Chapitre 20

« Le général : La fin de la guerre est un rêve.

La prêtresse : Est-ce mal ?

Le général : Non, il est beau de rêver, mais tout rêve s'achève au lever du soleil.

La prêtresse : Que voulez-vous dire ?

Le général : Que tant que les hommes existeront, la guerre existera. Chaque jour, partout, jusqu'à la fin des temps. »

– Moon Sungpio, La dame de la lune.


Le camp arixien était silencieux, la nuit l'avait plongé dans une torpeur apaisante. La lune brillait par-delà quelques rares nuages – mais au loin ils s'amoncelaient et approcheraient tôt ou tard, Jimin savait que la pluie ne tarderait plus. Assoupi, le général profitait cette fois du lit, que Yoongi avait insisté pour lui laisser.

Parce que pas un bruit ne perturbait les lieux, Jimin se redressa dès lors qu'il entendit un cri strident – un cri qu'il connaissait bien. Il se précipita vers la fenêtre qu'il ouvrit en grand et, tendant dehors un morceau de viande séchée, il siffla. Un violent battement d'ailes le prévint de l'arrivée imminente de Samran, qui se posa face à lui peu après. Il grimpa sur le rebord auquel il s'agrippa à l'aide de ses serres, et Jimin décrocha le papier fixé à sa patte.

Un message de Jungkook, aussi concis qu'à l'accoutumée : « Nous n'avons croisé que peu de révoltés près de la forteresse, se sont sûrement enfuis, avons éliminé tous ceux qui restaient. Forteresse libérée, aucun homme mort en chemin, deux blessés au combat. »

Jimin se hâta de porter la missive au général Moon qui le félicita et fut prodigue de louanges envers Jungkook. Soulagé de cette bonne nouvelle pour sa part, le jeune homme retourna d'un pas lent à sa chambre où il trouva Yoongi réveillé, l'air perdu et stressé.

« Jimin, que se passe-t-il ? s'inquiéta-t-il. Je... vous...

— Tout va bien, le rassura l'autre en refermant derrière lui. J'ai reçu un message de mon lieutenant pour me prévenir que la mission avait réussi. Vous n'avez rien à craindre, vous êtes protégé ici. »

Yoongi hocha la tête et baissa les yeux sur ses mains, qu'il avait serrées entre ses jambes croisées en tailleur. Jimin se rendit compte à cet instant qu'il avait vu son aîné dans cette position à plus d'une reprise, et il constata avec une étrange tendresse qu'il s'agissait sans doute d'une habitude.

« Rendormez-vous, souffla-t-il, les jours qui viennent risquent d'être bien remplis pour vous comme pour moi. »

Yoongi, bien qu'hésitant, obéit une fois certain qu'il n'avait à craindre aucun danger, et Jimin l'imita.

Au matin du lendemain, le général renvoya Samran en direction des troupes de Jungkook avec à la patte un message pour inciter son lieutenant à le tenir au courant de l'issue de l'affrontement qu'il comptait lancer contre le village de révoltés. Son aigle s'avèrerait plus pratique pour leurs échanges dans cette contrée difficile.

Yoongi s'entraîna avec Jimin jusqu'à l'heure du déjeuner. Quand enfin ils cessèrent, le Phénix observa sa main droite avec une moue curieuse à propos de laquelle son cadet l'interrogea.

« Je trouve juste cela étrange, répondit-il.

— Quoi donc ?

— Ma main : je jurerai que la dague était en train de fusionner avec ma peau, mais non. J'ai juste des marques douloureuses à la base des doigts.

— Vous finirez avec une corne à toute épreuve, ne vous en faites pas.

— Quelle joie, j'ai hâte...

— Êtes-vous toujours si sarcastique ?

— Oui. »

Jimin ne répliqua pas, peu enclin à ce genre de conversations. Yoongi serra puis desserra le poing, et une expression qui traduisait sa douleur s'afficha sur son visage. Sa main avait tétanisé tant il avait agrippé son arme. Or, la méthode avait fait ses preuves : le jeune homme se débrouillait de mieux en mieux, ses mouvements avaient gagné en fluidité.

