9🐲Déteste-moi un peu plus

[TALYA]


« Tu dois faire corps avec la terre et le ciel. Les esprits et les énergies vivantes tout autour de toi. Laisse cette puissance en toi s'étendre, envahir tout ton être et ses sens avant d'enfin jaillir... tout en se contrôlant.

Le but n'est pas d'exploser ou de tout incendier autour de toi, mais bien de laisser ta nature sauvage te transformer tout en gard- »

« Raaaah ! » s'exclama Talya toujours en tailleur en tapant son poing dans l'herbe. « Ça ne sert à rien ! Ça fait des jours que j'essaie, mais je n'arrive même plus à cracher une flammèche ! Ton cours est stupide, Larion ! »

Le fils du Dieu de la forêt ne put s'empêcher de sourire en observant la boule de frustration qu'était son « apprentie ».

Cela faisait plus d'une semaine qu'elle avait débarqué dans leur forêt et autant de temps qu'il l'aidait à apprivoiser sa nature de dragon.

Si elle n'en voyait pas les résultats, lui était convaincu que l'illumination finirait par l'atteindre.

— C'est Aelarion, rectifia-t-il d'une douce voix. Prends une grande inspiration et-

— J'en ai marre. Je ne serais jamais un vrai dragon. J'aimerais tellement savoir comment mon frère a fait pour réussir...

— On va s'arrêter là pour aujourd'hui. J'ai vraiment hâte que tu assistes à la célébration du printemps de ce soir.

— Ça n'a pas lieu depuis trois soirées ?

— Ce soir, c'est l'apothéose. De la musique, des chants... Est-ce que tu sais danser ?

Talya leva les yeux au ciel, se perdant dans ses lointains souvenirs de fêtes dans une taverne de Greenland, accompagné de son défunt professeur.

Soudain, son regard capta les iris soi-disant dorés d'Aelarion et l'affection étrange qu'elle vit chez lui la décontenança légèrement avant qu'elle accepte sa main pour se relever.

Elle appréciait sa compagnie et, même si elle se méfiait de ce semblant d'amitié qu'il lui offrait naïvement sur un plateau, Talya ne pouvait s'empêcher d'avoir le cœur plus léger à chaque journée passée avec lui.

Et pourtant, il manquait quelque chose. Elle n'arrivait pas à atteindre cette « paix intérieure » qui lui permettrait d'avoir ne serait-ce que des ailes noires dans le dos, comme son frère.

Il n'y avait qu'une personne qui pourrait l'aider à comprendre ce qui coinçait... mais elle était toujours prisonnière.

— Ael, puis-je te demander une faveur ?

— Si tu m'accordes une danse ce soir.

— Est-ce que... le nécromancien pourra venir ?

Une grimace déforma le beau visage du demi-dragon qui se mit à gratter les écailles vertes de son cou avant de pousser un long soupir.

— Tu souhaites réellement gâcher la soirée ? Aetalya, ce type est la définition même du chaos, de l'impertinence, de-

— Il saura se tenir. Je m'y engage. S'il te plait.

— Mon père va me tuer, mais d'accord. Tu peux le ramener... Et je vais devoir lui trouver une tenue à sa taille.

— Une tenue ?

— Tu verras. Mais c'est important pour le peuple de la Forêt. Vous aurez aussi la chance de voir la Sainte Relique.

Talya se contenta de hocher la tête, mais intérieurement, elle bouillonnait d'excitation.

Elle avait observé, analysé et posé les bonnes questions depuis des jours afin de découvrir où était la broche sacrée d'Heralgar. Un plan s'était façonné dans sa tête pour la récupérer sans provoquer la colère du Dieu de la forêt, mais elle n'avait que peu d'options.

L'avis du nécromancien était essentiel pour savoir comment elle devait procéder.

Deux heures plus tard, alors que le soleil se couchait sur la dense forêt, Talya arrivait au dernier pont en rondin menant à la cime des arbres où était retenu dans une large cage en bois l'elfe corrompu allongé sur une paillasse.

— Bonsoir ma cruche. Je t'ai manqué ?

— Comme un caillou dans ma chaussure.

— Tu n'es pas venu jusqu'à moi par pur masoch-

En se relevant et en l'observant enfin, Vyrr resta silencieux quelques secondes en détaillant la robe verte de soie fluide aux manches évasées et aux motifs de feuilles brodés sur le corsage.

Ses longues jambes mises en valeur, Talya portait des petites sandales en cuir tressé accompagné de bracelets de cheville en fleur réalisé par les enfants du village.

