Chapitre 25
« La guerre, je l'affirme, est le fruit d'une magie noire, une magie d'ombre que nous devons éradiquer. Quel monde heureux nous bercerait si seulement nous ne risquions pas de perturber l'ordre des choses avec des puissances divines incarnées en des hommes qui ne savent pas les maîtriser sans l'aide d'une relique ! »
– Jang Jinwha, discours prononcé devant l'Assemblée des Cinq Peuples le 13 juin 712
Alors que Jimin et Yoongi entamaient leur deuxième jour de chevauchée, accompagnés par leurs six soldats, le soleil se levait, paisible, dans le lointain.
« Les jours s'allongent et il fait de plus en plus chaud, constata le général, quel bonheur de sentir de nouveau sa caresse sur ma peau ! »
Il leva un instant les bras, et le Phénix esquissa un sourire : Jimin n'avait plus besoin de bandages, ses cicatrices s'étaient refermées sans aucun problème, pas même une infection. Il ne souffrait pas, et son aîné comprit que comme les Éthéréens, les Élémentaires avaient gardé une grande capacité de guérison en dépit de la perte de leur pouvoir. Certes, Yoongi se rétablissait plus vite encore que son cadet, mais sa récupération n'en demeurait pas moins remarquable.
Amusé par son enthousiasme, le jeune homme tendit à son tour les bras au ciel, ferma les paupières, et se rêva en train d'effleurer le ventre brumeux de son ancêtre, au plus haut du firmament. Une lénifiante sensation de liberté l'étreignit. Il s'y complut avant de se reprendre et d'échanger un regard avec son ami.
« Eh bien, pour quelqu'un qui n'avait jamais monté à cheval, je vous trouve bien confiant, releva ce dernier.
— En effet. Il faut croire que j'ai une capacité d'adaptation exceptionnelle.
— Au moins aussi impressionnante que votre égo, je confirme.
— Ne soyez pas jaloux, Jimin. »
Le général afficha une moue à la fois amusée et désespérée, son aîné partit dans un bruyant éclat de rire. Aujourd'hui, Yoongi voulait croire que tout se passerait comme prévu, qu'ils iraient délivrer sa sœur et son peuple des griffes des Sawaï, et qu'ils retrouveraient une vie paisible dans un lieu qui leur appartiendrait. Pour une journée au moins, il souhaitait profiter de tout ce qu'il découvrait, de ces endroits merveilleux dont il n'aurait pas osé rêver deux mois plus tôt et qui désormais s'ouvraient à lui. Il parcourait un monde qu'il avait toujours craint, et cette simple idée provoquait en lui une ineffable émotion.
Jimin avait raison : il était courageux.
L'astre du jour ne tarda pas à sécher les plantes alentour et réchauffer l'atmosphère. Yoongi se demanda même un instant si Jimin n'étouffait pas avec son épaisse cape, mais le jeune homme ne semblait pas avoir remarqué le changement de température, concentré sur le lointain. Les chevaux avançaient à bonne allure, ils arriveraient à temps pour aider le lieutenant Kang – du moins ils l'espéraient du plus profond de leur cœur.
Quand la lune remplaça le soleil, le petit groupe s'arrêta et eut tôt fait de monter les tentes pour la nuit.
« Demain, nous dormirons sans doute encore sous les tentes, affirma Jimin, mais après-demain, nous devrions atteindre un village frontalier où nous pourrons nous reposer dans une auberge.
— Ouf, j'ai hâte de retrouver le confort d'un bon vieux lit ! se réjouit la combattante à la naginata qui détachait une à une les pièces de son armure.
— Oui, moi aussi, approuva un de ses compagnons. Rien ne vaut un matelas moelleux ! »
Les nuits passées dans les forêts près du camp n° 5 avaient, visiblement, beaucoup marqué les esprits. Jimin esquissa un rictus taquin mais se retint de la moindre remarque : lui avait subi une éducation compliquée, mais peu de soldats sortaient de l'académie qui l'avait formé. Le général en revanche, à force d'exercices et de punitions, peinait à présent à différencier un matelas douillet d'un lit d'herbe sur une terre froide et rigide.
Jimin proposa à son ami de s'entraîner un peu pendant que les autres vaquaient à leurs occupations. Ils s'éloignèrent du camp, peu enclins à ce que leurs activités deviennent un spectacle pour les combattants, et travaillèrent comme à l'accoutumée... à cela près que le Phénix mit bien plus de temps que prévu à s'épuiser, de sorte que Jimin le poussa dans ses retranchements, enchaînant coups de pied et coups de poing que le mage devait arrêter à l'aide de murs d'ombre, ou bien en le paralysant un court instant pour s'écarter de sa trajectoire.
