Chapitre 15

« Un Aigle ne devrait pas faire de politique s'il n'a pas le cœur d'un véritable prédateur. »

– Lee Seonhyuk, au cours d'une prise de parole devant l'Assemblée.


Lorsque Jungkook ouvrit les yeux le lendemain matin, l'air frais de la fin mars l'incita à relever aussitôt la couverture jusqu'à son oreille. Avisant son amant qui dormait encore face à lui, il esquissa un sourire et s'avança pour appuyer ses lèvres sur les siennes. Sans surprise, après moins de deux secondes, Taehyung lui rendait déjà cette petite marque d'affection, et quand ses paupières clignèrent, le lieutenant lui donna une tendre chiquenaude sur le bout du nez.

« Debout, petite marmotte, le soleil entre déjà dans la pièce.

— Je pourrais dormir des jours entiers si seulement tes bras étaient là pour m'entourer.

— Comme cela ? s'enquit Jungkook en le serrant contre lui – et le poète s'esclaffa.

— Oui, comme cela, exactement comme cela ! »

Son sourire radieux illuminait davantage la chambre que les rayons que le frêle soleil auroral tentait de glisser entre les lames de bois des volets. Taehyung posa les paumes à plat sur ses pectoraux et, sans repousser son bien-aimé, lui vola au contraire un baiser.

« Pour celui que tu m'as volé à mon réveil, murmura-t-il.

— Que tu es gourmand...

— Si tu savais. Vas-tu rester un peu aujourd'hui ?

— J'aimerais, mais je dois m'entraîner, et je voudrais réfléchir au plan contre les Tyfodoniens : le général Park a affirmé qu'avec ses blessures et son incapacité à combattre du bras droit, il me délèguerait peut-être un peu plus de pouvoir.

— Est-ce que... tu penses qu'il pourrait faire de toi son commandant ? »

Jungkook le relâcha pour s'allonger sur le dos, une mine circonspecte au visage. Il aimerait croire que son chef souhaiterait le choisir en tant que second, mais il le savait beaucoup trop proche de celle qui occupait actuellement cette fonction en dépit de son incapacité momentanée à l'assumer.

« Non, répondit-il donc, je pense qu'il veut juste voir si je m'en sors, même avec plus de responsabilités. Il a besoin de se reposer sur quelqu'un, et maintenant que la commandante Lee est hors-jeu pour une période indéterminée, il cherche quelqu'un qui pourrait la remplacer le temps qu'elle revienne, mais pas de manière officielle.

— Sais-tu s'il va aller la voir pendant votre permission ici ? »

Jungkook haussa les épaules, mais l'attention que le général offrait à son Phénix adoré risquait bien de lui faire oublier de passer saluer sa plus vieille camarade. Il grimaça.

« Je n'ai pas envie de penser au travail quand tu es là, » trancha-t-il en incitant son amant à s'allonger sur lui.

Taehyung, ravi, ne chercha pas à l'en empêcher, toujours aussi heureux de sentir la peau chaude du torse de son cadet contre la sienne, leurs jambes entremêlées mais séparées par le tissu de leur pantalon. Il l'embrassa de plus belle, et le lieutenant passa la main dans ses cheveux bruns aux boucles charmantes qu'il entortilla autour d'un de ses doigts, la mine rieuse.

« Tu ne peux pas t'en empêcher, il faut toujours que tu joues avec mes cheveux, ricana Taehyung.

— Ils sont tout doux, cela me fascine.

— Je le vois.

— Cela ne te plaît-il pas ?

— Au contraire, j'aime beaucoup. Je trouve juste cette habitude... drôlette.

— As-tu déjà songé à les attacher ? Je suis sûr que cela t'irait à merveille.

— J'aime bien les laisser ainsi... ils me tiennent chaud à cette époque de l'année.

— Ah c'est juste. Je comprends la logique. »

Taehyung s'esclaffa à cette réponse, le cœur en fête de voler ces ultimes instants à son ami qui, tandis qu'il lui parlait, en oubliait qu'il comptait s'en aller. Ils conversèrent encore plusieurs minutes durant, et le sujet du prochain livre du poète fut abordé.

« Qu'attends-tu que je te raconte, exactement ? s'enquit Jungkook d'un air songeur alors qu'il lui caressait le dos, Taehyung allongé à côté de lui sur le ventre et le visage tourné vers lui.

