever le barrage sur la Nabacea, vous avez coupé leur alimentation en eau.
— Oui, de façon temporaire seulement : leur chef m'a accordé trois jours. Ainsi, nous incitons nos ennemis à s'enfoncer dans leurs terres, ce qui nous permet de les déstabiliser.
— Mais, et le village... ne risque-t-il pas des représailles ?
— Il fait beau depuis plusieurs semaines avec quelques rares périodes de pluie, les Scorpions penseront que c'était nécessaire à l'irrigation des cultures du village. Il leur arrive parfois, surtout au printemps et en été, de devoir couper pour un à quatre jours l'irrigation de la Nabacea afin de subvenir à ses besoins. Les Scorpions le savent et ont une réserve qui leur permet de tenir ce laps de temps... mais une réserve prévue pour les cinquante soldats qu'ils sont à l'accoutumée, pas pour plusieurs centaines.
— Je comprends mieux...
— À vrai dire, j'avais espéré en arrivant ici que les Sawaï n'auraient pas encore attaqué, et que le manque d'eau les inciterait soit à reculer pour nous laisser un peu de paix, soit à attaquer de façon imprévue et désorganisée, ce qui nous aurait donné l'avantage. À présent, tout ce que j'espère, c'est que cela offrira un peu de repos au lieutenant Kang.
— Mais vous vous doutez qu'ils attaqueront.
— Malheureusement, oui, ils ne vont pas se contenter de reculer. Les réserves d'eau les plus proches se trouvent à deux heures à cheval, dans un village avec une source souterraine. Contrairement à nous, les Sawaï ne possèdent pas de puits dans leurs forteresses. »
Yoongi poussa un soupir, et son cadet lui adressa un regard empreint de tendresse sans même s'en rendre compte.
« Ne vous en faites pas, je suis sûr que cette attaque ne viendra pas mettre à mal nos plans, lui assura-t-il. Au contraire, il s'agira d'une mise en bouche afin de mesurer la puissance de notre adversaire. Voyez cela comme un entraînement.
— Je trouve votre façon de m'entraîner un peu brutale. Dois-je vous rappeler que je n'ai qu'un mois d'expérience derrière moi ?
— Ah, Yoongi, Yoongi, vous connaissez le dicton : quand on aime, on ne compte pas. N'était-ce pas vous qui vouliez retrouver votre sœur au plus vite ?
— C'est juste...
— Alors tenez-vous prêt. »
Le Phénix acquiesça avec une gravité nouvelle, conscient qu'il ne pouvait plus reculer. Il avait trop avancé pour ne pas se jeter avec Jimin dans le précipice de la guerre, à corps perdu. Il combattrait, il risquerait sa vie. Pour la première fois, il allait mettre en jeu son existence pour protéger celle des siens.
Et il éprouvait une incommensurable fierté à cette idée.
Les Sawaï frappèrent peu de temps avant le crépuscule, alors que le vent avait cessé et que le monde s'était tu, prêt à se coucher. Ils savaient qu'ils rencontreraient une farouche résistance, mais sans doute avaient-ils surévalué les dommages infligés à l'ennemi : ils ne s'attendaient pas à trouver tant d'Arixiens encore vaillants. Ils n'espéraient pas que leur attaque surprenne leurs adversaires, mais du moins avaient-ils espéré qu'elle les déstabilise.
Le flux de Sawaï, près de trois cents, eut vite raison des quelques gardes postés à l'entrée du camp. Jimin, dans sa tente avec Yoongi qui lui en apprenait davantage sur son peuple, bondit sur ses pieds à l'instant où les premiers combats retentirent. Les deux jeunes gens se félicitèrent en silence d'avoir gardé armes et armures.
« Yoongi, je vais rejoindre les miens, affirma Jimin en tirant d'une poche un bracelet d'émeraudes qu'il enfila sans un regard pour son poignet. Restez ici, j'enverrai un garde protéger la tente.
— Mais je peux...
— Je vous en conjure, ne bougez pas. Vous combattrez pour les vôtres, si vous le désirez, mais... pas maintenant. »
Cette fois, Jimin planta dans les siens ses yeux déterminés. L'aîné se contenta de hocher la tête, comprenant l'importance de la situation. Le général ne le croyait pas encore capable de se défendre sur un champ de bataille, ce qui n'était pas dénué de vérité : Yoongi lui-même ignorait s'il tiendrait plus de dix minutes. Il s'était enflammé – amusant, de la part d'un Phénix.