Ils cessèrent après une petite demi-heure, quand l'aîné sentit ses tempes pulser, et ils rejoignirent leur groupe.
Chacun se prépara de quoi dîner avec ce qu'il avait pu trouver au camp. Yoongi, qui était allé chercher un peu de pain et d'eau dans les sacoches qu'il avait détachée des flancs de sa monture, se plaça tout près de son camarade. Jimin lui sourit de façon innocente.
« Votre journée s'est-elle bien passée ? Le cahot ne vous a-t-il pas trop épuisé ?
— Je m'y habitue bien plus vite que je ne l'avais imaginé.
— J'en suis heureux pour vous.
— Je vois que seules sept tentes ont été montées..., se déroba Yoongi en toussotant.
— Vous savez compter, quelle joie, se moqua l'autre.
— Je m'étonne juste de constater que vous voulez encore que l'on dorme ensemble : mon secret révélé, qu'est-ce qui nous oblige à rester proches ?
— Cela vous ennuie-t-il donc à ce point ?
— Non, non, se défendit le Phénix qui s'enfonçait dans son embarras, je craignais simplement que cela vous ennuie, vous.
— Vous ne m'ennuyez pas. Votre compagnie, au contraire, est très divertissante.
— Ah bon ? »
Jimin acquiesça sans détour, ce qui troubla davantage Yoongi, qui en demeura coi. Plus amical qu'à son arrivée, le jeune mage devenait chaque jour un peu plus sympathique aux yeux de son cadet, qui se délectait de sa compagnie – d'autant plus qu'il s'était révélé un précieux allié en combat. Si, à leur rencontre, Yoongi lui était apparu comme un compagnon exécrable, trois semaines plus tard, il n'imaginait plus se passer de sa présence.
Leur repas terminé avec quelques fruits cueillis dans les environs, les militaires se retirèrent dans leur tente. Le feu de camp continuait de brûler au centre du cercle qu'ils formaient, et tout le monde s'endormit très vite, du moins...
« Jimin... Jimin, murmura Yoongi de sa voix la plus douce.
— Oui ?
— Vous dormez ?
— Oui, et là je fais un rêve... ouah, si vous voyiez, vous n'en reviendriez pas ! le railla-t-il.
— Arrêtez de me ridiculiser et levez-vous !
— Un ennemi ? réagit aussitôt le général.
— Pire !
— Un Scorpion ? »
Les yeux à présent bien ouverts, Jimin resta silencieux dans l'espoir de repérer l'ennemi. Recroquevillé au bout de la tente, le Phénix tendit le doigt, et une lueur s'alluma dans le coin opposé, révélant ce que le monde avait créé de pire d'après lui.
« Une araignée, constata Jimin avec un visage perplexe.
— Elle est grosse !
— J'aurais préféré que vous disiez cela d'autre chose...
— Pardon ?
— Rien, rien, je vais la faire sortir, rassurez-vous.
— Non, il faut la tuer, sinon elle reviendra ! paniqua-t-il.
— Bon, alors je vais la sortir loin d'ici.
— Vraiment loin ?
— Il fait nuit, je n'irai pas... »
Il se stoppa devant la moue suppliante de son aîné, qui le fit céder.
« Oui, Yoongi, vraiment loin. »
Son soupir de soulagement s'entendit à vingt mètres. Jimin leva les yeux au ciel, désespéré par cette phobie qu'il jugeait stupide, mais s'exécuta. Il revint plusieurs dizaines de secondes plus tard.
« Même si elle voulait rentrer de nouveau dans la tente, elle en aurait au moins jusqu'à demain après-midi, affirma-t-il. Maintenant, dormez.
— Ne prenez pas cela à la légère, c'est vexant.
— C'est vous qui prenez cette prétendue menace trop au sérieux.
— Vous aimeriez, vous, sentir quelque chose vous grimper dessus ? »
Sans réussir à s'en retenir, Jimin esquissa un rictus explicite et haussa les sourcils.
« Cela dépend, louvoya-t-il.
— Je suis sérieux !
— Un peu trop à mon goût, vous perdez tout humour dès lors que ces petites bêtes se trouvent dans les parages.
— Elles sont dangereuses : dans un des textes que je connais, un homme se fait piquer par une araignée et décède !
