Chapitre 38 - Pleine lune


Frioul, alertée par les cris des grands oiseaux bleus, s'empressa de sortir de sa cabane. Quand elle reconnut Panache d'Or, elle courut à la rencontre du tandem. Tout en joie de retrouver celui qu'elle attendait depuis des semaines.

Elle dut secouer Garrigue pour qu'il reprenne connaissance et sorte de son état de transe. Bercé par le son mélodieux de la voix de la jeune femme, des souvenirs émouvants et rassurants lui revinrent en mémoire. Il parvint alors à décoller ses paupières et forma un sourire tendre en découvrant sa belle chamane aux yeux clairs. Il avait l'impression d'avoir dormi pendant des jours.

- Frioul, c'est toi, si tu savais comme je suis content de te revoir. Tu sais, je n'ai pas...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que Frioul le coupa et le pria fermement de la suivre. Tout en joignant le geste à la parole, elle agrippa le poignet de Garrigue juste à l'endroit de sa brûlure.

Le mouvement de recul que fit Garrigue l'interloqua. Il voulait protéger son poignet blessé et força Frioul à desserrer sa prise. Lorsqu'elle aperçut le cuir et le métal entrelacé sur la peau chéloïde, la vision assombrit son visage.

Frioul cacha ce si joli sourire qu'ont les gens qui se retrouvent après une longue absence. Elle semblait grave, effrayée même.

Garrigue ne reçut pas l'accueil attendri dont il rêvait. Vexé, il récupéra son sac avant de claquer, sur la croupe de Panache d'Or, une main inattendue, forte et puissante. Puis il emboita le pas de Frioul.

Une fois à l'abri des regards sous la tente, Garrigue regarda la jeune femme avec attention. Elle semblait différente de son souvenir. On aurait dit qu'elle avait comme vieilli. Ce n'étaient pourtant pas des rides qui cernaient ses yeux, mais plus une maturité de l'ensemble de son visage, une quiétude, une sérénité étrange.

- C'est bien que tu sois revenu, j'espère que tu as toujours mon grimoire avec toi ? dit Frioul d'un ton sec.

Sa voix était impérative.

Garrigue avait bien vu ce changement de comportement au moment où elle lui avait pris le poignet. Mais il ne comprenait pas pourquoi.

Frioul cherchait sans relâche à distinguer la blessure que Garrigue semblait lui dissimuler.

- J'ai besoin que tu me remettes cet ouvrage au plus vite. D'ici quelques jours, lorsque la lune sera bien ronde, il va y avoir une grande cérémonie dans le village, et j'ai besoin de mon livre, dit nerveusement Frioul.

Garrigue sentit son inquiétude, sans pour autant comprendre ce qui allait se jouer dans les prochains jours. Comment aurait-il pu ?

Déjà, Frioul trouvait difficile de parler de cette cérémonie qui la concernait que trop. Mais d'apercevoir, que le père de son enfant portait un article de magie noire, venait anéantir ses intentions.

Si Garrigue s'approchait trop d'elle, elle ne parviendrait pas à lui cacher ses sentiments. Et le bracelet qu'il semblait vouloir dissimuler à tout prix, reprenait les entrelacs typiques des nœuds de sorcier.

Elle et le village étaient potentiellement en danger.

Garrigue ne comprenait pas pourquoi il ne retrouvait pas la complicité qui semblait être née entre eux deux lors de leur au revoir. Il se ferma, préoccupé par l'attitude glaciale de Frioul.

Ainsi, l'un comme l'autre envoyèrent les messages qui permettaient de conserver une distance de rigueur, tant dans la tonalité de leur voix que dans la position de leur corps.

Pourtant, seuls sous cette tente, tout redevenait comme dans le souvenir de Garrigue. Se retrouver en ces lieux, il lui semblait qu'il avait quitté le village la veille, mais au vu du comportement de Frioul, il devait en être tout autrement. Mais alors, depuis combien de temps était-il parti, et quelle était la raison de toute cette activité dans le village ?

Ce constatant, il se risqua à poser la question.

- Depuis combien de temps je suis parti du village ? Articula-t-il du bout des lèvres.

- Tu ne le sais pas ? Tu as donc souvent eu recours à la magie ! lâcha froidement Frioul, presque incrédule sur le fait qu'il ne sache pas depuis combien de temps il avait quitté le village.

Les hommes, toujours à ne retenir que des choses futiles, inaptes à prendre note de dates, de faits marquants, tous ces moments particuliers qui sont à noter d'une pierre blanche.

- Non, je ne sais même pas comment je suis revenu au village. Je me souviens seulement que j'ai avalé le contenu de la petite fiole que tu avais glissée dans mon sac. A ce propos, je te suis très reconnaissant d'avoir ajouté de la nourriture dans le sac. Je te remercie.

- Chuuuut, dit Frioul l'air soucieux.

Elle était contente qu'il soit de retour et en même temps, elle avait peur d'être surprise par ses congénères. Elle ne voulait pas que quelqu'un puisse les entendre et découvrir qu'elle avait fourni à un inconnu mâle les clés pour revenir au village, et encore moins qu'elle avait prêté le grimoire.

Elle ne souriait pas et Garrigue avait l'impression d'être en présence d'une autre personne. Pour ne pas laisser cette situation se dégrader davantage, il se manifesta franchement :

- Frioul, que se passe-t-il ? Je ne comprends pas ton attitude, tu m'as délibérément prêté ton manuel de magie, tu m'as signifié que je devais te le ramener sous peine de heu... sous peine de mort. Je te le ramène et je ne lis aucune joie dans ton regard. Tu n'es pas heureuse de mon retour ? Je te retrouve distante, et je ne comprends pas ce qui se passe. Peux-tu m'expliquer ?

Pour la première fois de sa vie, Garrigue avait été en mesure d'exposer son malaise à haute voix, de demander une explication, d'exprimer sa gêne. Pour la première fois de sa vie, il avait été capable d'ouvrir son cœur.

Frioul releva les yeux. Il était rare que quelqu'un la surprenne. D'autant plus un homme. Mais là, elle était sidérée.

Garrigue la dévisageait, tout en frottant son poignet blessé, comme pour se trouver une consistance. Il attendait ses réponses.

Elle aurait adoré lui avouer qu'elle n'avait eu de cesse de penser à lui. Mais, ce bracelet qui mêlait cuir et métal était typique des articles du mal. Elle devait se méfier qu'il ne soit pas un danger pour elle et le village. Il fallait qu'elle découvre ce que cachait Garrigue. Pourquoi ne parlait-il pas de ce signe du diable à son poignet ?

Sa seule satisfaction était que cet homme soit de retour, cela prouvait au moins qu'elle n'avait pas totalement eu tort lorsqu'elle lui avait confié le manuel.

Garrigue, qui s'était juré de ne pas repartir sans ses réponses, trouvait l'attitude de Frioul étrange. Elle semblait partagée entre la joie de le retrouver et une retenue que décidément, il ne comprenait pas. Alors qu'il faufilait ses doigts sous la lanière du bracelet, il la sentit devenir très lâche. Surpris, il donna un léger à coup et celle-ci céda. Garrigue venait de se libérer de l'emprise maléfique.

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