~ Phoenix ,USA, 1924 ~

     C'était une nuit d'hiver. Les flocons tombaient déjà depuis plusieurs heures et s'accumulaient sur la route et les trottoirs. Je berçais mon petit frère pour éviter qu'il ne soit réveillé par les mouvements de la voiture qui tanguait au gré des crevasses de la route de campagne que nous étions entrain d'emprunter. Pendant ce temps, maman me racontait encore une fois comment elle et papa s'étaient rencontrés. Elle en était au moment où elle l'avait pris pour le serveur du restaurant alors qu'il était en fait le fils du nouvel ami de son père. Elle arrêta son récit pour indiquer à mon père l'emplacement du pont qu'ils allaient bientôt emprunter. Après cette interruption elle me conta la gêne qu'elle avait éprouvée dans les premiers instants après s'être rendue compte de son erreur, puis comment elle avait été envahie par la colère lorsqu'il s'était ouvertement moqué d'elle devant toutes les personnalités du restaurant. 

     Le véhicule bifurquait vers la gauche. Seulement il ne se redirigeait pas en ligne droite. Il continuait sa trajectoire vers la gauche. Trop vers la gauche. Je ne compris qu'il y avait un problème qu'au moment où j'entendis mon père crier et que je vis ma mère me regarder d'une façon que je ne lui connaissais pas, que je ne comprenais pas. Ce que j'avais vu dans le regard de ma mère c'était de la peur. Je compris que j'avais raison et qu'il était trop tard quand nous percutâmes la barrière en bois du pont. C'était étrange, j'avais l'impression d'être le personnage qui pouvait voler de l'histoire que maman m'avait racontée la veille. Lorsque je sentis le corps de mon frère glisser de mes bras, je resserrai ceux-ci pour éviter qu'il ne s'échappe. J'entendis un gros "splash" puis je sentis l'eau monter le long de mon corps d'enfant de 8 ans. Mes parents criaient et essayaient de s'enfuir de l'auto tandis que le froid s'insinuait de plus en plus dans l'habitacle de la voiture pendant que j'essayais de protéger mon frère. Très vite mes poumons commencèrent à me brûler et je ne sentis plus mes muscles. Ma bouche se remplit d'eau tandis que je commençais à suffoquer. Je sentis mes forces m'abandonner alors que mon esprit luttait contre ce qui arrivait à mon corps. Je suffoquai. Puis je sombrai à bout de forces après ce combat inégal avec l'ennemi qui m'attaquait de l'intérieur. Je fermai les yeux. Et tout fut noir. J'étais morte.

     J'ouvris de nouveau les yeux. Il faisait toujours froid, mais plus autant qu'avant. Je regardai autour de moi. Je n'étais pas seule, mais les personnes qui m'entouraient, et qui n'avaient pas remarqué mon réveil, n'étaient pas ma famille. C'était tous des inconnus. Je me rendis aussi compte que je n'étais plus dans la Ford T, pour laquelle mes parents avaient dû économiser pendant plusieurs mois, mais que j'étais allongée à-même le pont sur lequel nous avions glissé. En me redressant un peu j'aperçus ce que j'espérai depuis mon réveil. Je vis mes parents. Eux aussi étaient allongés sur le pont. Il ne manquait plus que mon petit frère. Lorsque je les vis je cherchai à me lever mais mon corps était trop lourd pour que j'y arrive. Aucun de mes membres ne semblait vouloir me répondre. Alors je décidai d'appeler ma mère. Je criai plus fort que mes cordes vocales ne l'avaient jamais fait. A ce moment-là tous les inconnus se retournèrent vers moi, la stupeur gravée sur leur visage. Je compris en regardant les corps inertes de mes parents que j'aurais dû, moi aussi, être morte, mais que je venais de me réveiller.

                                            ~ Boston ,USA, 28 octobre 1972 ~

     Aujourd'hui aussi je m'étais réveillée contre toute attente. Seulement maintenant je devais encore me sauver et sauver ma vie si je ne voulais pas que tout recommence.