Elle dégagea une mèche blonde derrière son oreille avant de resserrer le lacet retenant ses cheveux tressés, avant de se racler la gorge pour capter l'attention du nécromancien.

— Ils s'apprêtent à te sacrifier ?

— Un petit compliment t'arracherait la langue ?

— Tu es magnifi...

— Merc-

— ...quement répugnante. On dirait une poupée de la forêt. Es-tu venu me montrer ta tenue de pucelle pour avoir mon approbation ?

— Je suis venu te chercher pour faire la fête.

— ... Pardon ? Moi ? Le nécromancien qui effraie tout le monde, on m'autorise à sortir de ma cage pour faire la fête ? Est-ce que le monde d'en bas est ravagé par la bêtise ?

— Pitié, tais-toi donc... C'est moi qui ai demandé à ce que tu sois présent, car... ils vont montrer la broche.

— J'ai bien cru que tu allais me décevoir. À deux doigts de regretter d'avoir lié mon destin au tien.

— Enfile ça.

Talya lui jeta à travers les barreaux une nouvelle chemise ainsi qu'un pantalon en soie. Elle se tourna pour le laisser se changer et quelques instants après, le dévisagea comme il l'avait fait.

La jeune femme déglutit en l'observant attacher ses longs cheveux blancs, un lacet dans la bouche, alors que toute sa tenue, pourtant à des lustres de ses vêtements habituels, lui allait parfaitement bien.

Sa chemise en lin léger à la coupe décontractée avait des manches longues et évasées, ajoutant du mouvement fluide à sa tenue, des poignets aux boutons en nacre, mais surtout un col ouvert accentuant le décolleté de l'elfe.

Ce simple vêtement mettait en valeur des atouts masculins qu'elle n'avait jamais entrevus chez lui jusqu'à ce que son regard soit hypnotisé par la chaine et l'anneau habillant sa peau grise.

Ses iris rouge grenat croisèrent un instant ses yeux, avant de disparaitre derrière ses paupières qu'il ferma en terminant sa coiffure.

Pour elle, même avec sa nature corrompue, Vyrr Loraelyan Rhapsody venait de retrouver la prestance du haut elfe qu'elle avait vu dessiner dans un livre il y a quelques années.

Talya déglutit de nouveau alors qu'elle se faisait de nouveau happer par la beauté inattendue devant elle, lorsqu'elle fronça les sourcils en se rendant compte qu'il était à moins d'un mètre d'elle, hors de la prison.

— Comment est-ce qu-

— Comme si cette cage rudimentaire pouvait me retenir. Alors ? Qu'en penses-tu ? À ton tour.

— Tu es...

« Détestablement séduisant. » pensa-t-elle avant de chasser sa pensée la surprenant elle-même.

— ...Comme du vomi. Repoussant, puant et-

— Arrête-toi sur les compliments, je vais rougir. Allez, allons terroriser les péons des bois !

Talya ouvrit la marche et tenta de faire revenir les désagréables souvenirs de la mort de son professeur afin de chasser son avis sur le physique du nécromancien.

« Il est dangereux et responsable de mon malheur. Je ne dois pas m'attacher à lui et encore moins le trouver... désirable. Eurk. » se dit-elle lorsqu'ils arrivèrent tout en bas des plus anciens arbres alors que la danse des flammes des feux de camp était accompagnée de percussion.

Tous les habitants dévisageaient Vyrr et chuchotaient à chaque passage, ce qui rendit l'avancée jusqu'au centre gênante pour la femme qui eut l'impression de revivre sa jeunesse au château de Greenland.

« Comment peut-il supporter cela depuis des années ? Les regards, les murmures et surtout la peur et le dégout qui se lisent dans leurs yeux... Alors qu'il ne leur a rien fait. »

L'air impassible du nécromancien ne laissait transparaitre aucune émotion et Talya l'envia presque de porter un masque si épais pour cacher ce qu'il devait réellement ressentir.

« Il ne peut pas nous rejoindre. »

Face à Aelarion, le duo resta un instant silencieux avant que Vyrr ne s'écarte et aille s'assoir contre le tronc d'un arbre, suffisamment loin pour que les villageois ne le craignent pas.

Talya comprit la méfiance du demi-dragon et le rejoignit autour de l'un des feux de camp alors que le Dieu de la Forêt commençait son éloge à la nature et au printemps.

Elle participa au partage des fruits récoltés aux premières lueurs du « nouveau soleil » et se surprit même à apprécier la douceur et la générosité de ce peuple si diversifié.

