44🔥Le prix de l'hésitation

[TALYA]


« Voilà la dernière fournée d'hier soir. De ce côté, des montres qui vont partir pour le marché aux esclaves de Stolheim. De l'autre, ce qui va alimenter le trafic d'être vivant et surtout, les désirs les plus dégueulasses de la bourgeoisie des pays du nord. »

Le geôlier et son visiteur s'approchèrent des barreaux de l'immense cellule et sursautèrent lorsque l'un des prisonniers, un orc, leur hurla dessus après avoir brisé ses chaines.

« Sale créature ! » s'écria leur gardien en sortant une dague pour lui trancher la gorge, lorsque l'orc se fit tirer en arrière pour éviter un coup fatal.

Les deux hommes approchèrent leurs torches pour observer le visage de l'humaine ayant empêché la mort d'un innocent, avant que le visiteur ne sifflote en la découvrant :

— Belle plante... Où l'as-tu trouvé ?

— Elle est tombée dans un piège pour monstre à la frontière de Norhtway.

— Hm... Une blonde aux yeux bleus... Ça va plaire à beaucoup de monde. Combien ?

— Comme tu viens de le dire, elle va plaire.

— Trente pièces d'or. Pour ma consommation personnelle.

— Hors de question.

— Tu es dur en affaire... Quarante et tu me la laisses trente minutes.

— Tu vas salir la marchandise ! Les nobles sont intransigeants là-dessus ! Et si elle est vierge, c'est encore mieux.

— Vu son regard de catin, ils vont être déçus. Bon... Tu m'as convaincu. Je prendrais les montres. Stolheim est en pénurie à cause des attaques de Givreciel sur sa flotte. Ça vaut cher.

Les deux hommes continuèrent à discuter en s'éloignant de la prison et, lorsque la semi-pénombre revint, tous les prisonniers poussèrent un soupir de soulagement...

Sauf l'orc qui se redressa et attrapa par le cou la femme lui ayant évité la mort.

« Pourquoi tu ne m'as pas laissé l'affronter ?! » s'exclama-t-il en grognant.

Personne ne réagit pour l'empêcher d'attaquer l'humaine, parce que personne ne s'en souciait. Chacun pensait avant tout à sa survie.

Mais tous furent surpris en voyant la femme agripper les poignets de l'orc faisant deux têtes de plus qu'elle et les éloigner avec force. Elle le fusilla du regard et, sans comprendre comment, ce dernier fût intimidé par l'aura qu'elle dégageait.

— As-tu perdu tout espoir de t'en sortir ?

— Tu es bien une étrangère pour y penser, répondit un gobelin derrière l'orc. C'est fini pour nous. On va finir comme des esclaves dans les forges d'Ironfrost ou comme viande à Stolheim. Si seulement nous avions pris la mer, nous aurions eu une chance d'être sauvés...

— Depuis combien de temps ce trafic existe ?

— Tu ne devais pas être né.

— J'ai bientôt 24 ans.

— Un bébé né pendant la guerre, comme c'est mignon...

« Les habitants de ce monde sont des raclures de chiotte », intervint enfin l'orc en s'asseyant dans la poussière. « Ils traitent aussi mal les gens de leur peuple que nous. Il y a des années que nous avons quitté le monde des ténèbres afin d'avoir une vie meilleure. La Grande Invocatrice a promis à nos ancêtres, en échange de leur force, un avenir empli de lumière...

Tout cela n'était que mensonge. Les humains, les elfes et les nains ne nous accepteront jamais.

Je venais d'un petit village caché dans les montagnes avec d'autres orcs de mon espèce. Nous ne faisions rien de mal et nous avons même aidé des voyageurs perdus. Nous vivions d'une chasse raisonnable et de la vente de notre artisanat aux caravanes gobelines...

Ça n'a pas plu aux dirigeants de Crystalis qui nous ont chassés plus au nord, dans les terres hostiles et glaciales, avant que nous soyons traqués par les chasseurs de monstres. J'ai perdu ma famille et mes amis comme ça.

Tout ça parce que nous sommes différents. Des créatures maudites qui paieront à jamais les combats de leurs ancêtres. Je ne regrette pas la Grande Guerre parce qu'elle a permis à nos peuples d'exister dans ce monde...

Mais la vie dans ces conditions n'est plus possible et je préfère encore mourir dans cette cellule que de devenir le larbin d'un humain bedonnant. »

— Tu es tout aussi bedonnant, ajouta le gobelin en rigolant.

