M'sieur Wooney
Me revoilà à publier dans l'Original ^^ Rien de bien neuf, en réalité, puisque je vais simplement publier la version "revue et corrigée" de M'sieur Wooney, un petit conte de science-fiction que j'avais proposé à un concours.
J'en profite au passage pour vous conseiller, une fois de plus, d'aller voir le conte ScienceFictionFR, ils font un super boulot :)
Joyeuses fêtes de fin d'année à tous!
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« Alerte programmée: Camérappel à 21 heures avec la famille. »
C'est l'alarme de mon bracelet holographique qui me tira de mes réflexions. Penchée sur les commandes du vaisseau, en pleine configuration de mon exploration Jupitérienne, je me redressai prestement pour arranger quelques mèches qui retombaient sur mon visage.
Dans ma précipitation, je fis tomber un petit cadre posé sur une étagère attenante. Je le remis à sa place, en y jetant un coup d'œil: c'était la photographie d'un homme dans la force de l'âge, sur le point de partir en mission d'exploration. Au coin de l'image était annoté: A Victor, le meilleur papartisan que j'ai eu!
Je haussai les épaules, et reportai mon attention sur mon apparence.
La réunion de famille pour Noël... me sermonnais-je intérieurement, j'ai manqué de l'oublier, comme d'habitude.
Actionnant un bouton du bracelet, je vis une petite projection apparaître au-dessus du cadran.
« Bonsoir tatiiiie! »
Sur l'image holographique, toute une bande de bambins s'entassait tant bien que mal dans un petit espace pour pouvoir être visible de mon côté. Je leur fis un signe de la main, un sourire un peu forcé sur le visage.
Derrière les enfants surgit le visage de ma mère, un peu rougi par l'alcool. Elle couva du regard mes jeunes cousins, avant de reporter son attention sur moi:
« Alors ma chérie, tu nous reçois bien? Nous c'est impeccable!
- Ouais c'est bon, fis-je en ramenant une boucle rebelle derrière mon oreille, quelques interférences à cause des tempêtes de phosphore mais rien de grave. Bon les enfants! Prêts pour l'histoire de Noël? »
Un chœur de voix aiguës me répondit.
C'était la tradition, dans la famille, que je joue à la conteuse pour un soir. Avec mes voyages réguliers au-delà de la Ceinture de Kuiper, j'avais eu l'occasion d'entendre pas mal d'histoires.
Je pris donc une légère inspiration et débutai mon récit d'une voix enjouée, sous le regard émerveillé des gosses:
« Je vais vous conter l'histoire du vieux Victor...
Il était une fois un joli système solaire, très, très loin du nôtre. Il était fort petit, mais donnait bien à voir: son soleil était d'un beau doré, et trônait au milieu d'une myriade de planètes de petites dimensions, toutes identiques.
C'était dans leur simplicité qu'elles trouvaient leur beauté. Sous leur surface plane, couverte d'antiques vignes et d'herbe souple, serpentaient jusqu'à leur cœur d'innombrables souterrains remplis de Létharium, un métal précieux.
Mais jamais personne n'était jusqu'alors venu prendre ces ressources. Elles étaient perdues dans un système solaire qui se trouvait aux confins de l'Univers.
Pourtant, sur l'une de ces planètes habitait un vieil homme, du nom de Victor. Il vivait dans un ancien vaisseau tombé en panne, bloqué ici depuis des années. Le vieux Victor, vigoureux et presque aussi âgé que ses vignes noueuses, n'était pas gourmand, et c'était certainement cela qui l'avait sauvé.
Par un curieux miracle, il ne subsistait que grâce aux fruits que donnaient ses vignes, et à l'alcool fort qu'il pouvait en tirer.
C'était certainement l'un des derniers Hommes à vivre de façon si archaïque, en tirant de la terre ce qu'elle pouvait donner de mieux.
Au départ, l'homme avait longtemps rêvé de revenir habiter sur sa planète natale, mais sans personne pour l'aider, il n'avait aucun moyen de partir de ce monde. Il restait donc là, à s'occuper de ses champs, ne demandant rien d'autre qu'un second miracle, celui de revoir sa famille.
Hélas, avec le temps, même ses souvenirs s'étiolèrent, et il ne restait de Victor qu'un vieillard courbé par le travail, à l'esprit troublé.
Sa quiétude fut pourtant troublée un jour, alors qu'il était au crépuscule de sa vie.
Un beau matin, il arriva dans son havre de paix un imposant vaisseau, au nez agressif, qui fit trembler le sol en se posant.
Y descendit alors un jeune homme au port arrogant, élégamment vêtu, l'œil avide. C'était un marchand nomade, à l'air de conquérant. Il avait dans ses veines autant de sang que de talent pour les négociations.
Le vieux Victor vint à sa rencontre, trop heureux pour déceler l'aura menaçante du nouvel arrivant.
« Vieil homme, déclara abruptement ce dernier lorsqu'ils furent face à face, depuis combien de temps habitez-vous dans ce système solaire?