— Hum... tout ce qui t'aura marqué : les décors, les sensations, les émotions. Pas uniquement les faits militaires. Je voudrais aussi savoir ce que tu fais entre deux batailles, le rôle que tu joues dans les attaques lancées, etc. En fait, tout ce qui te revient, même le plus infime détail, me serait utile, pas nécessairement parce que j'en parlerai dans mon poème, mais parce que cela m'aidera aussi à m'immerger dans les évènements et que cela me permettra de créer quelque chose de plus vrai.

— Je vois. Je ferai tout ce que je peux pour que ce poème t'apporte la gloire que tu mérites.

— Jungkook... »

Touché par la manière dont le lieutenant avait tourné sa phrase, il se pencha vers lui pour réclamer un nouveau baiser, que Jungkook lui accorda sans hésiter. Il savait à quel point son poète était d'un naturel sensible, et il avouait aimer l'affection qu'il lui portait ainsi que la façon dont elle se traduisait lors de ces rares moments qu'ils partageaient.

« Je vais y aller. »

Les étoiles qui brillaient dans les iris sombres de l'aîné s'éteignirent alors qu'il se rembrunissait soudain. Il déglutit puis acquiesça, et il exhala un souffle qui contenait tout le dépit qu'il avait tenté de cacher à son amant. Il comprenait pourquoi Jungkook avait décidé de couper leur matinée à cet instant : Taehyung l'avait observé avec une affection ostensible, trop évidente pour le jeune homme qui préférait désormais couper court à ce qu'ils vivaient de peur que le poète ne s'attache trop à lui – s'il savait à quel point Taehyung l'adorait, s'il savait qu'il ne pouvait pas s'attacher davantage à lui...

Il enfonça la tête dans l'oreiller, poussa un gémissement piteux et se tourna de nouveau vers Jungkook.

« Je n'ai pas envie de me lever, il est encore tôt, nous avons dormi à peine deux ou trois heures.

— Alors rentre chez toi te reposer, tu vas être fatigué, sinon.

— Je veux dormir ici, dans ton lit.

— Taehyung, s'il te plaît. »

Jungkook lui accordait déjà de se reposer dans ses bras après leurs ébats, jusqu'à l'aube. Beaucoup de personnes ne témoigneraient pas d'une pareille considération envers un simple amant. Il ne pouvait pas en demander trop.

« Je suis désolé, je vais aller dormir chez moi, tu as raison.

— Merci. Passe une agréable journée. On se reverra à mon retour de la frontière sud.

— Ne comptes-tu pas passer ce soir ?

— Nous partirons très tôt demain, je ne peux pas me le permettre. »

Et s'il ne s'agissait pas de profiter d'une nuit entre ses jambes, le lieutenant préférait garder ses distances. Taehyung opina, le cœur froissé à la manière d'un vulgaire parchemin taché de l'encre de sa peine.

Le jeune homme s'habilla en vitesse, hésita à embrasser une dernière fois son bien-aimé, mais abandonna quand il s'aperçut que Jungkook s'était levé et s'habillait à son tour. Il lui tournait le dos, preuve de son désintérêt.

Dépité sans le montrer, le poète, une fois ses affaires rassemblées, salua son ami à la hâte puis s'en alla. Ce ne fut que lorsque la porte se referma derrière lui que Jungkook pivota enfin vers l'endroit où se tenait un instant plus tôt son aîné. Le visage renfrogné, il resta immobile, perdu dans les souvenirs de cette nuit et des précédentes. Taehyung lui manifestait une affection telle qu'elle ébranlait chaque fois les barrières qu'il s'échinait à dresser entre eux pour leur bien – Taehyung lui-même avait approuvé –, il ne savait plus comment protéger leurs deux cœurs de cette liaison. Celui de l'écrivain avait chaviré depuis bien longtemps, il ne l'ignorait pas, mais que faire ? Taehyung désirait le revoir, pourquoi le lui refuser ?

Jungkook poussa un profond soupir.

