45- "Charles"


                            ~ Westchester, New York, USA, 7 Novembre 1972 ~

    A cette remarque je lève les yeux au ciel, mais esquisse tout de même malgré moi un léger sourire. Charles me regarde comme un enfant qui vient de recevoir un nouveau jouet. Seulement je ne sens aucune mauvaise intention dans son regard, ou même d'avidité, mais plutôt une profonde curiosité, avec aussi une pointe d'amusement. 

"- Je n'avais pas prévu de venir ici, à l'origine, m'exclamai-je.

- Et j'ai cru remarquer que tu n'étais pas femme à changer d'avis, déclare-t-il en esquissant un sourire moqueur, et mon bras aussi, continu Charles en touchant son bras droit de sa main gauche et en me lançant un regard en coin. Alors qu'est-ce qui a bien pu te pousser à venir jusque chez moi ?"

    A ces mots, mon visage se décompose, et je baisse la tête. Toute gaieté s'enfuit de mon être, et je sens un froid prendre la place de celle-ci. En même temps, mon cœur redevient instantanément lourd dans ma poitrine tandis que je repense aux autres.

"- Erik, Mystique et les autres ont été enlevés, expliquai-je en relevant la tête vers Charles."

    Je remarque de suite un changement dans l'attitude de celui-ci. C'est comme s'il était maintenant empli par...de la souffrance. J'ignore le passif qu'il possède avec les mutants que je côtoie depuis plusieurs jours, mais c'est apparemment quelque chose de très douloureux pour lui. Puis d'un coup il semble se reprendre, et son regard se durcit. Maintenant il a l'air amer.

"- Erik saura se débrouiller tout seul, comme toujours, dit Charles en serrant les poings autour des accoudoirs du fauteuil sur lequel il est installé. Il retombe toujours sur ses pattes.

- Pas cette fois malheureusement, lui répondis-je, très sérieuse et triste à la fois.

- Oh le grand Erik Lehnsherr se rabaisserait-il à demander de l'aide à autrui ? crit-il sur un ton des plus ironiques.

- Il ne m'a pas demandé de venir te chercher. J'ai pris cette décision car ceux qui les ont enlevés ont les moyens de les empêcher de se servir de leurs pouvoirs, déclarai-je sur le même ton qu'auparavant."

    Ma réponse semble beaucoup l'intéresser puisqu'il avance immédiatement son fauteuil jusqu'au bord de l'escalier. Il s'approche si près que j'ai l'impression qu'il va les dégringoler. Je me demande d'ailleurs comment il fait d'habitude pour passer du rez-de-chaussée à l'étage. Peut-être grâce à un ascenseur ?

"- Comment ça ? m'interroge-t-il, soudain très curieux.

- Un mutant, Avogadron, est capable d'empêcher les pouvoirs d'Erik, de Riptide, et les pouvoirs télépathiques d'Emma de fonctionner. Pour les autres je n'en sais rien. Mais quoi qu'il en soit, ils n'arriveront pas à s'enfuir tous seuls, résumai-je, tendue en repensant à celui qui a permit ma capture.

- Ils ont été enlevés par d'autres mutants ?! s'exclame Charles, horrifié et profondément triste.

- Non pas exactement. Ce sont des humains qui les ont kidnappés, mais ils ont pour cela reçu l'aide d'au moins un mutant. Il est capable de contrôler les ondes, et j'ignore s'il a d'autres facultés, développai-je."

    L'expression de Charles me fait penser qu'il s'effondrerait par terre s'il n'était pas déjà assis. Je ne peux que le comprendre d'ailleurs. Lorsque j'ai appris qu'un mutant les aidés, et surtout pourquoi il le faisait, j'ai été complètement estomaquée. Charles se prend le menton de la main gauche, et semble réfléchir, sans arriver à quelque chose qui lui convienne, comme me l'indique les plis sur son front. Je reporte mon attention sur Hank, que j'avais légèrement oublié depuis quelques minutes, et m'aperçois que lui non plus ne comprend pas comment cette situation a pu arriver. Même en connaissant les raisons, je ne comprends pas moi-même. Mais après tout, les humains font du mal aux autres humains, alors pourquoi les mutants ne seraient-ils pas capables d'en faire de même ? Parce qu'ils sont meilleurs ? Non, je ne pense pas que nous soyons différents des humains sur ce point-là. Seulement Erik pense indubitablement le contraire alors qu'il a lui-même subi la folie d'un mutant, et maintenant celle d'un autre. Je me demande quel est le point de vue de Charles et Hank. Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions, que le premier des deux se met à m'interroger de nouveau.

