~21~ Discussion à coeur ouvert
Mo Xuanyu aide Nie Huaisang à s'enrouler dans un imposant drap douillet après lui avoir prêté un coton ouaté épais à enfiler. À cause du froid qu'il a ressenti à l'extérieur, le garçon qui a été victime d'un coup monté est incapable de cesser de grelotter. Tout son corps est engourdi par la température, laissant présager qu'un bon rhume l'attend à son retour en classe. Son nez rougi rappelle celui du renne favori du Père-Noël.
Voyant que son cocon bon marché ne suffit pas, Mo Xuanyu trouve une écharpe qu'il enroule maladroitement autour de la tête de son ami. Nie Huaisang à l'air idiot, mais au moins, son corps commence à réchauffer.
-N'empêche, il faut admettre que tu as été idiot, remarque Mo Xuanyu. Dans quelles circonstances une fille te demande de te dévêtir avant elle ? Tu n'as jamais regardé de teen movie ou quoi ? C'était un piège pour idiot et toi, tu t'es jeté dedans à pieds joints. Ils auraient pu jeter une grenade sur laquelle est écrite « ramassez-moi » et toi, tu l'aurais pris sans te questionner.
-C'est bon, j'ai compris que j'ai été naïf ! grogne Nie Huaisang. Pas la peine d'en rajouter...
-Si tu t'en rends compte, c'est un bon début. Les gens stupides conscients de l'être sont moins stupides que les gens stupides qui ignorent l'être.
Nie Huaisang marmonne en écoutant les critiques, remontant l'écharpe devant ses yeux afin de se cacher. Il a tellement honte que ça ne sert à rien de jeter de l'huile sur le feu. Son orgueil vient d'en prendre un coup, tout comme sa dignité qui s'est envolée Dieu-sait-où. Il va mettre du temps à la retrouver.
Mo Xuanyu comprend qu'il doit cesser ses moqueries. Bien qu'il aime taquiner Nie Huaisang, pousser le bouchon trop loin risque de lui porter préjudice. En l'observant, le garçon s'allonge sur le sac de couchage qui lui appartient, les bras sous son menton afin de le retenir. Il aurait honte d'avouer qu'il est heureux d'être son actuel bienfaiteur. Heureusement qu'il l'a trouvé dehors avant quelqu'un d'autre.
-Dit, souffle-t-il. Je sais que ça n'a aucun rapport avec tout ça, mais pourquoi tu as décidé de venir à l'université ? Je veux dire... Je comprends que ta famille soit influente dans le comité d'admission et qu'ils ont tous passé par là, mais toi, tu n'as pas l'air de particulièrement aimer ton cours. Je me trompe ?
La victime sort à nouveau sa tête de son nid pour observer son partenaire de projet qui le fixe de ses grands yeux maquillés, étonné par cette soudaine question.
-Que j'aime ça ou pas, ça n'a pas d'importance, avoue-t-il. Mon frère veut que je le rejoigne à la gestion de l'entreprise familiale. Depuis que je suis né, mon chemin est tracé et il n'y a pas de détour possible. C'est ça, la famille Nie. Après la remise des diplômes, je vais me retrouver dans un bureau et je vais gérer de l'argent.
-C'est triste comme vie. Tu veux vraiment passer le restant de tes jours à suivre la voie que quelqu'un d'autre a tracé pour toi, même si tu n'es pas heureux là-dedans ?
-Si je refusais, mon frère me casserait les deux jambes. Je serais la risée de la famille. Ils comptent sur moi, tu comprends ? Déjà que mes piètres résultats dans certaines matières les ont fait grimacer, je n'imagine pas si je choisissais un autre métier. Ont me le répète souvent... ma famille m'a tout donné, donc aujourd'hui, je dois leur rendre la pareille.
-C'est du gaspillage... Tu sais Huaisang, je trouve que tu es très doué en dessin. Ne va pas t'enfler la tête, mais tu aurais vraiment eu un bel avenir là-dedans. Tu aimes vraiment ça, non ? Quand tu faisais la page couverture de notre application de rencontre, tu avais des étoiles dans les yeux.
Le froid a entièrement fui le corps de Nie Huaisang qui est désormais bien dans cette tente étroite. Il sert le drap autour de ses épaules, songeur. C'est la première fois qu'on lui fait ouvertement cette remarque dont il est pourtant conscient depuis l'enfance. Il connait à peine Mo Xuanyu, donc pourquoi ce garçon est-il le premier à lui jeter la vérité au visage ? Il n'a aucune envie d'une vie de businessman.
-Quand j'étais petit, je dessinais tout le temps, commence-t-il. Un jour, j'ai dit à mon grand frère que je voulais devenir un artiste. Je voulais aller dans une école d'art et je voulais être le prochain Léonard de Vinci. Il n'a rien dit, mais le lendemain, il m'a apporté toutes les statistiques défavorables liées à ce métier. Il m'a fait comprendre que les artistes n'ont aucun avenir, que c'est péter des nuages et que ma seule voie possible, c'est l'entreprise familiale. J'ai rangé mes pinceaux et j'ai arrêté.
-Le bonheur s'offre aux audacieux. Tu sais, pour les amateurs d'art, il y a des métiers concrets dans lesquels tu peux pratiquer ta passion. Illustrateur, faire du désign, maquilleur... Les possibilités sont infinies. Je crois que tu pourrais être doué et heureux. Mais bon. C'est toi qui vois.
