Chapitre 11 : Le corbeau (mystérieux)
- JOY -
Le lendemain, je me réveillais aux aurores. Jean-Lou était blottit dans mes bras, il n'avait pas voulu me partager avec Mahaut. Celle-ci ne paraissait cependant pas en souffrir, étant donné l'étrange position dans laquelle elle dormait, évoquant une étoile de mer.
Je sortis de sous les couvertures afin d'aller me laver. L'eau brûlante roulait sur ma peau en entrainant les amas de savon qui glissaient le long de mes jambes. J'envisageais un instant de me raser, mais abandonnai de suite. Je mettrais un pantalon, alors à quoi bon faire cet effort inutile, comme personne ne le verrait ?
À peine rincée, je m'enroulais dans mon peignoir, puis m'attaquais à ma corvée : me sécher. Je détestais cette sensation d'humidité et de moiteur. Si j'aimais être sous une douche bien chaude, dès que l'eau cessait de ruisseler sur moi, je venais à haïr mes cheveux mouillés qui déversaient des gouttes froides contre mon dos.
Je détestais mes mains ridées par l'eau, à un tel point que je ne m'en servais plus. Alors, je m'asseyais sur le petit siège de la salle de bain, enroulée étroitement dans mon peignoir, une large serviette autour de mes cheveux, et j'attendais, les mains sagement posées sur mes genoux. Au bout de quelques minutes, mes mains reprenaient un semblant de normalité et je pouvais enfin tamponner mon corps encore humide par endroit.
Je jetai le vêtement sur son accroche et sortis le sèche-cheveux. Sécher ma chevelure n'était pas une mince affaire. Je devais les sécher une première fois, puis les brosser en tentant de m'arracher le moins de cheveux possibles. Une fois devenus lisses, ils semblaient de nouveau mouillés, alors je les séchais une fois de plus avant de les recoiffer.
Je regardais l'allure de mes cheveux avec dépit : ils étaient devenus tout plats, secs et descendaient jusqu'au bas de mon dos. Je pris une dernière fois le sèche-cheveux et le passais à mes tempes. Un dernier regard dans la glace me satisfaisait enfin : ma chevelure avait repris de l'épaisseur et ondulait légèrement, rebiquant çà et là comme à son habitude. Je la préférais comme ça.
Dans la chambre, Mahaut et Jean-Lou dormaient encore à poings fermés, tandis que je m'habillais. L'heure d'aller manger allait arriver, tout le monde devait déjà être en route pour le réfectoire.
- Hé ho, réveillez-vous. On doit aller manger, leur dis-je.
Mahaut grommela en se levant, puis disparue dans la salle de bain. Quant à Jean-Lou, il regarda autour de lui d'un air surpris, l'air d'avoir momentanément oublié où il se trouvait.
- Viens, on va chercher tes habits.
Il hocha la tête et me suivit dans le couloir. Je croisais plusieurs visages bien connus, surtout les plus jeunes enfants, mais aussi quelques camarades de classe que je saluais poliment. Ils ne firent aucun commentaire en me voyant main dans la main avec Jean-Lou, comme ils en avaient l'habitude.
Le petit déjeuner passa dans une atmosphère de manigance. Tout le monde semblait chuchoter discrètement, comme si quelque chose d'énorme venait de se produire. C'était sûrement mon imagination. À la sortie de la cafétéria, dans le hall d'entrée, le panneau d'informations contenait une nouvelle feuille A4, rédigée par ordinateur dans un langage des plus formels.
« Nous vous informons que, suite à un accident survenu dans la soirée d'hier, Madame Lepin ne pourra plus poursuivre ses fonctions dans l'établissement. »
Je mis un moment à comprendre cette affiche avant de me souvenir de l'identité de cette madame Lupin. Puis ma mémoire me revint : c'était la grosse dame. Peut-être que le discours de Martin envers la directrice avait-il bel et bien porté ses fruits.
J'annonçais tout d'abord la nouvelle à Jean-Lou : la grosse dame était partie. Il hochait la tête solennellement mais je vis rouler une petite larme sur sa joue. Je le pris une fois de plus dans mes bras, avant de partir à la recherche de Martin avec Jean-Lou sur mes talons. Ma surprise fut de taille quand je le trouvais au milieu des deux dortoirs. Il m'attendait.
- Tu as appris la nouvelle ? me demanda-t-il.
J'aurais pensé qu'il aurait eu l'air fier de lui, peut-être même hautain d'avoir réussit haut la main sa mission, seulement il ne l'était pas. Sa voix laissait pondre méfiance, curiosité et menace.
- Oui, à l'instant. Alors, la directrice t'a écouté finalement ? lui demandai-je avec un mince sourire.
- Non. Je ne lui ai rien demandé, justement. Mais j'ai entendu le personnel parler, Joy. Madame Lepin s'est brisé le coccyx en dérapant dans les douches, parait-il.
Il se racla la gorge, mal à l'aise. Pensait-il que j'étais coupable ? Mais il finit par me rappeler que Jean-Lou avait intérêt à dormir dans son lit cette nuit, qu'il y veillerait. Nous hochions la tête tous les deux, acquiesçant à son ordre. Il nous avait déjà assez couverts.
Quand vint la fin de la journée, je fus convoquée dans le bureau de la directrice. Elle me fit un grand discours ennuyeux sur la responsabilité et les rôles à jouer en société avant de venir au vif du sujet.
- Puisque tu as joué un malheureux rôle dans la blessure de Madame Lepin, tu effectueras toi-même certaines de ses tâches. Compris ?
