65- "Cauchemar"
~ Westchester, New York, USA, 17 Novembre 1972 ~
Je continue de fixer désespérément le corps d'Erik, en espérant qu'un miracle se produise. Malheureusement, jusque-là il n'en est rien, et je sens mon moral et mon espoir diminuer de plus en plus. Lorsque je l'ai quitté j'étais quasiment certaine qu'il reviendrait parmi nous, mais à mesure que les secondes s'égrènent, je sens mes certitudes vaciller, et disparaître. Je pensais qu'Erik tenait trop à la vie pour laisser consciemment la mort le prendre. Je me trompais. Cette constatation créée en moins un flot d'émotions, toutes plus douloureuses les unes que les autres. Je me trouve idiote d'avoir pu espérer convaincre Erik de quelque chose. Lui qui n'écoutait jamais personne, ça aurait été contre tous ses principes de le faire. Pourtant, comme il me l'a avoué, il l'a déjà fait avec Kate. Alors qu'est-ce que j'ai pu faire ce jour-là, et que je n'ai pas été capable de renouveler aujourd'hui ? Peut-être est-ce simplement parce qu'à ce moment-là il avait l'espoir de me rallier à sa cause, alors qu'aujourd'hui il sait que cette quête est vaine. Mais de toute façon, même si je pouvais changer les choses, je n'aurai pas accepté de tuer des dizaines d'humains, simplement pour épargner la vie de leur faucheur.
Cela fait maintenant si longtemps que j'attends, immobile qu'Erik daigne faire le moindre geste, que je ne compte plus les heures qui s'écoulent lentement. Même Hank est parti. Il a lui aussi comprit qu'il n'y avait plus d'utilité à sa présence ici, et qu'il vaudrait mieux qu'il aille s'occuper d'Azazel qui se trouve dans la chambre d'en face, et pour qui il y a encore un espoir de survie. Soudain une pensée me traverse l'esprit. J'aurais préféré que ce soit Azazel qui meurt, et non Erik. Je regrette aussitôt celle-ci. C'est horrible de penser cela, mais j'aurai beau tenter de me voiler la face, c'est malheureusement ce que je ressens. C'est surement parce que je connais bien plus Erik qu'Azazel, et que ce dernier a parfois été plutôt arrogant avec moi. Mais cela n'est pas une excuse. Je me sens sale d'avoir pu y songer ne serait-ce qu'un instant. La vie d'une personne ne vaudra jamais celle d'une autre. Et je me sens aussi horrible que les individus qui ont blessé les mutants qui se trouvent maintenant dans l'Institut. De plus, je ne souhaite pas qu'Azazel meure, et je m'inquiète pour lui car sa vie est aussi en danger. Mais c'est beaucoup plus présent, et persistant pour Erik. Pour ce dernier, c'est comme si une partie de moi était restée avec lui dans son esprit, perdue au milieu des innombrables cadavres.
Soudain un bip sonore déchire le silence lugubre de la salle dans laquelle je me trouve. Mon cœur s'emballe, tel un écho à celui-ci. Je me lève brusquement, affolée par ce son. Mille questions se bousculent alors dans mon esprit, quant à ce qui arrive à Erik, et à l'origine de ce changement. Hank arrive dans la pièce, complètement paniqué par le bruit, et par ce qu'il annonce. Je l'entends vaguement parler, et j'ai l'impression qu'il me demande de me déplacer pour le laisser s'occuper d'Erik. Je tente alors d'accéder à son souhait. Seulement je me rends tout de suite compte que j'en suis incapable. La panique est telle dans mon esprit, que je n'arrive plus à bouger. C'est comme si mon corps entier s'était transformé en statue de pierre. La seule chose qui me fait encore comprendre que je n'en suis pas une, est le martèlement de mon cœur dans ma poitrine. D'un coup je me sens poussée un peu brusquement. J'ai l'impression qu'Hank a perdu patience, et qu'il a lui-même libéré l'espace nécessaire. Seulement je ne quitte toutefois pas Erik des yeux, même si je suis maintenant dans le coin de la salle. J'en suis tout bonnement incapable. Je sais ce que signifient ces bips. Qu'Erik a abandonné. Je ressens immédiatement cela comme une fatalité, à laquelle je ne peux rien changer. A cette pensée mon cerveau se met à fonctionner rapidement, et mes neurones à s'agiter, pour dénicher une manière d'éviter cela. Seulement je n'en trouve pas. Je vois du coin de l'œil Hank qui tente désespérément de sauver Erik en pressant en cadence régulière sa cage thoracique, pour relancer son cœur. Mais il est trop tard.
C'est lorsque je réalise cela que mes jambes me lâchent. La douleur qui se propage dans mon corps n'est pas physique, mais psychologique. Je refuse d'accepter sa mort. Je suis maintenant au sol, la tête baissée, blessée par le manque que crée la disparition d'Erik. J'ai déjà vu nombre de personnes disparaître de ma vie de façon inopinée, et je n'en peux plus de revivre cela. C'est comme refaire en boucle un horrible cauchemar duquel on n'arrive jamais à se réveiller avant que la mort n'est frappée. Je suis accablée par tout ce qui se passe en ce moment. Je pensais qu'en m'échappant du complexe, mes ennuis seraient terminés, et que j'arriverais, cette fois-ci, à mener ma vie en me tenant à l'écart des autres. Seulement il n'en est rien. Que je sois seule ou non, je suis toujours une cible. Mais maintenant que j'ai connaissance des moyens qu'ont ces humains, je suis bien consciente que même en me réfugiant dans l'endroit le plus vide et hostile du monde, je ne serai jamais tranquille. Ils continueront à me traquer moi et tous les autres mutants dont ils veulent se débarrasser. Trop de personnes sont mortes à cause d'eux. Dorénavant il est hors de question que je me cache. Je les empêcherais de récidiver.
Je sens Hank se déplacer à côté de moi, pour faire le tour de la table sur laquelle repose le corps inerte d'Erik. Je relève alors la tête pour voir ce qu'il fait. Je l'entre-aperçois, à travers mes yeux remplis de larmes, se dirigeant vers la machine qui émet toujours ce bruit si lancinant. Je le vois sortir une autre machine, et déchirer le t-shirt d'Erik. Il lui met ensuite sur le torse des électrodes, puis lui envoie avec celles-ci des impulsions électriques. Ce faisant, il éteint alors le signal continu que la première machine émettait, jusqu'à ce qu'il ne reprenne après un laps de temps très court. Mes larmes coulent de plus belles sur mes joues en comprenant qu'Hank est impuissant, et je laisse ma tête retombée. C'est la première fois que me yeux pleurent depuis neuf ans. Je suis incapable de regarder un instant de plus le corps d'Erik. Rien que d'y penser, j'ai l'impression que je vais moi aussi mourir, mais de douleur. Je me remémore tout ce qui s'est passé dans l'esprit d'Erik. Tout ce que j'ai fait, et que j'aurai dû faire pour le sauver. Mais une seule pensée revient constamment : il est trop tard. Je ferme les yeux, et tente de sangloter le plus silencieusement possible.
« - Alors, je vous ai manqué ? demande la voix enrouée d'Erik. »
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