64- "Vivre ou mourir ?"


                                  ~ Westchester, New York, USA, 17 Novembre 1972 ~    

    Je regarde Erik, hébétée par ses mots. La bouche m'en tombe immédiatement, et je sens la tristesse s'emparer de moi. Tout ça est vraiment insensé, il n'y est pour rien dans toutes ces morts. Bien sûr il a tué beaucoup de personnes, mais je ne pense pas que ce soient celles-là qui lui restent sur la conscience. Non, c'est la mort des personnes auxquelles il tient qui le tiraille de l'intérieur. C'est le cas pour Sarah, ou encore pour sa mère. Il doit déculpabiliser des erreurs qu'il se reproche et dont il n'est absolument pas responsable. Seulement cela il faut que j'arrive à le lui faire comprendre. Et ça va être une tâche ardue. Étrangement, Erik est rongé par les remords, alors que ça n'est pas du tout l'attitude qu'il laisse transparaître habituellement. Ce serait tellement mieux s'il montrait ce qu'il ressent réellement. Seulement je comprends qu'il n'arrive pas à le faire, moi non plus je ne montre pas réellement ce que j'éprouve. C'est à ce moment-là que je me rends compte qu'Erik et moi avons de nombreux points communs quant à notre psychologie. Il faut que j'utilise cela pour réussir à le ramener à la raison.

« - Tu n'es pas responsable, lui dis-je, vainement puisqu'il n'a aucune réaction à mes mots. Tu crois vraiment que ta mère voudrait que tu t'en veuilles ainsi pour sa mort, dont tu n'es pas la cause ? t'entai-je, essayant de toucher un point sensible chez lui.

- Si j'avais pu bouger cette pièce, elle serait toujours en vie !! s'écrit-il rageusement. »

    Je baisse les yeux de tristesse en voyant son expression. Il semble tellement marqué par son passé, que s'en est blessant. Je suis peinée de le voir ainsi, j'aimerais pouvoir lui faire comprendre qu'il se trompe. Je relève le regard vers lui, et le fixe pour essayer de déceler chez lui autre chose que la culpabilité ou la tristesse. N'est-ce qu'à ça que se résume la vie d'Erik ? A des remords ?

« - Tu es capable de faire les choses différemment, j'en suis sûre, déclarai, confiante. Regarde, tu as épargné la petite Kate alors que tu avais auparavant décidé de la capturer, continuai-je, ce qui le fait rire.

- Après avoir tué son père, me rappelle-t-il, un faux sourire aux lèvres. Si je l'ai laissé tranquille, ça n'est que parce que tu me la demandé. Contrairement à ce que tu semble penser, je ne peux pas être quelqu'un de bien.

- Bien sûr que si, répondis-je fermement.

- Je ne le suis pas lorsque je suis seul, précise-t-il, laconique.

- Erik, tu n'es plus seul ! affirmai-je immédiatement. »

    Je comprends qu'il est surpris par cette déclaration à son expression. Je me doute bien que ça n'a pas toujours été le cas. Je suppose qu'à Auschwitz les autres prisonniers devaient le fuir, voire le détester à cause de Shaw et de ses méthodes. Mais Erik n'est pas fautif dans tout ça, il a juste été utilisé comme tant d'autres pour ses facultés. Mais maintenant c'est différent.

« - Tu es entouré de personnes qui tiennent à toi, et auxquelles tu tiens aussi. Ne peux-tu pas te contenter de cela pour être heureux et apaisé ? lui demandai-je, espérant le faire fléchir.

- Je ne le serai que quand je serai assuré que ce qui m'est arrivé, ne se produise plus pour d'autres, réplique-t-il froidement.

- Tu peux défendre ta cause d'une manière moins sanguinaire, lui reprochai-je du même ton que lui. D'une manière qui n'attise pas la haine des autres.

- Ca n'aurait pas le même impact, s'exclame-t-il, énervé. Me comporter ainsi ne rendra pas la vie à ceux qui sont morts, alors que ma méthode permettra d'en éviter d'autres.

