Chapitre 17
« La prêtresse : Mon cœur est sincère, je n'ai aucun secret pour vous. Nos âmes sont en parfaite symbiose. Je vous aime plus que tout. »
– Moon Sungpio, La dame de la lune.
Yua était déjà debout depuis plusieurs heures à observer l'aurore iriser le ciel de teintes pastel quand on frappa à sa porte. Elle reconnut sans mal la façon qu'avait Mincheol de réclamer la permission d'entrer, qu'elle n'avait de toute façon pas à lui accorder puisqu'il n'attendait pas un mot de sa part pour déverrouiller puis pousser le battant. Il apparut sans l'entrebâillement avec un plateau de victuailles pour le petit déjeuner, qu'il alla poser comme à son habitude sur la table de la pièce.
« Mademoiselle Yua... »
Ils n'étaient pas supposés parler, de sorte qu'entendre sa voix alerta aussitôt la Phénix, qui se tourna pour lui offrir toute son attention, le cœur gonflé d'espoir.
« J'ai obtenu... quelques renseignements, hésita-t-il tout bas.
— Quoi donc ? »
Il se mordilla la lèvre, jeta un regard angoissé en direction de la porte entrouverte, et repoussa une mèche brune derrière son oreille. Yua lui trouva l'air plus innocent que lors de leur dernière conversation, sans doute parce que le stress lui conférait des allures d'enfant égaré. Ses vêtements noir et écarlate – toujours les mêmes, ceux des serviteurs – s'usaient à mesure que s'écoulaient les jours, et Yua se demandait parfois combien de temps il les porterait avant d'obtenir un uniforme neuf, si d'aventure on comptait lui en fournir un. Un peu trop amples au niveau de la taille, que Mincheol avait fine, sa tunique formait des plis qui donnaient l'impression qu'il pourrait s'y emmitoufler, accentuant cette impression de faire face à un homme plus jeune qu'il ne devait l'être.
Peut-être avait-il glané ses renseignements grâce à cette discrétion naturelle qu'il possédait, désireux de passer inaperçu : la tête rentrée dans les épaules, le pas léger, l'air renfermé. Parler d'affaires confidentielles ne gênait pas devant lui, car il était invisible, ignoré de tous.
« J'ai entendu des bruits de couloir, admit Mincheol malgré son hésitation. Rien n'est sûr, mais...
— C'est déjà bien, le coupa-t-elle, dites-moi tout.
— Eh bien, on raconte que le Prince est furieux d'avoir été dupé par le fils de votre chef, il s'est rendu compte que vous lui aviez menti.
— Par Hiemis, comment s'en est-il aperçu ? gronda la prêtresse pour elle-même.
— Aucune idée, mais il n'a pas apprécié. On parle de votre ressemblance peu flagrante, mais aussi de vos noms trop différents, et... il aurait réussi à faire parler plusieurs Phénix qui auraient avoué le véritable prénom de votre jumeau.
— Alors vous aussi, vous êtes au courant. Vous savez qui nous sommes.
— Dès la première fois que je vous ai vue, j'ai su à quel peuple vous apparteniez, alors j'ai voulu en apprendre plus. Les cuisinières sont de bonnes conteuses, le saviez-vous ? Et elles en connaissent un rayon sur les contes et légendes liées aux Cinq Peuples.
— Mon frère a-t-il été retrouvé ? s'inquiéta soudain Yua.
— Je n'en ai pas eu vent. On prétend que si l'on vous a coupé les cheveux et forcée à voir les généraux, c'était justement pour qu'ils gravent dans leur mémoire à quoi ressemblait votre frère. Je ne sais rien de plus pour l'instant.
— C'est déjà énorme. Merci pour tout, Mincheol.
— Je vous en prie, mademoiselle. Bon courage.
— À tout à l'heure. »
Il fila sans demander son reste, de peur que les gardes ne s'interrogent à propos du temps passé avec la prisonnière. Tant qu'ils ne remarquaient pas qu'ils échangeaient des messes-basses, alors tout irait bien. Si en revanche ils venaient à apprendre la vérité... Yua préférait ne pas y penser.
