« On ne peut pas vivre comme ça, mon amour. Cette enfant nous apportera le malheur. »

Se massant les tempes, un verre de vin dans une main et le regard perdu sur une carte du monde d'Heranyon, le Héros maintenant Roi de Greenland poussa un long soupir devant sa femme enceinte.

Cela ne faisait que trois semaines qu'il était revenu de sa bataille contre le nécromancien et, même s'il avait reçu des louanges pour avoir libéré le pays elfique de son exploitant, la victoire avait un goût plus qu'amer.

Les elfes à la peau grise, corrompus lors de la prise de la capitale de Rhapsodia rebaptisé Stormaelyan, étaient tous des fanatiques de leur souverain Vyrr et ça même après la libération.

Le Héros et son Alliance Etincelante avaient découvert qu'aussi mauvais soit-il, le nécromancien en trois années avait stabilisé l'économie de tout son pays, tout en le rendant meilleur qu'avant.

La pyramide sociale elfique avait été détruite à son arrivée sur le trône et malgré le peu d'échanges commerciaux avec l'extérieur, le pays était devenu presque indépendant en ressource première.

Tout ça, grâce aux fidèles de l'elfe manipulé par le sang qui, par il ne sait quel maléfice, était consentant et reconnaissait que la vie était bien meilleure avec Vyrr comme souverain.

Des faits qui faisaient rager le Héros détestant cet être abject se servant des morts comme de pantins contre les partisans de la lumière.

— Mon amour, vous m'écoutez ? lui demanda sa femme.

— Toujours, ma douce. Mais que voulez-vous que j'y fasse ? Je ne pouvais pas abandonner cette enfant.

— Vous voulez dire « son » enfant, c'est cela ?

Le Héros leva les yeux vers sa Princesse devenue Reine et, pour la première fois, la regarda avec une sincère froideur.

Il avait perçu, à raison, de la jalousie dans sa voix. Une jalousie contre son amie d'enfance corrompue et morte à cause du même sentiment à leur égard.

Mais il le comprenait.

Après la fuite de Vyrr, il s'était senti obligé de recueillir Talya. Pour la mémoire de Yara.

— Qu'est-ce qu'elle est ? demanda la Reine en caressant le dos de son époux. Si c'est vraiment la fille de Yara Rowley et d'un dragon... Quelle est sa nature ? N'est-ce pas dangereux de l'avoir ici ?

— Pour l'instant, c'est une petite fille. Sa nourrice elfique, malgré qu'elle ne soit pas digne de confiance et que l'on devrait exécuter d'être fidèle au nécromancien, nous a assuré que la petite pouvait se transformer à sa guise en dragonneau. Pas en dragon adulte.

— Pas pour l'instant mais imaginez, lorsqu'elle grandira, ce qu'elle pourrait faire à nos enfants ? Et comment va-t-elle être perçue par le peuple ? Ce n'est pas notre fille.

— Ses cheveux blonds et ses yeux turquoise sont certes traitres mais nous trouverons une solution. La magie lui teindra les cheveux pour qu'elle ait l'air d'être notre fille. Nous aurons qu'à attendre qu'Emmett soit plus vieux et nous dirons au peuple qu'ils sont faux jumeaux.

— Ils ne sont pas si naïfs et les domestiques parlent...

— L'après-guerre a tellement ravagé le continent que ce seraient leurs derniers soucis que de fouiller dans nos liens de parenté.

Le Héros, abandonnant sa boisson et ses cartes, se leva de son bureau pour rassurer sa femme d'une douce étreinte.

Cela l'apaisa quelques instants, elle et ses inquiétudes, jusqu'à ce qu'elle revienne à la raison de sa venue et l'essentiel du problème :

— La petite se souvient de son passé. De ses parents et de son enfance avec le nécromancien. C'est dangereux. Très dangereux surtout si vous voulez la faire passer pour notre fille. Elle ne pourra pas garder le secret de ses origines même avec tous les bijoux du monde.

— Je dois y réfléchir...

— Si vous ne l'avez pas encore fait, j'ai peut-être une solution.

— Je suis tout ouïe.

— Feu mon père m'en avait parlé il y a longtemps mais un des dirigeants elfique d'Elmetya pratique une magie modifiant la mémoire. Il change et efface les souvenirs dans un but de calmer et soigner les esprits.

— Mon amour... C'est cruel...

— Mais raisonnable. Je sais que d'autres mages pourraient le faire mais cet elfe doit un service à ma famille depuis des générations. Le temps est venu pour qu'il paie sa dette en nous aidant avec Talya.

— Elle oubliera toutes ses origines... Et sa nature de dragon. Elle ne sera plus une menace mais... à quel prix ?

— Pour la Lumière. Pour notre famille, notre royaume. Pour la paix. Pour moi et nos enfants. Pour offrir une vie meilleure à une innocente n'ayant pas eu la chance de naitre dans un foyer « normal ».

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Les pleurs de l'aile ouest du château de Greenland étaient la mélodie habituelle du soir pour les serviteurs et autres visiteurs. Une complainte alternant parfois peine et rage, ponctuée par des cris à en faire trembler les murs.

Cela faisait des semaines que ça durait et le nombre d'occupants de cette partie du château avait drastiquement diminué depuis qu'elle était arrivée.

Depuis qu'il l'avait amené et imposé à tous.