— La ferme. De toute façon, tu ne pourrais pas comprendre mes sentiments.

— Tu parles... J'ai perdu toutes mes marchandises et mon or à cause d'un guet-apens ! Jeune femme, devinez ce que je vendais ? Hein ? Des chapeaux. Des foutus chapeaux confectionnés à Northway et permettant de garder sa tête au chaud même en pleine tempête. Le travail, c'est l'argent et l'argent, c'est la raison de vivre d'un gobelin ! Alors oui, moi aussi je préfère me pendre plutôt que de devenir une bête de cirque.

Les autres gobelins au sol approuvèrent les paroles de leur camarade. L'orc était seul représentant de son espèce et ne pouvait rien faire d'autre que pousser des grognements tel un animal.

À l'opposé de la cellule, quatre enfants humains tremblaient de peur dans un coin alors qu'un elfe assez jeune au physique d'adolescent avait le regard vide face à la minuscule ouverture en pierre laissant passer un faisceau de lumière extérieure.

Et au centre, Talya Green totalement désarmée et au visage salit par la boue.

Elle n'était pas enfermée ici par hasard. Talya était en mission pour son amie Prodige Myrte mais surtout, pour la reine de Northway les ayant accueillis dans son pays.

La jeune femme ayant tout de suite avoué ses intentions à la dirigeante, cette dernière accepta de lui donner accès à la plus grande bibliothèque et archives de ce monde en échange d'une mission à réaliser : obtenir le plus d'informations sur les trafiquants et leur commerce avec les pays du nord, mais également avec les grandes capitales du centre.

« Je veux la preuve que le trafic d'être humain s'étend jusqu'à Elmetya et Greenland, et que les grandes puissances doivent agir en conséquence. Sinon, Northway se retirera de l'Alliance. » lui avait-elle dit.

La reine lui avait offert une belle opportunité à l'instant où Talya lui avait dit chercher des informations sur Yara Rowley. Cette dernière, malgré son tragique destin, était la fille d'une défunte Prodige de Northway et la reine n'eut aucun mal à deviner le pourquoi de sa requête.

Sortir de la prison n'était pas un problème... Mais elle devait maintenant prendre en compte ceux à ses côtés dans ses plans.

— Qu'est-ce qu'il va se passer, ensuite ? demanda-t-elle en touchant les barreaux.

— On va être vendu puis revendu. Le type de tout à l'heure va nous acheter et, pour vous, un autre viendra dans la journée. Ça va vite, ce genre de trafic. C'est pour éviter de se faire chopper par des milices.

— Ce n'est pas ce que j'espérais... Avoir le plus possible d'acheteurs m'auraient arrangé pour leur soutirer des informations.

— Tu en parles comme si tu étais une espionne et que tu avais le moyen de nous sortir d'ici.

— Tu le peux ? demanda l'orc frottant encore ses poignets qu'elle avait agrippé avec force. Tu n'es pas là par hasard, c'est ça ?

— J'ai été missionnée par la reine de Northway et mon amie Prodige n'attend que mon signal pour agir.

— Alors nous avons un espoir ?

— J'ai du mal à croire qu'une femme comme toi puisse faire quelque chose contre des hommes armés jusqu'aux dents, déclara l'un des gobelins.

— De ce que j'ai entendu, intervint l'adolescent elfe, les acheteurs ne se retrouvent qu'en cas de grandes nécessités. Ils en ont parlé sur la charrette qui nous a emmené, les enfants et moi.

« Une grande nécessité... Donc un point d'intérêt pouvant leur rapporter beaucoup d'argent. »

Talya prit quelques secondes à penser à toutes les conséquences de ce qu'elle s'apprêtait à proposer, avant de se résigner sur sa solution étant la meilleure possible.

— Très bien. Je serais leur point d'intérêt. OHÉ ! MONSIEUR !

— Mais elle est tarée l'humaine ?!

— On n'a pas de temps à perdre. Vous voulez être libre ? Faites-moi confiance. EH !

« Qu'est-ce qu'il se passe ici ?! » s'écria le geôlier. « Qu'est-ce qu'elle veut, la catin ?! »

Talya roula des épaules avant de détacher le ruban dans ses cheveux blonds et de se présenter avec toute la prestance possible due à son rang.