Elle baissa les yeux sur le plateau posé près de là, et attrapa un verre d'eau dans lequel elle essaya d'apercevoir son reflet, ses courtes mèches blanches qui la rendaient identique à Yoongi. Elle s'en détourna de façon précipitée, comme confrontée à un fantôme.
Si Mincheol ne savait pas si son jumeau avait été retrouvé, cela signifiait sans doute que l'on ignorait encore où il se trouvait. Cette idée la rassura, elle tenta de se convaincre de son mieux.
Hyunbin avait été démasqué, reconnu non comme le frère de Yua, mais le fils du chef Phénix. La prêtresse ne voulut pas imaginer jusqu'où les Scorpions avaient bien pu aller pour obtenir la vérité auprès de ceux qui avaient parlé. Ces barbares avaient capturé des enfants, des adolescents et de jeunes adultes uniquement.
Elle se jura que s'ils avaient touché à un cheveu d'un petit pour lui arracher des informations, elle les tuerait tous de sa lame tôt ou tard.
Et Hyunbin, d'ailleurs, était-il toujours en vie ? Pourquoi se sentait-elle responsable de ce qui s'était produit alors même que le hasard avait sauvé son frère, comme l'avait sans doute prédit Hiemis ? Si le Prince était si bien renseigné sur les Phénix... pas étonnant qu'il ait confondu les deux garçons : stressée par la prophétie de la déesse, Yua avait inquiété ses proches au point que Hyunbin avait proposé qu'elle ne reste pas seule chez elle. Or, de peur de l'embarrasser s'il offrait de dormir avec elle, il avait suggéré que Yoongi et elle vivent dans la demeure de la prêtresse, et que lui repose tout près, dans la maison du gardien.
Le soir de l'attaque, les soldats avaient vu Hyunbin sortir de la maison de Yoongi, et ils avaient pris ce dernier pour un garde protégeant Yua.
La jeune femme en était convaincue : leurs assaillants avaient été induits en erreur par une coïncidence. La nuit aidant, ils n'avaient sans doute pas prêté attention aux traits de leur visage, et parce que Yua n'avait par chance pas appelé son jumeau par son nom, elle l'avait sauvé... ou du moins elle avait empêché qu'on le reconnaisse. Si elle vivait encore, alors Yoongi aussi, mais où ? Pourquoi ne parvenait-on pas à lui mettre la main dessus ? Il lui semblait pourtant que tous les Phénix avaient été transférés récemment au palais, Mincheol le lui avait certifié quelques jours plus tôt en lui apportant de quoi se nourrir.
Yua attrapa un fruit dont elle mordit une bouchée avant de le reposer. Les aliments la révulsaient chaque fois qu'elle pensait à son frère, peut-être en train d'expirer dans une geôle enténébrée, humide et infecte. Son cœur se serra, ses muscles se tendirent, et elle ressentit l'irréfrénable besoin de mettre sa colère à profit : elle devait bouger, se dépenser, s'épuiser.
Seule dans la large chambre qui lui servait de prison, elle s'évertua à entretenir son physique athlétique, peu gênée par ses vêtements déjà déchirés en plusieurs endroits. Elle se moquait d'abîmer les couleurs du peuple qui la maintenait captive, au contraire chaque dilacération lui procurait un intense sentiment de jouissance dont elle se délectait comme d'une victoire.
Elle déchirerait ce royaume entier pour protéger les siens.
Yua supportait de moins en moins son enfermement, et dans son esprit naissaient chaque jour des dizaines de plans d'évasion, auxquels elle renonçait de peur d'échouer : elle ne pouvait plus se permettre de manquer son coup. Elle bouillonnait de colère, de peine et de peur, étrange mélange qu'elle ravalait tant bien que mal, mais dont le goût refusait de s'estomper. Ici, elle était condamnée à penser, et bien malgré elle, ses songes la conduisaient sans cesse auprès des siens.
Après un bain, elle trouva la force de se nourrir, et elle passa le reste de sa matinée à observer l'horizon par la fenêtre. Mincheol se montra de nouveau à l'heure du déjeuner. Quand il posa le regard sur elle, il poussa un soupir.
