Chapitre 9 : L'espion (démasqué)

– MAHAUT –

— Joy mais... Qu'est-ce qu'il se passe ?

Une bouffée de larmes s'ajouta à la rivière qui ruisselait déjà sur son visage. Elle hoqueta en tentant de parler. Son sanglot se coinça dans sa gorge et je dus l'obliger à faire une pause en buvant un verre d'eau.

Elle se concentra quelques minutes avant de poser un regard grave et plein d'assurance sur moi. Elle parla lentement, avec des mots tranchants. Son inquiétude, celle de Martin. Le danger qui me guette, la directrice qui me traque. Je hochais la tête, résignée.

Je connaissais les risques encourus, mais il n'était pas prudent de partir en recherche de nouvelles preuves en ce moment. Elle me fit jurer de ne plus partir tout seule ni de continuer mon enquête pour l'instant.

Je lui jura solennellement de respecter ma promesse. Je le pensais sincèrement, ne voulant pas l'inquiéter davantage. Je trouverai les réponses malgré tout.

―Je peux vraiment te faire confiance ?

―Oui... Crois-moi.

―Merci, Mahaut.

―Arrête donc de faire cette tête de chien battu ! Allez, on va manger ?

―Oui, allons-y.

Joy attrapa son gilet miteux au passage – du genre noir à rayures blanches, avec des tâches et une tonne de trous.

―Il tombe en lambeau, ce machin.

―Oui, mais je l'adore. Ouah, attention ! fit-elle en ouvrant la porte. Mais qu'est-ce que tu fiches dans le passage ?

Joy venait de percuter quelqu'un de plein fouet. Un visage qui la dominait de plus d'une tête, aux cheveux noirs et courts, se penchait au dessus d'elle. 

Johakim se trouvait juste à côté de notre porte lorsqu'elle l'avait ouverte. Il se confondit en excuses, l'air vaguement amusé et commençait déjà à battre en retraite quand Joy l'interpella immédiatement :

―Hey. Hey ! insista-t-elle

Toutefois, il le ralentit pas l'allure, faisant monter le tensiomètre de Joy, qui fronça méchamment ses sourcils.

— Mais, il se moque de moi... Johakim je te parle ! cria-t-elle finalement, en lui courant après. C'est le dortoir des filles, ici, qu'est ce que tu fichais là ? D'habitude le seul qu'on voit ici c'est Martin, et encore juste pour sa ronde du soir ! Tu vas t'arrêter, oui ?

Elle dû courir pour le suivre étant donné les grandes enjambées qu'il faisait pour partir. Elle attrapa le passant arrière de son jean pour le maintenir à sa distance. Comme il continuait sa route sans y prêter attention, un bruit de déchirure retenti, le faisant enfin s'immobiliser. Je fis tout pour garder mon sang-froid, pour me retenir de rire.

Joy avait le morceau de tissu entre le pouce et l'index, un sourire crispé aux lèvres. Le jeune homme tâtonna son jean avec désarroi, avant de reporter son attention à Joy, la main encore tendue vers lui.

―T'as pété mon jean, constata-t-il.

―Oui, je suis vraiment désolée... mais bon, heu, au moins tu ne portes jamais de ceinture, donc tu n'en as pas besoin ! Ah, ah.

Cette fois-ci, je ne pus me retenir et ma main couvrit ma bouche ouverte sur mes dents. Mon ricanement moqueur s'attira la foudre de leurs regards, alors j'entrepris de me calmer.

—Arrête de rire, toi ! fit Joy, avant de se tourner vers le jeune homme.

―Attends... tu as remarqué que je mettais pas de ceinture, toi ? Pourtant on ne s'était jamais parlé avant.

―Oh, je ne parle pas beaucoup aux autres. Mais je n'ai pas besoin de leur parler pour les observer.

―T'es une asociale, alors ?

―Je te demande pardon ?

―Ah, ce n'était pas une critique. Pour preuve, le gars le plus asocial que j'ai jamais vu est mon meilleur ami !