« Je suis Talya Green, princesse de Greenland, et j'exige que vous me relâchiez sinon vous en subirez les conséquences. »

Toutes les personnes présentes la regardèrent avant que son ennemi ne se mette à rire en se moquant d'elle.

— Mais oui, bien sûr, et moi je suis le Héros !

— Vous désirez une preuve ?

— Ben oui tiens, une princesse... Non mais j'hallucine. On ne me l'avait jamais fait celle-là.

Soudain, Talya déboutonna sa chemise en lin et se retrouva en brassière devant tout le monde. Le sous-vêtement compressait sa poitrine et, alors que le geôlier s'apprêtait à faire une remarque graveleuse, il ouvrit grand les paupières en l'observant.

« Voici votre preuve. »

Un long silence s'installa dans la cellule avant qu'il ne soit rompu par les murmures incompréhensibles de leur gardien repartant en courant hors de la prison.

— Si j'avais su que montrer ses seins pouvaient tout régler, j'aurais demandé à ce qu'on me change de sexe.

— Qu'est-ce que vous avez fait ? demanda l'une des enfants s'approchant d'elle.

— Je lui ai montré ça.

Talya pointa du doigt sa poitrine mais surtout, le symbole brodé sur le tissu. L'enfant ne comprit pas contrairement à l'adolescent qui laissa s'échapper un petit rire.

— Faites voir, demanda un gobelin. Ça alors... Elle a raison. C'est bien Talya Green.

— Qu'est-ce qui te fait dire cela, camarade ?

— Sa brassière est l'œuvre d'un artisan, cela se perçoit à la qualité du tissu rien qu'à l'œil. Et puis, au blason vert de la famille royale légèrement brodé sur le côté. Il n'y a que les Green qui peuvent porter ce blason. Toute contrefaçon est sévèrement sanctionnée.

— Vous êtes une princesse ? Pour de vrai ?

Talya reboutonna sa chemise avant de prendre dans ses bras la fillette ayant remplacé la peur par l'émerveillement. Elle caressa les cheveux d'un autre enfant puis se tourna vers tous les prisonniers et déclara :

« Ce n'est pas une princesse devant vous. Retenez-le bien : c'est Talya Rowley qui va vous sauver. »

Et alors que tous retrouvaient espoir, le geôlier se dépêchait de prévenir ses acheteurs, comme elle l'avait prévu.

En effet, s'ils arrivaient à être certains qu'ils avaient attrapé une princesse, ils devraient se réunir pour décider ensemble de la marche à suivre.

Il ne pouvait pas la vendre, ou alors très loin dans une région reculée du nord. Il ne pouvait encore moins la laisser en vie parce qu'elle en savait trop et, avec ses révélations, pourrait faire tomber tout le réseau.

Peut-être devaient-ils la tuer mais là encore, les avis seraient partagés.

C'est deux jours plus tard que le geôlier revint chercher la princesse pour la sortir de sa cellule et l'emmener à quelques étages plus hauts de la demeure tout en pierre, à l'allure simple mais identifiée comme l'un des points de réunion du trafic d'être vivant.

La tenue débraillée et sale à cause de l'emprisonnement, Talya fut présentée devant une grande table composée d'une dizaine de personnes portant des capuches et masques afin de cacher leurs identités avant de prendre une décision sur son cas.

Certains chuchotèrent à son arrivée, d'autres affirmèrent que ne devait être qu'une impostrice lorsque l'un des acheteurs s'exclama avec aplomb :

— C'est la merde ! C'est bien l'aînée des Green ! Je la reconnais ! Je l'ai déjà vu lors d'une soirée au palais et pendant sa participation au tournoi de l'Amaryllis ! Ses yeux bleus sont très singuliers.

— Vérifie, parce que si c'est bien elle, il va falloir agir vite. Je propose de l'envoyer à Stolheim.

— Ben oui, bien sûr ! Tu veux déclencher une guerre ?! Non, la meilleure solution est la corruption. Combien accepteriez-vous pour acheter votre silence, princesse ? Nous pouvons vous proposer bien plus que de l'argent : du pouvoir, des alliances, de l'indépendance... Dites-nous votre prix.

— Est-vous prêt à renoncer à tout votre trafic ? Autant pour les humains, elfes et nains que pour les monstres ?

Les hommes ne purent s'empêcher de rire en chœur à la proposition de la princesse jusqu'à ce que certains révèlent leurs identités tant la suite de la conversation était évidente.