« Vous disposez d'une dizaine de tenues : pourquoi garder la même jour après jour, surtout au vu de son état... ?
— Mon peuple dans vos misérables prisons dispose-t-il de ce luxe ?
— Bien sûr que non, mais ce n'est pas une raison pour...
— Si, c'en est une. Et rien de ce que vous direz ne me fera changer d'avis.
— Vous êtes horriblement têtue.
— C'est une caractéristique que je partage avec mon frère, souffla-t-elle alors qu'un sourire peiné réussissait enfin à poindre sur ses lèvres.
— Oh, justement, j'ai entendu quelque chose, ce matin encore, murmura soudain Mincheol.
— Vraiment ? À propos de mon frère ?
— Oui, il paraît qu'il a été retrouvé : confondu avec un simple soldat Phénix, il a été envoyé dans une cellule près de la frontière arixienne nord au moment où il a fallu disperser les prisonniers à cause du surplus qu'ils auraient causé dans les geôles du palais.
— En aviez-vous envoyé dans beaucoup d'endroits ?
— Dans tous les camps les plus proches de votre montagne, de ce que j'ai compris, approuva le domestique. Une fois les prisons de Hurna vides, les Phénix considérés comme les plus importants ont été transférés les premiers, puis les autres devaient suivre peu à peu.
— Est-ce que je vais pouvoir le revoir, dans ce cas ? Sera-t-il ici avec moi ?
— Il... non, je pense que vous ne risquez pas de le revoir de si tôt, marmonna-t-il.
— Pourquoi ? C'est mon jumeau, j'ai besoin de lui, il...
— Il a été libéré par des Arixiens, voilà près de deux semaines de cela, lors d'une bataille à la frontière. Je n'ai néanmoins rien entendu de plus à ce sujet. J'ignore s'il se porte bien, s'il est bien traité ou que sais-je.
— Yoongi... a réussi à fuir les vôtres ?
— Oui. »
Yua, foudroyée par la stupeur, sa poitrine soudain compressée par une multitude d'émotions différentes, recula avec une impression de vertige. Elle se ressaisit sous le regard perplexe de Mincheol qui s'était demandé comment elle réagirait à cette nouvelle. Elle lui semblait bouleversée mais parvenait à le cacher mieux qu'il l'avait imaginé. Une unique larme salée s'échappa pour rouler sur sa joue jusqu'à sa lèvre supérieure.
Tout se bousculait en elle. Son jumeau, ce garçon fragile, sensible, mais doué d'une détermination farouche... le voilà en possession de leur destin, désormais capable de faire basculer le cours des évènements. Lui qui était né pour raconter l'Histoire, aujourd'hui, c'était à lui de l'écrire.
À la sensation humide qui lui caressa la bouche, elle se ressaisit, la mâchoire tremblante d'émotion.
« Il est avec vos ennemis, n'est-ce pas ? devina-t-elle d'une voix emplie de trémolos. Cette attaque à la frontière... Si les Aigles ne vous ont pas rendu mon frère, c'est parce qu'ils sont contre vous.
— C'est juste. »
Un sourire radieux naquit sur le visage juvénile de la jeune femme alors qu'une étincelle de folie guerrière embrasait ses prunelles.
« Il va venir, Mincheol. Yoongi va venir... et il va réduire votre Prince de pacotille en miettes. »
~~~
Le général Park avait fait changer ses pansements juste avant le départ des troupes une heure plus tôt. Les bandes souples caressaient sa peau couverte de diverses plaies plus ou moins récentes, dont les fameuses blessures qui l'avaient handicapé ces derniers jours. Elles cicatrisaient bien, d'après la chirurgienne de la caserne, mais il devait s'accorder du temps pour une guérison optimale. Son bras droit demeurait trop douloureux, néanmoins Jimin se sentait capable de se battre du gauche, ce qui n'avait pas surpris la médecin qui lui avait recommandé, malgré tout, de ne pas forcer. Elle avait très vite compris à son regard que le militaire ignorait ce que signifiaient ces mots.