— Celles du désert Akash sont peut-être un peu dangereuses, et encore, on n'en meurt que si l'on n'est pas soigné dans les jours qui suivent.
— Bon sang, alors on peut bel et bien en mourir ?
— Oups...
— Jimin, êtes-vous sûr qu'il ne reste plus une araignée ici ?
— Je... ah, Yoongi ! »
Le Phénix venait d'illuminer la tente au point que de l'extérieur, l'Arixien était convaincu qu'elle ressemblait à une lanterne de papier comme celles qui bordaient la Nabacea à Noria.
« Éteignez cela, bon sang ! Mes rétines vont brûler !
— Mais les araignées...
— Il n'y a plus d'araignées, dormez !
— Jimin..., le supplia-t-il.
— Diminuez l'intensité de votre lumière, je vais finir aveugle ! »
Yoongi obéit, et son ami put enfin rouvrir les paupières. La mine soucieuse, Yoongi promenait ses yeux glacés partout dans la petite tente. Ses cheveux ivoire en bataille, ses habits froissés et mal ajustés, il ressemblait à un adolescent terrifié qui, sans raison apparente, rappela à Jimin celui qu'il avait été des années plus tôt. Ses traits durcis par l'agacement se détendirent, et il sourit à son aîné.
« Vous voyez bien qu'il n'y a rien. Venez, allongez-vous. »
Le cœur battant toujours la chamade, Yoongi s'exécuta, comme envoûté par les prunelles de Jimin. Il s'étendit sur le flanc, et l'autre l'imita, s'installant face à lui sur la joue de qui il posa la main pour l'obliger à le fixer.
« Éteignez votre lumière, Yoongi, il n'y a plus la moindre bête ici.
— En êtes-vous sûr ?
— Absolument certain. »
Sa voix débordait de douceur, si bien que le Phénix se laissa convaincre. L'éclat aveuglant disparut tout à coup. Yoongi se raidit ; l'araignée qu'il avait surprise était énorme, et si elle avait de la famille encore cachée quelque part ? Les théories les plus abracadabrantes naquirent soudain dans son esprit, et il se rapprocha par réflexe de son ami, au point qu'il leur suffirait de tendre les bras pour s'enlacer.
Yoongi oublia d'un coup l'armée potentielle d'insectes pour, à la place, tenter de distinguer dans les ténèbres la silhouette, le visage, de son sauveur.
« Jimin, est-ce que...
— Oui ?
— E-Est-ce que... cela vous dérange que je dorme si près de vous ?
— Non, pourquoi cela me dérangerait-il ?
— Je l'ignore, mais je voulais en être sûr.
— Vous pouvez l'être. »
Tout ce que le général regrettait, c'était de ne pas trouver la force de se rapprocher à son tour et de l'étreindre.
Une chance, l'obscurité camoufla les rougeurs qui teintèrent aussitôt ses pommettes : étreindre Yoongi, quelle idée ! Ce pauvre garçon était en mission, ensemble ils devaient sauver les siens, et voilà que Jimin commençait à s'imaginer en train de serrer le Phénix contre lui, caresser la peau tantôt de ses mains, tantôt de sa bouche. Honteux !
Jimin n'avait plus dormi avec qui que ce soit depuis des mois, des années, de sorte que la seule présence de Yoongi à ses côtés, même sur deux matelas différents, titillait sa libido. Son odeur fraîche, sa voix basse et sensuelle, son physique digne d'une poupée de porcelaine, son épiderme qu'il devinait si doux, si tendre, et ses lèvres qu'il rêvait savoureuses, plaquées contre les siennes.
Le général demeura immobile, peu désireux de montrer son embarras. S'il restait de marbre, s'il ne bougeait pas d'un pouce, Yoongi n'y verrait que du feu. Il ne remarquerait pas qu'il brûlait d'envie de le posséder, là, sous cette tente, tout de suite et pendant toute la nuit.
Impossible de nier à quel point Yoongi l'excitait, même s'il ne ressentait pour lui qu'une simple amitié. Quelque chose dans sa façon d'être dégageait une sensualité à laquelle il se révélait très sensible. Pourvu que le tumulte qui grondait dans son bas-ventre s'apaise dans les jours à venir...
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Le lendemain midi, près du camp n° 5, à environ deux cents mètres de la forteresse assiégée, le lieutenant Jeon et le général Moon préparaient leur coup de grâce. Dans une clairière, ils avaient fabriqué avec leurs hommes une petite cage en bois rudimentaire qui accueillait à présent une dizaine de moineaux qui piaillaient de faim et de peur. Jungkook leur jeta un peu de pain, puis il se tourna vers son supérieur.