Jimin fila en direction du conflit. Une marée humaine s'était déversée sur le camp, et ce qui le frappa fut sans conteste la puissance des soldats ennemis. Il n'avait plus vu de combattant sawaï digne de ce nom depuis des semaines. Leurs dirigeants avaient-ils compris qu'envoyer des troupes en surnombre mais peu expérimentées ne servait à rien d'autre qu'à les exécuter de façon indirecte ?
Quoi qu'il en soit, ces guerriers-là ne plaisantaient pas, eux, et Jimin ne tiendrait pas longtemps si trois ou quatre cherchaient à l'affronter ensemble. Il attrapa son jingum ainsi que sa dague, maudit le général qui avait meurtri son lieutenant, et se jeta dans la mêlée après avoir repéré Aena qui peinait à repousser deux hommes équipés de katanas. La portée de sa naginata les empêchait de s'approcher, par chance, et elle venait d'en blesser un lorsque Jimin intervint et que son sabre termina dans le ventre de l'autre.
« Mon général, quelle joie de vous voir, et dire que je vous ai souhaité une bonne nuit il y a deux heures !
— Vous avez parlé trop vite, il faut croire, rétorqua le jeune homme alors qu'ils s'élançaient en direction de leurs camarades en difficulté.
— Je devrais tenir ma langue, à l'avenir, je l'avoue. »
Dos à dos, chacun frappa au même moment avec toute sa fougue : ils ne devaient surtout pas se relâcher, le moindre faux pas deviendrait fatal. Jimin enchaîna avec un coup inattendu de dague. L'adversaire peina à esquiver et s'en tira avec une simple égratignure. Jimin recula d'un bond, para, contrattaqua à son tour, action qui lui servit de diversion pendant qu'il attrapait une étoile d'acier dans l'étui à sa ceinture. Il lança sans viser, elle se ficha dans le front de l'ennemi qui tituba avant de s'écraser face contre terre, le regard vide.
Et le général grimaça en songeant qu'il n'irait pas rechercher son étoile où elle se trouvait désormais.
En même temps qu'il volait d'un Arixien à l'autre pour les aider contre les Sawaï, Jimin surveillait les alentours. On allait tenter de kidnapper Yoongi, il en était convaincu. Un soldat devant la tente ne suffirait pas, au contraire il guiderait l'adversaire vers l'endroit où le Phénix se dissimulait...
Jimin vint à bout d'une guerrière et hésita avant de s'éloigner du champ de bataille. Il arrivait à peine en vue de sa tente lorsqu'il remarqua que l'homme qu'il y avait laissé pour la garder était étalé au sol, dans une mare de son propre sang. Il s'apprêtait à jurer et courait déjà en direction du lieu de l'attaque quand il rentra en collision avec... rien. Aucun obstacle en vue, pourtant un poids lui écrasait à présent le corps, tombé avec lui sous l'effet du choc.
« Par Hiemis ! s'agaça Yoongi en se redressant une fois redevenu visible. Oh, Jimin, c'est vous ! Je vous en supplie... »
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase, les yeux emplis d'une peur viscérale, que le général l'enlaça et les bascula sur le côté. Une lame de lancer siffla près d'eux et se planta dans le sol, là où se trouvait le dos du Phénix quelques instants plus tôt.
« Restez avec moi, je vous protège. »
Yoongi acquiesça plus vivement que jamais, les muscles douloureux tant ils étaient tendus. Il avait tenté de sauver le soldat qui surveillait les quartiers du général... mais il avait échoué. En dernier recours, il s'était recouvert d'un voile d'invisibilité et avait fui.
Jimin serra les dents en constatant que quatre hommes se trouvaient là. Le sorcier ne réussirait pas à tous les immobiliser en même temps. S'il en arrêtait deux, il s'agirait déjà d'un énorme progrès par rapport à ce qu'il montrait à l'entraînement.
« Yoongi, affirma Jimin tout bas alors que les quatre ennemis se dirigeaient vers eux à toute allure, je vais avoir besoin que vous fassiez tout ce que je vous ordonnerai, c'est bien compris ?
— Oui, mon général. »
À son tour l'Arixien s'élança vers les quatre soldats, ses deux lames serrées au point que ses phalanges avaient blanchi, son corps comme ultime rempart entre les Sawaï et leurs odieux desseins.
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