La cavalerie avançait à un bon rythme, et Jimin avait nourri Samran, qui les suivait de loin, s'arrêtant parfois pour chasser ou bien se reposer. Les vertes étendues de la vallée offraient un panorama sublime dont il paraissait impossible de se lasser, et à plusieurs reprises l'aigle s'était installé sur une branche solide pour observer le convoi qu'il rejoignait après quelques minutes. Le fleuve coulait au loin, paisible, ses eaux clapotant de façon continue. Il avait plu dans la nuit, à présent un soleil timide, caché derrière des nuages qui se dissipaient, réchauffait la terre, dont Jimin huma le pétrichor les paupières closes.
Il fut distrait de sa contemplation du paysage quand il sentit un tremblement contre lui.
« Vous avez froid, remarqua-t-il sans se tourner.
— Que vous êtes perspicace...
— Pourtant, il devait faire beaucoup plus froid dans votre village, non ?
— Nous étions habillés en conséquence : plusieurs couches de fourrure. Et je ne restais jamais longtemps à l'extérieur, je préférais la cheminée de ma maison.
— Donc vous avez peur des insectes et vous êtes frileux. J'en apprends décidément de plus en plus à votre sujet, se gaussa le militaire.
— Oui, murmura Yoongi d'un ton moqueur, mais moi je n'ai pas oublié comment se maniait la magie.
— Grâce à votre caillou du phénix, rien de plus.
— Votre magie de l'air devait être belle, autrefois. J'aurais aimé vivre à une époque où nous formions les Cinq Peuples et où les Élémentaires pouvaient encore faire montre de leurs talents.
— Moi aussi... Mais dites-moi, les Phénix qui travaillaient dans les champs, comment s'habillaient-ils pour lutter contre le froid au début du printemps ?
— Ils étaient moins frileux que moi, il faut croire... et de toute façon, l'exercice réchauffe. Là, je suis immobile et peu vêtu pour la saison.
— C'est juste. »
Yoongi ne répliqua pas. Il avait comme à l'accoutumée appuyé une main sur l'épaule du général, contre qui il s'était pressé dans l'espoir de bénéficier au maximum de sa chaleur corporelle. Hélas, leurs deux armures l'empêchaient de profiter du moindre degré, de sorte qu'il envisageait de plus en plus d'enrouler les bras autour de sa taille et de poser la tête contre sa nuque. Un nouveau frisson le traversa, qui lui fit serrer par réflexe sa prise sur la clavicule du militaire.
« Vous n'aviez pas une vie facile dans cette montagne, soupira Jimin. Pourquoi ne pas avoir choisi un endroit au climat un peu plus clément ?
— Parce que vous auriez risqué de nous découvrir. Aucun peuple, il y a cinq siècles, n'aurait envisagé de s'aventurer à l'extrême nord du Continent. C'est évident, non ?
— Oui, mais vous en avez souffert.
— Cela valait mieux que d'être exterminé.
— Oui, mais... il a dû y avoir des drames, non ? Vivre dans un endroit si dangereux a dû provoquer quelques malheurs.
— En effet, avoua le Phénix après un court temps de réflexion. Pas dans le village en lui-même, mais dans la montagne. Pour descendre aux champs, il faut emprunter un petit chemin qui conduit d'abord à une rivière, et si l'endroit est sans risque l'été du fait de la fonte des neiges, l'hiver en revanche, descendre pêcher peut parfois s'avérer fatal. En général, nous retrouvons les corps, mais... parfois, les prédateurs les trouvent avant nous. Il y a deux siècles, on raconte qu'un chasseur a été retrouvé dévoré par des bêtes, mais que là n'est pas la cause de sa mort : il présentait une blessure à la cheville et une au crâne qui prouvaient qu'il avait fait une mauvaise chute. Au moins, il n'a pas souffert. Par la grâce de Hiemis, cela demeure très rare. Il advient quelques incidents sans importance chaque année, mais la dernière mort remonte à près de trente ans – la première épouse de notre chef, son corps a aussi été emporté par les animaux de la montagne, puisse-t-elle reposer en paix.
— Vous n'étiez donc même pas né.
— Tout à fait. Les accidents les plus graves sont les plus rares.
— Vous êtes-vous déjà blessé ?