L'après-midi, ils le passèrent à entraîner la magie de Yoongi dans la forêt qui environnait le camp du général Moon, loin de tout œil indiscret.

~~~

Une fois ses hommes ragaillardis par une bonne nuit de sommeil et un repas copieux, le lieutenant Jeon, accompagné par son homologue qui se trouvait jusqu'à la veille prisonnier de la forteresse, décida d'attaquer dès le lever du soleil le village qui abritait une importante population de révoltés. Ainsi, lorsque les premiers rayons de l'aurore lancèrent le signal, les soldats étaient déjà vêtus de leur armure bleu et noir, leurs armes à portée de main.

Jungkook marchait en tête : son agressivité émanait de lui à la manière d'une aura sombre qui lui donnait des allures de chef de guerre. Il avait avant le départ partagé son plan avec les troupes du général Moon qui l'avaient écouté sans un mot, ensorcelées par sa fougue qui annonçait la brutalité de ses assauts.

Le lieutenant surveillait les alentours avec attention, sensible au moindre bruit. Il était plongé dans une concentration telle qu'il percevait jusqu'au frémissement des branches que provoquaient des oiseaux remuants.

« Lieutenant Jeon, l'informa son camarade, le village n'est plus qu'à deux cents mètres de là. Nous allons devoir redoubler de prudence.

— Merci pour votre mise en garde. Si qui que ce soit remarque un mouvement suspect, qu'il me prévienne aussitôt et n'hésite pas à attaquer.

— Mes vingt archers sont prêts. »

Ils les avaient répartis de façon stratégique avant le départ, tout autour du cortège funeste qu'ils formaient. De cette façon, les tireurs étaient les mieux positionnés pour agir en cas d'alerte. Plus vigilants vis-à-vis de leur environnement que les soldats qui combattaient de près, ces militaires avaient armé leur arc de flèches ointes d'un venin qu'ils portaient en permanence sur eux, dans un flacon protégé par une pochette de cuir étanche à leur ceinture.

Chaque pas était accompagné d'un tonitruant battement de cœur, un stress délicieux submergeait Jungkook : l'adrénaline coulait à flots, la fièvre de la bataille le démangeait déjà à la manière d'une allergie. L'impatience le rendait nerveux, mais la nervosité le rendait invincible.

Les muscles bandés, son sabre tendu, le lieutenant suivait le chemin que de réguliers passages avaient fini par tracer au milieu des épais taillis. Son regard courait d'arbre en arbre, il analysait à grande vitesse chaque bruit, chaque odeur.

Une flèche siffla, il s'immobilisa.

C'était un Arixien qui venait de tirer en direction d'un pin gigantesque à une vingtaine de mètres de lui. Un râle de douleur résonna, puis une masse sombre chuta mollement de branche en branche, pantin désarticulé. Un soldat ennemi, son arme encore entre les mains, et une pointe plantée dans l'épaule. La blessure n'était pas mortelle, pas même grave, mais Jungkook avait appris que le venin utilisé par les archers faisait effet en quelques secondes, fabriqué à partir de celui d'araignées et de serpents d'une extrême dangerosité.

Au moins, il n'avait pas souffert longtemps.

« Sûrement un soldat en patrouille aux alentours du village, affirma le lieutenant du camp n° 5. Soldat, y en avait-il d'autres avec lui ?

— Non, lieutenant, répondit l'archer qui avait tiré. Un seul homme. Je ne fais pas dans la demi-mesure. Mais nous en croiserons sans doute d'autres très bientôt. »

Les hommes du général Moon connaissaient aussi bien le terrain que les ennemis. Ils savaient comment ils fonctionnaient, ils les avaient observés bien assez longtemps pour cela. Jungkook, donc, hocha la tête et poursuivit son chemin, prudent.

Le village n'était pas encore en vue, mais déjà une tension palpable alourdissait les environs.

Un archer arixien attaqua, une flèche adverse lui répondit. D'autres archers lancèrent l'assaut, des cris s'élevèrent dans la forêt, et Jungkook, parce qu'il ne servait plus à rien de se montrer discret, ordonna d'une voix puissante : « À l'attaque, pas de quartier ! »

Les soldats spécialisés dans l'offensive de courte portée, majoritairement équipés de jingum, hurlèrent leur assentiment tandis que les deux lieutenants couraient au-devant des troupes. Des flèches sifflèrent, des hommes et des femmes tombèrent, le crâne percé, l'expression stupéfaite et le regard qui se vidait peu à peu. Jungkook avait levé l'avant-bras pour s'en protéger la tête, et très vite il atteignit le hameau tyfodonien. Cerclé d'une immense et épaisse palissade de bois et de pierre, le village avait ouvert ses imposantes portes. Il s'en déversait un flot de guerriers vêtus d'armures vert et noir.

Un flot qui surprit Jungkook, qui néanmoins ne se laissa pas déstabiliser : son sabre en main, il attrapa dans la sacoche à sa ceinture une petite lame qu'il lança d'un geste assuré. Elle se ficha dans la tête du premier des assaillants, qui armait déjà son arc.