Nie Huaisang joue avec ses doigts en écoutant l'avis du rat informatique. Même Wei WuXian qui est pourtant son meilleur ami n'a jamais cherché à extraire la vérité enfouie dans son cœur. Ils font toujours des bêtises ensemble, discutant pour se chamailler, mais jamais ils n'ont parlé avec tant de profondeur. C'est nouveau pour lui, mais agréable. Il n'avait pas réalisé qu'il avait besoin d'extraire ses craintes au sujet de son avenir.
Après un moment à parler du chemin qu'il devra emprunter, Nie Huaisang change le sujet dans le but de le retourner vers son camarade. Il y a une question qu'il se pose depuis très longtemps et il sent que c'est le moment de la poser :
-Dis ? Pourquoi tu te maquilles ?
Mo Xuanyu penche curieusement la tête. Il ne s'attendait pas à ça.
-Pourquoi ne me maquillerais-je pas ?
-Ce n'est pas ce que je veux dire... Tu sais, un gars qui se maquille, c'est moins commun. Pourquoi tu as décidé de faire ça ? Est-ce que c'est parce que tu comptes un jour devenir une fille ou un truc du genre ? Je promets de ne pas juger si c'est le cas. Au contraire, je t'encouragerais.
-Non. Je suis bien en mec... Si je me maquille, c'est parce que je trouve ça joli. Depuis que je suis petit, j'aime les trucs que les gens considèrent réservés aux filles. Je jouais aux Barbies, j'aimais les princesses, le maquillage et même les hommes. Qui a décidé que c'est pour les filles ? J'aimais pourtant aussi jouer à quelques trucs de « gars ». Je n'ai juste jamais rien associé à un sexe précis. J'aime ce que j'aime, point final. Tu n'es pas le premier qui me demande si je voudrais devenir une fille et franchement, ça m'énerve.
-Ah bon ? Pourquoi ça ? Je suis désolé si ça t'a énervé... Je ne voulais pas.
-T'inquiète. En fait, je vais dire quelque chose qui pourrait en choquer plus d'un, mais c'est la vision de ma propre vie, donc ce que je pense ne regarde personne. Je considère qu'une personne peut aimer ce qu'elle désire sans se soucier du genre auquel c'est associé. En faisant ça, en quoi ça dérange d'être né gars ou fille ? Le genre, c'est juste une façon de dire ce qu'on a entre les jambes et quelles hormones sécrète notre corps. Ça ne devrait pas être un débat ou une raison de conflit. Si tout le monde pensait ainsi, en quoi le sexe de quelqu'un deviendrait-il un problème ? Je suis un humain avec un pénis, donc je suis un garçon. J'aime le maquillage et d'autres trucs que préfère habituellement la gent féminine, mais ça ne change rien, car être un garçon signifie juste que je suis né avec un truc entre les jambes, que je suis plus carré et que mon corps détient des hormones uniques à ce genre. C'est un mot biologique sans lien avec les préférences. Bien sûr, je respecte quand même les trans ! Ne va pas croire le contraire !
Nie Huaisang s'allonge pour écouter, surpris d'entendre un tel raisonnement. Il n'aurait jamais cru que Mo Xuanyu ne pense pas comme la majorité de la population et qu'il ne s'en cache pas. Avoir une opinion qui ne rentre pas dans le moule, ce n'est pas simple à assumer habituellement. Ça doit être encore plus difficile pour lui de se faire accepter.
-C'est logique ce que tu dis, déclare Nie Huaisang.
-Bien sûr que c'est logique. Je suis un putain de génie et l'avis des autres me passe des pieds par-dessus la tête. Je ne change pas mon mode de pensée pour plaire.
Nie Huaisang rit, pas du tout surpris par la détermination de Mo Xuanyu à se moquer des autres. Parfois, il aimerait être aussi confiant que lui et suivre ses envies sans penser au reste. S'il le faisait, il serait peut-être un artiste.
La fermeture éclair de la tente se fait glisser et Jin Zuxuan passe sa tête par l'embrasure, prêt à se coucher. En voyant le duo allongé l'un près de l'autre, il cesse son intrusion.
-Oh, pardon de vous déranger dans un moment intime. Je repasse plus tard ?
-Un moment intime ? répète Nie Huaisang avec embarras. Non, non, il y a erreur ! On ne faisait que discuter ! Xuanyu et moi, nous sommes de bons amis, c'est tout. Il n'y aura jamais rien de plus.
-Ah ?
Mo Xuanyu pince les lèvres, blessé par le commentaire. Soudainement agacé, il pousse son partenaire de travail vers la sortie. Ses yeux voient rouge.
-Rentre à ta tente, j'en ai assez de toi. Rends-moi mon drap et dégage. Je ne veux plus te voir.
-Hein ? Mais... tu oublies que je n'ai rien en dessous !
-Tu as mon coton ouaté, c'est suffisant. Allez, dégage ! Ne teste pas ma patience.
-C'est bon, j'ai compris ! Franchement, tu as un horrible caractère... Je n'ai jamais vu quelqu'un comme ça.
Nie Huaisang soupire avant de quitter son cocon douillet. Simplement vêtu d'un coton ouaté, il quitte la tente en se cachant l'entre-jambes et il court jusqu'à celle qui lui ait réservée en essayant d'éviter les gens. Au moins, la majorité des élèves sont couchés. Mo Xuanyu fixe la sortie sans bouger, les yeux vitreux. Il ne peut pas avouer que les mots que le garçon a prononcés l'ont blessé. Jamais rien de plus... Il pose une main sur son cœur douloureux.
-Franchement, cesse de lui courir après, soupire Jin Zixuan. Tu mérites mieux que ça.
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