Chapitre 14 : La révélation (déroutante)

- JOY -

Ma tête résonnait comme un marteau piqueur. J'avais la nausée dès que je la bougeais, me donnant une nausée horrible. Plus les heures passaient, plus ma migraine augmentait. Cette douleur me donnait envie de cogner mon front contre les murs des couloirs. Installée au réfectoire devant mon plateau-repas, j'avais les larmes aux yeux.

Le seul point positif de cette journée était le retour de Mahaut, ce matin même. Elle était revenue comme une fleur, clamant que ce n'était qu'une fausse alerte : elle n'avait aucun virus et allait bien.

Mais mon propre état contrebalançait un peu la joie que j'avais ressentis.

- Salut ! Tu es arrivée tôt ce matin dis donc, tu avais si faim que ça ?

Mahaut jeta un coup d'œil à mon assiette et vit que ce n'était pas le cas.

- Chut, s'il te plaît... j'ai une migraine. C'est atroce, je ne supporte plus cette douleur, j'ai l'impression que je vais mourir.

- Sérieux ? Vas à l'infirmerie alors ! Enfin, dans le bureau de la directrice, comme l'infirmerie est en quarantaine...

Je lui lançais un refus catégorique, lui promettant que la douleur passerait rapidement. Avec les derniers événements, je devenais aussi phobique que Mahaut envers les hôpitaux.

Une souffrance aiguë me suivit toute la journée sans me laisser le moindre répit. Ma tête me tournait inlassablement, menaçant de me faire tourner de l'œil. J'entendis à peine les professeurs qui répétaient inlassablement leur cours et déballaient leurs informations.

- N'oubliez pas de travaillez vos poèmes ! cria Madame Langlet par-dessus le brouhaha. Vous devrez le réciter au prochain cours à tour de rôle, personne n'en sera dispensé, vous êtes prévenus !

Cette consigne sonna la fin du cours de français et ce fut l'unique information qui pénétra mon esprit embrumé. Je notais distraitement le travail à faire pour la séance suivante, dans quelques jours : «faire poème + sa construct°», en quelque chose de moins lisible. Les mots semblaient se brouiller devant mes yeux brillants de larmes contenues.

À la pause de l'après-midi, ne supportant plus ce supplice, je me tins au mur en posant le front contre la peinture légèrement écaillée. La fraîcheur atténua quelque peu le brasier fictif qui brûlait mon cerveau. Comme une brise fraîche en pleine chaleur, le mur apaisa le rythme du lourd marteau se pressant à l'intérieur de mon crâne.

Ma tête pulsait encore, tout en devenant plus supportable que précédemment. Je ne voulais pas me séparer de la paroi, profitant d'une demi-seconde d'accalmie pour fermer les yeux.

Sans crier gare, mes pensées se colorèrent de mille nuances. Ma tête sembla remplie de poussière, je peinais à respirer. En ouvrant les yeux, je vis que je n'étais pas dans le couloir, mais dans une rue jonchée de débris.

Je lâchais un cri de stupeur devant cette scène avant de grogner de douleur : ma jambe me lançait horriblement. Je sentis une présence derrière moi et me retournais, effrayée.

Un jeune homme me regardait de ses yeux bruns d'un air inquiet. La rue s'effaçait déjà, remplacée par le couloir éclairé par de minces rayons de soleil.

- Mais je suis où ? demandai-je, encore sonnée.

- Ben dis donc, tu as fumé de l'acide ou quoi ? Nan, plus sérieusement, tu vas bien ? Tu vas te remettre à faire des crises comme tu le faisais avant ou tu crois que c'est bon ? Hou-hou, Machine, fit Johakim en agitant les mains devant mon visage.

- Je m'appelle Joy, je te signale. Non, non, ça va bien. J'ai juste fait une espèce de cauchemar, rien de bien grave.

- Un cauchemar... ici, en plein couloir, en pleine journée ? Mais t'es grave toi ! Mais s'tu veux je peux t'vendre un calmant pour les nerfs. Je les fabrique en screed le soir quand je me fais chier.

- Tu fais des médocs quand tu t'ennuies ? Ben voyons, j'aurais tout entendu. En tout cas non merci, je n'ai pas besoin de ta came de drogués, donne ça à Marlyne plutôt.

- Eh-ho, critiques pas sans savoir, ok ! Ma meilleur cliente, clouée à l'infirmerie ! Henry avait pourtant été si discret à me vendre tous les composants...

- Désolée pour toi.

À présent Johakim me souriait de toutes ses dents, qui paraissaient d'une extraordinaire blancheur, contrastant superbement avec ses cheveux et ses yeux bruns qui assombrissaient davantage sa peau métissée. Son visage aux traits fins séduirait même les plus chastes et les plus réservées.

J'essayais de ne pas laisser transparaître mes pensées et détournais les yeux en raclant ma gorge pour me redonner une constance. Tripotant mon gilet noir aux fines rayures blanches, je grattais distraitement la peinture incrustée sur sa manche.

Mes doigts se coinçaient souvent dans les trous de celle-ci, étant donné que mon précieux gilet partait littéralement en lambeaux. Mais je m'en fichais car je tenais à sa chaleur agréable et à la douceur du tissu. Mon ongle frottait encore les taches blanches quand je me sentis partir à nouveau.

De la même impossibilité de se raccrocher à un rêve qui s'évapore, je ne pouvais empêcher les images de déferler dans ma tête.