Peut-être que lui aussi l'aimait bien... mais ils évoluaient dans deux mondes trop différents à son goût.

~~~

Yoongi se réveilla dans une chambre vide. Peu inquiet à propos des allées et venues du général Park, il se tourna pour trouver une position plus confortable, et serra son oreiller dans ses bras pour y enfoncer la joue. Il avait décidé que tant que le soleil printanier ne l'aveuglerait pas, il ne bougerait pas le petit doigt.

Son esprit lui échappait, il s'apprêtait à plonger de nouveau dans une agréable torpeur quand le grincement des gonds de la porte l'arracha à son repos. Il poussa un gémissement pour manifester son mécontentement, auquel un rire répondit.

« Eh bien, Yoongi, on dort encore à cette heure ?

— Si seulement... Ne me dites pas que vous êtes déjà habillé ?

— Soit, je ne vous le dirai pas.

— Bon sang, mais comment survivez-vous à un tel rythme ?

— Nous nous sommes couchés tôt.

— Après un intense entraînement à l'issue duquel j'espérais bénéficier d'une grasse matinée.

— Une quoi ? le taquina le soldat.

— Nous n'avons aucune obligation pour aujourd'hui, râla-t-il, détendez-vous un instant, par Hiemis.

— Ce matin je dois m'entretenir avec le chef de la caserne à propos des derniers préparatifs pour le départ de demain, je compte aller voir quelques amis, et acheter de quoi manger – j'aime choisir ce que je mange quand je peux me permettre ce luxe.

— Vous disposez donc de tout un après-midi de libre.

— Que votre naïveté est amusante, Yoongi !

— Ah ?

— Cet après-midi, nous nous entraînons.

— Nous ? releva Yoongi en s'efforçant d'ouvrir les yeux pour jeter un regard désabusé à Jimin. Et j'imagine que je n'ai pas mon mot à dire...

— Vous êtes perspicace, j'aime cela. »

Yoongi jura avant de s'enquérir de l'importance de sa présence ce matin aux côtés du général.

« Je ne vous oblige pas à venir, répondit ce dernier dans un haussement d'épaules, je pensais juste que vous apprécieriez de découvrir cet homme politique dont je vous ai parlé et qui a promis son aide au village par lequel nous sommes passés hier.

— J'apprécierais grandement le rencontrer... cet après-midi.

— Il ne sera plus disponible après le début de l'Assemblée, soit d'ici environ deux heures.

— Alors tant pis, une autre occasion se présentera peut-être, vous lui transmettrez mes salutations sincères et fatiguées.

— Je suis sûr qu'il sera ravi de les recevoir...

— À n'en point douter.

— Ne vous lèverez-vous donc pas ?

— Au contraire, je compte bien dormir jusqu'au zénith.

— Soit, puisque je ne puis vous faire changer d'avis. Je vous apporterai de quoi déjeuner, attendez mon retour.

— Je veux bien, mais pour quelle raison ?

— Je préfère que nous évitions les trop gros rassemblements : l'entraînement du matin, les repas.

— Je comprends mieux. Eh bien comme il vous plaira : tant que la consigne est de rester ici, je suis votre homme.

— Quel dévouement, le railla Jimin.

— N'est-ce pas ? Amusez-vous bien, et n'ayez crainte : je surveille le lit.

— J'ai toute confiance en vous pour cette tâche ma foi périlleuse. Bon courage à vous.

— Il m'en faudra. »

Jimin ne répliqua pas : son aîné s'était tourné et, la couverture remontée jusque sous son nez, la forme de ses yeux à elle seule trahissait sa félicité. Sous l'épaisseur de l'édredon, il souriait. Le général souffla en hochant la tête de droite à gauche, plus amusé qu'agacé par ce comportement.

Déjà habillé, il quitta la pièce qu'il referma en douceur derrière lui. Il se rendit dans le bureau du chef de la caserne, avec qui il ne s'entretint qu'une courte demi-heure, au terme de laquelle il informa l'homme qu'il partageait sa chambre avec un ami. Le regard que son interlocuteur lui renvoya, accompagné d'un rictus, ne laissa aucun doute quant à ce qu'il pensait de l'ami en question.

Cela importait peu au général qui s'en alla ensuite du bâtiment. De si bon matin, seuls quelques marchands étaient levés et au travail, occupés à monter leurs étales à l'ombre fraîche du petit jour, sous des tentures qui les protègeraient plus tard du soleil. Jimin sillonna les boulevards en observant avec un intérêt discret les différents stands : il ne souhaitait pas être hélé si tôt.