Malgré cela, sa voix intérieure n'arrivait pas à être apaisée. Cette ambiance lui semblait presque « hypocrite ».

Ce peuple coupé du reste du monde dans les bois ne semblait souffrir de rien et s'exclure des conflits ravageant des vies entières... et cette injustice lui laissa un goût amer alors que des grains juteux de grenade coloraient les lignes de vie de sa paume.

Après avoir assisté à une discussion père-fils ennuyeuse, elle s'écarta de l'agitation de la fête et des percussions incessantes pour retrouver le nécromancien en train de rajouter à son jus de fruits et légumes un liquide clair provenant d'une fiole dans sa poche.

Elle lui tendit des graines de grenades avant de s'assoir à ses côtés et d'observer les danses en cercle autour des feux.

Tous les deux restèrent silencieux, même lorsqu'il lui tendit sa boisson devenue alcoolisée et qu'elle n'en laissa que quelques gouttes.

Les graines craquant contre ses dents, elle tourna légèrement la tête pour observer Vyrr en train de se lécher les doigts avant de se dégager une longue mèche blanche de son visage et de grogner à cause de l'attaque d'une mouche sur lui.

« À bien le regarder, il n'a rien d'effrayant quand il est au naturel. Il a presque l'air normal. » pensa-t-elle lorsqu'elle croisa son regard avant de fixer son verre.

— Suis-je si repoussant ? demanda-t-il d'une petite voix.

— Pardon ?

— Ma peau grise. Mes yeux rouges et mes cheveux blancs. C'est dégoutant, hein ? Qu'un haut elfe finisse dans cet état pour avoir versé le sang de ses congénères... Mais j'ai l'habitude, maintenant.

— Non, je...

Talya déglutit, incertaine des mots qui se bloquaient soudain dans sa gorge, avant de pousser un long soupir et de se résigner à avouer :

« Je trouve tes cheveux magnifiques. »

Soudain, Vyrr se tourna entièrement vers elle, les épaules tendues et une expression indéchiffrable sur son visage qui fut petit à petit remplacé par une surprise qu'elle trouvait presque enfantine.

— Je suis sincère.

— Tu ne te moques pas de moi ?

— Non... Étonnamment. Depuis des jours que l'on voyage ensemble, je me demande chaque matin comment tu fais pour qu'ils aient l'air si... parfaits.

— Un peu de magie et un bon coup de peigne.

— Tu permets que je... ?

Le nécromancien cligna plusieurs fois des paupières avant de hocher la tête et de la laisser s'approcher avec ses doigts pour qu'elle saisisse une mèche et l'observe de près.

Il sentait les vibrations de la terre et des percussions au plus profond de lui, donnant du rythme à un organe qu'il croyait mort, jusqu'à ce que son regard croise celui d'Aelarion venant à leur rencontre pour détruire l'unique réel échange qu'ils avaient.

— Aetalya, dit-il en haussant le ton, mon père est d'accord pour t'accueillir le temps qu'il faudra ici afin que tu appréhendes mieux ta nature de dragon. Mais l'elfe corrompu doit partir.

— Qui vous dit que la princesse voulait rester ici ?

— Personne ne voudrait passer une minute de plus avec vous, nécromancien.

— Laisse-nous, déclara Talya d'un ton exaspéré.

Soudain, alors que Vyrr commençait à se relever et préparer une insulte, la main de la jeune femme sur son avant-bras l'immobilisa.

« Je te parle à toi, Aelarion. Ta proposition est intéressante, mais nous devons en discuter. Ma vie est, malgré moi, liée à Vyrr Rhapsody. Alors laisse-nous. »

Le demi-dragon tenta de cacher sa gêne de s'être fait rembarrer avant de les saluer brièvement et de retourner aux festivités.

— Tu n'y es pas allé avec des pincettes. Vous ne vous entendez pas bien ?

— Si, mais c'est le genre d'homme qui pense savoir mieux que moi ce que je désire et mérite. Il doit être recadré.

— Ceci explique pourquoi tu me parles d'un langage si fleuri chaque jour ! Je dois être le pire des « hommes » pour toi. Mais passons, j'ai cru comprendre que tu avais du mal à faire sortir « le dragon ».

— J'aurais besoin de tes lumières à ce sujet. Tu as bien connu mon frère et j'aimerais savoir comment fait-il pour avoir ses ailes et son feu ? J'ai beau essayer la méditation, je n'y arrive pas.