— Une fois je me suis foulé une cheville, rien de bien incroyable. Nos médecins sont très doués, et nos connaissances s'approfondissent année après année.
— Je vois. Vous restez une société très bien organisée, donc.
— Nous faisons au mieux avec ce que nous possédons et ce dont nous nous souvenons. »
Jimin acquiesça. Avec le confort dont il disposait au quotidien comme sur le champ de bataille, il peinait à imaginer ce peuple jadis si évolué à présent en danger quand il s'agissait de se nourrir ou s'abreuver. Plus il en apprenait, plus il comprenait la haine viscérale que Yoongi éprouvait contre les Élémentaires.
Il aurait réagi de la même façon dans une telle situation, comment donc lui en vouloir ?
« Yoongi... quand nous aurons libéré les vôtres, nous pourrons essayer de vous trouver un endroit plus commode où vivre, qu'en pensez-vous ?
— Tant que les Élémentaires sauront où nous trouver, nous ne nous sentirons pas en sécurité. Quand nous serons libres, nous irons de nouveau nous enfermer dans une cachette loin de vos manigances. Rappelez-vous, général Park, que vous ne pouvez rien me garantir : votre propre gouvernement ne vous soutient pas. »
Jimin garda le silence, vaincu par cette remarque qu'il ne pouvait pas contrer. Il ignorait en effet ce que l'Assemblée déciderait à propos des Phénix en apprenant leur existence, et il n'était pas convaincu qu'elle accepte d'accorder le moindre territoire à ce peuple en détresse.
Le trajet se poursuivait dans un calme parfait malgré les bruits de la nature. Yoongi observait autour de lui en songeant que les Élémentaires avaient certes perdu leur magie, mais ils en demeuraient entourés : vent, eau, feu, terre. Il y avait de la magie partout où il tournait les yeux, et même si son esprit scientifique lui donnait des explications rationnelles à chaque phénomène, lui préférait voir dans le mugissement des rafales dans les branches un acte miraculeux exécuté par une force mystérieuse.
En fin de matinée, Yoongi sentit la fatigue l'accabler : depuis son réveil il éprouvait des douleurs très légères à la tête qui gagnaient peu à peu en intensité, et s'il n'y avait d'abord pas accordé d'importance, à présent la souffrance l'empêchait d'en détourner son attention. Son crâne lui paraissait lourd, si lourd qu'il finit par poser le front contre la nuque de son cadet dans un soupir tremblant. Jimin se crispa.
« Yoongi, vous êtes brûlant. »
Parce qu'il n'obtint pas de réponse, le général comprit que quelque chose ne tournait pas rond. Il tenta un regard par-dessus son épaule, mais le visage de son aîné était baissé. Jimin, en dépit de son bras droit encore fragile, lâcha de sa main gauche la bride de sa monture pour secouer sans brutalité le Phénix.
« Yoongi, tout va bien ? Que vous arrive-t-il ?
— Vous ne m'avez pas expliqué ce qui s'était passé hier soir après notre entraînement... dites-moi..., souffla-t-il.
— Vous vous êtes évanoui après des efforts trop intenses et je vous ai raccompagné à notre chambre, pourquoi ? Cela a-t-il un rapport ? »
Le ventre de Jimin se noua à cette idée. Des larmes de sang entachaient encore ses souvenirs de leur entraînement.
« J'ai mal à la tête depuis ce matin, dès mon réveil j'avais des vertiges, mais là... bon sang, c'est horrible... »
Chaque fois que ses douleurs revenaient le tracasser, Yoongi se remémorait Yua, Hyunbin, ses parents, le village, puis l'attaque. Le sourire de sa sœur se fanait, les yeux de ses proches s'écarquillaient d'horreur, et la souffrance devenait plus lancinante encore, pareille à un sifflement aigu qui déchirait les tympans. Le sort des siens l'obsédait, il y pensait sans cesse, et sans cesse il contenait son envie de craquer une bonne fois pour toutes, de se réfugier dans un coin sombre, de s'y pelotonner et de pleurer toutes les larmes de son corps, de crier son chagrin et de supplier les dieux qu'on lui rende les siens.
