3. Anaïs
Vide, vide, je me sens vide. Cette sensation de trou dans ma poitrine, cette lame qui perfore mon cœur me faisant passer d'une émotion à l'autre si rapidement. Peur, solitude, étonnement. Mais finalement, je ne retiens qu'une chose, je suis perdue, et c'est la seule chose qui compte. Perdue dans le vague, perdue dans la ville qui s'endort peu à peu, perdue dans le noir, le flou.
Mes pieds me mènent malgré moi vers une destination qu'eux seuls connaissent, et bien qu'ils soient terriblement endoloris, ils semblent capables de continuer sans relâche et sans répit. Je suis bien trop fatiguée et ma tête m'élance. Mais où aller? J'aimerais le savoir.
Une brise légère accompagne le clapotis des vagues s'élançant contre la jetée. C'est marée haute. Quand le vent se fait un peu plus brusque, je me réjouis d'avoir acheté ce pull, ce jean et cette paire de tennis. Je ne suis pas certaine que ce soit bien d'avoir dépensé l'argent que j'ai trouvé à mon réveil, je n'ai aucune certitude qu'il m'appartienne. Et pourtant, je ne regrette pas. D'abord parce que je commence à avoir froid, et ensuite je n'en pouvais plus de ressembler à un extra-terrestre.
Malgré tout, ce n'est pas vraiment mieux. Je garde la sensation d'être le mouton noir, celle de ne pas avoir sa place. La raison en est toute simple, mais elle me terrifie. J'ai passé la journée à errer dehors au milieu de gens qui me semblaient être des touristes profitant au maximum de leurs vacances. Sauf que moi, je ne me souviens de rien.
Nom, famille, amis, tout s'est envolé. Disparu. Une seule question ne cesse de s'imposer à moi: qui suis-je? Peut-être que je devrais pleurer, hurler, implorer de l'aide mais il me faut d'abord comprendre. Car le pire est sans aucun doute que je suis seule. Impossible d'aller voir les touristes pour les perturber dans leur parfaite petite vie. Pourquoi, comment? Il me manque bien trop de réponses.
Ce matin je me suis réveillée dans ce qui ressemblait à une chambre. Une chambre dans un petit appartement à moitié vide. Un lit, un frigo, une armoire, une table et une chaise. Est-ce que c'est dans cet endroit que j'habite ? Je me souviens que je suis française et que j'ai un bon anglais, que j'adore la musique et le chocolat. Ma mémoire peut aller se faire voir si elle ne sélectionne que des détails sans importance. Quoique qu'il est capital que je sache à quel point je déteste le rap français, je préfère éviter d'en réécouter et mieux vaut ne pas faire saigner mes oreilles.
Le soleil à disparu derrière la mer, laissant seulement l'étrange luminosité grise qui précède la nuit tombante. Il fera noir dans quelques minutes. Les gens ont mangé leur repas du soir et reviennent sur la jetée pour une petite promenade, accompagnés de glaces ou de gaufres.
-Fais attention Anaïs, ta glace coule sur le côté ! dit une mère en pressant sa petite fille dont le visage est déjà couvert de chocolat.
Le père, lui, reste en retrait, dégustant son cornet avec deux boules et chantilly. Une famille tout ce qu'il y a de plus banal, peut-être même trop. Mais ils profitent ensemble des petits plaisirs de la vie. Ai-je un jour été aussi normale? Est-il seulement normal de se poser ce genre de question ? Peut-être que hier encore je n'avais pas à chercher de réponses.
Je souffre. Ce grand trou noir dans ma mémoire m'empêche de respirer, je suffoque. J'ai tellement mal à l'idée de n'être personne, de ne pas avoir d'identité. Je veux être aimée, je veux un nom ! Même cette gamine tartinée de glace au chocolat en a un, mais il a fallu que j'échappe à la règle. Je sais que j'ai un prénom, mais c'est comme si on me l'avait effacé, gommé. Comme si on m'avait effacée. Maintenant j'ai envie de pleurer.
S'il le faut, je peux m'improviser voleuse, tricheuse. Désormais, je serai Anaïs. Je maintiendrai l'illusion jusqu'à ce que je devienne quelqu'un. Ou plutôt jusqu'à ce que je redevienne quelqu'un, mais il est trop difficile pour moi de penser à ma vie passée, c'est bien trop étrange et compliqué. Je passe à côté d'une vitrine dans laquelle se reflète le gris de mes yeux. Bonjour Anaïs, au revoir Personne.
Est-ce normal que l'idée de posséder un simple prénom me rendre si fébrile ? Et pourtant ce n'est même pas le mien, alors quelle sera ma réaction le jour où je saurais qui je suis vraiment ? Je suis obligée de croire que ce jour existe et qu'il approche, il ne peut pas en être autrement. En attendant ce moment attendu, je vais tenter d'oublier que je suis pour l'instant une personne qui n'existe qu'à moitié. Enfin la nuit est tombée, je ne suis plus qu'une ombre sur les pavés éclairés par les lumières des lampadaires, des derniers magasins et d'un casino. Instinctivement, je ressens le besoin de m'écarter.