Cinquante mètres les séparaient : que les révoltés réussissent à tirer leurs premières flèches, et le lieutenant était mort. Les premières sifflèrent alors que Jungkook n'était plus qu'à trente mètres des ennemis. Ses troupes étaient restées positionnées comme elles l'avaient appris et commençaient à se déployer. Les archers arixiens, qui en avaient fini avec les quelques soldats dissimulés dans la forêt, se chargèrent de la première ligne tyfodonienne. Ainsi, Jungkook s'apprêtait à dégainer une nouvelle lame de lancer quand l'adversaire qui dirigeait sur lui son tir reçut un trait en plein milieu du front.

Jungkook poursuivit sa course, il arriva le premier devant les révoltés qui avaient abandonné leurs arcs pour des dagues et des jingum. Or, si le lieutenant se savait vulnérable au cours d'affrontements à distance du fait de la faible portée de ses lames de lancer, il se savait invincible en combat rapproché contre des chasseurs reconvertis en militaires. Ils pouvaient atteindre des proies à cinquante mètres, mais ils ne maniaient pas de façon régulière le sabre.

Jungkook acheva ses deux premiers adversaires en moins d'une minute, alors qu'autour de lui hurlait le métal. Ses ennemis étaient en difficulté dans une configuration pareille, et même les archers postés au sommet des palissades – qui s'occupaient de mettre hors d'état de nuire leurs homologues arixiens – ne parvenaient pas à équilibrer la balance. Ils étaient plusieurs centaines dans cette forêt, le soleil à peine levé, à lutter avec une fureur dévastatrice.

Lorsqu'il le put, Jungkook recula afin de bénéficier d'une meilleure vue d'ensemble. Il continuait de hurler ses ordres à ses hommes qui obéissaient sans ciller. Resserrer les rangs pour les bretteurs, protéger la ligne de front des flèches adverses pour les archers. Pareil au chef d'un orchestre macabre, le lieutenant guidait les siens.

« Jeon ! »

L'appelé fit volte-face, une flèche fendit les arbres, droit sur lui. Par chance, son mouvement lui permit d'éviter de peu le projectile, qui se logea dans la terre sur plusieurs centimètres, preuve de la force du guerrier. Jungkook grimaça en portant sa main à sa joue, que la puissance du tir avait blessée alors même qu'il ne l'avait que frôlée. Du sang s'échappait d'une plaie longue de plusieurs centimètres.

L'attention de Jungkook se dirigea vers l'Arixien qui l'avait prévenu juste à temps et qui, équipé d'un arc, venait de neutraliser l'ennemi. Il le gratifia d'un mouvement de tête reconnaissant : « Merci, soldat. »

L'homme répondit à son geste avant de se concentrer derechef sur les alentours.

Jungkook pour sa part resserra sa poigne sur son jingum et retourna au combat. Il échangea quelques coups avec un Tyfodonien au regard aussi acéré que sa lame, qu'il finit par lâcher quand le lieutenant lui eut enfoncé la sienne dans le ventre. Il s'effondra. Jungkook enchaîna : une femme poussa un hurlement animal en abattant son sabre. Il contra l'attaque, et la force de la rebelle le surprit au point qu'il faillit échouer à parer.

Il ne devrait pourtant pas s'étonner de la force que des archers pouvaient mettre dans des offensives au jingum.

Elle tenta un nouvel assaut, il contrattaqua. Le lieu se chargeait de l'odeur fétide du sang, des cris de détresse des Tyfodoniens qui envisageaient le repli, du goût succulent de la victoire qui approchait. La femme ne laissa pas Jungkook savourer l'instant, enchaînant sans faiblir. Elle leva son sabre, le lieutenant lui donna dans le ventre un coup de pied qui la repoussa. Il se jeta de plus belle sur elle qui esquiva en répliquant. Il para d'une main, et elle remarqua trop tard que de l'autre, il avait tiré son karambit de son fourreau. D'un coup d'estoc, il le planta jusqu'à la garde dans sa gorge.

La combattante ne hurla pas sa douleur : sa voix fut remplacée par un gargouillement guttural, elle toussa un filet de sang, chancela, et avant qu'elle ne tombe, Jungkook lui arracha d'un geste brutal l'arme de la trachée.

Les ennemis commençaient à reculer, la muraille du village se rabattait peu à peu pour permettre au flot de réduire les rangs de façon progressive. Il ne restait que quelques courageux soldats tyfodoniens qui avaient accepté de donner leur vie pour défendre ceux que les remparts devaient protéger. Des enfants habitaient encore ce hameau, fils et filles des braves guerriers que finissaient de décimer les Arixiens.

Le lieutenant tenta une ultime percée des lignes adverses : si les portes se refermaient, les rouvrir nécessiterait des efforts considérables. Ses hommes et lui ne possédaient pas de quoi détruire une telle muraille. L'entreprise requérait des équipements dont les troupes ne disposaient pas.

Il brandit son sabre, le regard enflammé.

