~15~ Le traumatisme de Xue Yang

Depuis que Xue Yang vit chez Xiao XingChen, l'aveugle ne regrette aucunement son choix.

Son colocataire est d'une grande aide dans toutes les tâches ménagères. N'ayant pas peur de travailler, il s'occupe de la vaisselle, de l'époussetage et de tout ce que son nouvel ami ne parvient pas à accomplir de lui-même. Le non-voyant n'aime pas se sentir dépendant de quelqu'un, mais il ne peut nier que seul, son appartement deviendrait un champ de ruines. Même cuisiner est ardu. Plus d'une fois, il a oublié un rond de poêle ouvert et il s'est brûlé. Xue Yang doit le garder à l'œil.

-Je suis désolé que tu doives faire l'épicerie avec moi, s'excuse Xiao XingChen. Depuis qu'on vit ensemble, tu dois faire beaucoup de choses...

-Ce n'est rien. Au moins, comme ça, je vais éviter que t'arrives avec des trucs avariés comme la dernière fois.

-J'avais pourtant demandé l'aide d'un commis. Je ne comprends pas pourquoi il m'a induit en erreur.

-Tu sais, pour vendre leurs cochonneries, les gens seraient parfois prêts à tout. Tout le monde n'est pas blanc comme neige.

Xiao XingChen ignore que l'homme qui partage son quotidien est le même qui a détruit sa vie quelques mois plus tôt. Il sait que son colocataire s'appelle Yang, mais jamais il ne ferait le lien entre ce gentil garçon et le psychopathe qui l'a agressé. Xue Yang agit avec lui comme un vieil ami, drôle et sympathique. Leur caractère s'agence si bien qu'une grande amitié s'est déjà installée entre eux, forçant l'aveugle à baisser sa garde.

De son côté, Xue Yang se languit du rôle qu'il a décroché auprès de son ennemi. Ce garçon qui l'a autrefois dénoncé à la police est désormais sous sa botte, à sa merci. Il jubile en pensant à la réaction qu'aurait l'aveugle s'il apprenait la vérité à son sujet. Se sentirait-il trahi, démoli? La vie du malfrat est devenue un enfer par sa faute. Encore aujourd'hui, il est un fugitif forcé de vivre comme un rat. Xiao XingChen n'a aucun droit de lui en vouloir pour l'agression. C'est LUI la vraie victime de cette histoire. Pour ça, il ne compte jamais le laisser tranquille.

Une fois leurs courses terminées, le duo retourne à l'appartement, les bras chargés de bonnes choses. Comme ils ne possèdent pas de voiture, la route est un peu longue, mais Xue Yang refuse de faire appel aux services d'un transport en commun. Les taxis et les autobus sont les meilleurs moyens pour être reconnu et envoyer derrière les barreaux.

-Dis, tu as repensé à ce dont je t'ai parlé? s'enquiert Xue Yang. Tu acceptes mon offre?

-Ça n'a pas été difficile d'y penser! Si mon temps libre peut servir, ça me fera plaisir de m'occuper des plantes de cette défunte dame. Tu dis qu'elles comptaient beaucoup pour elle, n'est-ce pas? Comment pourrais-je refuser?

-Elle te serait reconnaissante si elle était encore de ce monde.

Si Xiao XingChen pouvait encore voir, il apercevrait le sourire mauvais et empreint de mensonges qui domine les lèvres de son nouvel ami. Xue Yang lui ment comme il respire, l'utilisant pour ses propres bénéfices. Ce dernier lui a raconté être préposé dans une maison pour retraités au cœur de Québec, et que récemment, une gentille femme s'est éteinte en laissant derrière elle ses précieuses plantes. Comme il a bon cœur, le faux employé aurait ramassé ce trésor pour en prendre soin en l'honneur de la défunte.

Puisque Xue Yang sort souvent pour le travail, il a demandé à son colocataire d'avoir l'amabilité de s'occuper de ses plantes. Même un aveugle est capable d'arroser des plantations. Le cœur en or de Xiao XingChen l'a fait rapidement accepter cette mission digne d'un saint. Ce qu'il ignore cependant, c'est que tout n'est qu'un ramassis de sornettes et qu'il va illégalement prendre soin de la marchandise que vend Xue Yang pour se faire un peu d'argent.

