~4~ Douloureuse séparation
L'appartement miteux qui autrefois était chaleureux est désormais froid.
La décoration démodée parait encore plus laide, tout comme l'espace semble avoir rétréci. Il n'y a plus de rires, plus de joie, uniquement un malaise empreint de souffrances. Les souvenirs douloureux sont parfois plus difficiles à effacer que les instants de bonheur. Ils traumatisent, ils laissent de profondes cicatrices sur le cœur.
Bien que plusieurs semaines se soient écoulées depuis l'intrusion de Xue Yang chez eux, Xiao XingChen et Song Lan sont incapables de reprendre une vie normale. Tout les empêche de tourner la page. Que ce soit le bandeau blanc qui couvre maintenant les yeux en amande de XingChen ou l'abandon de son rêve suite à son rejet de l'université Lan, la vie semble jouer contre lui. Cette dernière n'est qu'un château de cartes sur lequel le vent a soufflé, répandant son dur labeur sur le sol en quelques secondes.
Sa vue, ses études, son avenir... Tout ce que le garçon croyait d'acquis s'est avéré éphémère. On le lui a arraché comme un chasseur arrache la vie à une innocente bête en forêt. À la manière d'un cerf, XingChen s'est retrouvé attaqué sur son propre territoire. Il croyait passer une journée normale, mais il avait tort. Il a été traqué jusqu'à sa tanière, là où il croyait être en sécurité.
Devant la porte d'entrée, Song Lan regarde avec douleur son petit ami, une lourde valise à la main. Rejoindre l'université Lan était leur rêve commun, donc y aller sans son âme sœur lui laisse un gout amer. Il ne peut pas ressentir la joie qu'il devrait. Il est incapable de vivre l'instant présent tout en abandonnant derrière lui un aveugle.
-XingChen, souffle Song Lan. Tu sais, si tu me le demandes, je n'irai pas. La manière dont ils t'ont refusé... Je ne sais pas si j'en suis capable. C'est notre rêve. Sans toi, ça n'a aucun sens.
XingChen sourit avec tristesse. Bien qu'il soit incapable de voir le visage de son aimé, le ton de sa voix lui fend le cœur. Il donnerait tout pour à nouveau pouvoir admirer les belles billes noires qui lui servent d'yeux. Malheureusement, tout ce qui couvre sa vue est un rideau de ténèbres.
Ses bras minces s'enroulent autour du cou de Song Lan afin de le serrer de toutes ses forces. Ce dernier est étonné, mais il répond au geste de la même manière. Il aimerait le garder ainsi éternellement, ne jamais le quitter.
-C'est justement parce que c'est notre rêve que tu ne dois pas abandonner, affirme XingChen. Je vais aussi trouver un moyen de le réaliser de mon côté. Ce ne sera pas le même chemin, mais le moment venu, je serai prêt à ouvrir notre maison d'édition. Je ne peux peut-être plus voir, mais je vais trouver une solution. Je te le promets.
-XingChen... Les règles de l'université Lan sont strictes. On ne pourra presque jamais se voir. En es-tu conscient? Tu es aveugle et je t'abandonne. Qu'est-ce que tu vas faire? Et si ce fou revient ?!
-Ce sera seulement une petite épreuve pour notre couple. J'ai déjà engagé quelqu'un pour m'aider à déménager à Québec la semaine prochaine. Ça devrait aller. Cesse de t'inquiéter et fonce! Si tu t'empêches d'être heureux parce que tu penses à moi, c'est moi qui serai en colère!
Song Lan pince les lèvres, mais il ne cherche pas à répliquer. Peu importe ses arguments, jamais XingChen ne lui permettra de tout laisser tomber pour lui. Ce garçon est fort, unique et surtout doté d'un cœur immense. Il a peur de le laisser seul, mais en a-t-il le choix?