Le militaire passa devant l'édifice qui abritait l'Assemblée. Son visage se durcit. Il poursuivit son chemin sans y accorder plus d'attention. Peu après, alors qu'il s'engouffrait dans des rues paisibles, il s'arrêta face à une charmante maisonnette accolée à ses voisines. Son être lui parut tout à coup plus léger, et il frappa avec une énergie nouvelle, impatient.

Des pas retentirent à l'intérieur puis le battant pivota pour s'ouvrir sur l'esclave du propriétaire des lieux. Déjà habillé de façon presque aussi élégante que l'aristocrate, Seokjin se tenait plus droit encore qu'un cavalier, l'air pincé. Il se détendit dès qu'il comprit à qui il avait affaire.

« Par Pyros, général Park, quelle joie de vous voir !

— Seokjin, mon ami, comment allez-vous ? s'enquit Jimin en le rejoignant pour lui offrir une accolade amicale.

— Très bien, très bien, et vous-même ? Entrez, ne restez pas là, je vais préparer du thé. »

Jimin faillit éclater de rire à ces mots : le Tyfodonien préparait toujours une tasse de thé aux invités. Il ne doutait pas que Namjoon devait réclamer la sienne matin, midi et soir, de sorte que le pauvre domestique avait pris l'habitude d'en servir à quiconque était convié.

« Je vais bien, merci beaucoup.

— Et dites-moi, est-ce que... bon sang, vos bras ! »

Horrifié, le jeune homme avait reculé : en repoussant la porte derrière lui, Jimin avait levé le bras, et son manteau avait glissé jusqu'à son coude, dévoilant la longueur de son bandage. Changé chaque jour depuis que les blessures lui avaient été infligées, le tissu était d'une blancheur immaculée, mais sa seule présence avait alarmé Seokjin qui avait écarquillé les yeux.

« Quelques égratignures... justement, il faudrait que je vous en parle, pouvez-vous aller chercher Namjoon, s'il vous plaît ?

— Je file. »

Il s'exécuta, cachant son émotion : Jimin comptait parmi ces rares personnes qui n'exigeaient pas qu'il parte pour discuter en privé avec Namjoon sous prétexte qu'il n'était pas Arixien. Le général, comme le poète Kim Taehyung, l'appréciait autant que son maître, et quand ils parlaient à l'un, ils parlaient à l'autre. Ils savaient, de toute façon, que Namjoon réfléchissait mieux lorsque Seokjin se trouvait dans les parages pour lui donner son avis, souvent au moins aussi éclairé que le sien.

Jimin attendit assis dans le salon. Il se leva au retour de Seokjin, que suivait Namjoon. Vêtu d'un hanbok céruléen aux motifs qui traduisaient son appartenance à l'Assemblée, le jeune homme adressa un signe de tête à son cadet qui s'avança avec un sourire.

« Bonjour Namjoon, comment vous portez-vous ?

— Mes nombreux dossiers m'épuisent, mais je me sens vraiment motivé. Et vous-même ?

— Bien, mais j'ai beaucoup de choses à vous apprendre, répondit Jimin dont l'expression s'assombrit.

— Général, que voulez-vous dire ? s'inquiéta aussitôt son ami.

— Je ne pourrai pas obéir encore très longtemps à l'Assemblée, mais je vais avoir besoin de soutien, je n'y arriverai pas avec deux lieutenants et leurs troupes. »

Seokjin s'éclipsa pour s'occuper du thé pendant que Namjoon acquiesçait et invitait le militaire à s'installer à la table. Jimin tenta d'organiser ses idées et s'accorda une profonde inspiration au retour de Seokjin qui s'assit à côté de son maître, l'air grave.

Le général, alors qu'un lourd silence s'était imposé, prit la parole. Il retraça les évènements de ces dernières semaines, depuis son retour dans son camp, à la frontière sawaï. Plus d'une fois Namjoon passa par réflexe une main dans ses cheveux, interloqué, tandis que Seokjin gardait un calme olympien qui dissimulait tout ce qui se jouait sans aucun doute en lui. Son récit terminé et parce qu'il ne lui venait même pas à l'esprit de préciser à Namjoon qu'il ne fallait sous aucun prétexte ébruiter cette histoire – bien sûr que l'homme n'en parlerait à personne, il se méfiait de tous les membres de l'Assemblée –, le soldat expira comme s'il comptait vider ses poumons.

