Chapitre 19
C'était un jour comme les autres. Le soleil se couchait lentement derrière l'horizon, projetant des ombres dorées sur les chemins du parc. Kana se promenait seule, les mains dans les poches, son esprit ailleurs. Elle n'avait pas revu Roland depuis plusieurs jours. Il avait cessé de venir, malgré leurs habituelles rencontres, malgré la complicité qu'ils avaient partagée. La douleur de son absence, même silencieuse, était plus intense que tout ce qu'elle aurait pu imaginer.
C'est alors qu'elle aperçut Roland, qui s'approchait d'elle à grands pas. Il semblait pressé, presque nerveux. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, il la salua brièvement, avant de s'arrêter et de la regarder droit dans les yeux.
"Kana... j'ai besoin que tu me fasses une faveur", dit-il d'un ton grave, comme s'il venait de lui confier quelque chose de vraiment important.
Elle le regarda, surprise par la demande, mais son regard, d'habitude si indéchiffrable, semblait cette fois-ci particulièrement sincère. Il plongea ses yeux dans les siens, une lueur presque implorante.
"Je ne peux pas venir ici pendant quelques jours. Mais... je veux que tu dises à tout le monde qu'on se voit tous les jours. Qu'on continue à se retrouver. S'il te plaît, Kana... j'ai besoin que ça reste comme ça. Je ne peux pas leur expliquer pourquoi je ne viens pas, mais toi... tu peux leur dire qu'on se voit comme avant."
Kana se figea sur place. Elle ne comprenait pas vraiment. Pourquoi avait-il besoin qu'elle mente pour lui ? Pourquoi cette façade, cette illusion d'un rendez-vous quotidien qu'il n'honorerait plus ?
Mais en voyant son regard, la sincérité de ses mots, elle se sentit piégée. Elle était là, face à lui, et l'envie de l'aider, de le soutenir, surpassa ses doutes. Son cœur, bien qu'attristé par l'absence de Roland, se serra pour lui. Alors, elle hocha la tête, d'un air un peu perdu.
"Je... je vais le faire", dit-elle, presque dans un souffle, comme si elle acceptait une promesse qu'elle n'avait pas vraiment eu le choix de faire.
Roland sourit, mais ce sourire ne toucha pas ses yeux. Il semblait soulagé, comme si un poids venait de tomber. "Merci, Kana. Je sais que je peux compter sur toi." Il se tourna alors rapidement, comme si une partie de lui voulait déjà disparaître, avant de s'éloigner sans un mot de plus.
Ce fut la dernière fois qu'elle le vit pendant des jours.
Les jours suivants, Kana se rendait chaque après-midi au parc, comme si rien n'avait changé. Elle s'installait sur le banc habituel, fixant les allées vides, attendant. Mais Roland ne venait pas. Il ne venait plus. Elle passait des heures à se convaincre qu'il allait apparaître, qu'il allait revenir vers elle, comme avant. Elle se répétait que ce n'était qu'une période difficile pour lui, qu'il avait sûrement ses raisons.
Elle attendait et attendait, ses pensées bouillonnantes, son cœur lourd. Pourtant, à chaque fois, le banc restait vide, le parc restait calme, et Roland restait absent. La douleur de son absence, bien qu'invisible, se faisait plus aiguë chaque jour. Elle n'avait pas voulu mentir, mais maintenant, elle se retrouvait piégée dans une illusion, à devoir prétendre qu'il était là quand il n'était même pas à ses côtés.
À chaque fois qu'une personne passait, un voisin ou un ami, Kana se forçait à sourire et à dire que Roland et elle avaient "passé la journée ensemble", ou qu'ils avaient eu "un moment agréable hier". Elle mentait avec une facilité qu'elle n'aurait jamais cru avoir, mais plus le temps passait, plus ces mensonges devenaient lourds à porter.
Ses lèvres étaient pleines de mots qu'elle n'aurait jamais voulu dire. Pourtant, à l'intérieur, son cœur saignait à petit feu. Chaque jour sans Roland était plus difficile que le précédent, et bien qu'elle se convainque que cela finirait par passer, elle savait, au fond d'elle, que cette situation, cette absence, la brisait lentement.
Et elle continuait à sourire, à mentir. Mais au fond de ses yeux, on pouvait lire la tristesse, l'attente d'un Roland qui ne reviendrait pas.
Un après-midi brumeux, alors que l'air frais du parc balayait doucement les feuilles tombantes, Kana se retrouva à traverser ce lieu familier où elle avait partagé de nombreux moments avec Roland. Le parc avait été, autrefois, le témoin silencieux de leurs discussions tardives et de leurs rires complices. Mais aujourd'hui, tout semblait étrangement silencieux, comme si le lieu lui-même avait absorbé toute la chaleur qui y avait existé. Elle marchait sans vraiment regarder autour d'elle, l'esprit envahi par des pensées lourdes et confuses.
C'est alors qu'elle aperçut une silhouette familière au loin, près du banc où ils s'étaient souvent assis. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, un mélange d'espoir et de nervosité la traversa. Elle s'approcha, sans vraiment réfléchir, attirée par cette présence qui lui était si chère. Puis, lorsqu'elle eut une meilleure vue, sa joie se transforma en une vague d'incompréhension, presque violente.