- Bien le bonjour mon cher Monsieur, lui répondit l'autre sans se décontenancer pour autant, j'suis fort content d'voir quéq'un me rendre visite! Ma foi, y'a bien une cinquantaine de ces foutues années qui m'sont passées sous l'nez sans voir personne... »
L'arrogant marmonna, contrarié. Mais cela ne dura pas: il releva le menton, et annonça, un sourire enjôleur collé au visage:
« Bien, parfait même! Je me nomme Wooney, enchanté! Vous êtes donc le propriétaire de ce système solaire, puisque vous y habitez seul depuis plus de trente ans. Je vous propose un marché: je suis intéressé par les ressources de minerai rare qui se trouvent dans vos planètes, aussi j'aimerai les exploiter... Je ne toucherai bien évidemment pas à vos vignes, elles sont toutes à vous. »
L'arnaqueur avait bien remarqué que le vieux Victor, que la solitude avait hébété, n'était plus en état de faire preuve de bon sens. Aussi le vieillard répondit aussitôt, trop content de voir une tête nouvelle:
« C'est d'accord! Faites donc vos affaires, j'fais les miennes! Passez chez moi quand vous le cœur vous en dit, ma porte vous est ouverte! »
Une poignée de main, quelques signatures ici et là, et la vie du vieux Victor reprit son cours...
Mais son havre de paix se changea bien vite en enfer: Monsieur Wooney, à son aise, y bâtit un centre d'exportation de Létharium, une maison pour y loger sa famille, ainsi que des bâtiments où loger ses travailleurs. Comble de malheur pour le vieil homme, Wooney lâcha sur la planète une meute d'engins avides qui vinrent éventrer la terre.
Wooney en arracha bien vite des quantités impressionnantes de Létharium, qui se vendirent à une vitesse tout aussi exceptionnelle.
Le vieux Victor, quant à lui, continuait de faire son alcool de vigne. Il était l'image même de son quotidien tranquille, cultivant inlassablement ses champs au milieu des machines grondantes, artisan inépuisable.
Quelques employés de Wooney venaient de temps à autres lui acheter son alcool, qui connaissait un petit succès parmi les membres de l'entreprise.
En reprenant contact avec d'autres personnes, le vieux Victor vit revenir petit à petit sa raison. L'oubli qui voilait ses souvenirs s'envola, l'amour saisi son cœur comme il l'avait fait des années auparavant.
Le regret cuisant du temps qui s'était écoulé revint le hanter, et il lui vint, au bout de quelques mois, l'idée de partir de cet endroit. Il pourrait se servir des vaisseaux de commerces qui venaient à présent quotidiennement sur ses planètes.
Aussitôt qu'il eut pensé ceci, le vieux Victor s'apprêta de ses vêtements les plus propres, à défaut d'être beaux, et se rendit au complexe de Monsieur Wooney. On ne lui ouvrit même pas les grilles, mais le marchand daigna lui répondre à l'aide d'un interphone:
« Que voulez-vous, vieil artisan?
- J'veux pas vous déranger M'sieur, mais j'aimerai bien r'venir chez moi, r'voir ma famille... Y'aurait-y pas un vaisseau qui pourrait m'ramener? La planète s'rait pour vous, sans soucis. »
Silence dans l'interphone. Finalement, Monsieur Wooney répondit:
« Sans façons. Votre vin, là, il n'y a que vous qui savez le faire, et ça donne du cœur à l'ouvrage à beaucoup de mes employés. Ils sont bien plus productifs. Vous retournerez chez vous quand...
- J'suis le propriétaire d'c'te planète, s'emporta le vieil homme, au désespoir, vous pouvez pas m'retenir! J'ai une femme, des marmots, j'veux les revoir!
- Sans façons, répéta l'autre d'une voix intimidante. Vous avez signé pour être sous mon autorité. Il fallait prendre le temps de lire les contrats, coupa Wooney alors que le vieux s'insurgeait, c'est moi qui décide de votre sort! Retournez donc cuver votre vinasse! »
Et on raccrocha.
Le vieux Victor, désemparé, resta longtemps à frapper les grilles en criant avec le peu de souffle qui lui restait. Finalement, il retourna dans sa vieille bicoque, perdue entre quelques champs et de larges bandes de terre balafrées, égorgées par les engins.
Il se saisi d'une bouteille, et la vida d'une traite. Un peu soûl, il enchaîna une deuxième, puis une troisième.
Rasséréné, quoique l'esprit un peu imbibé, il eut alors une idée.
Pendant les jours qui suivirent, il tira de ses vignes une boisson bien plus forte, plus parfumée. Après quelques ratés, il termina par obtenir un alcool délicat, sucré, qui semblait fondre sur la langue. Le breuvage, savoureux, se buvait comme du petit lait.
Il plut aussitôt aux employés de Wooney. La qualité de sa nouvelle boisson se fit vite entendre, et c'était maintenant des clients étrangers à l'entreprise du marchand qui venaient acheter « les bonnes bouteilles de Monsieur l'Artisan ».