L'aveugle a toujours été contre la drogue. Même au secondaire, il n'a jamais été tenté de gouter à l'un de ces produits malgré toutes les occasions rencontrées dans les fêtes. Il ne juge pas ceux qui aiment planer, mais à ses yeux, perdre la tête au bénéfice d'un produit nocif servant à lui procurer quelques instants de bonheur factrice ne l'a jamais attiré. Il préfère trouver gout à la vie dans les petites choses, comme dans une étreinte de son bien-aimé ou dans une bonne tasse de café.

Les gens incapables de trouver le bonheur dans leur quotidien rendent Xiao XingChen triste, car pour lui, tout le monde est capable de l'atteindre malgré les épreuves. Avec un peu de volonté, il est possible de voir la beauté du monde et d'en profiter. Lorsque tout va mal, que la vie semble se lier contre toi, de petites choses sont toujours là pour rappeler que le jour vient après la nuit. Certaines personnes semblent malheureusement se plaire dans la noirceur, refusant d'attraper l'interrupteur malgré toutes les rallonges à leur disposition. Ces gens croient que seuls l'argent, le sexe ou la drogue peuvent les sortir de leur morne quotidien, mais ils se trompent. La vie, c'est plus que ça.

Quand le garçon a perdu l'usage de ses yeux, il a cru que le bonheur s'était enfui et que jamais il ne pourrait le rattraper. Cependant, avec le temps, il réalise qu'il est encore possible de sourire malgré tout. Que ce soit quand il peut parler au téléphone avec son amoureux, lorsqu'il rit avec Xue Yang ou lorsqu'il se fait aborder par des passants pour discuter, ces petites choses sont sa source de chaleur, sa raison d'être. Être aveugle l'a peut-être privé de sa vue, mais ça l'a rapproché d'autres choses auxquels il ne portait pas attention au préalable.

Le duo arrive à leur appartement miteux après une longue marche. Ils sont maintenant habitués de trimbaler des sacs lourds sur plusieurs kilomètres, ne réalisant presque plus l'effort qu'ils doivent accomplir. Après avoir rangé les vivres à leur place, Xue Yang s'installe à la table en souriant, les jambes repliées en tailleurs. Devant lui se trouve un tas de livres et des tablettes en bois couvertes de points relevés.

-C'est l'heure de pratiquer ton braille, affirme joyeusement Xue Yang. On reprend où l'on s'est arrêté hier?

-Déjà? Laisse-moi un peu le temps d'arriver...

-J'ai dit à ta prof que t'allais étudier tous les jours. Désirs-tu me faire passer pour un menteur?

Xiao XingChen fait une moue triste en approchant de la table où il s'installe. S'il ne disposait pas d'un bandeau blanc devant ses yeux, il ressemblerait au Chat Potté. Cependant, ce n'est pas suffisant pour affecter Xue Yang qui prend étonnement de plaisir à étudier cette écriture. Au début, c'est à contrecœur qu'il a accepté d'aider le garçon à se pratiquer, mais il est finalement devenu le plus motivé. Une femme vient donner des cours privés à l'aveugle une fois par semaine afin de l'aider à s'adapter à son handicap.

-Si tu veux réaliser ton rêve de devenir éditeur, tu n'auras pas le choix d'apprendre à lire, ajoute Xue Yang. Tu vas devenir un pro aveugle.

-Les jolies lettres, c'est tellement mieux que tous ces points... Comment ça se fait que tu aies plus de facilité que moi à apprendre ça? J'ai l'impression que tout est pareil.

-C'est plus simple parce que je vois la forme, contrairement à toi. Allez, concentration! Si tu es gentil, je prépare des ramens ce soir.

-C'est censé être une récompense?

-Mes ramens sont un délice divin. Sens-toi honoré de les manger, faible mortel!

Le garçon avec un déficit de la vue sourit, amusé par leur discussion. En compagnie de Xue Yang, il n'est jamais seul. Leur équipe est fusionnelle et ils s'entendent à merveille. Il est impatient de présenter son nouvel ami à Song Lan. Chaque fois que son amoureux appelle, son colocataire est au travail ou est occupé à autre chose. Un jour viendra pourtant où ils auront l'occasion de faire connaissance.