Subitement, le nécromancien laissa s'échapper un rire avant de boire directement à la fiole d'alcool qui transmit à Talya. Il leva les yeux vers le ciel étoilé avant d'avouer avec certitude :

— Ce n'est pas le calme qui va t'aider, mais le chaos. La colère. Cette rage à l'intérieur qui t'a permis de cracher des flammes quand nous avons quitté Greenland. Tu es une descendante d'un dieu de la guerre, ne l'oublies pas.

— Céder à mes émotions ? Est-ce le seul moyen ? Comment Arwin-

— Il a assisté à la mort d'une personne très chère à son cœur. Ça l'a... détruit. Si fort qu'il s'est servi de son sentiment de vengeance pour retrouver sa vraie nature. Mais jamais vous n'arriverez à vous transformer en intégralité.

— Pourquoi ?

— Parce que vous êtes séparés. Je suis certain qu'il n'y a que lorsque vous serez « relié » que vous pourrez vous transformer. Comme lorsque vous étiez enfant. Mais avant cela, tu as du trav-

— Quand nous étions enfants ? s'étonna-t-elle soudain. Alors tu étais-

Vyrr l'interrompit en saisissant son menton et en lui tournant la tête vers le feu de camp au centre des festivités où le Dieu de la Forêt se tenait avec son fils et, dans ses mains, la broche d'Heralgar.

Le bijou qu'ils convoitaient et qui allongerait la liste de leurs ennemis.

— On doit agir. Maintenant.

— C'est le pire des moments.

— As-tu réfléchi à un plan ? Y aura-t-il de meilleures opportunités ?

— Je... devais y réfléchir.

— Fonce dans le tas comme tes parents le feraient.

— Oui bien sûr, voler le Dieu de la forêt en ne comptant que sur l'effet de surprise et mon endurance à fuir alors que nous n'avons pas nos affaires et qu-

— Dis-moi merci.

Talya retint une injure en le voyant faire le tour du massif tronc d'arbre lorsqu'il revint avec l'intégralité de leurs affaires de voyage ainsi que leurs armes.

Vyrr n'avait rien d'un prisonnier dans ces bois. Il jouait avec la puissance d'un Dieu et elle voyait bien que ça le démangeait de prouver qu'il était son égal.

— Fuir avec la relique, et après ? On va être poursuivi, attaqué dans tous les sens et si par miracle on ressort de cette forêt, ce ne sera pas indemne. On se sera fait de nouveaux ennemis.

— Mon quotidien. Pour le reste, fais-nous confiance.

— Nous ?

— Concentre-toi sur ce que je t'ai révélé pour ta vraie nature. Quant à moi...

Elle l'observa se mordiller la lèvre, réprimant un sourire de plus en plus mauvais, lorsqu'elle comprit ce qu'il s'apprêtait à faire pour détourner l'attention de tout le monde et permettre le vol de la broche.

— Non, tu ne peux pas leur faire cela ! C'est horrible, c'est-

— C'est moi. Déteste-moi un peu plus. J'ai l'habitude.

Il suffit d'un clin d'œil pour qu'elle comprenne qu'elle n'avait plus le choix. Le nécromancien lui imposait sa solution et il avait raison, même si c'était « facile », elle détestait cela.

Son sens moral lui disait de tout arrêter, de l'envoyer valser contre l'arbre et de le remettre en cage.

Mais sa voix intérieure, celle baignée dans le chaos, lui chuchotait de suivre le mouvement. De se laisser aller et de ne pas regretter d'être cruelle.

« Ces gens, aussi bons soient-ils, ne tiendrait pas une seconde hors de leur forêt et face aux horreurs à venir. » pensa-t-elle en observant Vyrr étirer ses bras.

Une goutte de sueur roula soudain sur sa nuque lorsqu'elle croisa le regard du Dieu de la Forêt, comme s'il avait deviné leur plan, mais elle n'eut pas le temps de faire dériver ses pensées que le nécromancien agitait déjà sa magie dans l'air.

Elle le sentait. C'était mauvais, chaotique...

Et si bon.



Le Dieu de la Forêt qui a cru que des barreaux en bois pouvaient retenir Vyrr Rhapsody ? 😆

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Des conseils d'Aelarion et des tentatives de Talya de se transformer en dragon ? 🤔

Des échanges moins violents avec Vyrr et de leur rapprochement ? Ainsi que de leur plan qui sent bien mauvais ? Talya n'est-elle pas en train de céder un peu plus au chaos ? 😬

J'espère que la suite vous plaira ! On se retrouve bientôt pour le prochain chapitre ! 🥰

🔥🔥🔥



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