« Il fait chaud et beau, il n'y a pas le moindre courant d'air : c'est le moment.
— Et comment souhaitez-vous procéder ?
— Avec ceci. »
Il sortit d'une poche des morceaux de parchemin, une mine de plomb ainsi qu'une longue ficelle.
« Pourquoi vous promener avec cela ?
— Parce que l'aigle du général Park me reconnaît, et que je dois être capable de lui indiquer en toute circonstance ma position ainsi que l'état de mes troupes. Il suffit d'écrire sur le parchemin avec la mine de plomb, puis de couper un morceau de ficelle et de l'attacher à la patte de Samran. Je possède aussi un étui étanche en cas de pluie.
— La ficelle est-elle assez résistante ?
— La ficelle fournie par le général doit être capable de résister aux attaques que pourrait subir l'aigle, elle est ignifugée. Elle finira sûrement par s'enflammer, mais il faudra un moment.
— N'avez-vous pas peur que les oiseaux cherchent à fuir avec cela accroché à leur patte ?
— Nous verrons bien, cela vaut la peine d'essayer, non ? »
Le général approuva, et Jungkook se chargea du premier oiseau. Il en attrapa un au hasard dans la cage, et noua à sa patte une ficelle au bout duquel il attacha ensuite quelques braises et un morceau de parchemin qui prendrait bientôt feu.
Le lieutenant ignorait pourquoi, mais un instant il espéra que le moineau ne brûlerait pas avec son nid et les charmants colombages de la forteresse. Son supérieur lui avait affirmé à deux reprises que les Tyfodoniens prisonniers de l'édifice ne devraient pas mourir mais être capturés, et il se surprit à souhaiter que personne n'y laisse la vie, pas même ces volatiles innocents.
Parfois, tuer le lassait.
Il relâcha l'oiseau qui, sans s'inquiéter de ce qu'il tractait, fila en direction de la citadelle retrouver les siens. S'ils étaient attentifs, les archers ennemis risquaient de repérer le stratagème, en revanche, si la dizaine de bêtes restante était libérée en même temps, il y avait moins de chances pour qu'ils les touchent toutes. Chaque soldat attrapa un volatile, attacha à une de ses pattes des braises et du parchemin, le délivra, et par chance tous se dirigèrent vers la forteresse, volant au-dessus des bois. Par précaution, les Arixiens avaient préparé plusieurs seaux d'eau, et de toute façon, même si le climat printanier était clément depuis plusieurs jours, les alentours n'en demeuraient pas moins humides, de sorte qu'un incendie peinerait à se répandre.
Enfin, sans vent, avec une distance d'au moins une dizaine de mètres entre les tours et les premiers arbres, ceint de hauts murs de pierre qui ne craignaient quant à eux pas le feu, les oiseaux pourraient brûler l'édifice sans que les flammes se propagent.
« Mes colombages et mes jolies boiseries auront au moins servi à quelque chose, se lamenta le général Moon en observant la nuée de plumes regagner son logis.
— Je suis désolé d'y mettre le feu.
— Ne vous excusez pas : c'était soit cela, soit attendre encore ici – et nous ne disposons plus d'assez de nourriture pour être patients, nous devons rentrer au camp au plus vite. Cette forteresse, nous la reconstruirons, tant pis. »
Ayant retrouvé son visage sérieux, il adressa un signe de tête à son cadet.
« Et vous avez bien fait, je pense que votre tactique peut fonctionner. Ce qui compte, c'est de réussir à les faire sortir de ces murs qui les protègent. »
Ils convinrent de se rapprocher. Des soldats les suivirent, les seaux d'eau en main, et après quelques minutes, ils virent s'élever plusieurs colonnes de fumée sombre, preuve des incendies qui débutaient. Les oiseaux s'échappaient déjà de ce qui se changerait bientôt en immense brasier, et Jungkook se sentit rassuré en remarquant un moineau qui avait une ficelle accrochée à la patte – une ficelle dont le bout n'était plus noué à quoi que ce soit et dont la couleur noire indiquait qu'elle avait brûlé. Lui au moins serait sauf. Quant à leurs adversaires, il ne leur restait plus qu'à se rendre pour survivre.
Tous les soldats arixiens s'étaient réunis en forme d'arc de cercle à quelques dizaines de mètres de la seule porte de l'édifice. Ils étaient bien trop nombreux, les Tyfodoniens ne les battraient pas.
