La voiture dans laquelle Xiao XingChen est installée depuis plus d'une heure s'arrête soudainement. Le garçon serre le sac qu'il tient dans ses bras, effrayé à l'idée de quitter le confort de cette banquette arrière. Le monde qui l'attend dans l'obscurité le terrifie, mais il tente de rester fort pour ne pas inquiéter ses proches. Ses yeux lui manquent. Son cœur bat la chamade à l'idée de découvrir seul son nouvel appartement.

-C'est ici, déclare le chauffeur de sa voix grave. Vous êtes sûr que vous n'avez pas besoin d'aide pour monter votre valise? Ça ne me dérange vraiment pas de vous donner un coup de main.

-C'est aimable, mais ça ira. Comment je vous dois?

-Ce sera 40 dollars pour le trajet depuis Thetford... Hum...

À tâtons, l'aveugle sort de sa poche son porte-monnaie. Song Lan a essayé de lui apprendre à différencier les billets au toucher, cependant, c'est une tâche ardue pour un débutant qui s'est toujours fié à sa vue. Lorsqu'il croit enfin avoir mis la main sur deux papiers verts, il les tend au chauffeur qui fronce les sourcils. S'il n'était pas honnête, il prendrait sans hésiter ces cinquante dollars. Arnaquer ce pauvre garçon serait aussi facile que de voler une sucette à un bébé.

-Vous devriez faire attention, recommande le chauffeur en rendant le change à son client. Quelqu'un dans votre état pourrait tomber sur des gens malveillants. Il n'y a personne qui pourrait vous aider? Vous savez, il existe de gens qui peuvent être engagés pour vous rendre la tâche plus facile.

-Sans façon, mon petit ami viendra souvent me visiter. Merci pour vos conseils, mais tout va bien. Bonne journée, monsieur.

Ne désirant pas se faire davantage parler de sa cécité, Xiao XingChen agrippe sa canne en bois avant de quitter le véhicule. Sa valise derrière lui, il avance lentement sur le trottoir parsemé de trous, peinant à ne foncer sur personne. Plus d'une fois, il doit s'excuser aux passants qu'il accroche. Naitre sans yeux doit être plus simple que de perdre brusquement la vue, car cela permet de développer ses autres sens. Malheureusement pour le garçon, il n'est pas encore doué pour se débrouiller sans aide. Peut-être devrait-il faire appel au service d'un chien Mira?

Une gentille dame ouvre pour lui la porte du bloc-appartements qui sera désormais le sien. Song Lan s'est occupé de toute la paperasse liée au déménagement et tout est prêt pour son arrivée. Selon l'amoureux de Xiao XingChen, l'endroit n'est pas le plus beau, mais c'est suffisamment propre pour l'accueillir. À quoi bon chercher la beauté pour un aveugle? Le garçon ne s'en plaint pas. Tout ce qui compte pour lui, c'est qu'il n'ait plus à vivre seul là où il a subi son agression.

Lorsqu'il a été refusé à l'université à cause de sa cécité, Xiao XingChen a ressenti une immense angoisse à l'idée de se retrouver à plusieurs kilomètres de Song Lan, sans aide. Et si Xue Yang revenait achever son travail? Cette pensée l'a longtemps rongée et en guise de solution, son petit ami a opté pour le déménagement. Ils n'ont pas des moyens financiers très élevés, mais la prime d'invalidité que reçoit le blessé de la part du gouvernement lui permet de survivre dans un endroit bon marché.

Le bloc-appartements est petit, loin d'être luxueux et âgé. Xiao XingChen possède déjà la clé de sa future maison et Song Lan lui a brièvement expliqué la manière de s'y rendre. Il doit monter un escalier en métal afin d'atteindre le second étage.

-Eh, pas si vite, étranger! T'es qui, toi? Qu'est-ce que tu viens faire là? C'est un endroit privé, donc ouste!

Au début, Xiao XingChen ne réalise pas que cette petite fille s'adresse à lui. Il continue d'avancer en touchant les nombres collés sur les portes, cherchant avec peine l'appartement 306. C'est seulement lorsque sa canne heurte les pieds de la gamine qu'il réalise que cette personne lui parle. Cette dernière le regarde, les mains sur ses hanches et une expression détestable sur le visage. Seuls ses yeux d'un blanc laiteux indiquent son potentiel problème de vue.

-Je te parle! T'as pas envie de répondre à une jeune fille, c'est ça? Tu sauras que ce bloc-appartements appartient à ma mère. Je suis A-Qing et je ne laisserai personne s'introduire chez nos locataires. Pigé? Les voleurs, c'est à la porte!

-Voleur? Je crois qu'il y a malentendu... Je m'appelle Xiao XingChen et je suis nouveau. Mon petit ami a signé le bail à son nom, Song Lan. Attends, je dois avoir les papiers sur moi.

Embarrassé par ce malentendu, Xiao XingChen fouille dans ses poches à la recherche du papier censé prouver qu'il dit la vérité. En l'écoutant et en le voyant agir de manière maladroite, la gamine se calme et penche curieusement la tête. A-Qing n'a jamais croisé un aveugle avant ce jour.

-C'est bon, affirme finalement A-Qing. Tu es aveugle, n'est-ce pas? J'ai senti ta canne quand tu m'as foncé dessus.

-Tu ne veux plus voir mes papiers? Merci... oui, c'est le cas.

-Oh, donc pardonne ma méfiance! Avoir sus, je n'aurais pas aussi mal parlé. Entre aveugles, c'est important de se serrer les coudes. On doit se soutenir, comme une équipe. T'es pas d'accord?

