9🔥Tout sauf la solitude

[ARWIN]


La respiration erratique et la gorge brûlante, Arwin retira son épée pleine de sang du corps de la biche qu'il venait d'achever. La tempête de neige faisant toujours rage autour de lui mais, même habillé d'une simple tunique, il transpirait à grosses gouttes.

Tirant sa proie par les pattes et tachant la neige immaculée de pourpre, il avançait péniblement alors que le vent d'hiver lui griffait la peau comme jamais.

« Merde. » jura-t-il après avoir toussé dans son gant et essuyé le coin de sa lèvre.

Quelques gouttes de son sang mais également un peu de poussière métallique tachaient le cadeau que Vyrr lui avait fait pour son dernier anniversaire.

Un détail qui le contraria assez pour qu'il ne le retire et le cache dans sa poche.

Car depuis cinq ans, Arwin s'était bien gardé de révéler son secret à son « oncle ».

L'enfant de 10 ans avec un corps d'adolescent s'était bien développé avec ses années d'entrainements intensifs, se musclant et se fortifiant afin de pouvoir affronter n'importe quel problème à la pointe de son épée.

Mais à la grande surprise de Vyrr, il avait également développé une passion pour les ouvrages d'apothicaires. Or, plus son intérêt grandissait, plus il semblait suspect pour le nécromancien.

Avec le temps, les recherches d'Arwin sur sa maladie héréditaire avaient du mal à avancer tant elles étaient secrètes et seuls Alcine et Drunog, qu'ils considéraient comme des membres de sa grande famille, étaient au courant.

En pensant à la religieuse, Arwin relâcha les pattes de l'animal mort dans la neige et s'agenouilla avant de joindre les mains et de murmurer des paroles de remerciements aux divinités.

Si sa nature était fondamentalement chaotique, Alcine avait passé beaucoup de temps pour lui enseigner des valeurs morales, spirituelles et un grand respect en l'honneur des anciens dieux. Elle le poussait à toujours rester optimiste malgré les échecs qu'ils subissaient dans sa vie.

Quant à Drunog, il se contentait de lui donner goût aux « bonnes choses ». Lui qui avait eu beaucoup de mal avec l'enfant suite aux découvertes sur ses origines, s'était finalement lié d'amitié avec lui.

Il était heureux de lui apprendre des choses sur les nains, son travail mais aussi lui faire goûter toutes sortes de tentatives culinaires dégoutant Alcine à la première bouchée.

Il était son cobaye, Drunog ne le cachait pas, tant que l'enfant semblait heureux de participer à ses expériences.

Tout valait mieux que la solitude.

« Bonjour ! Je reviens de la chasse et je vous ramène ceci ! » s'exclama-t-il en entrant dans la principale taverne du village de Brise-Lac.

Un silence gênant s'installa dès l'instant où tous les clients le virent débarquer dans ce lieu n'était pas sa place. Car si les habitants étaient laxistes avec la présence de leurs enfants dans une taverne, il n'appréciait pas celle d'Arwin.

Très peu de personne l'aimait, et ça malgré son enthousiasme et sa gentillesse.

La raison étant liée à une rumeur ayant fait le tour du pays sur la mort de plusieurs enfants l'ayant « embêté » lorsqu'il était plus jeune. Une rumeur fondée mais déformée et rejetant la faute sur « le dragon chaotique » qu'il était.

Néanmoins, Arwin commençait à avoir l'habitude d'être ignoré et, même si parfois il en souffrait, Vyrr lui avait appris à toujours cacher ses véritables émotions pour ne pas être attaqué.

« Ne montre jamais tes faiblesses à ceux n'ayant pas gagné ta confiance. Ils s'en serviraient pour mieux te poignarder dans ton sommeil. »

L'enfant souleva sans peine la bête morte pour la poser sur une table à l'écart et la désigna du doigt au tavernier, l'air tout fier :

— C'est moi qui l'ai tué, tout seul !

— Qu'est-ce que tu fais ici, gamin ? Tu vois bien qu'à chaque fois, personne ne désire te voir en ce lieu.

— Je vous ai apporté de quoi nourrir les gens comme la tempête fait rage dehors et que les vivres manquent un peu partout dans le village. Je pensais bien faire.