Malgré le nom que je me suis approprié, je reste différente, un imposteur dans la foule, je ne suis pas convaincue que la situation se soit vraiment améliorée. Je suis toujours aussi seule et je ne fais que me mentir à moi-même.
Stop. Maintenant je suis Anaïs et je ne dois pas m'inquiéter du reste. C'est juste une étape, un moment difficile à passer. Cette fausse identité vaut mieux que n'être personne.
Je m'éloigne de l'animation régnant proche de ce qui me semble être le centre-ville pour continuer sur une partie plus sombre de la promenade en bord de mer. Il ne reste plus qu'un léger éclairage floutant les contours des ombres en les rendant presque effrayantes. Les gens sont peu nombreux à partir dans cette direction et je suppose qu'à cette heure ils commencent à rentrer chez eux. L'atmosphère est beaucoup plus calme et le son des vagues s'est amplifié. Au loin, là où la jetée semble prendre fin, je peux apercevoir une sorte de gros caillou dans la mer. J'aimerais me rendre là-bas.
Depuis ce matin je ne fais que des aller-retours et bien que j'aie mal aux pieds, je n'ai fait que peu de chemin. Mon pas se fait bientôt plus rapide à présent que je possède un objectif. Ce n'est pas le but de ma vie, mais c'est toujours un moyen d'avancer. Je suis si concentrée que je mets un moment à remarquer qu'il s'est mis à pleuvoir. La pluie s'intensifie et devient bien vite trop forte mais je ne peux pas m'arrêter, il n'y a aucun endroit où m'arrêter, alors je vais continuer. Les gouttes d'eau coulent et glissent sur mon visage comme les larmes que je retiens depuis le début de la journée. Mais contrairement à ces dernières, la pluie n'est pas salée et paraît adoucir mon amertume.
Alors je me laisse aller et même si je m'y étais refusé, finalement je pleure pour de bon. Pas de sanglots, juste les gouttes salées qui dévalent mes joues en se mêlant à l'au tombée du ciel. Peut-être que je suis bien devenue Anaïs ou que je suis toujours cette fille dans l'anonymat, mais au fond je ne suis que moi-même. Brisée, seule et perdue. Je suis perdue.
Je suis complètement perdue. S'il vous plaît aidez-moi... Aidez-moi.
Les lamentations ne serviront jamais à rien, il faut toujours agir. Mais dans ma situation, que faire ? Je pourrais chercher la police et tout rentrerait dans l'ordre. Mais un instinct, presque aussi fort que celui de la survie me chuchote à l'oreille que ce n'est pas la bonne solution. Cette intime conviction semble venir de mon passé, d'avant. Je vais devoir me débrouiller seule. Comme si je ne l'étais pas déjà assez...
N'y tenant plus, je cours. Mes vêtements sont déjà trempés et ma coiffure n'est plus qu'un amas ruisselant de cheveux. Je donnerais tout pour un parapluie, j'ai l'impression d'être face au déluge. Un grondement se fait entendre. C'est bien ma chance, voilà que l'averse se transforme en orage. Un regard en arrière me fait bien vite comprendre que les gens ne se sont pas attardés sous la pluie, je dois bien être la seule inconsciente sur la jetée, à courir comme une damnée. Je ne distingue plus grand-chose d'autre que des contours floutés. Dans quel pétrin me suis-je fourrée ? Il a bien évidemment fallu que je me décide à aller voir cet énorme caillou au moment où l'orage allait commencer. S'il n'avait pas plu, j'y serais déjà arrivée.
Mon pantalon me colle à la peau. Avec la chance que j'aie, je serais prête à parier que ce genre d'orage est assez rare pour l'endroit. Et pour continuer ma veine, je me réveillerai demain matin avec un magnifique rhume. La pluie me fait constamment fermer les yeux et j'avance comme une aveugle. Un peu dangereux avec la mer en contrebas mais une barrière me protège et j'ai confiance en mes sens. Pourtant je ne vois rien arriver lorsque je me cogne contre une surface à la fois dure mais aussi légèrement molle. Non préparée au choc, je tombe à la renverse et atterris par terre. Plus que jamais, je me sens ridicule et honteuse.
Contre toute attente, une main se tend devant moi, et m'invite à m'appuyer dessus pour me relever. Mon regard se porter sur son possesseur. Je me rends alors compte avec stupéfaction que je le reconnais.
NDA: Salut ! J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, je vous invite à me faire part de vos critiques. Au passage, profitez bien de la fin de vos vacances.
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