« Voilà toute l'histoire.

— Et vous comptez... ? » s'enquit Namjoon.

Jimin le toisa avec un sérieux imperturbable. D'une voix qui traduisait sa conviction, il affirma : « Une fois la situation stabilisée au sud, je compte marcher sur Hurna pour délivrer les Phénix et faire payer au Prince ses actes barbares. »

Namjoon s'affala sur le banc en se prenant la tête entre les mains. Il se frotta le visage dans un souffle stupéfait puis planta son regard dans celui de son cadet.

« Eh bien, on peut dire que vous êtes encore plus téméraire que moi, mon cher ami. Si je cours au-devant des ennuis, vous vous précipitez pour votre part directement dans la tombe.

— Je n'agirais pas si je n'étais pas convaincu d'avoir plus de chances de gagner que de perdre, mais pour ce combat, j'ai besoin de vous, de votre appui, de vos connaissances, de votre voix. Je serai de retour dans mon campement d'ici environ deux semaines si tout se passe bien à la frontière tyfodonienne... et je ne compte pas laisser comprendre à l'ennemi que j'ai des alliés.

— Que voulez-vous dire ? s'étonna Namjoon.

— Si je veux gagner cette guerre en territoire ennemi – un ennemi qui dispose d'une armée aux effectifs impressionnants –, je vais devoir ruser. C'est vous qui m'avez appris à jouer aux échecs : vous savez l'importance que revêt le moindre pion.

— Je crois que je commence à comprendre, approuva Namjoon avec un air pensif, et... j'avais peut-être moi-même quelque chose à vous dire qui pourrait vous arranger.

— Oh vraiment ?

— Je vais présenter d'ici peu un projet de loi à l'Assemblée, j'attends que les deux empereurs s'y présentent pour avoir leur appui, auquel cas je pourrais peut-être la faire passer sans batailler contre mes plus farouches opposants, qui refusent jusqu'au simple fait de m'écouter.

— De quoi s'agit-il ?

— Je veux accorder l'asile aux Tyfodoniens qui le réclament, déclara le jeune homme d'un ton décidé. Ils sont en danger, ils sont effrayés, et ils sont prêts à tout pour entrer sur nos terres. Avez-vous reçu les dernières nouvelles ? Les Akashites sont en train de prendre possession de tous leurs territoires. Ils se sont déjà déployés à l'ouest du mont Phaham. Au nord, ils approchent des collines de Brynel, et même s'ils semblent s'être arrêtés depuis quelques jours, qui sait s'ils ne poursuivront pas leurs incursion ? Les Tyfodoniens ne veulent pas nous envahir, ils veulent se protéger : pourquoi ne pas nous allier ?

— Je vois où vous voulez en venir... »

Namjoon lui détailla son projet, ses partisans potentiels – car même si tous le haïssaient à l'Assemblée, certains demeuraient assez mesurés pour soutenir ses propositions qui, à leurs yeux, le méritaient –, et comme à son habitude, Seokjin pour sa part intervint peu. Il se contentait de rappeler à son maître certains points qu'ils avaient discutés, ou bien ce qu'il oubliait de mentionner et qui lui paraissaient importants. Jimin se déridait à mesure que le dialogue se poursuivait, et quand Namjoon conclut, son ami avait retrouvé le sourire.

« Si vous pouviez obtenir un vote positif de l'Assemblée, vous pourriez bouleverser le cours de la guerre qui se prépare !

— Oh croyez-moi, je pense l'obtenir, et tout cela parce que ces imbéciles croiront vous mettre des bâtons dans les roues.

— Je vois que vous en jubilez d'avance. Tant que vous obtenez ce que vous désirez, peu m'importe : dirigez vos marionnettes, je vous fais confiance.

— Vous ne le regretterez pas. Quant à vous, surveillez vos arrières : dès l'instant où l'Assemblée apprendra que vous avez déclenché une guerre sans son aval, elle vous abandonnera, et je ne pense pas réussir à en tirer quoi que ce soit. Vous serez seul.

— Vous vous trompez, Namjoon. Je ne suis jamais seul, bien au contraire. »

Un rictus se dessina au coin des lèvres de l'homme politique de qui les prunelles se teintèrent de malice.

« Parfait. Dans ce cas, je vous souhaite bonne chance pour votre périple. Puisse Pyros vous accompagner.