- Mais ça t'aidera toi, dis-je doucement. Cela te permettra de sortir de la léthargie dans laquelle tu t'es enfermé pour ne plus souffrir.

- Qui t'a dit que je voulais en sortir ? me répondit-il du tac au tac. »

    La bouche m'en tombe lorsque je l'entends dire cela. Je ne m'y attendais pas et j'avoue ne pas m'être posée cette question tellement j'étais angoissée à son propos. Mais cela me semblait si logique... Erik a beaucoup souffert durant sa vie. S'il l'avait voulu, il aurait pu mourir avant, ça aurait été simple, il y a tellement de moyens de décéder. Cela lui aurait évité beaucoup de souffrances. Il aurait pu se dispenser de tout cela, mais il n'en a rien fait. Alors je ne peux pas croire que maintenant ce soit ce qu'il souhaite. Il a fait trop de chemin pour en rester là.

« - Un jour tu m'as dit que j'avais la rage...la rage de vivre, commençai-je d'une voix tremblante. Et bien maintenant c'est à moi de te le dire, parce que c'est ce que je ressens lorsque je suis à tes côtés, et que tu défends ta cause.

- Moi je ne suis pas en vie par choix, me rétorque-t-il froidement.

- Comment ça ? lui demandai-je, confuse.

- Ils ne m'ont gardé en vie que pour une seule raison : mort j'aurai été inutile, précise-t-il de suite. »

    Je ressens cet aveu comme un coup de massue qui serait venu s'écraser sur ma tête. Je comprends ce qu'il veut dire, mais l'entendre comme ça, c'est beaucoup plus poignant, surtout à cause de la vérité qui ressort de cette affirmation. C'est pour cette raison que Shaw faisait souffrir les autres, parce qu'Erik lui était bien trop précieux. Seulement il ne faut pas qu'Erik se cantonne à cela.

« - Erik, maintenant Shaw est mort, il ne peut plus te faire de mal, lui expliquai-je doucement pour qu'il ne se braque pas. Tu es libre de faire ce que tu veux, d'être celui que tu souhaites. Tu es libre de vivre.

- Je...je ne sais pas si j'en aurais la force, dit-il faiblement. Ce qu'ils ont fait à Angel...j'aurais dû l'éviter.

- Tu ne peux pas porter tout le poids des malheurs des autres, mais tu peux les aider à ne plus l'être, lui expliquai-je.

- Je ne sais pas...continue-t-il, indécis, en baissant la tête.

- C'est un choix à faire maintenant, lui intimai-je. Soit tu te ressaisis, tu tourne cette page noire de ton histoire, tu cesses d'être accablé par tes démons, et tu reviens à la vie avec nous, soit tu te laisses abattre, tuer de l'intérieur par ceux-ci, et alors tu ne te réveilleras jamais. »

    Je quitte immédiatement son esprit, et le laisse réfléchir sur cette dernière déclaration. J'espère qu'il prendra la bonne décision, enfin celle qui me semble, tout du moins, être la bonne. Je souhaite qu'il revienne parmi nous, mais après ce qu'il m'a dit, je ne peux être sûre de rien, et cela m'angoisse. Je déteste perdre le contrôle de ce qui se passe autour de moi. Ce que j'ai vu dans l'esprit d'Erik m'a bouleversé. Je suis tiraillée par la souffrance qui s'est installée en moi. Il a tellement souffert, qu'il s'est mis à croire qu'il était responsable des douleurs des autres. Et alors il n'a plus eu aucun remords à faire de même à autrui, si cela pouvait venger ceux qui ont souffert inutilement. Je rouvre lentement les yeux, et enlève mes mains du visage d'Erik, avant de m'éloigner un peu de lui. Je continue à fixer son visage, espérant déceler dessus le plus infime mouvement. J'attends ainsi pendant plusieurs minutes, mais rien ne se passe.

« - Alors, est-ce que tu as réussi ? me demande Hank d'une voix sans entrain qui me fait comprendre qu'il a déjà la réponse.

- Je crois que j'ai échoué, répondis-je d'une voix à peine audible. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top