66- "Vivre libre ou mourir"


                                      ~ Westchester, New York, USA, 17 Novembre 1972 ~  

    Je me fige. Mes yeux s'exorbitent sous la surprise, mais ne rencontrent que le noir. J'ai l'impression que mes émotions et mouvements ont soudainement été mis sur pause. Mes sanglots s'arrêtent immédiatement à ce son tant espéré, tandis que mon cœur bat la chamade dans ma poitrine. Il le fait si fort que je l'entends comme s'il résonnait dans la pièce. Je demeure ainsi quelques secondes, me demandant si j'ai rêvé cette voix ou non. Est-ce qu'Erik peut vraiment être encore en vie, alors que son cœur s'est visiblement arrêté ? J'espère que cela puisse être réel, mais je ne peux m'empêcher d'en douter. Je reste immobile comme cela pendant un laps de temps qui me semble ne pas avoir de fin. Les images de ce qui s'est passé dans l'esprit d'Erik, ainsi que les quelques mots qu'il me semble avoir entendus, se mêlent dans ma tête. Cet amalgame soudain agite mes pensées dans tous les sens, et j'ai l'impression que ma tête va exploser.

    Je relève brusquement la tête, comme si l'électrochoc de la voix d'Erik venait enfin d'arriver jusqu'à mon cerveau. Je fixe intensément les parties du corps d'Erik que j'arrive à distinguer depuis ma position. Malheureusement je suis en contrebas par rapport à lui, et je peux seulement m'apercevoir qu'il est toujours allongé sur la table, sans pouvoir distinguer le moindre mouvement, ou si ses yeux sont ouverts ou non. L'ignorance envoie une nouvelle salve d'adrénaline dans mon corps, qui me pousse à me lever brusquement pour avoir des réponses. En faisant cela, je me sens tout de suite prise de vertiges, mais j'ignore volontairement ceux-ci car ça n'est guère ce qui m'intéresse actuellement. Je suis trop concentrée sur l'état du mutant pour me formaliser des signaux que m'envoi mon corps. J'essaie de discerner les traits du visage d'Erik, mais j'en suis toujours incapable, ce qui augmente l'inquiétude qui tenaille mon esprit depuis plusieurs minutes, ainsi que mon agitation. Je commence alors à avancer lentement, d'un pas tremblant, vers le corps qui me semble toujours désespérément inerte. La seule chose que je souhaite, c'est savoir si la voix que j'ai entendue n'est que le fruit de mon imagination qui cherche à me torturer, ou non.

    Après m'être placée aux côtés d'Erik, j'arrête immédiatement tous mes gestes, en espérant trouver un signe qui m'indique qu'il est en vie. Hank est de l'autre côté de la table, et observe, lui aussi, le corps d'Erik. Malheureusement le bruit de mon cœur est si persistant dans mes oreilles que je n'arrive même pas à savoir si celui de l'oxymètre de pouls est constant ou non. Je ne peux compter que sur ma vue pour savoir si Erik est, ou non, mort. Je dirige alors lentement mon regard vers le visage de celui-ci, craignant la sentence qui s'abattra bientôt. Je revois encore une fois ses traits saillants et squelettiques. Ceux-ci me donnent une nouvelle fois mal au cœur, et je suis peinée de le voir dans cet état. Ce n'est que lorsque son regard croise le mien, que je suis rassurée, et que j'arrive enfin à respirer normalement. Immédiatement après avoir constaté qu'il était bel et bien en vie, je sens une vague d'émotions m'envahir. Le soulagement, la joie, l'entrain, l'euphorie, l'ivresse, l'exaltation, puis la colère. Je sens une fureur exaltante qui grandit rapidement en moi, jusqu'à avoir envahi la moindre parcelle de mon être. Je ferme rageusement les poings, et serre la mâchoire.

"- Tu étais obligé d'être aussi long ?! m'exclamai-je, bouillonnant de rage. J'ai cru que tu avais renoncé ! continuai-je d'une voix plus faible et suppliante."

    Erik me fixe durant plusieurs secondes, d'abord surpris par ma remarque, comme me le montrent les plis sur son front, et l'expression de ses yeux. Puis il éclate violemment de rire. Seulement immédiatement après cette explosion d'hilarité, il se met à tousser, comme s'il était en train de s'étouffer. De plus, il pose la main sur son torse, et grimace à chaque respiration. Je suis surprise par ces changements inopinés d'attitude. Et je suis alors incapable de faire le moindre geste dans cette situation, ne sachant pas s'il va bien ou non. Je me contente donc de le fixer, incrédule, tandis qu'Hank s'approche de lui pour l'aider à se redresser en position assise. C'est en voyant Hank regarder le dos d'Erik, que je me rappelle des blessures qu'il a sur celui-ci. Il a certainement dû avoir mal lorsqu'il s'est mis à rire, et ne s'attendait surement pas à cette douleur. Je suis alors partagée entre l'inquiétude, et l'exaspération que m'inspire la situation. Après tout, Erik souffre peut-être, mais c'est uniquement parce qu'il s'est moqué. Mais la position assise qu'il a maintenant, semble apaiser ses blessures, et il se reprend rapidement. Il redevient alors sérieux, juste après avoir réussi à se calmer, et me regarde intensément.

"- Je ne pouvais pas renoncer après ce que tu m'as fait comprendre, dit-il d'une voix pâteuse.

- Qu'est-ce que je t'ai fait comprendre ? lui demandai-je immédiatement, sans savoir de quoi il parle.

- J'ai fait un choix il y a bien longtemps : vivre libre ou mourir, commence-t-il, nostalgique. J'ai choisi la première option, mais pour cela j'ai dû faire beaucoup de sacrifices. Tu m'as fait comprendre que si j'abandonnais maintenant, ceux-ci auraient été vains. Sans toi j'aurai bêtement laissé tomber. Merci."

    Je suis abasourdie par ce que vient de déclarer Erik. Il ne doit pas être habitué à remercier les autres, et je ne le suis pas à ce que ça m'arrive à moi. J'ai tellement eu peur d'avoir échoué, de ne pas avoir été assez convaincante, qu'à ces mots j'ai l'impression de respirer de nouveau. C'est comme si un poids immense venait d'être enlevé de mes épaules, pour me permettre de me sentir de nouveau moi-même. J'ai l'impression que le miracle tant espéré s'est finalement réalisé. Cela faisait des jours que je le voyais s'amoindrir petit à petit. Mais maintenant je suis heureuse, j'ai enfin retrouvé l'homme que je connaissais avant. Celui-ci me fixe avec des yeux larmoyants, qui font ressortir le bleu de ses yeux. Je peux tout à fait comprendre qu'il soit secoué par cette prise de conscience, et par les divers événements qu'il s'est remémorés. Seulement c'est en songeant à cela que toute la joie qui m'avait envahie, s'évanouit d'un seul coup. Lorsque j'étais dans l'esprit d'Erik, celui-ci m'a parlé d'Angel, et de ce qui lui été arrivé. Mais maintenant qu'il est sortis de son inertie, qu'est-ce qu'il va faire lorsqu'il apprendra ce qui est arrivé aux autres mutants ?

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