— Je vous en souhaite tout autant. Et veillez autant que moi à vos arrières. Vous ne vous ferez pas des amis avec ce projet.

— Je ne le sais que trop, je suis habitué. »

L'Assemblée voulait anéantir les Tyfodoniens rebellés et repousser ceux qui suppliaient d'entrer. Cette proposition risquait bien de lui attirer de plus belle les foudres des plus farouches de ses adversaires.

Les deux amis, une fois leur tasse de thé vide et leurs discussions plus triviales achevées, se séparèrent. Namjoon devait se rendre à l'Assemblée, quant à Jimin, il lui restait de quoi occuper sa matinée sans s'ennuyer une seconde.

Il partit en direction du nord de la ville, plus déterminé que jamais. Plusieurs passants, désormais plus nombreux dehors, se retournaient sur lui. Son hanbok prouvait son appartenance à l'armée arixienne, et sur son torse étaient brodés les insignes de son rang de général, signe de son dévouement pour la patrie.

Après plusieurs dizaines de minutes de marche, alors que le soleil était à présent tout à fait levé, il arriva à destination. Il s'agissait d'une immense villa en périphérie, entourée de champs de blé. La maison était une très ancienne propriété, ferme paisible devenue un véritable palais. Aujourd'hui, ses habitants fournissaient à la ville une quantité non négligeable de sa farine et de son pain.

La demeure en elle-même était construite en pierres d'un blanc éclatant, et ses façades étaient ornées de colonnes élégantes. L'architecture en était sobre, et de nombreuses fenêtres rendaient l'endroit lumineux.

La riche famille Park connaissait la famille Lee, propriétaire du domaine, depuis des générations. De fait, les enfants de chaque lignée se connaissaient eux aussi depuis toujours : Jimin considérait Huyeon comme sa sœur. Du même âge, ils avaient grandi ensemble dans des conditions quasi identiques, au point qu'ils avaient étudié dans la même académie pour intégrer ensuite l'armée en tant que simples soldats, grimpant les échelons à une vitesse impressionnante.

Si Jimin s'avérait rusé et méticuleux, Huyeon pour sa part ressemblait beaucoup à Jungkook : elle adorait combattre et préférait laisser à d'autres l'aspect stratégique. Elle possédait une force et une endurance remarquables, une souplesse à toute épreuve, et elle était arrivée première de leur promotion dans presque autant de discipline que Jimin. À la fois concurrents et amis, ils s'étaient promis de ne jamais se séparer et de s'épauler quoi qu'il advienne.

Cela expliquait pourquoi, quand il avait été nommé général, Jimin n'avait pas hésité une seconde : sa commandante serait Huyeon, celle qu'il considérait comme sa jumelle, sa sœur de cœur. Une fois seuls, ils avaient échangé une simple étreinte solennelle, sans un mot.

Jimin frappa à la porte du domaine que lui ouvrit un homme d'âge mûr, le sourire aux lèvres. Il portait un hanbok élégant d'un vert émeraude, et ses cheveux courts avaient blanchi. Son visage arborait des traits sévères que son expression heureuse rendait plus doux, et il s'inclina aussitôt devant son visiteur.

« Bonjour, Jimin, comment allez-vous ?

— Très bien, monsieur Lee, et vous-même ?

— Très bien. Huyeon est au jardin, voulez-vous que je vous y conduise ?

— Avec plaisir, merci beaucoup. »

Ils discutèrent sur le chemin, sillonnant de longs couloirs marbrés tantôt en intérieur, tantôt en extérieur. Jimin s'enquit de la bonne santé de toute la famille, tandis que monsieur Lee posait des questions à propos des affaires militaires. Ancien lieutenant, il s'intéressait beaucoup à la politique de son pays, même s'il travaillait à présent à la production agricole.

Ils débouchèrent dans un charmant espace, un jardin tropical jonché de fleurs multicolores et de plantes impressionnantes aux feuilles surdimensionnées et encore humides de rosée. De nombreux effluves odoriférants se mêlaient au point de créer un parfum étourdissant, impression accentuée par les piaillements d'oiseaux et les bourdonnements des insectes qui venaient de tous côtés. Un chemin de graviers blancs menait à un pavillon de bois couvert, où l'on avait installé une petite table ronde entourée de deux chaises. L'une d'elles était occupée.