Le poing serré sur le manche de son jingum, Jungkook fixait les murailles de pierre à la manière d'un prédateur. Pour peu, il s'en lècherait les babines. Emprisonner le plus d'ennemis, voilà sa mission aujourd'hui.
Les nuées sombres ne formèrent bientôt plus qu'un énorme amas toxique à l'odeur âcre dont le lieutenant Jeon trouva un instant qu'il ressemblait à la bouche béante d'un démon sur le point d'avaler la forteresse. Les flammes grandirent au point de s'élever au-dessus des remparts, grignotant la charpente des toits, dansant avec grâce sous le regard indifférent d'un ciel qu'obscurcissait la fumée.
Des cris retentirent à l'intérieur, tantôt des hurlements effarés, tantôt des appels à s'enfuir. Le général Moon signifia à ses troupes d'avancer : ils n'avaient plus rien à craindre de potentielles sentinelles postées au niveau des meurtrières ou de la muraille. Jungkook suivit le mouvement, le demi-cercle se resserra autour de l'édifice. Toute sortie était à présent bloquée.
« Rendez-vous, et il ne vous sera fait aucun mal, » clama le chef Arixien qui s'était immobilisé à quelques mètres de l'entrée.
Jungkook lui enviait cette voix forte qui débordait d'assurance, et il se rêva à sa place, brave général, puissant meneur d'hommes, capable de diriger ses soldats face à l'ennemi. Un jour il réaliserait ce vœu qu'il se murmurait parfois le soir pour se motiver quand les lendemains lui semblaient incertains.
Un sourire se dessina sur son visage quand l'immense battant s'ouvrit. Dans les taillis, le silence des combattants était tel que seul s'entendait le crépitement furieux de l'incendie dont les griffes se refermaient sur le bâtiment et ses boiseries. Quelques piaillements désespérés aussi prouvaient que tous les oiseaux utilisés pour ce stratagème ne survivraient pas.
Une ombre fuligineuse recouvrait la forêt, le soleil ne prodiguait plus qu'une lumière anémique que les flammes ravivaient de façon menaçante. Les exhalaisons empyreumatiques qui empuantissaient l'air incitèrent les soldats à se couvrir le nez et, pour certains, à battre des paupières alors que leurs yeux se mettaient à larmoyer.
Jungkook, lui, garda son attention sur la porte que l'on poussait. Son intuition se révéla salvatrice : il leva le bras droit de côté, devant le front du général qui n'eut pas le temps de demander ce qui lui prenait. La flèche tirée par l'ennemi frappa ses protections de métal, s'y logea, et lui égratigna la peau sous sa seconde couche d'armure en cuir qu'elle avait transpercé aussi. Le lieutenant tourna la tête vers le projectile coincé, baissa le bras, et se focalisa de nouveau sur la forteresse tandis que pour sa part, les yeux arrondis par la stupeur, le général Moon le dévisageait.
« Bon sang, mais d'où vous viennent de tels réflexes ?
— Le général Park m'a beaucoup entraîné. »
Or, Jimin lançait ses étoiles d'acier bien moins fort que ce Tyfodonien. Ce dernier d'ailleurs s'avança hors de l'édifice enflammé. La fumée autour de lui sembla se disperser juste assez pour révéler son identité, qui ne faisait aucun doute du fait de son arc à poulies : Jung Hoseok. Tendu par l'appréhension, Jungkook brisa la flèche toujours bloquée dans son gantelet et brandit son jingum.
Le général Moon répéta l'offre arixienne : qu'il se rende s'il voulait vivre.
Les autres Tyfodoniens apparurent derrière leur supérieur dont on reconnaissait le statut à la cape émeraude qu'il portait et sur laquelle était brodée en noir la tête d'un tigre. Le groupe de Hoseok se densifia. Les craquements du bois résonnèrent : des poutres lâchaient, des murs tombaient. Puis le chef rebelle leva d'un geste gracieux sa main libre, attrapa une flèche dans son carquois – Jungkook s'étonna qu'il lui en reste, et il se demanda s'il ne les avait pas taillées dans les mêmes charpentes qui brûlaient à présent –, puis arma son arc.
« Alors je mourrai, » clama Hoseok.