— Merci mais on s'en passera bien de la prise d'un dragon !

« J'te savais pas si con et chiant ! »

Tous sursautèrent en entendant la porte d'une des chambres à l'étage se claquer alors qu'un nain à la barbe noir descendait à toute vitesse jusqu'à la salle.

« Drunog ! » s'exclama Arwin avec un grand sourire sur le visage.

Le nain tapota le torse de l'enfant qu'il retrouvait après une longue séparation avant d'observer la biche dont le sang commençait à couler sur les lattes en bois.

— T'as un môme qui t'apporte de quoi faire tenir ta taverne pendant quelques jours et tu chipotes ? Est-ce qu'il y en a au moins un qui a eu les couilles de s'aventurer dehors pour choper un lapin ? Givrecieliens, honte à vous !

— Cette créature est t-

— Eh oh, tu parles de mon garçon. Je te l'ai dit plusieurs fois et je le redis : Arwin est un enfant normal. Enfin non, il a plus de couilles que vous, des adultes, mais il n'est pas méchant. Peut-être chiant quand il parle trop mais c'est un bon gamin qui a eu la gentillesse de vous apporter à manger.

— Excuse-nous, Drunog. On ne pensait pas t'offenser.

— C'est à Arwin que tu dois des excuses. Mais j'ai bien vu que ça t'arrachait la langue. Allez, vient gamin, on rentre à la maison. Je t'apprendrais à boire de l'alcool un autre soir.

Ses affaires sous le bras, le nain quitta la taverne en tapant des pieds alors que l'enfant salua l'ensemble de la salle d'une main levé avec un grand sourire sincère.

Une fois dehors, il poussa un long soupir avant de poser sa main sur son cœur.

— Ça va ? C'est l'okril qui attaque ?

— Légèrement. Ça, mais surtout leurs regards. Alcine m'a appris que les dragons et autres créatures avaient un statut divin ici mais dès qu'on colle le mot « chaos », c'est tout de suite autre chose.

— Tu ne devrais pas te préoccuper de ça à ton âge. Tu parles comme un adulte alors que tu n'as même pas encore de poil sur le torse !

— Penses-tu qu'un jour, j'aurais une barbe aussi fournie que la tienne ?

— C'est une barbe 100% originale, qualité de nain, tu ne peux pas espérer atteindre ce niveau !

Une simple tape dans le dos et un rire familier suffirent à rendre sa bonne humeur à Arwin. Drunog était partie à Voile-d'hiver pendant un mois et même en échangeant par courrier, l'enfant avait ressenti son absence dans son quotidien.

Le vide en lui se creusait à chaque nouvelle séparation et la peur de ne jamais retrouver l'autre s'emparait de lui parfois en pleine nuit.

Le nom d'Aetalya revenait toujours dans ses cauchemars et chaque anniversaire passé sans elle accentuait la douleur due à son absence.

Alors il se raccrochait à ses amitiés, tentait d'être le plus ouvert possible et amicale au point même que parfois, Vyrr semblait dégouté de son attitude. La qualifiant de « trop naïve » avant de murmurer que le monde entier ne méritait pas une once de l'amour d'Arwin.

Ce dernier et Drunog marchèrent longuement jusqu'au petit village installé au pied de la montagne d'Onhild depuis quelques années par les elfes corrompus et les nains ayant fait alliance.

C'était un petit lieu, extension de la cité souterraine, mais servant de bout de route commerciale pour les échanges venant de l'autre côté du pays. C'était également une aubaine pour les pèlerins pouvant loger dans des conditions descentes sans craindre pour leur sécurité.

A la surprise générale, c'était Vyrr qui avait négocié avec le Roi Viktor l'installation de ce village ainsi que le l'alliance elfe-nain, alors qu'il s'évertuait à conserver une image menaçante de sa personne envers les autres.

L'endroit était aussi chaleureux qu'atypique mais Arwin se sentait réellement chez lui parmi tous ces elfes, nains et humains le connaissant vraiment et l'appréciant.

« C'était compliqué ? »

Faisant face à Vyrr habillé d'un grand manteau en laine, lui barrant le chemin vers l'intérieur de la cité dans la montagne, Arwin déglutit et cacha ses mains derrière son dos avant de répondre à son protecteur :

— Ça allait mais j'avais très chaud.