Sans eux, il était égaré, et même la présence rassurante du général Park n'y changeait rien : il était un Phénix, son identité se résumait à son appartenance à ce peuple fier qui l'avait élevé et aimé, qui le respectait et prenait soin de lui. Il avait tout perdu, et parfois il jurerait avoir abandonné derrière lui une partie de son âme le soir où il avait été assommé puis kidnappé. Il lui manquait quelque chose, il n'était plus un être complet depuis ce jour funeste, et ce manque se creusait davantage à mesure que passaient les semaines et les mois loin de sa terre, loin des siens.
Il ignorait par quelle force prodigieuse il tenait encore debout, il ignorait quelle puissance extrinsèque le soutenait à chaque pas qu'il effectuait pour l'empêcher de sombrer dans les abysses de son tourment. La frêle lueur d'espoir qui brillait dans l'immensité obscure de son cœur l'incitait à ne pas s'engouffrer plus avant dans sa détresse, car malgré le chagrin, s'il existait une chance, si maigre soit-elle, qu'il réussisse à les sauver, alors il accueillerait la douleur et donnerait tout – absolument tout – pour leur porter secours.
Un martèlement lui vrilla les idées, il se cramponna à Jimin en retenant une plainte, la mâchoire serrée pour s'interdire de gémir. Quelques secondes après, il se sentait mieux, de sorte qu'il relâcha son emprise sur la taille de son cadet qui lui demanda s'il pensait pouvoir supporter le voyage.
« Oui, tout ira bien. C'est la fatigue. J'y suis allé trop fort hier soir. »
Jimin pouvait confirmer ; il se contenta d'acquiescer, soucieux. Le contrecoup, violent, lui rappelait un roman qu'il avait lu, le fameux livre de Yon Palik dans lequel un général Phénix persuadait les siens de s'attaquer aux Élémentaires. S'il ne se trompait pas, dans la scène finale, presque seul face aux soldats et aux chefs ennemis, le Phénix avait utilisé ses pouvoirs au point d'en verser des larmes de sang. Le cas de Yoongi n'était donc pas unique, mais ces sempiternels maux de tête... il trouvait cela étrange, il n'en avait jamais entendu parler auparavant, et le jeune homme ne pouvait plus profiter de l'excuse de son emprisonnement chez les Sawaï : il avait repris du poids, sa peau retrouvait des couleurs, et ses blessures elles-mêmes étaient guéries.
Ne restait que ces inexplicables douleurs qui revenaient presque chaque fois qu'il recourait à sa magie.
Quand arriva midi, Yoongi s'était assoupi, vidé de ses forces, incapable de lutter plus longtemps. Jimin veillait à ce qu'il demeure accroché à lui, un bras sur ceux qu'il avait enroulés autour de sa taille, et il poursuivait sa paisible contemplation des environs. Il surprit à plusieurs reprises les regards torves que Jungkook dardait avec peu de discrétion sur le Phénix, mais il n'y accorda aucune importance. Il savait son lieutenant agacé de la présence constante de Yoongi, mais il ne comptait pas justifier davantage sa décision. Jungkook lui-même avait approuvé ses arguments, il avait juré de le suivre dans la guerre qu'il s'apprêtait à déclencher contre Sawa. Le militaire avait bien compris que son subordonné n'aimait pas Yoongi pour la seule raison qu'il était un Phénix, et qu'il se méfiait de ses pouvoirs.
L'une des principales raisons pour lesquelles, cinq siècles auparavant, le Conseil des Quatre Peuples les avait fait pourchasser et massacrer.
Son éducation aurait dû inciter Jimin à rejeter aussi cet homme aux dons dangereux, pourtant... il n'avait jamais cédé à ceux qui avaient essayé de le changer en une machine à tuer obéissante, il n'avait jamais cédé à ceux qui espéraient qu'il deviendrait un simple bras armé. Jimin se battait pour la nation, pour la paix, pour le bonheur qu'apportait une vie tranquille. Il n'avait pas choisi la voie militaire pour étendre un territoire déjà suffisant, ni pour exercer la moindre pression sur des innocents – et surtout pas pour les exécuter.