Le vieux Victor eut assez d'argent pour investir dans du matériel, et la fièvre de l'argent lui monta vite à la tête. Jamais il n'avait tant de richesses, si maigres soit-elles, entre les mains. Il eut alors une nouvelle idée.
Tout guilleret, se rendit encore une fois aux grilles du bâtiment.
Deux mois s'étaient passés depuis leur dernière conversation, aussi Wooney lui répondit à l'interphone avec un air hautain que le vieux décela immédiatement:
« Alors, artisan, que voulez-vous? Je n'ai pas de temps à perdre.
- J'vous propose un marché, déclara le le vieil homme fermement, y'a tout à gagner ou tout à perdre.
- Dites toujours.
- Alors voilà, continua l'autre, celui qui f'ra l'plus gros chiffre d'affaire sur c'te planète à la fin du mois aura tout ses droits sur l'entreprise d'l'autre. Donc si j'gagne, j'ai vot' entreprise, si...
- J'ai compris, j'ai compris. Ma foi, lui répondit la voix avec une pointe d'amusement, si ça peut vous faire plaisir. Allez donc cuver votre vinasse, et revenez avec toutes vos économies à la fin du mois. »
Et on raccrocha, sans plus de cérémonie que la dernière fois.
Le vieux Victor, trop fier de ses nouvelles ventes d'alcool, s'étonnait que Wooney accepte si vite. N'avait-il donc pas peur qu'il gagne? Un peu naïvement, il haussa les épaules et repartit.
Le mois se passa, et tandis que le vieux Victor faisait son petit marché, le commerçant continuait à dilapider les ressources, toujours plus rares, qui se cachaient sous le sol de la planète.
Il arrivait presque à court de stock, mais le marchand était sûr de posséder une marge d'avance confortable.
Arriva alors le jour tant attendu par Monsieur Wooney.
L'alcool avait du tourner la tête au vieux, pour qu'il prenne une décision si stupide. Il n'aurait qu'à faire disparaître cette vieille carne pour obtenir les pleins droits sur tout le système solaire.
Il avait organisé un pot pour l'occasion, où tous ses employés étaient conviés. Il régnait dans l'air comme une joie un peu malsaine, celle d'avoir escroquer un vieil homme esseulé.
Le petit vieux arriva alors, traînant avec difficulté une valise derrière lui.
« Vous partez, déclara Wooney en souriant de toutes ses dents, vous vous avouez donc vaincu? »
Le vieux Victor ne répondit rien, et ouvrit sa valise sous les yeux du marchand: elle était pleine à craquer des billets ayant le plus de valeur qu'il soit dans tout l'Univers.
Il y avait bien là des milliers de Monnaie Universelle, bien plus que ce que Wooney avait pu amasser en un mois avec le peu de Létharium restant. Ce dernier balbutia, pris au dépourvu:
« Comment...? »
Le vieux Victor, le visage illuminé, lui montra d'un geste son buffet, et ses centaines d'employés, tous le nez bien rouge et les yeux vitreux.
« Ma foi, mon cher M'sieur Wooney, z'êtes mon meilleur client d'l'année! Pourtant j'le vend au prix fort, mon breuvage, mais vot' fournisseur a payé plus qu'il n'avait. Faut dire qu'l'alcool lui montait d'jà p'têt' à la tête, héhé! J'ai jamais vu tant d'braves gens v'nir cuver mon alcool! Y devait bien vous plaire, d'ailleurs, mais il est pas pour vous. J'vous remercie bien, moi, j'déménage! »
On ne sait pas vraiment ce qu'il advint de Monsieur Wooney et de ses employés, mais il est sûr que le marchand passa faire un tour chez son fournisseur. Toujours est-il que le vieux Victor a pu enfin rentrer chez lui, et déguster une de ses bonnes bouteilles.
Ils nous a laissé un petit message, à nous les générations futures, que nous devrions prendre bien soin de ne pas oublier: N'oubliez pas les jeunots! Quand on est arrogant, notre pire ennemi, c'est nous-même. »
Je fis un grand sourire à mon auditoire, qui restait bouche bée. Des étoiles scintillaient dans les yeux de mes petits cousins, ainsi que dans ceux de ma mère. Elle me fit d'ailleurs un petit signe de tête, avant de déclarer:
" On dit bravo à tata Alys! Ma chérie, fit-elle en haussant le ton pour couvrir le remerciement des enfants, c'était une superbe histoire.
- Merci maman. Je vais vous laisser, je ne voudrais pas trop perdre de temps, mon opérateur me fait payer cher les connexions inter-planètaires! Joyeuses fêtes!
- Joyeuses fêtes, au revoir! "
L'écran disparu, me laissant seule. Les clignotements réguliers des commandes de mon vaisseau donnaient un petit air enchanté à l'habitacle.
Je me tournai de nouveau devant la photo de mon père, sentant ma gorge se nouer. Finalement, Victor n'était pas resté très longtemps parmi nous en revenant sur Terre. Mais il m'avait laissé ce qu'il avait de plus précieux: ses souvenirs.
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