―Euh, enfin, peu importe. Je veux juste te dire que je suis désolée pour ton pantalon. Je peux essayer de le recoudre si tu veux...

Joy tenta de jauger l'état de la couture au niveau du jean en passant derrière lui.

―Mais c'est que tu me mates, dis donc.

―Q-quoi ? Mais pas du tout !

―Tu es fan de moi, admets-le. Tu vas aussi me sortir que tu connais ma couleur préférée et puis m'avouer que tu prends des photos de moi en catimini...

―Gris.

―Hein ?

―Ta couleur préférée, c'est le gris.

―Mais comment tu peux savoir ça ! Tu es vraiment une stalkeuse !

Il croisa ses bras devant son torse en position défensive.

―Mais arrête, je ne sais pas pourquoi, j'ai deviné c'est tout. Tu t'habilles beaucoup en gris, tu as des objets gris... C'est facile de deviner les choses quand on observe un tant soit peu les gens.

―T'es bizarre.

―Mais non je te dis ! Mais, pour ton pantalon...

―Tu me dois un service, donc tu me seras redevable.

―Hein ? Je veux bien réparer ton jean, il y a juste quelques points à faire...

―Non, tu me devras un service, tout ce que je voudrai, quand je le voudrai...

―Mais quoi, par exemple ?

―Le jour où il y aura un super dessert délicieux... ta part sera la mienne.

―Pas question que je te refile mon précieux dessert ! Ce n'est pas juste ! Surtout que c'est de ta faute, tu ne voulais pas ralentir, tu n'avais qu'à répondre. D'ailleurs, pourquoi tu étais là-bas ?

―Mais quoi à la fin ? Tu as peur que j'ai intercepté une conversation confidentielle, tu disais du mal de quelqu'un peut-être, non ?

―Non ! Mhm... mais je te préviens ! Que je ne t'y prenne plus. Je ne veux plus t'y revoir sinon je préviendrais Martin.

―Ah oui ? Alors tu ne parles à personne, sauf au gars auquel personne ne parle jamais ! T'es trop bizarre, meuf.

―Tu me dis meuf encore une fois en parlant de moi et je te frappe.

―Carrément ? Tu n'es pas une meuf facile, toi.

Sans que je n'ai pu le prévoir, la main de Joy effectuait déjà un demi-cercle dans les airs. Celle-ci atteignit la joue de son interlocuteur, d'une force telle que je pus entendre sa résonance. Joy contourna Johakim et partit, furibonde. Elle venait de lui mettre une claque dont il se souviendrait longtemps. En tout cas, elle l'espérait. 

La main brûlante, un sourire naquit sur ses traits. Elle me confia, quand elle fut certaine de ne pas se faire entendre, qu'elle était partie rapidement uniquement par peur de représailles. Ce qui gâchait un peu l'air triomphant qu'elle avait affiché.

Elle dévora son dessert, un fondant un chocolat qu'elle avait mis quelques secondes au micro-onde. Il dégoulinait dans son assiette, qu'elle lécha pour le déguster jusqu'à la dernière miette.

―Heureusement que je ne lui ai pas promis un dessert ! ajouta-t-elle, béate. Encore si ça avait été un clafoutis, je m'en serais volontiers passée mais là... miam.

―T'inquiète, tu ne lui dois rien à ce crétin.

―Oui, je suis bien d'accord.

J'esquissais un sourire. Au bout de la salle, Martin remplissait son plateau-repas. Je lui fis signe de la main et il vint vite nous rejoindre. Je le vis échanger un regard discret avec Joy. Je pouvais presque écouter leur discussion visuelle. 

«Ça y est, tu lui en as parlé ?
- Oui.
- Et alors ?
- Tout est ok, elle m'a écouté.»

Leurs regards signifiaient plus ou moins cela, m'énervant profondément. Être source de l'attention sans participer à la situation. Ces moments me faisaient un peu penser aux parents qui discutent avec des invités en parlant de leur enfant, alors qu'il est juste à côté et entend tout, même s'il fait semblant que non.