Ses guerriers approuvèrent d'un cri commun qui sonna le glas de la paix qu'avait espérée Jungkook. Les soldats tyfodoniens décochèrent une salve de traits tandis que les Arixiens, à leur tour, se jetaient à l'attaque. Chacun avait reçu des ordres clairs, et le lieutenant décida de s'occuper pour sa part de Hoseok, qu'il comptait bien neutraliser lui-même. Son jingum en main, il arrêta une nouvelle flèche, en esquiva une troisième, et se rua sur son ennemi qui avait tiré une longue dague d'un fourreau à sa taille. Leurs deux lames sifflèrent avant de se rencontrer dans un bruit strident, aussitôt suivi par bien d'autres, preuve que les duels débutaient partout autour.
« Par Pyros, quand comptez-vous enfin vous rendre ! gronda Jungkook.
— Jamais ! »
Ils enchaînaient les coups. Tenant son sabre à deux mains, le lieutenant arixien employait toute la force qu'il possédait à défaire son adversaire, dans l'espoir de le toucher ou, mieux, de le désarmer. Il abattait son jingum avec une violence inégalable, et si Hoseok parvenait chaque fois à l'empêcher de le blesser, il comprenait néanmoins peu à peu qu'il ne gagnerait pas. Il n'était pas formé à ce type de combat, lui savait tirer, et il maniait bien la dague, mais sans plus. Il n'avait jamais fait partie d'une quelconque armée ni n'y avait aspiré.
Son courage vacilla quand s'imposa à lui l'image de sa mère en train de lui sourire.
« Tu deviendras le plus grand des chasseurs, mon ange, » lui avait-elle murmuré, une main affectueuse sur sa joue, en lui embrassant le front alors qu'elle venait de lui offrir son premier arc à poulies.
Hoseok jura et, avec une puissance renouvelée, il para un coup avant d'en donner à son tour un dont la vigueur déstabilisa Jungkook. Le Tyfodonien en profita : il repoussa le lieutenant ennemi d'un coup de pied dans le ventre et, à une vitesse ahurissante, attrapa son arc et une flèche qu'il positionna sans prendre le temps de viser. Il la décocha sans remarquer que Jungkook se baissait déjà pour poser un genou à terre.
Le trait mortel passa juste au-dessus de sa tête, et il se redressa à temps pour esquiver d'un mouvement habile la dague de son adversaire. Doué d'une virtuosité hors-norme au combat, Jungkook savait qu'il l'emporterait, néanmoins, il devait reconnaître que pour un homme dont on lui avait parlé comme d'un chasseur issu d'une riche famille, Hoseok était bien plus talentueux qu'il ne l'avait imaginé.
Les lames se rencontrèrent de nouveau à plusieurs reprises. Parce qu'il s'entraînait à l'arc sans cesse, le chef rebelle possédait dans les bras une force insoupçonnée. La valse du métal se poursuivait, ses coups ne faiblissaient pas, de même que ceux de Jungkook qui comprit que seules sa vélocité et sa réactivité le distinguaient. Décidant de miser sur ces qualités, il enchaîna plus vite encore les attaques...
Et Hoseok perdit pied.
Le lieutenant ne visait que des endroits peu dangereux pour blesser son adversaire, le contraindre à l'abandon. Après avoir paré, il parvint à toucher son ennemi à la cuisse. Tentant de taire l'atroce sensation, le Tyfodonien voulut continuer le combat. Or, il s'était crispé une seconde de trop, qui permit à Jungkook de planter son jingum dans sa jambe déjà meurtrie. Un hurlement de douleur échappa à Hoseok lorsqu'il le lui retira, et il plaça le sabre contre sa gorge. Le jeune homme tenait à peine debout, le visage marqué par la souffrance.
« Vous avez perdu, rendez-vous.
— Je préfère mourir.
— Je n'ai pas dit que je ne vous tuerai pas.
— Faites-le tout de suite.
— Ce n'est pas vous qui en décidez. »
Ils s'affrontèrent d'un regard corrosif. Le temps parut s'étirer alors même qu'il demeura très bref.
« Regardez autour de vous, Hoseok, les vôtres ont perdu. Voulez-vous tous les condamner à mort ?
— Nous sommes prêts à mourir, affirma-t-il avec aplomb.
— Existe-t-il réellement une seule personne ici prête à s'en aller définitivement ? »
Le chef tourna la tête vers ses hommes. La plupart étaient déjà, poings liés, surveillés par un Arixien qui avait placé une lame sous leur cou. Ils échangeaient des œillades emplies de désespoir et de doute.
« Nous serons exécutés, n'est-ce pas ? souffla Hoseok.