Xiao XingChen a perdu ses parents dans un accident de voiture alors qu'il n'était qu'un bébé. Même s'il essaie de toutes ses forces de s'en souvenir, il est incapable d'imaginer le visage des gens lui ayant donné la vie. Les photos qu'il a pu voir au fil du temps ne sont que le reflet d'étrangers et pourtant, il les aimera éternellement. L'orphelin ne peut s'empêcher de se demander comment ce couple était. Seraient-ils fiers de voir leur fils actuel?
Après deux années passées dans un orphelinat, une femme l'a accueilli chez elle. Ce n'était pas le premier enfant qu'elle élevait, affirmant aimer donner une famille aux jeunes en quête d'amour. Bien qu'il n'ait jamais réussi à la considérer comme sa mère, Baoshan Sanren l'a éduqué et lui a appris tout ce qu'il sait. Malheureusement, lorsque Xiao XingChen a pris la décision de quitter sa maison à l'âge de 18 ans pour s'installer avec son petit ami, cette dernière lui a fait comprendre de ne jamais remettre les pieds chez elle. À ses yeux, les oisillons ne doivent pas se fier à leur passé pour avancer. Cela fait partie de son éducation et il accepte cela, bien que soit douloureux.
Xiao XingChen sera donc seul sans Song Lan, livré à lui-même et sans ses yeux pour l'aider.
-Je te promets de t'appeler fréquemment, affirme Song Lan. Dès que j'aurai le droit de sortir, je foncerai te voir. Si besoin, tu me le dis.
-Promis. Allez, fonce avant qu'il soit trop tard. Je t'aime.
Song Lan attire son petit ami contre lui et il plaque avec amour ses lèvres contre les siennes. Son cœur fait mal, mais il doit rester fort pour celui qu'il aime. Il doit vivre leur rêve. XingChen répond à l'étreinte un moment avant de le laisser disparaitre à l'intérieur. Il regarde le véhicule s'éloigner jusqu'à être hors de vue...
***
La rentrée n'est que demain, mais Song Lan s'est fait envoyer une étrange invitation il y a quelques jours. Écrite par un certain Wei WuXian, ce dernier affirme que tous les étudiants se réunissent aujourd'hui chez un dénommé Nie Huaisang et que tous les nouveaux doivent impérativement y être présent.
Song Lan n'est pas un garçon social. L'idée même de sortir chez des inconnus crée en lui un profond malaise et cause de désagréables serrements dans son ventre. Il n'a rien réussi à avaler de la journée, pire encore, il s'imagine devoir sourire. Il n'a aucune idée de se forcer, mais il se fait tordre la main. Et s'il n'y va pas, sera-t-il condamné à la solitude le restant de ses études? Sera-t-il la risée? Le garçon aurait tout donné pour passer sa dernière soirée dans les bras de son amoureux, mais ce dernier l'a convaincu d'y aller.
Québec n'est pas une ville que le nouvel étudiant connait très bien. Habitué de vivre à plus d'une heure de route de cet endroit trop peuplé, il doit suivre les indications de son GPS afin de ne pas se perdre. Song Lan déteste le trafic. Que ce soit le pont Pierre-Laporte bondé sur l'heure de pointe ou le simple fait de devoir changer de voie pour prendre la bonne sortie, tout le répugne. Heureusement, il n'aura pas souvent à sortir de son école hormis pour visiter Xiao XingChen. L'appartement qu'ils ont choisi n'est qu'à dix minutes de l'université.
Les hauts édifices font changement des maisons distancées qu'il y a en campagne. Québec n'est pas la plus grande ville qui soit, cependant, elle est suffisamment imposante pour le dépayser. Dès que la voiture s'enfonce dans le vieux Québec, les bâtisses deviennent plus belles, très rustiques. Le château Frontenac près duquel il faut passer brille par sa présence, majestueux avec ses hauts murs de briques et son toit vert. Song Lan se souvient l'avoir visité avec l'école dans sa jeunesse lors d'une sortie historique, mais ses souvenirs sont flous.