~~~

Le général Park, au camp sud, aidait son ami à travailler sa magie. Le Phénix formait et reformait une multitude de sphères d'ombres qui contenaient le plus de lumière possible. Une dizaine s'entassait déjà autour d'eux quand un cri perçant retentit, annonçant le retour de Samran. L'aigle fondit sur eux pour se poser à quelques mètres, et il marcha jusqu'à Jimin qui s'accroupit pour lui caresser la tête. Un message était accroché à sa patte, qu'il libéra du papier. Parce que Yoongi affichait une moue qui trahissait sa curiosité, il lut tout haut.

« Village révolté attaqué, peu de pertes de notre côté. Beaucoup d'archers maîtrisés. Fortifications autour de la ville, n'avons pas pu entrer. Nous assiégeons. »

Jimin grimaça.

« Que se passe-t-il ? s'enquit son aîné.

— Assiéger dans les conditions auxquelles ils font face est une mauvaise idée.

— Pourquoi donc ?

— Il fait froid, surtout la nuit. Ils ne disposent d'aucune ressource pour se nourrir sur la durée. Ils ne tiendront pas longtemps, nous allons devoir trouver une solution au plus vite.

— Le lieutenant doit le savoir, non ? S'il a agi malgré tout, il a peut-être une idée en tête.

— Je l'espère. Il a parfois tendance à agir sur l'instant sans réfléchir. Cette fois, la situation pourrait lui coûter cher s'il n'a pas un plan solide. »

L'autre opina, perplexe, et au terme d'un court silence qui parut interminable, ils reprirent leur entraînement. Peu après, une fois le mage épuisé, ils rentrèrent au camp où Jimin partit voir son homologue, qu'il avisa de la décision de son subordonné.

« Mon lieutenant a une certaine inclination pour le siège, affirma le général Moon. Je pense que c'est lui qui a convaincu le vôtre. Je ne crains rien pour la réussite de votre plan.

— Il est vrai que mon lieutenant aurait plutôt tendance à foncer dans le tas et tenter à tout prix d'entrer.

— Il me semble aussi avoir compris qu'il avait un tempérament bouillant.

— Je vous le confirme. Il est mon soldat le plus talentueux au sabre. Les Tyfodoniens n'avaient aucune chance contre lui.

— Et avec l'immense savoir du mien en poliorcétique, je suis convaincu que nous recevrons de bonnes nouvelles.

— Je suis malheureusement pressé par le temps, soupira le général Park. Je dois retourner à la frontière sawaï, ils nous donnent du fil à retordre ces derniers temps.

— Le général Kim ne suffit-il pas, d'après vous ? » le taquina-t-il.