— Hum. Et tu n'arrives toujours pas à te transformer en dragon...

— Ah bon ?! intervint Drunog. Tu m'avais dit le contraire avant que je parte !

— Oui euh non... J'ai réussi à sortir des flammèches mais euh...

— Tiens, je ne t'avais pas vu, le nain. Trop petit.

— Pour votre égo, monseigneur nécromancien, surement.

— Arrêtez... supplia presque Arwin. Pas aujourd'hui.

— Est-ce qu-... Arwin. Où sont les gants que je t'ai offerts ?

L'enfant détourna le regard, haussant timidement les épaules jusqu'à ce que le nain le trahisse en tirant sur l'un de ses gants dépassant de sa poche.

Dans le but de se moquer des cadeaux de l'elfe corrompu, profitant de chaque occasion pour lui rappeler qu'il n'était pas « d'une race inférieure », Drunog lui jeta le gant dans la main en commençant une tirade sur l'inutilité d'offrir pareille protection à un enfant dragon, lorsqu'il s'interrompit.

En voyant l'inquiétude grandir chez le nécromancien ainsi qu'une aura inquiétante se dégager de ce dernier, le nain recula de quelques pas par précaution lorsque, comme Arwin, il sursauta au changement de ton de Vyrr :

— Depuis combien de temps ?! s'exclama-t-il en colère. COMBIEN DE TEMPS ?!

— Tonton, s'il te plait j-

— Réponds-moi ! Est-ce que tu étais au courant, Drunog ?!

Ce dernier fut encore plus surpris que l'elfe ne l'appelle par son prénom, ce qui n'était jamais arrivé depuis qu'il fréquentait Arwin. « Le nain », « le barbu inférieur », « la sous-race », « le rat des mines », mais jamais aucune base de respect.

Drunog regarda donc le gant en question et comprit immédiatement qu'il allait passer un mauvais quart d'heure.

— Du sang noir et... de la poussière d'okril. Écoute, Vyrr, j-

— Tais-toi pour l'instant. Arwin, depuis quand ?

— Depuis... presque cinq ans. Environ.

— Et toi Drunog ?

— Un peu avant lorsque le petit a eu son accident.

— Quel accident ? Parle sinon je te démembre.

— Il est tombé dans la rivière souterraine et s'est fait empaler par un pique de glace. Je l'ai rencontré dans ces circonstances avec Alcine. On s'est occupé de lui et c'est comme cela que j'ai eu des soupçons sur sa maladie.

— Et vous ne m'avez rien dit ?!

— Bordel, Vyrr ! Rien que de t'appeler par ton prénom me donne le risque de crever ! Comment voulais-tu qu'à l'époque nous t'en informions ?! Tu aurais pu nous remercier en te servant de nos cadavres comme soldat !

Le silence du nécromancien suffisait à approuver les aveux de peur du nain. Alcine et Drunog avaient plusieurs fois tenté de convaincre Arwin d'en informer l'elfe mais l'enfant ne semblait pas d'accord.

Il souhaitait trouver une solution par lui-même.

— Tu m'as appris à régler mes problèmes tout seuls, rétorqua-t-il en croisant les bras.

— On ne parle pas d'un « problème », morveux, on parle d'une maladie réduisant ton espérance de vie ! As-tu pensé à ta sœur ?

— Je ne retrouverais jamais Talya parce que tu l'as abandonné !

*PAF*

Une violente claque fit vaciller l'enfant dont quelques flammes sortaient de sa bouche tant il était en colère. Drunog recula à nouveau pour ne pas se retrouver au milieu de ce conflit devenant de plus en plus tendu.

Le nain remarqua clairement que la remarque de l'enfant avait atteint le nécromancien. Sa paupière tressautait et ses dents mordaient sa lèvre comme pour retenir sa rage et l'empêcher de surréagir face à Arwin.

Entre eux, l'énergie chaotique circulait tellement qu'elle en était même visible pour Drunog, rendant jusqu'à l'air irritant pour la gorge et les yeux.