Il n'était pas seul.
À ses côtés, une jeune femme se tenait, légèrement plus grande qu'elle, avec des cheveux noirs comme la nuit qui se dessinaient en boucles élégantes autour de son visage. Ses traits étaient fins, parfaits, et une douceur émanait d'elle, une aura presque lumineuse. Elle souriait, et ce sourire, lumineux et naturel, illuminait son visage avec une telle aisance que Kana eut l'impression de recevoir un coup en plein cœur. Ce sourire, exactement celui que Roland lui avait donné à elle, souvent, lors de leurs rares moments ensemble. Mais il le portait là, avec cette inconnue, comme s'il n'y avait jamais eu de distance entre eux.
Roland, lui, semblait dans son élément. Il riait, détendu, la voix légère et joyeuse, un éclat de bonheur dans ses yeux qu'elle n'avait pas vu depuis trop longtemps. Ils semblaient être deux, parfaitement synchronisés, comme une paire inséparable. Ils échangèrent un regard complice, sans gêne, et les gestes naturels de Roland à l'égard d'Ayumi ne firent que renforcer la douleur lancinante qui envahit le cœur de Kana.
Elle était là, à les observer à distance, son cœur se serrant dans sa poitrine. Pourquoi cette scène lui faisait-elle tant de mal ? Elle n'avait rien à envier à cette inconnue. Après tout, Roland ne lui avait jamais rien promis, n'avait jamais montré de signes d'affection plus profonds. Mais la réalité frappait avec brutalité : il riait avec elle comme il n'avait jamais ri avec Kana. Il semblait là, dans son élément, heureux d'être avec Ayumi, tandis que Kana ne parvenait qu'à se sentir vide et déconnectée.
Elle fit un pas en arrière, presque sans s'en rendre compte. Une pression intense sur sa poitrine l'empêchait de respirer normalement, comme si l'air autour d'elle devenait trop lourd. Elle détourna les yeux, incapable de regarder plus longtemps cette scène qui la brisait à chaque seconde. La douleur qu'elle ressentait ne semblait pas avoir de nom. Était-ce de la jalousie ? Peut-être. Mais cela allait bien au-delà de ce simple sentiment. C'était comme si tout ce qu'elle avait imaginé d'eux, de leur relation, s'effondrait en un instant, comme un château de cartes.
"Il ne m'a jamais aimée, n'est-ce pas ? Il ne m'a jamais réellement vue... je ne suis qu'une simple amitié pour lui. Peut-être qu'il me déteste. Peut-être qu'il m'a utilisée par politesse, mais... rien de plus." Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête, sans trouver d'issue. Les questions s'accumulaient, les doutes se pressaient. Pourquoi avait-il été aussi distant, si tout ce qu'il ressentait n'était qu'une obligation ? Et pourquoi Ayumi semblait-elle si proche de lui, si naturelle, alors qu'elle ne faisait que l'observer de loin, à la marge ?
Elle s'éloigna en silence, ses jambes presque automatiques, mais son esprit toujours piégé dans cette vision d'eux deux. Elle n'avait même pas la force de se retourner.
Dans le petit bosquet qu'elle aimait tant, un endroit qu'elle avait souvent visité pour réfléchir, Kana s'assit sous un arbre, son dos appuyé contre le tronc rugueux. Elle ferma les yeux un instant, essayant de reprendre son souffle. Mais la douleur ne cessait de grandir. Elle serra ses bras autour de ses genoux, les yeux fermés, comme pour échapper à la réalité qui la frappait sans pitié. "Pourquoi ça me fait si mal ?" se demanda-t-elle intérieurement. "Je n'ai rien pour être jalouse. Je n'ai jamais eu quelque chose avec lui, pas vraiment..." Mais malgré tout, la douleur était là, bruyante et persistante.
Elle posa sa main sur sa poitrine, comme pour apaiser cette sensation étrangère qui se logeait en elle, mais cela n'aida en rien. La brûlure était réelle, physique même. Le souvenir de Roland et de la façon dont il l'avait regardée semblait désormais si lointain, presque irréel. Elle avait voulu y croire, s'accrocher à quelque chose de beau, mais tout ça s'écroulait en un instant.
Les jours qui suivirent furent teintés de cette même mélancolie, de cette incompréhension qui la rongeait. Elle évitait de penser à Roland autant que possible, incapable de faire face à la situation, à ce qu'elle avait vu, à ce qu'elle ressentait, même si elle n'arrivait pas à l'exprimer. Chaque pensée de lui et d'Ayumi réveillait cette douleur aiguë dans son cœur. Il était avec elle, il était heureux, et Kana restait là, à lutter contre une émotion qu'elle n'avait pas demandée.
Elle se promit de ne plus pleurer. Pourtant, chaque soir, au fond d'elle, la tristesse la rattrapait, inévitable, tenace. Elle n'avait jamais rien eu avec Roland, elle le savait. Mais quelque chose en elle, quelque chose de plus profond, se brisait à chaque souvenir, à chaque sourire qu'il offrait à Ayumi. Et tout en se répétant qu'elle devait être plus forte, qu'elle devait avancer, une part d'elle s'accrochait encore à ce qu'elle avait cru être possible entre eux.
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