Son cadet retint un soupir de dépit. Le général Kim, responsable du camp n° 11, était établi plus au sud que lui, dans une région certes dangereuse, mais où il n'avait pas à gérer la présence d'un Phénix qu'il aurait sans le savoir sauvé des griffes ennemies. Il ne pesait pas sur ses épaules le fardeau qui écrasait celles de Jimin.

« Bien sûr que si, mais j'ai mes propres affaires à régler, atermoya-t-il.

— Je vois. Eh bien dans ce cas prions Pyros pour que nos deux lieutenants se sortent de là au plus vite. »

Jimin approuva, et il retourna à la chambre qu'il partageait avec Yoongi. Ce dernier, assis en tailleur sur le lit, lisait un roman.

« Où avez-vous trouvé cela ? s'enquit le général avec un air dubitatif.

— Au fond de l'armoire, pourquoi donc ? Pensiez-vous que je l'avais volé ?

— Du tout. Je me posais la question, rien de plus. De quel livre s'agit-il ?

— Un roman contemporain, de ce que j'ai compris. Je ne le connais pas.

— Cela n'a pas dû vous arriver depuis bien longtemps.

— En effet. Votre littérature actuelle m'intéresse beaucoup, même si votre peuple me répugne.

— Vous ne ratez jamais une occasion de me le rappeler...

— Jamais. »

~~~

Deux jours passèrent pendant lesquels Jimin patientait, un peu plus anxieux chaque heure. Il n'avait pas retourné Samran à son lieutenant de peur qu'un archer tyfodonien ne l'attaque et ne réussisse à intercepter sa missive. Au troisième lever de soleil néanmoins, il s'aperçut que les nuages accumulés à l'horizon formaient une couverture menaçante au-dessus d'eux, et une fine pluie commençait déjà à tomber. Ainsi, parce qu'il se doutait que ces quelques gouttes se changeraient en averse, il comprit qu'il pourrait renvoyer son aigle à la rencontre de Jungkook : les giboulées empêcheraient les ennemis de remarquer Samran, et ce dernier, doué d'une excellente vision, ne raterait pas Jungkook pour autant.

Il s'assit au bureau de la chambre, attrapa un morceau de parchemin et y inscrivit quelques mots pour son cadet. Tandis qu'il trempait sa plume dans l'encrier, il entendit du mouvement provenant du divan, un profond soupir, puis il leva les yeux pour adresser un bref salut au Phénix.

« Que faites-vous déjà levé, bon sang ? grommela Yoongi.

— Il est bien assez tard comme cela.

— Vous écrivez à la lumière d'une bougie, il est donc à peine sept heures du matin.

— C'est bien ce que je disais.

— Comment pouvez-vous être si matinal quand vous m'incitez à rester debout jusqu'à je ne sais quelle heure pour m'entraîner ?

— Je vous ai dit qu'il était plus sûr de travailler votre magie d'ombre la nuit et vous avez approuvé, ne venez pas vous plaindre de vos propres choix ensuite.

— J'espérais juste dormir...

— Qui vous en empêche ?

— Vous : vous vous levez, marchez, écrivez... j'ai le sommeil léger.

— Par Pyros, vous êtes si compliqué, râla Jimin en reposant sa plume une fois son message terminé. Ne pouvez-vous pas vous arrêter de vous plaindre ?

— Pas quand je me couche en plein milieu de la nuit et que l'on me réveille au lever du soleil.

— Vous êtes insupportable.

— Je vous rends le compliment, répliqua Yoongi qui avait refermé les yeux.

— Contrairement à vous, je tente d'exercer au mieux mon métier, qui consiste à commander à plusieurs centaines d'hommes pour leur éviter de se faire tuer. Désolé, donc, si la vie de mes soldats est moins importante que votre grasse matinée.

— Excuses acceptées. Bonne nuit.

— Je suis sûr qu'un enfant m'aurait moins dérangé que vous, » rétorqua le général en plaçant son message dans un petit étui étanche.

Son mouvement se stoppa net. Il voulut par réflexe tourner la tête vers son aîné, mais il resta immobile.

« Yoongi, cessez cela tout de suite, ce message est important.

— C'est pourtant vous qui m'aviez dit que toute occasion de s'entraîner était bonne à prendre, non ?

— Je n'envisageais pas que cela se retournerait contre moi dans un moment si crucial. Samran doit partir avant le lever du jour si je veux être sûr que les révoltés ne le menaceront pas. Il pleut et il fait sombre : c'est le moment idéal pour qu'il retourne voir mon lieutenant.

— Vous n'avez aucun humour, soupira le Phénix en le libérant. Je peux aussi essayer de changer votre couleur de cheveux. Vous êtes-vous déjà demandé à quoi vous ressembleriez avec des cheveux aussi blancs que les miens ?

— Vous m'épuisez.

— Dommage, je commençais enfin à m'amuser.

— Rendormez-vous, je vais m'en aller.

— Où ?

— En quoi cela vous intéresse-t-il ?

— Parce que maintenant que votre lieutenant est parti, vous êtes le seul dans ce camp à savoir qui je suis et à me protéger. Je préfère ne pas trop m'éloigner de vous. Je vous rappelle pour la énième fois que je me méfie comme de la peste de vos semblables.

— Personne ne viendra vous embêter dans cette chambre, je vous rassure. Reposez-vous. »

Yoongi, après une hésitation, se retourna pour se placer dos au général qui avait posé un regard attendri sur lui. Jimin avait compris, jour après jour, que le mépris du Phénix était le résultat de sa peur, de ce que son peuple avait récemment subi. Comment, dans ces conditions, lui en vouloir ? Il s'efforçait même de ne plus l'inclure dans les gens qu'il disait haïr.

Peut-être qu'une fois cette aventure terminée, Yoongi se montrerait plus clément avec les Arixiens... s'ils survivaient. Jimin du moins préféra ne pas envisager tout de suite le pire.