— Je pense que oui, mais rien ne l'affirme. Il a été explicitement demandé qu'aucun de vous ne soit tué aujourd'hui, et je soupçonne que cela ait été réclamé à dessein. »
Hoseok observa les siens, qui peu à peu concentrèrent leur attention sur lui qu'ils croyaient invincible et qu'ils découvraient dans la même position qu'eux, blessé au point qu'il ne réussirait sans doute pas à marcher ou chevaucher. Ils le découvraient faible.
« Vous pensez peut-être, reprit Jungkook, que refuser notre offre et vous faire tuer ici vous offrira une mort digne. Mais aucune mort n'est digne. Vous resterez là, pathétiques, jusqu'à ce que des prédateurs ou les vôtres vous trouvent, sans doute assez tard pour que vos cadavres les écœurent plus qu'ils ne les émouvront. Nous sommes tous égaux dans la mort, et la façon dont on meurt n'y change rien. Alors vivez, car vous pourrez tenter de faire la différence et de renverser le cours des choses.
« Jung Hoseok, soyez assez courageux pour accepter de vivre. »
Le métal froid qui pressait sa gorge n'effrayait pas le chef tyfodonien. Or, quelque chose en lui, une empathie trop puissante, l'empêchait de refuser en bloc et de condamner ses compagnons de voyage, ceux qui l'accompagnaient, pour les plus anciens, depuis des mois déjà. Ils étaient devenus amis, frères d'armes, et si Hoseok accepterait de mourir pour eux, il ne pouvait néanmoins pas admettre qu'eux meurent pour un idéal qui ne se réaliserait jamais. Il avait voulu rêver, il les avait entraînés dans cette aventure dangereuse ; qu'il assume, à présent.
« Je me rends, » souffla-t-il en inclinant la tête, la voix grave, alourdie par le regret.
Il se baissa pour poser sa dernière flèche qu'il brisa en deux en l'écrasant du pied, symbole de sa défaite. Il abandonna ensuite sa dague et son arc, tous deux récupérés par Jungkook immédiatement.
« Confisqué, asséna-t-il en guise d'explications.
— Ce n'est pas nécessaire.
— Vous êtes notre prisonnier, ce n'est plus à vous de décider de ce qui est nécessaire ou non. »
Jungkook fit signe à un soldat qui approcha pour nouer les poignets de Hoseok dans son dos. Le lieutenant victorieux rangea ses armes et, à son subordonné, demanda combien de victimes étaient à déplorer.
« Douze dans notre camp, sept dans le leur.
— Bien, je suis soulagé que cela n'ait pas tourné au carnage. »
Jungkook rejoignit le général Moon, qui s'entretenait avec un héraut qui devait s'en aller pour la capitale.
« J'ai appris que vous aviez maîtrisé Jung Hoseok, félicitations, sourit le chef arixien. Je m'apprêtais justement à envoyer un message à l'Assemblée. J'ai des troupes à réorganiser, une forteresse à reconstruire, et une frontière à gérer : je ne suis pas le moins du monde en mesure de voyager. Je me disais en revanche que vous qui deviez retourner auprès de votre général, vous pourriez vous accorder un crochet par la capitale pour y accompagner les prisonniers et vous y reposer un peu. Vous méritez les lauriers de cette victoire, lieutenant Jeon.
— Ce serait un honneur, général Moon.
— Eh bien il en ira ainsi ! Le lieutenant Jeon arrivera en ville dans deux jours, trois tout au plus, pour présenter aux empereurs ses respects ainsi que les rebelles tyfodoniens ! »
Le messager s'inclina et fila. Jungkook, pour qui tout avait semblé aller trop vite, passa une main dans ses cheveux de jais, stupéfait par l'immense privilège qui venait de lui être accordé. Il allait se présenter devant les empereurs avec Hoseok, le chasseur tyfodonien le plus redouté ! Par Pyros. Et Taehyung ! Il pourrait lui raconter cette bataille sur fond d'incendie mémorable, le tout digne de l'épopée que préparait son précieux poète. Il n'en reviendrait pas, peut-être même ne le croirait-il pas, mais il pourrait interroger Hoseok, les autres soldats, le général Moon, pourquoi pas, et tous confirmeraient ses actes héroïques !
Ragaillardi, la poitrine gonflée de fierté, Jungkook rassembla ses hommes d'un seul cri puis leur expliqua leur prochaine destination. Des vivats retentirent, célébrant le triomphe de leur supérieur qui les calma d'un geste et les invita à regagner le camp n° 5 pour se reposer et panser leurs blessures avant leur départ, dès le lendemain matin, pour la capitale.