— Ça ne va pas être possible princesse, on va devoir se débarrasser de vous. Maintenant, il faut réfléchir à comment faire passer cela comme un accident.

— Faisons porter le chapeau à Northway. Ça nous évitera de nous brouiller avec Stolheim et Ironfrost. Et le pays a déjà des tensions avec Greenland. Une petite guerre pourrait arranger nos affaires et en détourner la surveillance.

— Ça non plus, répondit Talya, ça ne va pas être possible.

Soudain, les menottes à ses poignets tombèrent au sol et elle saisit la dague du geôlier avant de l'approcher de sa gorge. Tous se levèrent de leurs places, mains sur leurs armes, lorsque celui supposé être le chef se mit à rire.

— Tremblez-vous, princesse ? Ne serait-ce pas la première vie humaine que vous ayez entre vos mains ?

— Arrêtez tout et je le relâche.

— Vous pouvez le tuer, ça ne changera rien.

— Je ne suis pas d'accord, moi ! J'ai une famille à nourrir !

— La ferme. Elle ne l'osera pas. C'est une bonne combattante mais elle n'a jamais fait couler le sang. Elle ne sait pas ce que c'est que d'ôter la vie. Mais on peut lui montrer.

Celui qui semblait être le chef, en bout de table, claqua des doigts pour qu'un autre homme entre dans la pièce avec, menotté contre lui, l'un des enfants prisonniers en pleure.

— Relâchez-le ! s'exclama Talya en appuyant de plus en plus près sa lame de la gorge de son otage.

— Toujours prendre ses précautions, surtout quand on fait face à la noblesse arrogante. Ça vous donnera une leçon.

— Vous n'allez rien faire parce que ces gens sont votre « marchandise ».

— On en a plein des orphelins à revendre. Même trop. Il faut savoir nettoyer le marché.

— Dernier avertissement : relâchez les prisonniers et donnez-moi toutes les informations que vous possédez, et je vous épargnerais.

— Il y a une dizaine de types armés dehors et nous sommes tous rudement entrainés au combat. Vous faire disparaitre ne sera qu'une formalité pour nous, donc vous ne nous faites pas peur.

— Ne sous-estimez pas ma colère.

— Une autre leçon, princesse.

Sans qu'elle eût le temps de réagir, l'homme sortir à toute vitesse sa dague et trancha la gorge de l'enfant.

« Hésiter vous coûtera toujours très cher. »

Talya fit tomber d'un coup de poing dans le dos le geôlier avant de s'élancer en direction du chef ayant sacrifié une vie innocente, tout ça par pur sadisme.

Mais sa route était semée d'obstacle et, alors que le chef tentait de s'échapper, elle se devait de faire vite. Après avoir assommé un des hommes, elle ouvrit d'un coup de pied un volet en bois avant d'y balancer une des bougies présentes sur la table, afin d'alerter son amie Prodige.

Le plus dur dans son assaut était de ne pas blesser gravement ses ennemis car ils étaient une mine d'informations précieuses pour la reine de Northway voulant éradiquer les trafics d'esclaves des alentours de son pays.

Même sans arme, Talya savait très bien se battre à main nue et s'était amélioré depuis le tournoi de l'Amaryllis. Les hommes face à elle n'avaient aucune chance et après s'être occupée de tous ceux présents, elle décida de partir immédiatement à la poursuite du chef.

La jeune femme s'arrêta devant le corps de l'enfant baignant dans une flaque de sang. Elle le regarda avec un immense regret mais surtout, une rage contre son ennemi et contre elle-même.

« Si je n'avais pas hésité, il aurait survécu... Je suis encore trop faible. » pensa-t-elle avant de porter le corps de l'enfant, de le déposer sur la table et de clore ses paupières.

Elle quitta la pièce et suivit la trace du chef s'étant enfui par une trappe secrète descendant au rez-de-chaussée.

Depuis la fenêtre opposée, elle entendit le hennissement d'un cheval et repéra son ennemi à deux doigts de la fuite. S'il partait au galop, il lui filerait entre les doigts.

Alors Talya n'hésita pas, malgré les nombreux mètres la séparant du sol, et calcula son saut avant de passer par la fenêtre pour atterrir à quelques centimètres de l'homme.

Elle l'attrapa par le torse et le fit tomber de sa monture s'échappant par surprise sans son cavalier.