~~~

Il pleuvait à verse sur les montagnes cet après-midi-là. Autour du village révolté, les lieutenants avaient creusé deux lignes de tranchées hérissées de piques taillées dans le bois alentour, afin d'empêcher une éventuelle arrivée de secours. Les troupes pour leur part s'étaient protégées dans des cabanes fabriquées à la va-vite sous les arbres, et ils patientaient en surveillant le hameau tour à tour, en chassant, en récoltant différentes baies, etc. Enfin, ils avaient formé des groupes qui se relayaient pour rapporter de la forteresse arixienne les dernières denrées qui s'y trouvaient.

Au cours de la matinée, Jungkook était allé voir son homologue pour s'entretenir avec lui.

« Nous ne tiendrons pas longtemps à ce rythme, avait-il affirmé. Nous devons absolument mettre fin à ce siège.

— Qu'envisagez-vous, lieutenant Jeon ?

— Nous devons attaquer, il ne faut pas attendre plus longtemps. Nos troupes sont encore vigoureuses, galvanisées par notre récente victoire, profitons-en !

— Il pleut depuis ce matin, les nuages annoncent des averses violentes. Quand voulez-vous attaquer ?

— Cet après-midi.

— Cet... pardon ? Il va pleuvoir des torrents d'eau, êtes-vous fou ?

— Au contraire : c'est justement de cette façon que l'ennemi va penser, les rebelles seront moins sur leurs gardes, et nous avons des chances de l'emporter. »

Après de longues minutes de discussions suivies d'une heure de stratégie, les deux lieutenants avaient trouvé un accord et décidé de mener l'assaut ensemble en fin d'après-midi, avant le coucher du soleil, quand les giboulées empêcheraient toute visibilité aux sentinelles ennemies.

L'heure était venue, Jungkook avait revêtu son armure. La main droite sur son jingum, il était déjà prêt à lancer l'attaque avant même d'être arrivé devant les fortifications. Il jeta un regard à l'aigle qui se reposait dans ce qui lui servait de cabane, et il se jura que ce soir, le général Park reverrait son messager pour de bonnes nouvelles.

Dehors, vent et pluie hurlaient dans les branches, et le ciel menaçant paraissait présager du massacre à venir. Les ordres étaient clairs, il en avait discuté avec son chef : hommes et femmes mourraient. Seuls les enfants seraient épargnés. Le général Moon se chargerait de les faire escorter jusqu'à la capitale tyfodonienne.

