Chapitre 6.5 : Les enfants (ambivalents)

J'allais donc à la table des marmots, en regrettant déjà mon insistance auprès de Joy pour m'occuper seul de ces gosses.

— Salut, c'est moi qui vais vous emmener au lit ce soir, fis-je pour me presenter. Joy est à plat.

— Bizarre, d'habitude elle fait tout pour être notre chien de garde le soir, marmonne une jeune fille.

— Votre quoi ? demandais-je, de peur d'avoir mal compris.

— Non rien, on peut y aller. Mais franchement on a pas besoin d'aide.

— Je me doute bien. Mais je vous accompagne quand même. Zouh.

Est-ce que je doutais réellement qu'ils avaient besoin de surveillance ? Car visiblement ces enfants étaient des monstres assoiffés de bêtises en tout genre. Je ne savais plus où donner de la tête.

Après notre arrivée dans la salle de bain commune, ils vidèrent leur tube entier de dentifrice sur leurs brosses à dents usées. Les garçons faisaient des concours de crachas de mousse de dentifrice... sur le sol. Certes, près d'une bouche d'évacuation des eaux, mais quand même...

Les plus grands râlaient, refusant de capituler et de se brosser les dents plus longtemps qu'une minute. Les fillettes, elles, se comportèrent en princesses. Littéralement, elles me demandaient de préparer leurs brosses à dents.

L'une a oser me dire qu'elle ne pouvait « décemment pas le faire seule et que son valet était là dans ce but ». Comme un bleu, j'avais cédé.

Elle s'était ensuite égosillée à me crier dessus, pour m'annoncer que j'étais bien trop brutal pour sa « fragile dentition parfaite ». Elle m'arracha sa brosse de ses mains et continua seule avec dédain, en me lançant un regard non sans mépris.

Je passais un quart d'heure à laver leur bazar. Les traces de mousse par terre, les brosses à dents non rangées, le miroir dans un piteux état.

J'étais déjà épuisé. Je n'avais aucune envie de lire une histoire. Je jouais la carte du « Je vais oublier ce que Joy m'a dit à propos de l'histoire du soir ». Je trottinais en avant, les gosses à mes trousses. Nous étions enfin arrivés dans le couloir des dortoirs. J'allais enfin avoir la paix.

Avec un grand sourire, je les invitais à aller se coucher dans leur chambre, avec la promesse de vérifier dans vingt minutes si les lumières seraient éteintes. Mais la plus grande des gamines me lança un couteau en pleine poitrine, avec un grand sourire, en chantonnant :

— Tu ne nous proposes même pas de lire une histoire ? Pourtant Joy le fait tous les soirs. Tu veux que je lui dise demain que tu es un flemmard qui ne sait pas lire ?

Son sourire diabolique s'élargit davantage, me faisant serrer la mâchoire.

— Tu as encore l'âge de lire des histoires d'enfant, toi ?

Je tentais cette offensive mesquine, dans l'espoir de la voir abandonner en première. Seulement, cette gamine ne se laissa pas dérouter.

— Oh, tu dis ça car tu n'as jamais entendu Joy raconter ses histoires.

— Ce ne sont que des livres à lire, tout le monde peut le faire...

— Oh, ça non, je te le promets.

Son visage souriant me faisait encore plus peur qu'avant. Était-ce vraiment si difficile de lire une histoire à des enfants ? Je ne me laissais pas démonter et relevais le défi, rétorquant que ceux qui avaient peur d'être déçu n'avaient qu'à aller se coucher.

Malheureusement, ils étaient tous là. À environ trois par lit. Deux autres, la plus grande au sourire distendu et un gamin qui grattait du papier s'adossèrent au lit, par terre. Le plus petit, Jean-Louis je crois, était debout sans savoir où se placer.

—D'habitude il a le livre en main, pour voir les images, m'expliqua la sale gosse en me voyant perdu.

— Alors tu veux venir sur mes genoux ?

Il n'y eu aucune réponse, je venais à douter de sa capacité à parler.