Parmi eux se trouvait une femme qui, non contente d'être une épéiste de talent, pouvait aussi revêtir l'uniforme de messagère. Son lieutenant lui demanda d'enfiler son brassard blanc et de chevaucher jusqu'au camp n° 7 pour prévenir le général Park de leur victoire, de leur prochaine halte à Noria, et de leur retour, le plus vite possible, à la frontière sawaï pour les rejoindre. Elle se mit au garde à vous et s'en alla, talonnant l'autre héraut déjà parti.
« Lieutenant Jeon ? »
Il se retourna pour jeter à son chef un regard interrogateur.
« Merci de m'avoir sauvé la vie. Vous permettez ? »
Le général Moon lui prit l'avant-bras en douceur d'une main, et de l'autre réussit à lui retirer la pointe de flèche toujours fichée dans son gantelet. Jungkook esquissa un rictus devant la difficulté qu'il eut à la lui enlever.
Pour sûr, Hoseok était malin et fort, vraiment fort.
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Dès qu'il fut rentré chez lui, Namjoon se rendit dans sa chambre et s'écroula sur son lit. Croyant qu'il irait comme toujours soit à la cuisine, soit dans son bureau, Seokjin resta un instant interdit, inquiet, avant d'oser frapper à la porte.
« Entre. »
Il poussa le battant, timide, et observa son maître étalé sur son matelas, le visage dans son oreiller, les bras en croix. Il lui trouva l'air innocent sans trop comprendre ce qui pouvait bien lui évoquer cette impression, et fronça les sourcils en agitant la tête de droite à gauche pour se reprendre.
« Ne me dites pas qu'ils ont refusé ! »
C'était ce matin que Namjoon avait présenté sa proposition au sujet des Tyfodoniens qui réclamaient une autorisation de séjour à Arixium en attendant que leurs terres soient en paix. Pourtant, l'après-midi était déjà entamé, au point que le serviteur s'était inquiété de ne pas voir son cadet rentrer pour le déjeuner. La séance avait-elle duré plus longtemps que prévu ?
« Cela a pris un temps fou, marmonna Namjoon dans son coussin comme si Seokjin avait pensé tout haut. Il y avait les empereurs, j'ai fait mon discours, puis il y a eu des questions, des débats, encore des questions, et encore plus de débats. Tout ce que mes opposants disaient finissait par se contredire, mais ils campaient sur leurs positions, même quand je leur prouvais par A plus B que j'étais dans le vrai. Comment peut-on s'entêter quand on vous prouve que vous avez tort ?
— C'est là le propre des imbéciles, Namjoon, vous ne devriez pas prendre cela trop à cœur. Vous reviendrez plus fort de cet échec, ne vous en faites pas, vous...
— Un échec ? s'étonna l'Arixien en relevant la tête. Ah non, non, pas du tout : ils ont accepté ma proposition – cela s'est joué à un vote, heureusement que j'avais attendu la venue des empereurs, qui tous deux m'ont soutenu. En revanche, je suis à présent épuisé.
— Vous avez... vous avez réussi ?
— Eh oui.
— Alors... les Tyfodoniens en danger..., commença-t-il sans parvenir à achever sa phrase.
— Seront acceptés ici à titre provisoire.
— Vous avez sauvé mon peuple. »
Namjoon lui adressa un sourire attendri en découvrant son visage bouleversé, son expression qui traduisait toute son émotion, ce bonheur pur de savoir que cette fois, Arixiens et Tyfodoniens s'entraideraient. Seokjin imagina son ami clore son discours comme il l'avait prévu, avec cette phrase qu'il lui avait lui-même soufflée : « c'est en sauvant Tyfodon que nous sauverons Arixium. »
Une partie du jeune homme voulait croire que c'était aussi un peu pour lui que Namjoon s'était tant acharné à sauver leurs voisins. Parce qu'avec les années, à force de le côtoyer, il avait fini par l'apprécier et par voir en lui non un esclave, mais un Tyfodonien comme ceux que Seokjin lui avait supplié de secourir, des mois plus tôt, en l'incitant à plaider cette cause.
« D'ailleurs, ajouta Namjoon en s'asseyant avec un rictus espiègle, pour ce qui est de la petite condition que j'avais posée à leur venue, elle a été acceptée seulement si c'était le général Park qui s'en occupait : ils croyaient sans doute lui mettre des bâtons dans les roues en lui imposant cette tâche, à la place de quoi ils vont l'aider à gagner la guerre. »
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Et on félicite les quelques personnes qui avaient reconnu la technique des oiseaux de Herald III de Norvège. :P
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