« Il n'y pas un jour où je ne pense pas à ta sœur. Pas une heure où je ne réfléchis pas à un moyen de reprendre tout ce que l'on m'a enlevé et pas une minute où ma haine pour l'Alliance Etincelante ne s'accroit.

J'aurais pu la tuer et faire disparaitre tous mes ennemis en même temps. Nous serions encore à Stormaelyan et nous aurions eu plus de moyens pour retrouver ton père et sauver ta mère.

Mais penses-tu une seconde que je l'aurais fait ? À elle, mais aussi à toi ? C'est moi qui vous ai recueilli et vous m'êtes bien plus précieux que n'importe quelle nation ! Alors oui, j'ai dû la laisser dans les griffes de l'ennemi mais je la ferais revenir vers nous.

Et même avec toutes ses préoccupations m'éloignant de toi, je ne t'oublie jamais, Arwin. Tant que je pense à toi, tu n'es pas seul.

Maintenant, tu vas arrêter de faire le gamin stupide et me parler de ta maladie parce que sans moi et mes connaissances, tu es condamné. Ce serait un réel déplaisir d'utiliser ton cadavre pour récupérer ta sœur, tu ne crois pas ? »

La tension entre eux se calma progressivement, tout comme la colère chez Arwin et le chaos environnant se dissipant petit à petit.

Drunog poussa un petit soupir de soulagement lorsque l'enfant s'approcha doucement de l'elfe et se logea dans ses bras pour l'enlacer. Un geste tendre et assez rare en public mais que Vyrr ne rejeta pas.

— Je vais trouver une solution, murmura Vyrr en caressant la chevelure noire de l'enfant. J'ai déjà étudié cette maladie il y a longtemps.

— Vraiment ?

— Oui, c'est Cassian qui m'avait alerté sur les symptômes de ta grand-mère, Cristal. Je sais déjà où chercher des réponses. Tu n'apprendras rien de plus dans les livres à ta disposition, alors laisse-moi faire.

— Que dois-je faire ? Attendre ?

— T'endurcir. Tu es plus fort que n'importe quel humain et cette maladie s'attaque à tes faiblesses. Deviens encore plus puissant, aussi résistant que l'était ton père. Deviens un vrai guerrier dragon et fait honneur aux Prideblaze.

— Je le ferais.

— Mais la prochaine fois que tu me cacheras quelque chose, je te coupe la queue. Est-ce clair ?

L'enfant hocha la tête avant d'enfouir sa tête dans le manteau de Vyrr lorsque ce dernier lança un regard assassin à Drunog.

Lui faisant comprendre qu'il l'épargnait pour cette fois-ci mais que le nain avait intérêt à se racheté d'avoir gardé si longtemps une pareille découverte.

Implicitement, Drunog venait de se mettre au service du nécromancien et en était déjà dégouté...

Mais pour le bien d'Arwin, le sacrifice en valait la peine.

— Je vais devoir partir pour l'Est, régler des affaires. En attendant mon retour, je veux que tu rejoignes Voile-d'hiver et que tu résides là où tu es né. Tu dois découvrir de nouveaux horizons et de nouvelles personnes.

— Mais... Les gens ne m'aiment pas trop, hors d'ici.

— Tu n'es pas obligé d'y rester tout le temps. Et puis Drunog et Alcine t'accompagneront, n'est-ce pas ?

« Et voilà, ça commence déjà... » pensa le nain ne pouvant dire non à la demande.

— Et Alerya ?

— Je l'ai envoyé en mission à l'Est. Elle reviendra dans quelques semaines si tout va bien. Pour l'instant, tu ne devras compter que sur le nain et la religieuse qui t'aime tant au point de me cacher des choses...

— Et... Cassian ? J'avais pris l'habitude d'aller... lui parler. Ça me fait du bien. Est-ce que j'aurais encore le droit, en ton absence ?

Vyrr fût étonné de l'aveu d'Arwin mais ne put qu'approuver car plus l'enfant s'attacher à l'homme prisonnier de la glace, plus il chercherait à le libérer.

Un nouvel objectif qui le détournerait enfin de ses recherches sur sa maladie et lui changerait les idées.

« Maintenant, c'est à moi de prendre les choses en main. Il est temps. »


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