Chapitre 45 - Chère liberté
Le soleil était à son apogée et un silence lourd régnait dans le village. Toutes les femmes s'étaient retirées dans leurs huttes. Elles avaient passé toute la nuit debout pour féminiser l’enfant à venir. Elles méritaient le repos. Les paons aussi se taisaient, comme s'ils savaient, comme s'ils voulaient couvrir la fuite des deux jeunes amants.
Dehors, il n'y avait que le soleil qui cuisait la terre et changeait les pierres en rocaille étincelante. La chaleur de l'air. Chaque inspiration qui s'engouffrait dans leurs voies respiratoires les étouffait autant que l’aurait fait la fumée brûlante d'un brasier.
C'était le moment idéal. L’heure de la fuite était arrivé. Garrigue saisit fermement la main moite de Frioul et ils s'échappèrent, sans bruit, par l'arrière de la cabane. Frioul, épuisée par sa nuit avait du mal à suivre un Garrigue, sûr de lui, qui courait en serrant aussi fort qu'il pouvait la main de la jeune femme. Il ne voulait pas la perdre.
Ils retrouvèrent Panache d'Or qui les attendait, caché un peu plus loin, à l'orée du bois le plus proche. Il ne fallait pas traîner, au contraire, la réussite de leur fuite tenait à ce qu’ils fuient le plus vite possible.
Car, lorsque les femmes découvriraient que la hutte était vide. Elles se mettraient en chasse. Avec Frioul, elles perdaient, outre une des leurs, mais surtout leur chamane.
Garrigue sauta en selle, attrapa le bras de Frioul et la hissa à l'arrière de la selle. Le voyage ne serait pas confortable mais au moins, ils seraient ensemble.
Garrigue reprit le chemin inverse qu'il avait emprunté pour arriver jusqu'à son Trésor.
La route allait forcément être longue, il leur faudrait marcher, s'arrêter et repartir pendant plusieurs jours, surtout qu'à porter deux personnes, Panache d'Or, serait bien moins fringant. Il ne pourrait pas parcourir autant de route par jour et aussi rapidement qu'il avait pu le faire avec un seul passager.
Effectivement, très vite, les difficultés apparurent et l'effervescence due à leur fuite se dissipa très vite, pour être remplacée par la fatigue. Après quelques heures en selle, il fallut stopper Panache d'Or pour lui permettre de reprendre des forces.
Déjà, le ciel se faisait plus sombre, les derniers rayons du soleil ne transperçaient plus que la cime des arbres dans une oblique qu'on aurait dit venir de la terre. Déjà quelques étoiles naissaient dans l'immensité bleue. La nuit s'annonçait.
Garrigue était maintenant rompu aux nuits passées à la belle étoile, mais ce n'était pas le cas de Frioul. La veillée du cérémonial féminin l'avait épuisée et les heures à dos de cheval n'étaient pas très reconstituante. Et puis surtout, elle était enceinte de six semaines et subissait déjà la fatigue liée à son état. Garrigue trouva un petit coin de nature paisible où il pourrait construire un nid pour que sa belle puisse dormir sereinement leur première nuit de fuite. Si le futur papa était satisfait de son installation, Frioul, elle, ne sentait que sa fatigue et son envie de fuite s'amenuisait d'heure en heure. Elle finit cependant pas s'allonger sur le lit de mousse que lui avait bricolé son amoureux et elle s'endormit sans manger.
Aux longues journées à dos de cheval succédaient des nuits peu reconstituantes. Les repas, trop maigres, rendaient aussi leurs relations tendues. Ils ne se parlaient que très peu. Ils devaient lutter contre la fatigue, la faim, l'insécurité et l'inconnu. Toutes les économies étaient bonnes à prendre. Et les deux jeunes moineaux s'éloignaient l'un de l'autre.
Après quelques jours ainsi, c'est Frioul qui supplia Garrigue de la laisser descendre du cheval.
Dans une clairière lumineuse et verdoyante Garrigue accéda à sa demande. Il aida la jeune femme à mettre pied à terre. Enfin, assise à même le sol, elle étira ses bras au-dessus de sa tête jusqu'à ce qu'ils s'allongent au maximum de leur possibilité, puis ce fût le tour de son dos qu'elle étira vers le ciel. Elle maintint la position quelques minutes, puis son regard fixant un vide sidéral, elle allongea son buste sur ses jambes tendues comme si elle était simplement pliée en deux. Garrigue la regarda un instant, puis sans mot dire la laissa seule pendant qu'elle faisait ces mouvements étranges. Il sentait qu'il n'avait rien à faire près d'elle, qu'il ne pouvait pas l'aider. Enfin, elle se redressa et ramenant ses jambes et ses pieds sous elle, elle se releva et s'approcha lentement de Panache d'Or. Elle se dirigeait droit sur le sac de Garrigue, attaché au pommeau de la selle.
Pendant la cérémonie, alors que les femmes du village étaient très occupées, Garrigue s'était faufilé dans la hutte de Frioul et avait entrepris d'y faire des emplettes. C'est sur l'autel où était habituellement posé Le Livre, qu'il s'était emparé d'articles appartenant à sa bien-aimée. Espérant, sans doute, qu'ils lui seraient utiles. Il ne savait pas trop ce qu'il devait prendre. Il espérait juste que ça pourrait aider Frioul et qu'elle y trouverait son bonheur. Il avait choisi les articles au hasard. Chaque fois que ses doigts s'attardaient sur une chose dont l'étrangeté le saisissait, chaque fois que ses yeux découvraient un flacon à la forme particulière, chaque fois que ses narines capturaient un parfum subtil et envoûtant, chaque fois qu'une couleur charmait son œil, l'article était alors glissé dans son sac.
Frioul posa sa main sur la bandoulière du sac de peau et se retourna vers Garrigue.
De son côté, lorsqu'il vit Frioul se saisir du sac, il ne savait quoi penser. Dans leur fuite, il avait totalement oublié de lui en parler. Maintenant, comment allait-elle le juger comme un voleur ou bien allait-elle le remercier pour son larcin ?
Tout en ramenant le sac vers elle, un léger sourire passa sur les lèvres de la jeune fille épuisée. Sa bouche était alors si fine et pâle que Garrigue ne sut déterminer si ce qu'il lisait sur son visage était ou non de bon augure.
Elle ignora le regard de Garrigue et revint s'asseoir sur le sol. Ouvrant doucement le sac, elle entreprit de faire l'inventaire de son contenu.
Elle prit les articles un à un et les disposa devant elle. Il y avait notamment ces typiques bougies bleues, de petites fioles emplies de liquide coloré, une sorte de paquet de feuilles ressemblant à du parchemin et peintes de signes étranges, un étrange crayon couvert de plumes et d'ossements, un mortier et son pilon.
Après cet état des lieux des articles dérobés, Frioul relava la tête, et tourna ses grands yeux vers Garrigue, elle le remercia d’avoir, sans le savoir, récupéré les quelques effets qui lui permettraient de réaliser des potions qui allaient leur être bien utiles.
– Garrigue, pourquoi ne m'as tu pas dis plus tôt que tu avais tous ces articles ?
– J'ai oublié, j'ai voulu prendre quelques effets t'appartenant et dans la précipitation et l'excitation de la fuite, j'ai oublié de te le dire. Tu m'en veux d'avoir voler ces objets pour toi ?
Elle eut tout juste le temps de secouer la tête pour lui répondre par la négative qu'un bruissement d'ailes étonnamment fort vint chanter à leurs oreilles et mettre un terme à leur conversation.
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