Sa « fille ».

Le Héros de la Grande Guerre avait un rituel bien étrange que les serviteurs du château connaissaient par cœur : aux alentours de minuit, il quittait sa chambre royale, sans un mot à sa reine, et venait marcher jusqu'à l'aile ouest en suivant le bruit des sanglots.

Habillé d'une chemise de lin et d'un pantalon de tissus, c'était le seul moment de la journée où il n'était pas armé, vulnérable et sans garde du corps. Lui qui ne se séparait jamais de son épée de légende.

Il arpentait les couloirs en pierre froide jusqu'à arriver à une cour intérieure que feu l'ancien roi avait fait installer et fleurir d'espèces venant de toutes les contrées connues du monde.

Une cour dorénavant habitée par la peine et que nul ne souhaitait à nouveau fouler.

Le Héros, pourtant, y allait chaque nuit quand les pleurs s'intensifiaient. Jusqu'à la source de la complainte.

Mais bientôt, la mélodie de la souffrance allait cesser.

« Talya. » avait-il murmuré en arrivant dans la cour, cherchant la petite fille sanglotant de plus belle.

Il avait suivi ses reniflements et l'avait trouvé assise devant un petit buisson, à peine plus grand qu'elle.

Cette petite fille aux cheveux blonds et aux yeux bleus humides, était habillée de la même robe dans laquelle il l'avait ramenée de Stormaelyan il y a quelques semaines. Des habits elfique nobles devenus sales avec le temps et rendant le visage de l'enfant encore plus pâle et triste.

« Talya, est-ce que l'on peut discuter ensemble, s'il te plait ? » demanda le roi en s'asseyant à ses côtés sur la mousse. Il passa une main dans sa chevelure blonde pour les dégager derrière son oreille afin de sécher ses larmes de sa paume.

Sentant qu'elle resterait muette, comme chaque jour et nuit depuis son arrivée, il prit l'initiative et se replongea dans sa nostalgie en lui partageant ses souvenirs.

« Tu aimerais que je te parle de ta mère ? »

La petite avait sursauté à ces mots. Les sanglots s'étaient interrompus et maintenant, elle fixait le Héros de ses yeux bleus hypnotisant.

« Tu as les mêmes yeux, la même odeur, les mêmes traits. Tout en toi me la rappelle.

Elle était si forte, si fière et n'abandonnant jamais face aux difficultés. Mais à l'intérieur, elle était fragile comme du verre et s'est brisé, tout ça par ma faute.

Ici, tout le monde s'accorde à dire des choses dégradantes sur elle. Ailleurs, tout le monde dit qu'elle était exceptionnelle. Pour moi, elle était unique. Tant par les moments ordinaires qu'extraordinaire.

J'avais des frissons en l'entendant chanter, c'était tellement rare. À chaque fois que la neige tombait sur Greenland, on entendait sa voix dans les plaines.

À chaque fois qu'il neige, je l'imagine, j'entends encore sa mélodie et je vois ses longs cheveux noirs se battre contre le vent.

À chaque fois que je t'entends pleurer, tu me la rappelles. Les soirs où la tristesse atteignait enfin son cœur, lui rappelant sa propre mère qu'elle n'a jamais connue.

Et j'étais là pour elle, comme je suis là pour toi, Talya. »

La petite renifla et fit son premier sourire depuis son arrivée forcée à Greenland. Le Héros continua de caresser ses cheveux jusqu'à ce qu'elle pose la question de trop :

« 'Vais revoir Arwin ? Et tonton Vyrr ? Vyrr il venait me border et j'avais qu'à toucher ses loooongs cheveux pour faire dodo ! Est-ce qu'il va venir ? »

Le Héros ferma les yeux et fronça les sourcils, lui qui avait espéré ne pas en arriver là.

« Demain, on partira pour la cité elfique d'Elmetya, au nord-ouest. Tu devrais te préparer pour un rituel important et pour ça, il faut que tu dormes et que tu arrêtes de pleurer, d'accord ? Après ça, tu pourras revoir Vyrr. »

Un mensonge nécessaire pour calmer la tristesse de la petite fille dont le corps fatigué s'allongeait enfin sur la mousse pour se plonger dans le sommeil.

Ne sachant pas que ce serait la dernière fois qu'elle rêverait de son frère jumeau et du nécromancien.

Est-ce que ça vous avait manqué ? 😉

Fin du prologue en trois parties ! On s'est replongé dans des textes d'Histoires d'Heranyon pour se remettre dans le bain mais aussi se souvenir des origines de Vyrr, de la séparation entre les jumeaux, des enjeux de tout ça et... du mauvais plan du Héros concernant la mémoire de Talya 😰

Qu'avez-vous pensé de ces trois chapitres ? C'est peut-être confus si vous ne vous souvenez plus des précédents tomes donc n'hésitez pas à vous faire une relecture rapide 🤭

Samedi prochain, je sortirais deux chapitres, histoire de bien démarrer cette nouvelle histoire et j'espère que vous serez toujours au rendez-vous ! 

Votre soutien permet à cette histoire d'être ici donc n'oubliez de voter pour chaque chapitre en cliquant sur l'étoile (et n'hésitez pas à me laisser un commentaire, j'adore lire vos réactions !) 😎 A la semaine prochaine et portez-vous bien !

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