✓ Chapitre 3 : La journée (cauchemardesque)
Le lendemain fut éprouvant. Un calme léthargique s'empara doucement de moi. Je fus sereine et toute trace de cauchemar avait quitté mon esprit. Il n'en restait qu'une vague ombre, qu'un lointain souvenir. Je me sentais si bien, mais si mal à la fois. Comme si une partie de ma personnalité s'était envolé soudainement, sans crier gare. Du moins, cette impression néfaste ne dura qu'une journée.
Tout un mois passa comme dans un rêve merveilleux : Mahaut et Martin se chamaillèrent sans cesse, comme à leur habitude. Je les regardai telle une mère fière de sa progéniture. Un sourire discret étendit mes lèvres, les yeux mi-clos, les traits rieurs.
Pour tout dire, Mahaut ne représentait pas ma fille dans mon esprit, loin de là. Elle s'amusait comme une enfant, écoutait comme une amie, partageait comme une sœur. Je l'aimais tout simplement parce qu'à elle seule, elle globalisait ma famille. Mon unique famille. La seule amie à laquelle je tenais et je savais que personne ne pourrait me retirer ce simple bonheur de l'avoir à mes côtés. Jamais cette amitié n'aurait de fin. Elle mêlait nos cœurs en symbiose, comme si chacune d'entre nous complétait les parties de l'autre.
Nous nous ressemblions toujours un peu plus, elle et moi. Ses mimiques, que moi seule remarquai, avec sa peau pâle, ses yeux clairs, ses cheveux roux... elle ressemblait à une jolie poupée de porcelaine. Pourtant, elle arborait un comportement souvent digne d'un garçon, lorsque nous étions seulement toutes les deux, ce qui m'enchantait.
Ici, on nous appelait les «jumelles». Inséparables, malignes, complices. Tout le monde nous connaissait par ce surnom. J'aurai vraiment adoré qu'elle soit ma vraie sœur, mais la valeur du sang n'était rien quand on ne possédait aucune famille. Je la connaissais, je l'aimais d'un amour fraternel et inconditionnel. On veillait l'une sur l'autre depuis toujours et partout où elle se trouvait devenait automatiquement mon chez-moi.
- Tu voudras m'accompagner à l'hôpital demain matin, avant les cours?
- Joy, non... tu sais que j'ai horreur des hôpitaux.
- Mais, c'est juste l'infirmerie de l'orphelinat, aller, viens. S'il te plaît...
- Vas-y avec Martin, je vous attendrai en bas, d'accord ?
Je compris qu'elle paniquait, rien qu'à l'idée de songer à aller dans cet endroit. Rien ne la terrifiait plus que les lieux aseptisés, ressemblant à de vrais hôpitaux. Je ne savais pas la raison de son malaise face à cet endroit, et je tentai régulièrement de l'encourager à affronter sa peur, avec elle.
Toutefois, voyant sa mine affolée et ses mains tremblantes, je sus que ce n'était pas aujourd'hui qu'elle pourrait affronter sa peur. Je soupirai, un petit sourire aux lèvres, pour la déculpabiliser.
- Bon, j'irai seule, cédai-je. T'en fais pas, ça ira. Et après, j'achèterai des glaces !
- Euh, des glaces... pour le petit-déjeuner ?
- Ou pizza sinon?
- Laisse tomber, tu as des goûts trop douteux. Et... des croissants par exemple ? suggéra Mahaut.
- Ah oui, pourquoi pas, je n'y avais pas pensé !
- Halala... tu es désespérante ma parole!
- Eh bien on dirait bien oui ! Sur ce, je vais me coucher, bonne nuit.
J'avalai machinalement mon médicament anti-insomnie et me glissai agréablement dans mon lit. Mon réveil indiqua 05:23 lorsque j'ouvris les yeux. Soit plus d'une heure avant mon alarme. Je me levai tout de même, en réalisant que je n'avais plus sommeil. Sûrement à cause de l'adrénaline et l'excitation d'avoir à nouveau deux jambes valides.
J'enfilai la robe hideuse posée sur la chaise de la coiffeuse. C'était Mahaut qui l'avait choisie et à vrai dire, niveau tenues, nos goûts semblaient diverger d'un extrême à un autre, malgré le fait que l'on partageait une seule armoire.
