53- "Espoir"


                                  ~ Westchester, New York, USA, 8 Novembre 1972 ~ 

    Nous restons tous les trois, plantés devant la tombe qu'Hank vient à peine de reboucher. Aucun de nous n'est capable de dire le moindre mot, et ne montre la plus infime émotion. Même Hank, qui s'est effondré en découvrant le corps d'Angel, n'exprime rien sur son visage. Je crois qu'aucun de nous n'était préparé à cela, et ne sait comment y réagir. Malheureusement je réalise très bien ce qui s'est passé. Les larmes, la haine, le sang, la douleur, les blessures, moi aussi j'ai connu tous ça. Mais je refuse que tout finisse ainsi. Je n'accepterai pas la mort d'Angel, ou de qui que ce soit, sans me battre. D'un coup je vois Hank se détourner de la tombe, l'air défait, et Charles partir à sa suite. Je suis stupéfiée par leur attitude. Qu'est-ce qu'ils font là ? Ils ne peuvent pas simplement partir comme cela, il faut que nous allions secourir les autres avant qu'un nouveau drame n'arrive. Sauf s'il s'est déjà produit...

"- Où est-ce que vous allez ?! m'écriai-je, énervée et scandalisée."

    Cette remarque les fait se retourner tous les deux. Je comprends à leurs yeux ouverts par l'étonnement qu'ils sont surpris par ma réaction. S'ils croient que je vais les laisser se morfondre dans leur culpabilité, ils se trompent amèrement. Nous n'avons pas le temps pour les remords, nous avons encore des personnes dont nous sommes le seul espoir. 

"- Il reste encore quatre autres mutants à sauver ! repris-je sur le même ton qu'auparavant. Nous ne pouvons pas les abandonner maintenant, sinon ils subiront le même sort qu'Angel. C'est ça que vous voulez ? Si c'est le cas, vous pouvez dès lors préparer quatre autres tombes, finis-je froidement.

- Tu ne comprends pas Lucy...commence Charles."

    J'avoue qu'avec ces quelques mots je ne risque pas de saisir grand-chose. Seulement Charles semble vraiment mal. J'arrive, même avec les quelques mètres qui nous séparent, à distinguer toute la peine qui habite son âme. Il tourne la tête, et fixe la tombe d'Angel, avec le même abattement qu'auparavant. Je comprends qu'il soit mal par rapport à la fin qu'a connue Angel, mais il ne faut pas se focaliser dessus. Ce n'est pas une fatalité. Nous avons encore des chances qu'ils soient en vie. Par contre ça en deviendra une si nous ne nous occupons pas vite de retrouver les autres. 

"- C'est de ma faute si elle morte, dit Charles d'une voix à peine audible, sans quitter des yeux la tombe de l'intéressée. C'est moi qui suis allé la chercher pour qu'elle nous rejoigne dans l'endiguement des projets de Shaw. J'ai même été incapable de la protéger de lui, s'écrit-il d'un rire sans joie, en se passant la main gauche sur le visage. Et maintenant, ça. Ils l'ont tellement défigurée qu'elle était à peine reconnaissable...C'était une fille bien qui souhaitait seulement ne plus être l'esclave des autres, enchaîne-t-il de la même voix platonique.

- Ce n'est pas de ta faute Charles, déclarai-je doucement en compatissant à la douleur de celui-ci. Tu n'as rien à te reprocher. Elle a fait ses propres choix en toute conscience. Seulement elle a eu la mal chance de tomber sur des humains de la pire espèce. Ils sont de ceux qui ne s'éradiquent pas avec des bonnes paroles, mais qui se combattent avec des armes et des pouvoirs. 

- J'aurais pu éviter cela, réitère-t-il d'une voix laconique."

    Je ne prends même pas la peine de me répéter. J'ai bien compris qu'il ne m'écoutait plus. J'ai bizarrement l'impression de revivre l'ambiance des conversations que j'ai eue avec Erik à propos des humains. Ils ont le même acharnement dans la poursuite de leurs idées, sont aussi butés l'un que l'autre, et aucun des deux ne m'écoutent. Ça ne m'étonne plus qu'ils aient pu avoir un passif ensemble. C'est le même foutu caractère, Charles est juste moins extrémiste qu'Erik.

"- J'ai peut-être une idée, s'écrit Hank avec une lueur de détermination dans les yeux, sans toutefois manifester la joie qui le caractérise habituellement. Laissez-moi jusqu'à demain matin."

    Sur ces mots il se retourne et s'en va en courant vers l'institut. Il nous laisse plantés là, sans donner plus d'explications, et Charles et moi sommes perplexes devant sa précipitation. Seulement l'étonnement de mon homologue ne dure que quelques instants, et ses démons intérieurs lui font lentement baisser la tête, de nouveau. Je m'approche alors vivement de lui, et saisis son fauteuil, pour l'amener lui aussi à l'intérieur de l'institut. Charles a un mouvement de recul causé par la surprise et se demande ce que je fais. Mais il se reprend vite, et se laisse ramener dans sa maison. Il est déjà tard, et la nuit est quasiment tombée sur celle-ci. Après être tous les deux rentrés, je laisse Charles se débrouiller pour aller jusqu'à sa chambre, tandis que je me dirige vers la mienne. Je cherche à tâtons de la main droite l'interrupteur de la lumière, et le trouve assez rapidement. Une fois l'obscurité disparue j'observe réellement pour la première fois cette pièce. Elle ne diverge pas vraiment du reste de l'institut. Ce sont les mêmes murs en bois. Il n'y a dans cette pièce qu'un lit, une table de chevet, et une armoire certainement destinée à ranger des vêtements. Mais pour l'utilisation que j'en fais, c'est amplement suffisant. Je regarde l'organisation des meubles, puis rééteins de suite la lumière, pour aller me coucher dans le lit, en faisant attention de ne rien percuter sur mon passage. J'enlève simplement mes chaussures avant de me glisser sous les couvertures, et m'endors entièrement habillée. 