- Quoi ? Mais c'est injuste, je ne lui ai rien fait, c'est elle qui-
- Je ne veux pas entendre tes excuses. Elle m'a déjà tout expliqué, tu t'es enfuie comme une enfant et en voulant te rattraper, elle a glissé et s'est fracturée le coccyx. Les pourquoi et les comment ne vont pas l'aider à guérir. Tu t'occuperas des enfants du lever au coucher, tu les accompagneras quand ils en ont besoin, que ce soit pour les repas, leurs salles de cours ou aux douches. En un mot, tu seras responsable d'eux. C'est bien clair ?
- En quoi ça change quelque chose vis-à-vis de d'habitude ? lui demandai-je effrontément.
- Quoi, ça ne te suffit pas, tu veux je t'ajoute de corvée de ménage aussi ? En parlant de ménage, j'attends aussi que tu nettoies derrière eux, que ce soit les sanitaires ou leurs chambres. Ces pauvres petits sont encore si frêles, bien trop pour ce genre de travail, ne penses-tu pas ?
- Je suis d'accord. Dans ce cas, puis-je poser une dernière question ?
- Une seule, oui.
- Du coup, comme je n'ai plus de superviseur...puis-je m'organiser avec les enfants comme je le veux, tant que nous respectons les règles et le planning ?
- Ma chère, nous avons tous toujours un superviseur, mais oui, tu peux te considérer libre de ton organisation. Sur ce, retire-toi je te prie, j'ai encore du travail.
Je filai rapidement à travers la porte, alors qu'elle se penchait déjà sur ses documents administratifs.
Ce soir-là, quand les enfants allèrent prendre leur douche, je leur annonçais la grande nouvelle. Et tous sautèrent de joie, m'apportant du baume au cœur.
- Pour fêter ça, ce soir, c'est soirée-ciné.
Un brouhaha ravi répondit à mon annonce. Après le dîner, tout le monde fit semblant d'aller se coucher, en attendant patiemment que j'aille les chercher. Je filais en douce dans la salle informatique, allumais l'ordinateur et le projecteur, préparant le film à passer. Quand j'entrai dans leurs chambres, tous les enfants étaient prêts.
La plupart prirent leur oreiller, certains leur couverture. Ce soir-là, Martin était de garde. Je n'eus aucun mal à l'éviter, alors qu'il retournait faire son rapport à sa diabolique de mère. Dans la salle d'informatique, un grand matelas composé de couvertures recouvrit le sol.
Chacun s'installait pêle-mêle au milieu des draps, des oreillers et des couvertures. Avant de lancer le film, on aurait pu entendre une mouche voler. Les enfants restèrent silencieux au possible. Le volume au minimum, je lançai alors le film d'animation. Nos yeux suivirent les scènes avec engouement. Les soirées cinéma étaient les meilleures que je passais à l'orphelinat.
Mais elles paraissaient toujours si courtes ! Le film finissait déjà. Les enfants s'étiraient bruyamment, tandis que j'éteignis l'ordinateur. Chacun rassembla ces affaires, pendant les minutes de débat.
- Alors, qu'en avez-vous pensé ? leur demandai-je à voix basse.
- Moui, il était sympa, répondit Sara.
Jean-Lou tira sur mon pantalon, nerveux. Je m'accroupis devant lui pour l'écouter parler.
- Pourquoi les chiens étaient méchants ? demanda-t-il.
- Les chiens ? Ils n'étaient pas méchants...
- Ils ont attaqué la dame. C'est méchant.
- Mmh... oui, mais tu sais pourquoi ils l'ont attaqué ?
Le petit secoua la tête de gauche à droite d'un mouvement frénétique.
- Car les bébés chiens étaient en danger. Donc ils ont attaqué la dame pour les protéger. S'ils ne l'avaient pas fait, les bébés chiens auraient été tués par la dame. Tu comprends ?
Cette fois-ci, il hocha la tête.
- Personne n'a le droit de faire du mal aux autres. Il faut se défendre.
- C'est quoi des fendres ?
- C'est ne pas laisser quelqu'un te faire du mal. C'est se protéger.
Je fermais les yeux un instant. Moi, j'avais fui. Je n'avais pas protéger Jean-Lou, par peur ou peut-être par faiblesse. Je ne recommencerai plus à fuir, du moins je l'espérais. Je lui souris, l'emmenant dans son lit. Les jeunes se glissèrent dans leur chambre sans un bruit, en traînant leurs couvertures sur le sol.
Je remis le matelas en place dans la seule pièce inoccupée d'où il provenait. Épuisée, je retournais enfin dans ma propre chambre, ma couverture déjà sur le dos. J'aurais eu l'air d'un super héros si je n'étais pas littéralement en train de me traîner le long du couloir.
Je pénétrais dans la chambre, refermant la porte sans même allumer la lumière. Je ne voulais pas risquer de réveiller Mahaut. Je me glissais entre les draps et m'endormis en quelques secondes, j'étais totalement épuisée.
- MAHAUT -
Joy ne me croyait pas, elle ne comprenait pas l'ampleur de la situation. Il me fallait agir, afin d'achever de la convaincre définitivement. Je regardais les rayons de la lune qui transperçaient les rideaux et éclairaient la pièce d'une mince lumière. En respirant la fraîcheur de l'air qui s'engouffrait par la fenêtre, je refermais d'un coup sec le battant, résolue. Je partis dans la nuit, sans un regard en arrière.
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