Chapitre 16

Si Stiles était dans un meilleur état, sans doute aurait-il rebroussé chemin et fui. Qu'importe s'il avait eu l'air d'un lâche, d'un faible, d'un humain misérable. Au point où il en était, ce genre de futilités ne comptait plus.

Derek était là, dans sa chambre. Il lui faisait face. Et ça, c'était tout ce que Stiles pouvait retenir. Il fit un pas en arrière. Un pas tremblant, fébrile. Pour lui, Derek – et tout autre membre de la meute – était un danger. Mais l'ancien alpha était le pire pour lui dans la mesure où il avait un parfait souvenir de ce qu'il lui avait fait, l'audace avec laquelle il s'était uni avec lui. Stiles se rappelait aussi avoir pleuré – à quel moment précisément, ça, il l'avait oublié. Il avait, disons... Enchaîné en une soirée les affronts le concernant et il était pratiquement certain qu'il s'agissait de choses que Derek pardonnait difficilement. Ces choses-là s'attaquaient à son intégrité physique, sa dignité.

Stiles pouvait donc tout à fait comprendre le fait qu'il soit venu ici, sans doute pour réclamer justice. Dans le monde lupin, cela se traduisait généralement par de la violence... Un écoulement de sang pouvant aller jusqu'à la mort. S'il avait toujours trouvé cette idée un peu barbare, cette fois-ci... Il l'accepta. Cela ne l'empêcha toutefois pas d'avoir peur, de ressentir avec une précision hors normes la façon dont sa terreur le paralysa. Tout d'un coup, une idée folle lui vint à l'esprit... Et elle le glaça peut-être davantage que celle de mourir. Et si Derek décidait de lui faire payer ce qu'il lui avait fait ? Et s'il décidait... De lui faire vivre ce qu'il lui avait fait subir ? A cette pensée, quelque chose de morcelé en Stiles acheva de se briser. Il avait bien remarqué qu'aucune de ses prévisions les plus récentes ne se réalisait, mais il refusait de se laisser aller sur un nuage de croyances rassurantes. Il ne voulait pas imaginer que tout pourrait bien se passer... Pour que quelque chose détruise tout par la suite. Prévoir plutôt que subir la surprise, la déception, la mort lente de sa personnalité.

Mais Derek n'esquissa pas le moindre geste agressif. Il ne lui hurla pas dessus, ne le menaça pas. Ne le plaqua pas contre le mur, ne le menaça pas de lui arracher la gorge avec ses dents.

Il fit juste un pas hésitant dans sa direction, la lèvre inférieure presque tremblante et le regard dépourvu de toute animosité.

- Stiles, l'appela-t-il simplement.

Il n'y avait rien d'assuré dans sa voix, pas même un semblant de grognement... Mais Stiles refusa de se dire qu'il s'agissait peut-être d'une bonne chose. Il va me sauter dessus, me faire payer. Et plus il se le disait, plus il trouvait cette idée crédible. Derek allait lui faire vivre l'enfer dont il était responsable. Presque aussitôt, le visage de Scott se superposa à celui de l'ancien alpha et Stiles ne put contenir la bouffée d'angoisse qui l'envahit soudainement. Alors que ses yeux accrochaient ceux de l'ancien alpha, il ne les vit plus. Les prunelles bleu-vert devinrent ébènes. La mâchoire carrée et surmontée d'une barbe de trois jours lui apparue de travers et rasée.

Stiles vit Scott à la place de Derek, face à lui. Ses jambes de plus en plus faibles le lâchèrent, si bien qu'il glissa contre le mur vers lequel il avait inconsciemment reculé, jusqu'à se retrouver assis par terre. Il savait qu'il ne se relèverait pas et ce même s'il s'avérait que ce à quoi il pensait finissait par arriver. Il trembla, ne détacha pas son regard de l'homme face à lui. La gorge serrée alors qu'il commençait à s'approcher, Stiles fut incapable de le supplier de quoi que ce soit. De lui dire de l'épargner, même s'il méritait ce qui pouvait lui arriver. De lui demander de partir, même s'il avait tous les droits de rester.