Je me trouvai subitement dans une pièce sans meuble, aux murs nus. À ma main pendait un large rouleau à peinture avec lequel je traçais de longs traits contre le plafond blanc. Je me baissais pour le tremper dans le pot de peinture vomissant une peinture d'albâtre. Ce faisant, ma manche frôla la bordure du pot, maculant ma manche de taches de peinture blanches.

- Ma chérie, tu as fini ? J'ai préparé le repas.

Une femme large d'épaules apparue sur le seuil, drapée dans une robe gipsy qui se soulevait en serpentant autour de ses chevilles, où cliquetaient quelques bracelets en argent. Ses cheveux teintés de roux lui arrivaient aux épaules et s'échappaient en formant de petites pointes.

Elle avait les yeux marrons, des pommettes saillantes et un visage en forme d'ovale. Elle m'aurait ressemblée comme deux gouttes d'eau, si elle avait eu trente ans de moins. Une odeur douceâtre flottait dans l'air, qui sentait bon les légumes et le riz complet.

- Ma puce, laves tes mains et viens manger. Et il serait temps que tu jettes cette immondice, fit-elle en voyant mon gilet. Il est complètement troué et tu as mis plein de peinture dessus. Je t'en achèterai un nouveau, si tu veux. Joy ? Ma puce ?

Une fois de plus, ma vision se troubla, la pièce redevint petit à petit le couloir mal éclairé. Le visage de la femme s'effaçait déjà. Les yeux embués de larmes, je parvins à murmurer, ravalant un sanglot :

- Maman ?

Le visage de Johakim réapparut en gros plan, me bloquant la respiration par un sanglot que je ravalais péniblement. Il agitait encore ses mains devant mon visage. Je les repoussais d'une tape, me détournant, en proie à la nausée. Johakim me saisit les épaules de force en me secouant comme une poupée de chiffon.

- Eh-ho, Joy, tout va bien ? Réveille-toi !

- Je ne dors pas ! Bh- Je crois que je vais vomir.

- Ah ! jappa-t-il soudainement.

Il me lâcha comme s'il s'était brûlé avant de s'excuser promptement. J'en profitais pour filer dans ma chambre, tout en titubant. Je sentais encore son regard sur moi mais il ne me suivait plus. Tant mieux.

La bile remontait dans ma gorge, chaude, acide et âpre. J'eus tout juste le temps de me pencher par-dessus la cuvette des toilettes et vomis tout mon déjeuner. Je me recroquevillais sur moi-même en tâchant de prendre le dessus sur mes pensées.

Un, deux, trois, respire. Un, deux, trois, respire.

Je récitais le mantra en me focalisant sur ma respiration. Mais je ne pouvais empêcher les larmes d'affluer, ni les conclusions qui m'assaillirent comme autant de coups de poignards durs à encaisser.

Une mère, j'avais une mère. J'avais une maison. J'allais au lycée. Je m'en souvenais clairement, à présent.

Berligier, le lycée de mes cauchemars qui était partit en fumée. Berligier, où j'avais rencontré Mahaut pour la première fois. Elle et bon nombre de mes camarades de classe actuels.

Une douleur sourde explosait dans ma tête, à la manière d'un œuf qui se brisait et qui se répandait en une substance épaisse et gluante. Ces révélations s'avalaient difficilement et m'écœuraient. Je vomis une seconde fois, mon estomac vide rejetant de la bile amère. Ma respiration se coupa, mes larmes tracèrent des sillons brûlant contre mes joues.

Mes certitudes s'ébranlaient et se bousculaient. Je pensais être ici depuis toujours, n'avoir jamais connu mes parents, encore moins avoir des souvenirs de l'un d'entre eux.

Sont-ils morts ? Où sont-ils ? Que vais-je faire ? Qui suis-je donc ? D'où viens-je ? Par où commencer pour chercher des réponses, par où commencer pour trouver mes questions, par où commencer pour comprendre mes «visions» ?

J'extirpais un post-it à la va-vite et griffonnais dessus avec acharnement. J'arrachais un autre papier, réfléchissant à toute vitesse. Si quelqu'un pouvait m'aider à éclaircir mes idées sans me sentir seule à ce point ni me perdre moi-même, il me fallait son aide. Et le soutien de Mahaut.

Mais après son retour de l'infirmerie, elle n'était plus vraiment elle-même. J'avais eu le même comportement en avalant leur cachet vert à la noix. La solution me parvint comme un éclair. Un cachet, voilà ce qu'il me faut. Le cachet sableux, qui m'avaient rendu si malade, au point où je pensais qu'il était un poison. Je pensais qu'il viendrait faucher mes souvenirs, pourtant la note avait eu raison. «Souviens-toi», avait dit le corbeau sur sa note. Son médicament n'avait pas été un poison, encore moins un effaceur de souvenir... il était un remède.

Je m'agrippais au bloc-notes et écrivis à toute allure, m'y reprenant à plusieurs reprises jusqu'à être satisfaite de ma lettre. Je le recopiais sur une page blanche puis dessinais un petit corbeau sur le mot plié en quatre. Je n'aurais qu'à attendre la nuit pour le glisser sous la porte où j'avais moi-même trouvé celui du corbeau la dernière fois.

Je pris les brouillons de ma lettre adressée au corbeau et brûlai tout à la fenêtre, gardant seulement la dernière version. Personne ne devait savoir que je savais.

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