Alors que la tempête faisait rage, le lieutenant Jeon tira son arme de son fourreau en adressant un signe de tête à son homologue qui le lui rendit, approuvant sa décision.

~~~

Yoongi s'agenouilla, haletant, le visage rougi par l'effort, les mains tremblantes sous l'effet de l'épuisement. Jimin s'accroupit devant lui, le toisa, puis lui sourit.

« Bien joué, vous vous améliorez à la dague, et quand vous conjuguez cela avec votre magie, vous devenez dangereux.

— Merci. Je ferai de mon mieux pour vous aider à retrouver les miens.

— À ce sujet, je réfléchissais à ce que nous ferions une fois revenus au nord d'Arixium, près de la frontière. Je... je pense assaillir aussitôt Sawa, ce qui sera sans le moindre doute vécu comme une déclaration de guerre par les concernés, et comme une trahison par mon propre peuple. Je vais tout risquer – peut-être tout perdre ensuite –, alors j'ai besoin que vous me suiviez jusqu'au bout, vous comprenez ? Nous devrons rester soudés du début à la fin, et si nous l'emportons, alors les miens me pardonneront ma fougue, car ils comprendront. Si nous échouons, les vôtres mourront et les miens me feront emprisonner à vie. Nous mettons tous deux en jeu ce que nous avons de plus cher.

— Je comprends, approuva-t-il. Je vous soutiendrai si vous m'aidez, et vous n'aurez pas à douter de ma loyauté.

— Parfait, voilà tout ce que je voulais entendre. »

Rassuré, il se redressa. Ces jours-ci, Jimin en effet s'était interrogé à propos d'une potentielle versatilité de son camarade. Si le Phénix décidait, pour sauver les siens, de passer du côté de l'ennemi, le général savait qu'au vu de ses pouvoirs, ses troupes ne gagneraient pas. Yoongi possédait la puissance nécessaire pour leur offrir la victoire ou bien les condamner à la défaite. Il avait besoin que son aîné lui promette son allégeance.

Seuls dans la salle d'entraînement à cette heure, les deux hommes restèrent silencieux, reprenant peu à peu leur souffle. Jimin fronça les sourcils et approcha de la porte qui donnait sur la cour. Il l'ouvrit ; le bruit de la pluie s'intensifia tout à coup. Yoongi, curieux, le suivit des yeux. Jimin porta deux doigts à sa bouche et siffla. Il comprit, stupéfait, que malgré l'orage, le général avait entendu Samran, ou du moins un son qui lui évoquait son cri.

L'oiseau se posa devant son maître à qui il tendit la patte après avoir reçu une caresse affectueuse sur la tête. Jimin le débarrassa du message dont il ouvrit l'étui de protection et qu'il déplia. Il lut en silence : « J'ai ordonné l'assaut : victoire. Nous attendons vos instructions dans le village. Les enfants sont avec nous, aucun mal ne leur sera fait. »

Soulagé, Jimin froissa le papier dans son poing et gratifia une fois de plus son fidèle Samran d'une caresse sur le sommet du crâne. Il lui offrirait, le lendemain, un festin bien mérité. Pour lors, il devait parler au général Moon pour décider de la suite du plan. Maintenant que Jungkook avait réussi à libérer les troupes amies et vaincre les révoltés du village le plus proche, il ne restait plus qu'à piéger le gros de l'armée rebelle qui se trouvait encore près d'ici en refermant leur funeste étau sur eux. Plus rien ne les en empêchait désormais, et quelques jours avaient suffi à reprendre un avantage considérable sur l'ennemi.

« Yoongi, notre entraînement est terminé, je vous laisse retourner à la chambre, vous voulez bien ? J'ai des affaires urgentes à régler.

— Bien. Une bonne nouvelle, j'espère, osa-t-il en désignant d'un mouvement du menton le message.

— Très bonne en effet. Il ne nous reste plus qu'à porter le coup final aux Tigres et nous pourrons retourner affronter les Scorpions.

— Je...

— Oui ? l'encouragea Jimin en comprenant qu'il hésitait.

— J'aimerais essayer de participer à cette bataille, balbutia Yoongi en se redressant. Je voudrais tester mes pouvoirs, essayer de servir à quelque chose.

— Yoongi, vous êtes encore trop vulnérable, vous...