Le choc contre le sol fut brutal mais malgré cela, la jeune femme s'étonna de ne pas s'être fait mal aux chevilles.

« J'ai encore beaucoup à découvrir sur ma nature profonde... » pensa-t-elle avant d'écraser la tête de l'homme contre la terre boueuse. Elle se maintenait au-dessus de lui, dans une position de contrôle total l'empêchant de s'échapper d'une quelconque façon.

— T'es une acharnée, petite salope ! Tu crois qu'en nous attrapant, le trafic s'interrompra ?!

— Ça sera un bon début.

— Qu'elle est stupide... Personne ne peut nous arrêter.

— Moi, je le peux. Je suis bien plus forte que tout ce que les gens imaginent.

— Sale orgueilleuse.

— J'ai toujours raison, et tu ne m'as pas écouté.

L'homme arqua un sourcil avant de ressentir un frisson de panique en voyant un sourire mauvais se dessiner sur le visage de la princesse. Ses yeux bleus se mirent à briller d'une lueur inquiétante et, sans hésiter, elle agrippa sa tête entre ses mains avant de la tordre d'un coup sec.

« Ne sous-estimez pas ma colère. »

Le craquement laissa place à un terrible silence alors qu'un peu plus loin derrière elle, Myrte étant déjà en train de faire sortir les premiers prisonniers.

Talya regarda le corps inanimé de sa victime pendant d'interminables secondes avec une expression indéchiffrable.

C'était la première fois qu'elle tuait.

Et elle se mordit les lèvres d'avoir tant aimé cela.

Elle retenait tant bien que mal un sourire sadique et la voix au plus profond d'elle l'encouragea à aller plus loin :

Cet enfant qu'il a tué pour te donner une leçon... c'était cruel, non ? Est-ce que ça ne mérite pas pire châtiment ?

Quelques minutes plus tard, Myrte avait réuni toutes les victimes du trafic pendant que d'autres soldats missionnés par la reine de Northway étaient en train d'attacher fermement les responsables pour qu'ils soient interrogés et jugés par les autorités compétentes.

« Tal... Talya ? » murmura Myrte en la voyant revenir vers elle avec une démarche étrangement lente.

Elle fronça les sourcils en se demandant ce que la jeune femme pouvait tenir dans sa main et qu'est-ce qui en coulait. C'est lorsque son amie s'approcha des torches qu'elle comprit et ne put retenir un hoquet de surprise.

Talya agrippait les cheveux de la tête coupés du chef qu'elle venait de tuer. Son sang coulait de son cou qui colorait les restes de neige fondue derrière elle.

La Prodige ayant pourtant déjà provoqué la mort de ses agresseurs, ressentit un frisson en l'observant s'approcher d'elle, une expression froide sur le visage, avant qu'elle ne lève la tête dans ses mains et demande d'un ton presque enfantin :

« Tu crois que la reine m'en voudra pour ça ? »



🔥🔥🔥



— Les orphelins seront pris en charge par l'un des orphelinats de Northway.

— Et les... je n'aime pas ce mot là...

— Les monstres ? Ils vont retourner d'où ils viennent ou partir au-delà des mers, en direction de Givreciel. Pourquoi cela t'intéresse ?

— C'était la première fois que j'échangeais avec leurs espèces. C'était intéressant et bien plus « humain » que ce que racontent les gens sur eux.

— Talya... Je comprends qu'avec ta nature tu puisses... ressentir de l'empathie envers eux... mais ils sont loin de l'humanité.

— Eux au moins, ils ont l'avantage de n'avoir aucun doute lorsqu'ils se sentent menacés. Ils agissent parce qu'ils pensent à leur survie. C'est viscéral et c'est admirable.

Myrte avait du mal à la regarder dans les yeux depuis que Talya avait balancé la tête d'un des chefs du trafic d'être vivant au pied du trône de la reine de Northway.

Cette dernière était partie en fou rire devant l'air impassible de la princesse avant de déclarer « J'aurais préféré pouvoir l'interroger avant de le tuer moi-même, mais ton audace me plait ! ».

Il y avait quelque chose de différent chez son amie, de très sombre dans ses yeux et depuis qu'elle avait tué, son sourire avait disparu.

Talya faisait de nouveau honneur à sa réputation de « cœur de glace ».