Cette robe arrivait à mi-hauteur au dessus de mes genoux. Que c'était court ! Et cette couleur orangée... recouverte de motifs de fruits coupés en tranches. Avait-elle une fascination secrète pour les fruits exotiques ? Je m'habillai avec du vomi de fruits, c'était tout à fait écœurant.
Manquerait plus qu'un chapeau surmonté d'une montagne de fruits pour avoir l'air encore plus ridicule. Et pourquoi pas chanter «Mangez-moi ! Mangez-moi ! Mangez-moi ! », ce serait le comble du ridicule. Au moins, ce serait la dernière fois que je devrai la porter, à mon plus grand soulagement.
Je me glissai dans les escaliers pour ne pas réveiller les autres avec le vacarme infernal de l'ascenseur. Je n'avais que deux étages à monter, donc je n'aurai aucune difficulté à arriver en haut sans problème. Je resserrai le gilet chaud et réconfortant contre ma poitrine. Puis, m'accrochant aux béquilles, je démarrai l'ascension.
À peine fus-je arrivée à la moitié du chemin, que je soufflai déjà comme un bœuf. Parfois, je regrettai de tant penser aux autres avant de penser à moi-même. Je me consolai en me disant qu'il ne restait plus beaucoup de marches et... j'atteignis l'étage qui servait d'hôpital. Un petit écriteau à côté des portes indiquait «Étage 4 : Hôpital des enfants trouvés».
Je poussai les portes du bout de ma béquille en pénétrant dans le couloir blanchâtre qui embaumait le désinfectant. L'odeur d'alcool qui remontait dans mon nez me donna une envie de tousser. Heureusement que Mahaut n'était pas venue, cet endroit fichait la frousse. Tellement de froideur en un seul lieu, cela devrait être interdit. Dire qu'il s'agissait juste d'une infirmerie, avec quelques salles réservées aux professeurs. Ils auraient pu faire un effort sur la décoration, au minimum. Le couloir blanc, vide, aux lumières tamisées n'était guère des plus chaleureux. Surtout que le jour n'était pas complètement levé, le soleil peinant à montrer ses rayons ce matin. Je frissonnais de devoir traverser ce long passage. Même moi, je ne m'y sentais pas en sécurité.
Je me balançai le long du couloir en cherchant la salle «S2» en me demandant ce que signifiait le «S». Me demandant vaguement si c'était pour «salle» tout simplement. Mais si le S était salle, que voulaient dire les autres pièces prénommées L1, L2, T1, T2, E1, E2... À en croire que le nom de ces pièces était totalement aléatoire. Rapidement, je trouvai la salle où je devais me rendre, quand j'entendis un bruit sourd suivit d'une violente dispute.
- Bon sang ! Vous êtes en train de me dire que vous l'avez perdue ?
- Mais non, enfin pas vraiment, elle ne doit pas être bien loin. Elle doit certainement être agitée et désorientée. Elle n'ira pas loin, je vous assure que...
- Assez ! Si elle est si désorientée, comment a-t-elle pu échapper à votre vigilance ? Quand je pense que cette créature peut être n'importe où ! Vous avez intérêt de la retrouver dans la demi-heure, j'attends numéro 31-66 pour un rendez-vous, alors faites en sorte à ce que tout soit réglé d'ici-là !
La femme avait une voix puissante où l'intransigeance se faisait ressentir. Sa langue claqua contre son palais, comme pour prouver son agacement.
- O-Oui, bien sûr Madame... Je suis désolé Madame...
- Incapable ! Alors qu'attends-tu pour te précipiter à sa recherche ?
- Tou-Tout de suite, Madame ! répondit l'homme, la voix chevrolante.
En entendant des pas retentirent derrière la porte dans mon dos, je me précipitai dans la salle S2, en voyant au passage que la dispute avait eu lieu dans la salle «E2».
Curieuse de nature, j'observai la scène suivante du trou de la serrure, de l'intérieur de la pièce vide où je me trouvais à présent : un homme en blouse blanche tenait une perche qui me rappela immédiatement celle dont se servaient les agents de fourrière dans le Disney «La Belle et le Clochard». Ce petit homme remontait ses lunettes rondes et sa calvitie, compensée par une longue mèche de cheveux rabattue de tout son long contre son crâne, dégoulinait de sueur.
Je me demandai ce qu'était cette fameuse chose qui s'était enfuie... et également ce qu'elle faisait ici. Peut-être que la femme avait un chien nommé «créature». Une chose était sûre : je voulais entendre le fin mot de cette histoire.
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