"- Comment un mutant peut-il aider des humains à capturer d'autres mutants ? m'e demande Charles, complètement confus.

- Il m'a dit que cela lui faisait...plaisir, répondis-je, dégoûtée rien qu'en y pensant."

    Charles est médusé par cette déclaration, à tel point que la mâchoire lui en tombe. Il se passe d'un seul coup les mains sur le visage. J'ignore si c'est pour essayer de comprendre comment cela est possible, ou s'il espère juste se réveiller d'un mauvais rêve. Mais dans tous les cas cela semble vraiment le retourner. En le regardant j'ai l'impression de me voir lorsque j'ai compris que mes parents étaient morts, et que mon frère avait sans doute subi le même sort. Charles a sur le visage la même expression d'incompréhension, d'horreur, et de tristesse. Il doit beaucoup souffrir de savoir Mystique dans cette situation.

"- Comment peut-il penser cela ?! s'exclame Charles, confus, en fixant un point au sol."

    Je ne réponds pas puisque je n'ai pas la réponse à cette question. Et puis je trouve que ça n'est pas la vraie question. Non, ce qu'il faut réellement se demander c'est pourquoi ressentons-nous le besoin de faire souffrir les autres. Et je parle bien évidemment pour les humains et les mutants. Bien sûr, cela est plus ou moins présent chez les individus, mais personne ne peut se vanter de n'avoir jamais blessé les autres, que ce soit physiquement, verbalement, où même par des gestes. C'est vrai, il y a toujours eu dans toutes les civilisations, même les plus avancées, des violences. C'est comme s'il y avait en nous un irrépressible besoin de blesser autrui, qui est aussi vital que de respirer, ou de se nourrir. 

"- Et ces humains, qu'est-ce qu'ils vont leur faire ? s'enquit Hank, visiblement très inquiet.

- Ce sont des scientifiques, ils vont les torturer, et faire des expériences sur eux pour en apprendre plus sur les mutants. Cela leur permet aussi de perfectionner leurs sciences, comme la médecine, ou encore l'armement, lui expliquai-je avec une boule dans la gorge. La première fois que nous nous sommes rencontrés, nous étions là parce qu'ils avaient emmené Riptide avec eux."

    Hank baisse immédiatement les yeux, mais j'ai le temps de voir les larmes s'accumuler au bord de ceux-ci. J'ignore depuis combien de temps il vit ici, mais peut-être qu'il a lui aussi été recueilli par Charles lorsqu'il était enfant. Cela voudrait dire qu'il connaît Mystique depuis des années, c'est sûrement pour cela qu'il est autant touché. Même si je pense que l'horreur de tout cela toucherait presque n'importe qui. Mais ça a l'air plus difficile, plus personnel pour lui.

"- Comment as-tu eu toutes ces informations sur eux ? m'interroge soudain Charles. Nous avons vu ce qui s'est passé, ils sont tous morts sauf ce mutant. C'est lui qui t'a appris toutes ces choses ?

- Non, ça n'est pas lui. Mais ma source n'a pas d'importance pour l'instant. La seule chose qui est à l'ordre du jour est d'apprendre où ils se trouvent. Puis il faudra aller les délivrer, expliquai-je calmement. Est-ce que tu vas m'aider ?"

    Charles est toujours perturbé par ce que je lui ai appris. Malheureusement je ne connais rien de la relation qu'il avait avec Mystique, ni de la façon dont ils se sont quittés. Dans le cas contraire j'aurai peut-être pu influencer Charles. Alors que là je ne peux que compter sur son empathie et sur son cœur. Surtout qu'il est apparemment moins extrémiste qu'Erik, et donc moins enclin à se battre. Or c'est exactement ce que nous allons devoir faire pour les libérer.

"- Très bien, je vais t'aider, déclare très sérieusement Charles. De quoi as-tu besoin ?

- Ce sont de tes pouvoirs dont j'ai besoin, répondis-je avec un petit sourire de satisfaction."

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