— En fait, la plupart du temps, Joy donne le livre à Jean-Lou pour raconter l'histoire. Mais avec ce même livre, elle peut en créer des centaines. Parce qu'elle ne lit pas seulement, elle invente tout. Elle garde juste les personnages du livre que Jean-Lou a. C'est sa magie à elle.

— Oui, eh bien exceptionnellement, on va faire à ma sauce. Je vais juste le lire. Viens Jean-Louis.

— Il s'appelle Jean-Lou.

— Ah oui, viens Jean-Lou.

Le petit obéit immédiatement et vint s'asseoir à côté de moi. Le livre entre nous deux, je démarrais le récit. Il s'agissait d'animaux de la forêt qui jouaient à cache-cache. Une histoire simple et bête.

Chacune des pages accueillait un nouvel arrivant qui se faisait trouver par le hérisson, celui qui devait les chercher. Un seul, à la fin, restait introuvable. J'imitais chaque voix différemment, je me lançais corps et âme dans le récit, espérant que cela serait captivant.

Je poursuivit la lecture.

Le hérisson cherchait le dernier animal, le serpent. Mais il ne le trouvait toujours pas et les amis, inquiets, allèrent l'aider à le chercher quand tout à coup... la dernière page avait été arrachée.

Ma voix vola en éclat. Ce livre n'avait pas de fin. Je cherchais mes mots, une fin plausible, quelque chose... mais rien n'arriva à mon esprit.

— Je, euh... et les animaux, tout à coup.... euh... retrouvèrent le serpent qui était caché dans les feuilles des arbres. Ah, ah, ah.

— Ben... c'était médiocre et nul. Mais bon, je t'avais prévenu.

— Mais arrête, à part la fin, c'était plutôt pas mal !

— L'histoire est... très enfantine. Trop même.

— Je lisais l'histoire, rien de plus. Et vous auriez pu me donner un livre qui avait toutes ses pages au moins !

Je me relevai déjà, près à partir de la pièce, tellement j'étais furieux de me sentir ridiculisé par cette bande de... mômes.

— Il n'y en a pas, murmura soudainement la jeune fille. Les livres pour enfants... leur dernière page ont toutes été arrachées.

— Quoi ! Pourquoi ça ?

— Une idée de Joy. Enfin plutôt une façon de voir les choses. C'est difficile à expliquer.

Elle cherchait ses mots, le regard perdu dans le vague. Je réalisais que j'ignorais jusqu'à son prénom, comme tous les autres enfants présents ici.

On ne peut pas l'expliquer, poursuivit-elle. Il faut avoir entendu Joy lire et raconter pour tout comprendre. Au début, on ne comprenait pas pourquoi elle faisait ça à ces livres. Mais dans ses histoires, la fin est ce qu'elle réussit le mieux. Finalement, ce ne sont jamais réellement que des histoires. Chaque lecture est... une leçon. Oui, c'est ça, une leçon de vie, tous les soirs.

— Mhm, marmonnais-je

Elle souriait franchement cette fois ci, sans moquerie dans le regard.

— Tant mieux, si vous avez une si bonne lectrice attitrée, conclus-je finalement, de manière maladroite. Maintenant, tous au lit. Bonne nuit à tous.

Ils me souhaitèrent tous une bonne nuit en partant, calmes et détendus. La magie d'une histoire ? Je l'ignorais. J'allais simplement faire une ronde et je commençais à déblatérer tel un rabat-joie dans tout le couloir :

— Il est presque 21h, les lumières doivent être éteintes. Gare à vous si elles ne le sont pas. Bonne nuit à tous, à demain.

Quelques « bonne nuit » allèrent à mon attention, qui me soutenaient. Ceux-là juraient face aux « toi, vas dormir » ajoutés aux nombreuses insultes qui envahirent les échos du couloir sombre. Je les comprenais bien sûr, ils détestaient qu'une personne de leur âge puisse leur donner des ordres.

Malheureusement, dans cet établissement, l'ordre était la première priorité. Les professeurs s'évertuaient à faire de nous de bons petits étudiants, obéissants et travailleurs.

Je comprenais tout de même ma mère. Si l'ordre ne régnait pas avec une bonne discipline, l'éducation et le respect des règles ne rimeraient à rien.

Et le système tout entier s'écroulerait.

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