Avec l'aide du voyou, Xiao XingChen s'entraine à déchiffrer les lettres. Les points sous ses doigts sont difficiles à lire. Il doit parvenir à se concentrer sur son toucher, ce qui n'est pas aisé pour quelqu'un qui s'est longtemps fié à ses yeux. C'est dans ces moments qu'il comprend la décision de l'université de l'avoir refusé. Comment quelqu'un comme lui aurait-il pu suivre en classe sans maitriser les bases liées à son handicap?

-Tu mélanges encore D et F, remarque Xue Yang. Regarde, le point de D est à gauche, tandis que F est à droite... n'oublie pas de tout toucher pour ne rien oublier.

En parlant, Xue Yang glisse sa main sur celle de son colocataire afin de l'aider à toucher les bons points. Tandis que le contact gêne d'abord Xiao XingChen qui n'en a pas l'habitude, une drôle de sensation sur le dessus de sa main attire son attention. Du bout de ses doigts libres, il va curieusement toucher cette prothèse qui couvre l'auriculaire de son ami.

-Qu'est-ce que tu fais? s'étonne Xue Yang en retirant précipitamment sa main.

-Hum... C'est une prothèse? Pardon pour ma curiosité. Je ne voulais pas déranger. Tu n'es pas obligé de me répondre si ça te pose problème.

Xue Yang baisse les yeux vers la prothèse noire qui couvre son doigt depuis l'enfance. Il pince les lèvres, hésitant. En temps normal, les questions le révulsent. Il déteste s'expliquer aux gens, principalement lorsque ces derniers ne sont que de vulgaires insectes à ses yeux. En ce moment cependant, il n'a pas envie de mentir. Pas envie de fuir.

-Je l'ai perdu quand j'étais petit, avoue-t-il. J'ai grandi à Montréal, dans un quartier pauvre de la ville. Ma mère est partie quand j'étais gosse et mon père était chômeur. Tout l'argent du BS qu'il recevait passait dans l'alcool... On avait à peine de quoi manger. Bref, c'est sans importance... Il y a une chose que j'adorais par-dessous tout et c'est les sucreries. Encore aujourd'hui, je donnerais tout pour un simple bonbon. Quand j'étais gosse, un homme m'a un jour proposé un tas de sucreries si en échange je livrais un paquet. J'étais jeune et innocent. Tout ce que je voulais, c'était ces succulents desserts qu'il me proposait gratuitement. Livrer un paquet, c'est tellement simple... J'ai donc accepté et j'ai livré le paquet à un homme louche. Sauf que quand je suis revenu, l'homme a refusé de me payer. Au contraire, il était en colère puisque je n'avais pas été suffisamment discret. Il parait que je lui ai causé des ennuis. Tu vois, je tenais vraiment à ces pâtisseries, donc j'ai insisté et je l'ai suivi jusqu'à sa moto. Il s'est fâché et m'a frappé. Quand je suis tombé sur le sol, tout ce que j'ai senti, ce sont les roues de sa moto écraser toute ma main. Mon petit doigt a été broyé sur coup. J'avais huit ans.

Xiao XingChen écoute le récit de son nouvel ami d'un silence religieux. Il ne peut pas le voir, mais il ressent chacune de ses émotions. Par soutien, sa main se glisse sur la sienne qu'il serre. Comment un jeune garçon a-t-il pu subir quelque chose d'aussi cruel? Une boule de compassion se forme dans sa gorge.

-Est-ce que l'homme s'est fait arrêter? s'enquiert l'aveugle.

-Non, il n'a jamais été retrouvé. La police ne fait pas de grosses recherches pour aider un pauvre gosse. Ils sont incompétents. C'est à ce moment que j'ai cessé de croire en la justice. Il n'y a que soi-même qu'on peut régler les choses. Les policiers préfèrent arrêter la personne qui roule un peu trop vite sur l'autoroute plutôt que s'en prendre aux véritables criminels qui méritent de finir leur vie en tôle.

-Je comprends ce que tu ressens... Ça a dû être horrible, mais je crois quand même que la police est là pour nous aider dans la majorité des cas. Ils restent de simples humains qui font leur possible.

Xue Yang pince les lèvres, légèrement agacé par la dernière réflexion. Rien ne pourra lui faire changer son avis sur l'autorité. Pour venger son doigt, cet homme et toute sa famille auraient mérité de mourir. La loi du talion était bien plus juste que ce système juridique pourrit jusqu'à la moelle.

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