— Il suffirait que je me tienne à l'écart du combat, dans un endroit élevé qui me permettra de vous surveiller en contrebas. Ainsi je pourrai découvrir à quelle distance j'arrive à manipuler les ombres.

— Les Tigres possèdent de redoutables archers qui pourraient vous repérer.

— Si je ne porte pas d'armure ni d'armes, pourquoi m'attaqueraient-ils ?

— Je ne veux pas vous mettre en danger.

— Il n'en serait pas question, je veux vous aider, pas vous pénaliser, et... ce combat me permettrait de me positionner, de savoir où en est mon entraînement, de combattre des ennemis avant de me retrouver face aux Scorpions. Vous comprenez ?

— Oui, je vois quelles sont vos intentions, et je respecte votre témérité. Si vous souhaitez vraiment nous apporter votre aide, nous réfléchirons tous les deux à l'endroit où vous placer pour l'assaut. De cette manière, ni nos troupes ni les ennemis ne vous remarqueront. Vous devrez rester discret et vigilant, mais cela peut fonctionner.

— Merci, merci beaucoup ! Je ferai de mon mieux ! »

Son enthousiasme rafraîchissant tira un sourire au général qui prit congé après une brève formule de politesse. Il partit sans passer par l'armurerie au bâtiment des chefs où il frappa à la porte de la seule pièce illuminée : le bureau de son homologue qui l'invita à entrer. Jimin lui rapporta la bonne nouvelle.

« Parfait, dès demain nous devrons attaquer les derniers révoltés, répondit le général Moon avec un visage pensif.

— Un assaut ne serait pas envisageable demain, les pluies vont continuer comme aujourd'hui et ne se calmeront, si nous avons de la chance, qu'en soirée. Mieux vaut attendre le retour du beau temps : le chemin serait beaucoup trop dangereux pour nous. Même sec il nous donnera du fil à retordre. Nous pourrons nous appuyer sur les troupes de nos lieutenants pour nous couvrir, mais arriver au compte-goutte nous coûtera de toute façon des soldats. Il serait trop risqué de voyager sous la pluie.

— Vous avez raison, je m'enflamme. Très bien, nous partirons au prochain lever de soleil dont le ciel sera dégagé.

— J'en informerai mon lieutenant dès demain matin.

— Merci beaucoup, et merci aussi pour votre intervention, général Park, soupira son homologue en s'affalant sur sa chaise. Nous vous devons beaucoup, vous nous avez permis de retourner la situation et de sauver Arixium d'une invasion. »

Jimin tenta de ne pas montrer de façon trop évidente sa répulsion. Il se contenta de hausser les épaules.

« Je ne pense pas que nous aurions risqué l'invasion : tout au plus nous aurions vu affluer une vague de personnes effrayées désireuses de trouver un refuge et qui seraient reparties aussitôt la situation de leur territoire stabilisée.

— On a dû vous apprendre, général, que l'opinion de l'Assemblée est notre opinion.

— Vous n'ignorez pas que l'Assemblée ne me porte pas dans son cœur.

— Je commence à comprendre pourquoi.

— Et qu'en pensez-vous ?

— Je ne suis pas autorisé à penser, malheureusement, mais si c'était le cas... je dirais que je ne vous en respecte que plus encore, général, et que j'espère que la sagesse de votre voix portera jusqu'aux empereurs. »

Jimin se détendit, et changea de sujet.

« Avant l'assaut, j'aimerais en apprendre plus sur ceux que nous allons combattre : vous m'avez parlé de ce notable tyfodonien qui a levé une armée pour nous attaquer afin de pénétrer en territoire arixien. Qui est-il ? Quel âge a-t-il ? Pourquoi possède-t-il une arme si sophistiquée ?

— J'en sais peu sur lui. Il doit avoir à peu près votre âge et est né dans une famille où la chasse est élevée au rang d'art, au point que ses membres fabriquent eux-mêmes leurs arcs. Il vivait très à l'est, sans doute à la frontière avec le territoire des Akashites, avec lesquels on pense qu'il a pu commercer. Il s'appelle... attendez un instant, je l'ai sur le bout de la langue. »

Le général Moon se gratta le sommet de la tête, perplexe, puis son visage s'illumina et il claqua des doigts.

« Il s'appelle Jung Hoseok. »

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