                                    ~ Westchester, New York, USA, 9 Novembre 1972 ~

    Je suis agréablement surprise en me réveillant de constater que j'ai dormi d'un sommeil sans rêve. Ou tout du moins, que je ne me rappelle pas de ceux-ci. Seulement la souffrance que je n'ai pas ressentie durant cette nuit semble porter réclamation puisque je suis soudainement saisie d'une douleur intense. J'ai des crampes dans l'estomac, et me demande bien pourquoi. Peut-être me suis-je donné un coup sans le vouloir. Mais je comprends vite mon erreur. C'est beaucoup plus simple que cela. J'ai faim. C'est vrai, mon dernier repas remonte à hier matin, c'est-à-dire à il y a un jour. En me couchant j'étais tellement affectée par la mort d'Angel que je n'y ai même pas songé. Cependant il y a bien plus important que la satisfaction de mon appétit. D'abord il faut que je sache ce que prépare Hank. Je me concentre donc, et cherche l'endroit où il se trouve actuellement. Je le repère vite, il est dans une salle qui se trouve plus loin dans le manoir. Je me précipite donc vers cet endroit, et trouve Hank dans une pièce composée de tables métalliques, de papiers, et d'équipements électroniques. Il est d'ailleurs penché sur une machine qui doit bien faire deux mètres carrés. J'ignore de quoi il s'agit, mais je vais m'empresser de combler cette ignorance.

"- Qu'est-ce que tu fais Hank ? l'interrogeai-je, curieuse, depuis le pas-de-porte."

    Celui-ci se tourne rapidement vers moi, puis reporte aussitôt son attention sur ce qu'il est en train de faire. Pendant quelques instants il continue de manipuler l'engin devant lui, tandis que je m'approche pour avoir une meilleure vue. En faisant cela, je m'aperçois qu'Hank a d'énormes cernes sous les yeux, et que ceux-ci sont rouges, j'en déduis qu'il n'a pas dû dormir de la nuit. 

"- Voilà ! J'ai enfin fini, s'exclame Hank très fier de lui, en levant les mains vers le ciel.

- Qu'est-ce que tu as fini ? lui demandai-je, aussi peu avancée qu'il y a cinq minutes.

- Ce que tu vois ici, me dit-il en me pointant la machine devant lui, est un modèle portable du cerebro."

    A ces mots, j'ai un hoquet de surprise. Un cerebro...qui peut être transporté ? Hank est vraiment un génie ! Grâce à lui nous allons pouvoir suivre en temps réel les mouvements du groupe d'humains. Ils ne pourront plus nous échapper.

"- Bravo Hank, maintenant nous avons la possibilité de les retrouver, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, déclare Charles, ravie.

- Malheureusement il n'a pas une autonomie infinie, répond Hank, un peu contrarié. Nous aurons quinze heures pour les retrouver avant que la machine ne devienne totalement inutile.

- Nous en aurons assez, déclarai-je pleine d'espoir."

    Hank hoche la tête à ma remarque et nous nous dirigeons vers la cuisine pour prendre une collation avant de partir. Apparemment je n'ai pas été la seule rappelée à l'ordre par son estomac. Pendant que Charles et moi finissons de manger, Hank place le nouveau cerebro à l'intérieur de l'avion. Puis nous allons le rejoindre dans celui-ci. La machine est toujours composée d'un casque, et je m'assois donc sur le siège qui se trouve devant celui-ci. Hank a apparemment fixé l'engin au plancher de l'avion, ce qui évitera qu'il ne bouge. Je me saisis du casque, et le pose aussitôt sur ma tête. Pendant que je cherche des traces des humains, Hank ferme l'avion et attend que je lui donne la destination. Je suis stressée par l'expérience que je m'apprête à revivre, et par ce qui nous attend. Seulement je sais que nous n'avons pas le temps pour ça, et je décide donc de me lancer. Comme la dernière fois, je sens une vague d'esprits déferler en moi. J'essaie d'oublier tous ceux qui ne m'intéressent pas, et me concentre sur les souvenirs que j'ai avec Erik et les autres. Après avoir passé les interférences causées par Avogadron, j'arrive une nouvelle fois à les localiser.

"- Nous devons aller dans le Colorado à Pinecliffe, m'exclamai-je immédiatement. Ils sont encore en mouvement."

    Le jet décolle de suite, et après à peine quelques heures de vol, nous nous trouvons au-dessus d'eux. Hank ouvre alors la soute, et je me détache pour aller au bord de celle-ci. C'est alors que je les vois. Enfin, que je vois l'endroit dans lequel ils sont. Devant mes yeux se trouvent deux camions noirs, extrêmement longs. Mon cœur commence à palpiter de plus en plus fort, en réponse aux émotions qui m'assaillent. La peur, l'agitation, l'énervement, l'espoir. Mais j'oublie tout cela, et me concentre sur ce qui est important. Je sens leur présence. Je sais qu'ils sont ici. Je les tiens enfin.

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