Le garçon continue de suivre les indications du GPS jusqu'à un quartier où les maisons sont plus imposantes et dispendieuses. Il est tard lorsqu'il trouve l'adresse indiquée. Des voitures sont stationnées le long de la rue sur les deux côtés. Il y aura beaucoup de gens, ce qui ne rassure en rien Song Lan.
Après être sortie de son véhicule et avoir bien verrouillé ses portières, le garçon marche vers l'immense maison où se déroule la réunion. Les murs en pierres grises, les toits en pignons et les nombreuses fenêtres sont la preuve qu'ils ne viennent pas du même milieu social. Le propriétaire de cette bâtisse serait probablement choqué face à un appartement aussi miteux que celle où il vivait avec XingChen.
Song Lan appuie sur la sonnette, un poids désagréable sur le cœur. Il n'est pas encore rentré et déjà, la musique forte qui provient de l'intérieur lui déplait. Il déteste les foules, déteste la saleté. Dans ce genre de soirée, les gens sont collés comme des sardines et ils se moquent de l'hygiène.
La porte s'ouvre, laissant apparaitre un jeune homme de grande taille qui tient une canette d'alcool dans ses mains. Malgré ses cheveux en bataille, son visage élégant et le sourire jovial qui couvre ses lèvres font de lui quelqu'un d'attirant. Ses palettes un peu plus longues lui confèrent un grand charme.
-Hey! s'exclame l'étranger. Je suis Wei WuXian, bienvenue à cette fête! Tu es...?
-Song Lan.
-Oh, un nouveau. Je vois. Rentre et fais comme chez toi. Viens, viens, ne sois pas timide. Tu vas voir, tous les élèves sont sympas- du moins, la majeure partie-. C'est sûr, il y a des cons partout, mais ça, il ne faut pas s'en faire. Tu n'as pas eu trop de mal à trouver la maison? En même temps, vu sa taille, elle est dure à manquer... WEN NING, VIENS CHERCHER LE MANTEAU DU NOUVEAU!
Sous l'invitation, Song Lan pénètre dans la maison, la tête basse. Il y a beaucoup de gens, créant un brouhaha désagréable pour les oreilles. Qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour être encore dans les bras de son âme sœur, loin de cette foule de singes? Le hall est immense pour une entrée, presque aussi grand que la salle de bain de son appartement. Le nouveau ne vient pas du même monde que ces gens.
À travers le troupeau de jeunes adultes, un garçon arrive en courant, accrochant des fêtards au passage. Il s'excuse inlassablement avant de s'arrêter devant Wei WuXian, le dos bien droit et le menton relevé. Ses longs cheveux sombres pendent de chaque côté de son visage rond et enfantin.
-Ça, c'est Wen Ning, explique Wei WuXian. Il est à sa deuxième année. Wen Ning, tu peux t'occuper de son manteau?
Wen Ning acquiesce d'un geste de tête et il tend les mains pour recevoir le manteau de Song Lan. Ce dernier n'est pas à l'aise avec l'idée que ses affaires soient touchées par un étranger, mais il s'y résout par politesse. Il ne veut pas être associé à l'image du garçon froid dès sa première visite.
-Au fait, Song Lan... C'est bien ton nom? J'espère que tu es prêt, car nous n'attendions plus que toi pour débuter l'initiation.
Song Lan fronce soudainement les sourcils. Il vient tout juste d'arriver et déjà, il a l'impression d'avoir mis les pieds dans un guêpier. Initiation? Cette tradition est interdite à l'université Lan. C'est écrit noir sur blanc.
-Je crois qu'on s'est mal compris, déclare Song Lan. Les initiations, ça ne m'intéresse pas.
-Trop tard? Ici, je fais les règles.
Avant qu'il puisse envisager de fuir, deux paires de bras musclés s'enroulent autour des siens afin de le tenir en place et un foulard est placé devant ses yeux, le plongeant dans le noir. Des inconnus osent le toucher.
******
Pour ceux qui ne connaissent pas le Québec, voici le château Frontenac:
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top