-Entre aveugles? Tu es aveugle aussi?

Bien sûr, il s'agit d'un mensonge. Comme la gamine est née avec d'étranges yeux couleur laiteux, elle a rapidement découvert que les gens la prenaient à première vue pour une non-voyante. Si au début, A-Qing se plaignait de ce malentendu, elle a fini par en abuser. Recevoir l'attention et la pitié est devenue une drogue. Elle se sert souvent de cette supercherie pour voler des produits dans les boutiques ou attraper le porte-monnaie de certains passants. Aujourd'hui, elle se fait un plaisir d'alimenter les rumeurs à son sujet.

-Yep, je suis née comme ça, ment A-Qing. J'ai l'habitude, donc je me débrouille bien. Ce bloc-appartements est ma maison. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à venir me trouver.

-C'est gentil. Merci beaucoup.

Grâce à l'aide d'A-Qing, Xiao XingChen parvient à trouver l'appartement qui lui est dédié. Rencontrer un autre non voyant, aussi jeune soit-elle, lui donne un étrange sentiment de soulagement. Il la connait à peine, mais déjà, il se sent moins seul.

***

Le soir, Xiao XingChen quitte le confort de son nouveau logis pour explorer les environs. Il est conscient du danger de se promener seul dans son état, mais il a grandement besoin de prendre l'air. Le garçon n'ira pas loin et marcher l'aidera à développer ses autres sens. Il doit apprendre à se débrouiller sans aide puisque Song Lan étudiera pendant trois longues années.

Sa canne blanche en main, il tapote le sol en avançant à l'aveuglette. La nuit doit être magnifique compte tenu le vent tiède. Avant la perte de ses yeux, le garçon adorait regarder le ciel étoilé et admirer les constellations. Parfois, les soirs d'été, il pouvait s'assoir sur son balcon avec un plaid, puis y rester jusqu'au petit matin. Les discussions romantiques qu'il a eues avec Song Lan sous la beauté nocturne sont les plus sincères, les plus profondes. Ces moments de pure tendresse manquent à Xiao XingChen qui ressent une douloureuse nostalgie.

Alors qu'il s'éloigne des passants pour essayer de retrouver son bloc-appartements, Xiao XingChen s'enfonce dans une ruelle. Le silence est inquiétant, mais l'aveugle est convaincu qu'il s'agit du bon chemin. Seul le « clap, clap » de sa canne contre le sol en asphalte brise le lourd silence.

-Hum...

Xiao XingChen cesse brusquement d'avancer lorsqu'il entend gémir. La voix est rauque, remplie de douleur. Est-ce que quelqu'un est blessé? Son cœur accélère alors que la chair de poule gagne l'entièreté de son corps. Dans la plus effrayante des obscurités, le jeune homme tourne la tête avec inquiétude.

-Y'a-t-il quelqu'un? s'enquiert-il.

Aucune réponse.

Le non-voyant déglutit, mais comme il a bon cœur, il avance en direction du gémissement précédent. Si quelqu'un est en danger, il n'a pas le droit de l'abandonner sous prétexte qu'il ne peut pas le voir. Sa canne tâtonne le sol et lorsqu'elle rencontre un corps moue, Xiao XingChen se raidit. Quelqu'un est allongé sur le sol. Le garçon s'accroupit pour tendre la main et ainsi toucher l'humain blessé. Ses doigts rencontrent effectivement une tête, puis des cheveux crépus et humides. Sous son touché, l'étranger gémit à nouveau de douleur.

-J-Je vais appeler une ambulance, d'accord? Ils vont vous aider, soyez sans crainte.

En tremblant, Xiao XingChen sort le téléphone de sa poche. Cependant, avant qu'il puisse composer le 9-1-1, de longs doigts glacés s'enroulent autour de son poignet. L'étranger s'est redressé, le fixant de ses yeux injectés de sang.

-Pas l'ambulance...

Sa voix est rauque, impossible à reconnaitre.

-Mais, monsieur, vous êtes blessés, réplique doucement Xiao XingChen. Si vous n'allez pas à l'hôpital, alors ça peut être dangereux. N'ayez pas peur, les médecins sont là pour vous aider, pas le contraire.

-Pas l'ambulance... Ce n'est rien de grave.

Xiao XingChen pince les lèvres, incapable de répliquer. Au fond, de quoi se mêle-t-il? Il n'a aucune idée de la gravité des blessures de cet inconnu. Si ça se trouve, ce n'est vraiment rien.

-Dans ce cas, venez au moins chez moi que je puisse bander vos blessures, propose Xiao XingChen. Vous laissez dans cette rue n'est certainement pas la meilleure des idées. Vous êtes d'accord?

L'étranger hésite longuement avant d'accepter de le suivre. Lorsqu'il se lève, sa jambe l'élance et il doit se retenir contre le mur en briques afin de ne pas tomber. Réalisant que la victime souffre, Xiao XingChen passe un bras dans son dos pour l'aider à avancer. Il croit encore que l'hôpital est la meilleure option pour cet homme, mais il n'est pas en position de convaincre qui que ce soit. Au moins, s'il peut l'aider un peu, c'est tout ce qui compte. Ainsi, il se sentira moins inutile qu'il l'est depuis plusieurs mois.

C'est de cette façon qu'il ramène sans le savoir Xue Yang chez lui.

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Je ne sais pas si vous connaissez Word Of Honor, mais j'ADORE cette scène. Ye Bai est beaucoup trop drôle. XD