De le supplier de partir et de le laisser tranquille, même s'il avait toutes les raisons du monde de rester et de lui faire payer.

Derek s'accroupit pour se mettre à sa hauteur sans se rapprocher à outrance. Il avait laissé un bon mettre de distance entre eux deux et le regardait sans pouvoir cacher son trouble, cette confusion on ne peut plus claire qui ne dissimulait rien de ce qu'il pensait.

Il ne comprenait rien.

C'était d'autant plus vrai que de mémoire, Stiles ne l'avait jamais réellement craint. Ce n'était pas là quelque chose que Derek inventait, mais bien un élément dont il était au courant pour en avoir été témoin à de nombreuses reprises. Sa nature lupine n'avait jamais terrifié l'hyperactif, pas même fait un peu peur. Il était d'ailleurs déjà arrivé qu'elle soit une source de rigolade pour l'humain, qui s'en servait parfois pour s'amuser à lui trouver tout un tas de sobriquets tous plus ridicules les uns que les autres.

« Sourwolf » était celui que Derek détestait le moins.

- N'aie pas peur, articula-t-il d'une voix peu assurée.

Derek n'arrivait pas à se débarrasser de ce malaise qui rendait chacun de ses tons, chacun de ses mots, chacune de ses prises de parole on ne peut plus fébriles. Rien n'allait, dans sa tête... Alors comment pourrait-il rassurer Stiles dans la mesure où il n'arrivait pas à se montrer convaincant ? Comment faire en sorte que la terreur disparaisse à la fois de ses yeux et de son odeur ? Derek lui-même nageait dans le flou parce qu'il ne comprenait pas non plus ce qui s'était passé. Il savait ce qui était arrivé, mais pas comment. Il n'était pas à l'aise parce qu'il ne connaissait pas tous les éléments de cette histoire. Il se considérait, en d'autres termes, en position de faiblesse.

- Je n'ai pas l'intention de te faire le moindre mal, lui assura-t-il comme il le put.

Et il espérait fortement que Stiles n'interprèterait pas son manque d'assurance et de confiance en lui comme un mensonge. Par chance, son regard sur lui sembla changer et quelque chose dans son odeur s'atténua très légèrement.

Il avait toujours très peur, mais avait l'air de le voir, réellement. Et c'était vrai : il voyait son visage et plus celui d'un autre.

- Alors pourquoi tu es là ?

Qu'est-ce que tu fous dans ma chambre ? Comment tu es entré ? Par où ? Quand ? Les questions se bousculaient dans sa tête, mais il ne lui en posa aucune de plus que celle dont il avait péniblement réussi à prononcer les mots. C'était dur parce qu'il continuait d'avoir très peur, mais... Peut-être qu'il avait vaguement pris conscience du fait que voir son visage tel quel était légèrement plus rassurant que d'imaginer celui de Scott à sa place... Quoique Stiles ne se laissait pas endormir : il savait que Derek pouvait laisser éclater sa colère à n'importe quel moment – si au moins une once l'habitait.

Mais oui, il préférait ça à... A n'importe quelle chose que pourrait lui faire Scott. Et s'en rendre compte, même si c'était très lent, très progressif, lui faisait quelque chose.

Derek retint un soupir et réfléchit à ce qu'il pourrait dire, à la façon dont il pourrait tourner ses mots pour faire en sorte qu'ils n'effraient pas davantage l'hyperactif. Et puis finalement, il choisit la voie la plus simple. Pourquoi ne pas dire les choses telles qu'elles lui venaient ? Sa gorge lui parut atrocement sèche, mais il se lança sans plus attendre.

- Parce qu'il faut qu'on discute... Tous les deux. On en a besoin.

Toi et moi.

Parce qu'il y avait eu plus que cette orgie qui avait touché l'ensemble de la meute : il y avait eu leur union à eux, et ce quelque chose dont seul Derek semblait être au courant – la raison même de son refus d'informer Scott quant à la dernière réunion qu'ils avaient eues au loft.

Ce moment nauséabond qui n'avait fait, à ses yeux, que renforcer l'horreur qu'avait été cette soirée.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top