Je ne pus chasser les inquiétudes qui m'envahissaient. J'étais comme un renard qui tombait dans un piège et était obligé de ronger sa propre patte pour s'enfuir mais qui, au lieu de cela, mangeait la proie avec laquelle on l'avait appâté au début. 

Je ne faisais rien de constructif, je perdais du temps. Je me questionnais sur les risques et les conséquences. Je calculais le bénéfice que j'en avais tiré. Je réfléchissais encore, malgré ma promesse faite précédemment. 

Qu'allais-je faire ?

Je remplissais l'après-midi de sourires creux, de rires en écho aux blagues incessantes venant de Martin et Joy qui tentaient de chasser mes démons en les refourguant au second plan -tentative ratée de toute évidence. 

Je discutais çà et là avec mes amis, je fis mes devoirs en retard, étudiais mes leçons et remis la dissertation d'hier sur le bureau du professeur. J'avais rattrapé en quelques heures mon retard accumulé durant deux semaines. Les études étaient d'une facilité déconcertante.

– JOY –

Mahaut semblait distante bien qu'elle fit un grand effort pour paraître plus présente dans la journée. Le seul moment où elle semblait réellement enthousiaste fut quand elle me montra sa cachette sous son matelas et quand je jetais un œil sur les documents qu'elle avait déniché. 

Je vis tous ces noms, ces descriptions et je ne sus pas quoi dire, ni comment réagir. Alors je lus toutes les inscriptions, remis les feuilles dans l'ordre dans leur pochette, la rangea dans l'interstice du matelas et ne souffla mot à propos de cela. Mahaut attendait quelque chose de ma part, je m'en rendis bien compte. Mais rien ne venait. 

Toutes ces informations tournaient dans ma tête, attendant de se faire assimiler. Mais je les chassais un instant de mon esprit, j'avais déjà trop repoussé la confrontation qui devait arriver ou plutôt qui aurait déjà dû arriver. 

Je m'étais dirigée sans trop réfléchir vers les douches, pour accompagner les enfants à la cafétéria. Raphaëlle tapait du pied devant les portes battantes. 

Elle dissimula mal la surprise qui transparaissait sur son visage.

―Joy. Que me vaut ce plaisir ?

―Hein ? Oh, rien de spécial, je passais par là par hasard. Tu veux que je prenne le relais ?

―Oh, tu veux bien ? J'en ai assez d'attendre, je dois bosser sur le livre à lire en français...

―Tu ne peux pas profiter d'attendre pour le lire, justement ?

―Non, je dois mettre des notes dans le bouquin, j'ai besoin de calme...

―C'est le calme plat, là...

Elle me jeta un regard noir, en tournant les talons avec dédain. Son allure de première de la classe collait grandement avec sa démarche pleine d'assurance. 

J'attendais depuis quelques minutes, quand un ramdam venant du vestiaire arriva à mes oreilles. Les enfants déboulèrent avec entrain, s'enthousiasmant de me voir à la place de Raphaëlle. J'allais déposer le petit groupe à la cantine, avant de me souvenir du problème de première importance qui revêtait ma présence.

L'histoire de Mahaut m'avait tellement accaparée que je l'avais refoulé au plus profond de ma mémoire, pourtant cette préoccupation était revenue de plein fouet. 

Je me stoppais net dans mon élan, à mi-chemin du réfectoire, comme figée.

―Joy ? demanda Sara.

―Désolée... je dois y aller. Vous...

―Oui, Joy. On va se débrouiller. Vas-y, ça a l'air important.

―Très important.

―À tout à l'heure !

Elle avait dû lire sur mon visage toute ma détresse, pour comprendre aussi rapidement le besoin que j'avais de m'éclipser.

Toute obnubilée par d'autres distractions, j'en avais oublié l'essentiel, un détail non sans importance qui avait perturbé ma nuit. Cela aurait presque bousillé ma santé mentale, si j'avais déjà été saine d'esprit auparavant. Un nom me trottait en tête, tandis que je courais de plus en plus vite.

Jean-Lou.

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