L'air tranquille du général s'effaça, et il s'inclina devant le père de famille dont il prit congé. Il traversa le sentier en quelques foulées, il rejoignit celle qui comptait tant pour lui, celle qui l'avait accompagné sur tous les champs de bataille, celle qui aurait pu y laisser la vie.

Lee Huyeon avait la moitié du visage défiguré par une imposante cicatrice, son bras gauche était immobilisé par une attelle de métal, et d'épais bandages recouvraient encore sa jambe droite qu'elle avait failli perdre.

« Tu ne sembles pas heureux de me voir, remarqua la jeune femme d'une voix taquine alors qu'un immense sourire avait étiré ses lèvres.

— Je ne suis là que par obligation, ne va pas croire que je suis là parce que je te porte un quelconque intérêt, rétorqua Jimin.

— Je sais bien, espèce de supérieur ingrat. Ce n'est pas comme si j'avais risqué la mort et que j'étais devenue hideuse pour toi.

— Toujours à en faire des tonnes. Une cicatrice ou deux, ce n'est rien de bien méchant : tu n'es pas plus laide aujourd'hui qu'il y a cinq ans quand tu t'étais toi-même coupé les cheveux. Un désastre, j'en reste traumatisé. »

Huyeon éclata d'un rire mélodieux. Les cheveux sombres et courts, elle possédait malgré sa blessure des traits délicats : ses yeux en amande étaient colorés d'un marron profond, son nez, petit et à peine épaté, avait provoqué la jalousie silencieuse de bon nombre de femmes, et sur ses lèvres ni trop fines ni trop épaisses convergeaient toujours les regards de ses prétendants. Son corps demeurait mince en dépit de son importante masse musculaire, de sorte qu'elle arborait un physique équilibré qui faisait tourner les têtes des soldats – elle s'amusait d'ailleurs souvent à se vanter de ses nombreuses conquêtes, et tout homme qui réussissait à s'attirer ses faveurs paradait auprès de ses camarades au moins autant qu'elle fanfaronnait.

Aujourd'hui vêtue d'un manteau chaud et d'un pantalon, Huyeon était sans doute une des plus jolies filles de l'entourage de Jimin qui, arrivé devant elle, se pencha et la serra sans hésiter dans ses bras. Elle lui rendit son étreinte de son mieux, les paupières closes.

« Je suis heureuse de te revoir, mon frère, souffla-t-elle.

— Et moi donc. Tes blessures guérissent-elles bien ?

— Oui, je peux recommencer à marcher, quel bonheur ! Je n'aurais pas tenu un mois de plus alitée.

— Comme je te comprends ! Te voir dans ce lit me démangeait, cela devait être insoutenable.

— Oula oui. Alors dis-moi, comment les troupes vont-elles ? Toujours pas de nouveau lieutenant ?

— Ciel non, et je pense que je suis mal parti pour en obtenir un supplémentaire, ricana Jimin avec amertume.

— Ah ? Est-ce que tu peux m'expliquer ?

— Non, pas envie. »

Il reçut un coup de poing à l'épaule qui faillit lui arracher un gémissement de douleur, et il jeta un regard amusé à son amie qui cracha un « pff » désabusé.

« En fait, il s'est passé... pas mal de choses, ces derniers temps, » révéla-t-il avant de dérouler pour la seconde fois de la journée l'histoire des deux semaines qui précédaient.

Quand il se tut, Huyeon le fixait toujours, ébahie.

« Non je ne peux pas y croire... des Phénix ? C'est... n-non, c'est impensable. Bon sang, et avec de tels pouvoirs ? Je pensais qu'ils les perdaient peu à peu, alors comment cet homme qui prétend ne pas entraîner les siens a-t-il pu tuer deux soldats à la fois ? C'est tout bonnement incroyable ! murmura-t-elle de peur de hurler si elle élevait juste un peu la voix.

— Je sais bien, mais cela ne compte pas pour l'instant. Ce qui m'importe, c'est ce que le Prince prévoit, et s'il garde des Phénix avec lui, nous courons forcément à la catastrophe : qu'il en enrôle ne serait-ce qu'une centaine avec les mêmes pouvoirs que Yoongi, et nous serons incapable de les battre. Huyeon, ils peuvent nous immobiliser, créer des murs d'ombre, maîtriser la lumière... à moins d'être en surnombre comme les Sawaï quand ils ont attaqué leur village, nous n'aurons aucune chance contre des troupes portées par de tels sorciers.