Il voulait croire qu'il agissait de façon louable, et avant d'écouter l'Assemblée, il écoutait son cœur. Son lieutenant éprouvait des sentiments similaires, à cela près qu'il combattait pour son peuple et personne d'autre. Il ne semblait pas avoir compris qu'aider les Phénix était devenu primordial pour protéger le Continent entier, pas juste pour les beaux yeux de Yoongi.
Dans l'après-midi, Yoongi se réveilla en sueur mais frissonnant sous l'effet du froid. Sa tête continuait de le faire souffrir, moins cependant qu'en fin de matinée. Il le supporterait jusqu'au coucher du soleil, et dès le lendemain, il serait remis. Il suffisait qu'il dorme encore, qu'il se nourrisse, et tout reviendrait en ordre. Il se répétait en boucle ces phrases rassérénantes quand il relâcha son étreinte autour du général pour de nouveau se contenter de poser une main sur son épaule. Jimin s'enquit de son état d'un ton impassible.
« Je vais mieux, répondit Yoongi sur le même ton.
— Parfait. Tenez. »
Le militaire se pencha pour attraper sa gourde qu'il tendit derrière lui. L'eau fraîche détendit son ami qui l'en remercia.
Au soir, lorsque les soldats s'arrêtèrent, Yoongi n'était certes plus à l'agonie, mais il lui semblait que son esprit flottait autour de son corps, dont la souffrance l'avait expulsé pour en prendre tout à fait possession. Ainsi, quand Jimin descendit de selle, il remarqua aussitôt à son visage blême que son aîné ne se portait pas mieux qu'au matin. Yoongi faillit tomber en quittant leur monture, et à peine les pieds sur terre, il s'assit pour retrouver des forces. La tête entre les mains, il s'obligeait à prendre de profondes inspirations, et ses épaules tressaillaient parfois.
« Yoongi, reposez-vous, je vais monter notre tente.
— Je suis désolé, je ne comprends pas ce qui m'arrive... nous nous sommes juste entraînés, pourtant.
— Vous avez voulu dépasser vos limites, vous le payez aujourd'hui. Restez assis, je vais vous chercher à manger.
— Merci beaucoup. »
Yoongi réitéra ses remerciements quand, quelques instants plus tard, le général Park revint avec de quoi dîner, une portion que le Phénix trouva trop généreuse pour que Jimin n'y ait pas ajouté un peu de son propre repas. Il n'osa néanmoins pas de remarque à ce sujet, conscient que son ami n'espérait que son rétablissement.
Yoongi resta dans son coin à se remettre de sa journée pendant qu'autour de lui les soldats s'activaient à monter le camp. Il éprouvait une vive honte à ne pas leur apporter son soutien : depuis son arrivée parmi les Aigles, il n'était rien de plus qu'un poids mort qui ralentissait tout le monde. Incapable de chevaucher, incapable de combattre, incapable de se défendre, incapable de s'occuper des corvées. Un rien l'épuisait, et dès lors que la fatigue le gagnait, les maux de tête n'étaient jamais loin. Qu'il abuse un peu de ses pouvoirs, et la douleur se faisait térébrante.
Découragé, il se recroquevilla contre un arbre, et Jimin vint le chercher quelques dizaines de minutes plus tard pour l'informer qu'il pouvait aller se coucher maintenant. Le Phénix n'hésita pas : il le remercia et, après avoir mis un certain temps à retrouver son équilibre une fois debout, il se hâta en direction de la tente.
Jimin pour sa part alla trouver son lieutenant pour lui proposer un entraînement vespéral. Jungkook, encore équipé de son armure et de ses lames, grimaça.
« Ne voulez-vous pas vous coucher auprès de votre prétendu ami ?
— Lieutenant Jeon, lâcha son supérieur d'un ton sec à la manière d'une menace.
— Pardonnez-moi, se ressaisit-il, je... la journée a été fatigante.
— Si vous avez quoi que ce soit à me reprocher, soit, en revanche j'attends de votre part des arguments et des suggestions pour m'améliorer, pas de simples sous-entendus graveleux. Est-ce bien compris ?
— Oui, mon général.
— Je vous écoute.