— Tu as raison : si nous pouvions les rallier à notre camp, nous...

— Non, non, la coupa-t-il, je ne veux pas les rallier à notre camp, juste les délivrer et leur offrir la liberté.

— Toi, tu as envie de te faire massacrer par l'Assemblée...

— Décidément, je sais où venir quand je cherche un peu de soutien, maugréa-t-il.

— Jimin, par Pyros, tu as l'opportunité de nous attirer des alliés d'une puissance phénoménale : une fois les Phénix délivrés, invite-les à s'installer sur nos terres, dans un lieu que nous les aiderons à protéger. De cette façon, ceux qui s'enrôleront dans l'armée seront avec nous !

— Huyeon, stop, je ne veux pas faire cela. Je veux juste... les aider.

— Toi et ton bon cœur, décidément. »

Elle soupira. Jimin savait qu'elle tenterait de l'inciter à profiter des pouvoirs de son nouvel ami et de son peuple, mais il savait aussi qu'elle n'insisterait pas outre mesure, consciente qu'elle n'était que son bras droit, pas sa supérieure... et il savait surtout qu'elle le suivrait et le soutiendrait quoi qu'il décide, car sa cause, même si elle ne rapportait rien aux Arixiens, demeurait noble, et le cœur de Huyeon l'était tout autant.

« Très bien, je comprends, céda-t-elle sans surprise. Tu les délivres juste parce que tu t'es pris d'amitié pour ce guignol aux cheveux blancs. D'accord. Mais tu ne disposes que de cinq cents hommes : j'ai entendu dire que Sawa avait réussi à doubler ses effectifs pour les répartir sur son territoire et s'attaquer à chacun de ses voisins sans prendre de risques à diviser son armée. Tu y as forcément réfléchi, que comptes-tu faire ?

— J'ai mes propres plans.

— Et comme d'habitude, je n'aurai pas le droit d'en savoir plus, n'est-ce pas ?

— Exactement. Un vrai magicien ne dévoile pas ses tours.

— Surtout quand il n'est pas encore sûr qu'ils fonctionnent, le railla-t-elle.

— Tout à fait. Mais j'ai un bon pressentiment... du moins pour ce qui concerne mon trajet dans la région du canyon Karnagion.

— Euh... nous sommes bien d'accord : Hurna n'a pas changé de place, elle est toujours située au sud des carrières d'Arawen ?

— Toujours.

— Donc tu as confiance à propos de la première moitié de ton trajet... c'est encourageant. Et qu'est-ce que je fais, moi, si tu meurs ?

— Je ne sais pas... pleure, » proposa-t-il avec un rictus espiègle.

Elle se frappa le front dans un soupir dépité.

« Bon sang, Park Jimin, tu es insupportable.

— J'ai le soutien de Namjoon, je sais qu'il réussira à sécuriser ma position jusqu'à Hurna.

— Eh bien, j'aimerais savoir comment !

— N'oublie pas : le magicien ne dévoile rien. »

Huyeon baissa les bras, rejetant la tête en arrière pour expirer une nouvelle fois un souffle qui fit frémir ses lèvres. Quand elle reprit sa position initiale, elle planta son regard dans celui de son meilleur ami.

Es-tu sûr de toi ? lui demanda-t-elle sans un mot.

Jimin acquiesça comme s'il l'avait entendue.

Sa commandante appuya la main sur la table devant elle pour s'en aider afin de se redresser. Elle repoussa sa chaise, dressée face à son général qui affichait une expression grave, reflet de la sienne.

« Dans ce cas, Park Jimin, je te soutiens moi aussi. Reviens vite. Reviens vivant. »

Il promit, et ils s'enlacèrent un long moment dans le plus pur des silences, alors même que la nature autour d'eux continuait de vivre.

~~~

Le général rentrait d'un pas tranquille à la caserne, alors que le soleil avait depuis plus d'une heure dépassé son zénith – pourvu que Yoongi ne lui en tienne pas rigueur. Il en franchit le seuil chargé de deux sacs de victuailles achetées en chemin, celui porté par sa main droite plus léger que l'autre afin d'épargner son bras. Il se dirigeait vers sa chambre quand il s'immobilisa, pétrifié.

Un vacarme soudain s'échappait de la pièce dans laquelle le Phénix était pourtant supposé se trouver seul.

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