— Il commence à se murmurer des rumeurs parmi les soldats, murmura Jungkook, vos troupes pensent que Yoongi et vous... que se passera-t-il s'ils apprennent ce qu'il est ?
— Craindriez-vous pour moi le regard des autres sur moi ?
— Je... j'ai peur que l'Assemblée réussisse à les convaincre de se soulever, de désigner un autre général. Vous et moi savons que ces monstres en seraient capables pour le simple plaisir de mettre à la tête du camp n° 7 une personne qui leur plaît et leur obéira aveuglément. Je ne veux pas être soumis aux ordres d'une marionnette. Je veux rester votre lieutenant, mais je m'effraie que vos décisions vous amènent à effectuer des choix qui inciteront vos troupes à se retourner contre vous. Je suis désolé, mais je suis au plus près de mes soldats, j'entends ce qu'ils disent : ils sont convaincus que vous entretenez une liaison avec le Phénix. Or, lorsque nous attaquerons Sawa, lorsque Yoongi révèlera qui il est... je crains qu'ils ne pensent mener une guerre pour l'amant du général, pas pour Arixium et sa sécurité, et vous savez comme moi qu'en terre ennemie, nous ne pourrons pas nous permettre de perdre des troupes à cause d'un banal malentendu. »
Jimin opina, l'air songeur, sourcils froncés et visage sérieux. Les muscles bandés comme s'il s'apprêtait à bondir sur une proie, Jungkook retenait sa colère et sa frustration de son mieux. Il avait déjà vu des soldats s'en prendre à leur supérieur, et il refusait qu'une pareille situation arrive à son chef, qu'il estimait le plus juste qu'il ait jamais rencontré.
« Hum, je préfère ce genre d'arguments, lieutenant Jeon. Très pertinent, en effet. Je m'assurerai que ce combat soit bien compris pour ce qu'il est, rassurez-vous. Je veillerai personnellement à ce que pas un de nos soldats n'envisage de quitter nos troupes, vous pouvez me faire confiance. »
Rassuré d'avoir été écouté et approuvé, sachant que quand Jimin affirmait quelque chose avec une telle conviction, il suffisait de se fier à lui pour que tout se passe au mieux, il se détendit.
« Merci, mon général. Quant à cet entraînement, je l'accepte avec plaisir. »
Les deux hommes, réconciliés après ces infimes tensions, se dirigèrent en périphérie du camp pour travailler ensemble leur technique. Ils se séparèrent après que le général eut félicité son cadet pour ses progrès, et chacun partit se coucher sous sa tente. Quand Jimin entra dans la sienne, il trouva Yoongi assoupi, emmitouflé sous sa couverture qu'il avait repliée en deux afin qu'elle lui tienne plus chaud encore. Il esquissa un rictus amusé en constatant que pour que pas un pied ne dépasse, le Phénix avait dû s'endormir recroquevillé.
Jimins'installa sur son matelas avec une unique pensée à l'esprit : Yoongi avaitbeau s'avérer parfois dangereux, effrayant... le reste du temps, lui en tout casle jugeait plus attachant qu'autre chose.
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Ow comme ils sont choupi T-T
Je profite de cette fin de chapitre pour vous remercier d'avoir déjà lu cette histoire jusqu'ici. Savoir que ce livre vous intéresse, vous plaît, c'est si touchant pour moi ! J'adore répondre à vos commentaires, et ça me fait super plaisir que certains commentent autant malgré des chapitres de 5 000 mots. Le livre devrait compter environ 90 chapitres, je pense finir l'écriture aux alentours du mois de mai, sachant que j'écris entre 15 et 20 chapitres par mois et que j'en suis au 55. Et croyez-moi, ça va tellement bouger !
D'ailleurs, sachant que tous les membres de BTS vont bel et bien apparaître (et avoir une importance colossale) dans le roman... n'avez-vous pas remarqué qu'il manque encore quelqu'un ? Hihi comme j'ai hâte, vous n'imaginez même pas comme je crève d'envie de vous partager tout ce qui vient, je suis si impatiente ! ^^
Encore merci de m'accompagner dans cette aventure, vous êtes un soutien exceptionnel ♥♥♥
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