L'une était sur le départ, prête à partir en mission pour poursuivre l'enquête sur le trafic d'être vivant, quand l'autre avait rempli son marché et profitait des ouvrages de la plus grande bibliothèque du continent.

— Je reviendrais avant que Greenland réclame ta présence pour le retour d'Emmett. En mon absence, je t'en prie mon amie, ne fais pas de vague.

— C'est promis. Je pense passer l'année à venir la tête dans les livres. C'est un endroit que j'ai toujours fantasmé, cette bibliothèque.

— Hum... Je t'enverrais des lettres quand je le pourrais. Ah, aussi, quelqu'un désirait s'entretenir avec toi.

— Qui donc ?

— Le jeune elfe que tu as sauvé. Il faut croire que tu attires les intellectuels. D'ailleurs, as-tu eu des nouvelles de Sinath depuis ton départ de Greenland ?

Myrte sursauta lorsque Talya referma d'un coup sec le livre dans sa main, avant d'en prendre un nouveau sur la pile à ses côtés ton en faisant mine d'être très concentré sur sa couverture pourtant basique.

« Il doit être là où l'on trouve la plus grande concentration de lâche du pays, c'est-à-dire dans une taverne sordide à boire de l'hydromel de mauvaise qualité et qui j'espère, lui filera la dysenterie. »

La Prodige serra des dents tant les paroles de son amie empestaient la rancœur envers l'ancien professeur lui ayant brisé le cœur.

Lors d'une calme soirée au clair de lune sous un cerisier de la cour académique d'Okuni, Talya lui avait raconté toute son histoire interdite avec lui. Myrte avait été surprise par cette relation, mais surtout rassuré par la réaction de l'elfe, malgré la colère de son amie.

S'il n'avait rien à offrir de positif dans la vie de Talya, il avait bien fait d'en sortir. Restait la question de son mariage avec Emmett Green qui ferait d'elle la reine de la plus grande puissance de l'Est...

— Est-ce que tu as réfléchi à ce que tu allais faire, au sujet d'Emmett ?

— Pas encore. Soit je trouve une échappatoire, soit je serais la prochaine reine du pays.

— Tu penses pouvoir faire bouger les choses lorsque tu le seras ?

— Je n'en sais rien. Pour l'instant, ma priorité, c'est d'en apprendre plus sur mon passé pour savoir où je dois diriger mon regard.

— Je te souhaite une bonne réflexion alors.

— Et moi, un bon voyage et toute la réussite possible.

Les deux jeunes femmes s'enlacèrent quelques instants avant de se séparer pour une durée encore indéterminée mais qui n'excéderait pas le compte à rebours rythmant le quotidien de Talya : le retour d'Emmett à Greenland et leur mariage.

Quelques minutes après leur séparation, c'est un autre visiteur qui vint la rejoindre à sa table de lecture. L'elfe à l'apparence adolescente s'assit devant elle en silence avant de tapoter ses ongles sur la table.

Il dégagea une longue mèche auburn de son front et Talya remarqua petit à petit qu'il n'avait rien en commun avec les membres de son espèce qu'elle avait croisé lors de son voyage. Il avait plusieurs blessures sur le visage, plus ou moins profondes, ainsi que des marques de scarifications aux poignets.

Elle referma son ouvrage et se mit bien face à lui en essayant de montrer toute l'empathie possible sur son visage, lorsqu'il se racla la gorge un peu gêné et dit :

— Dame Talya, je tenais à vous remercier de nouveau pour ce que vous avez fait.

— Tu peux m'appeler Talya. Comment est-ce que tu t'appelles ?

— Calbin. Je...

— D'où est-ce que tu viens ?

— D'Elmetya. J'étais couturier à l'atelier des Vendeurs de Rêves, dans la grande allée marchande de la capitale.

— Est-ce que tu as de la famille à retrouver là-bas ?

— C'est mon grand frère qui m'a vendu il y a un an pour quelques feuilles d'Hurle-dragon.

Talya ne put s'empêcher de serrer le poing en entendant la voix presque brisée de l'adolescent tentant de garder ses larmes.

Elle avait déjà entendu ce mot et se souvenait que « la fleur de la folie » était une drogue qui donnait une grande confiance et une sensation de pouvoir et de contrôle à ceux-là consommant... Mais qu'utiliser une seule feuille entière pouvait être mortel.

— Il en est mort juste après s'être débarrassé de moi, confirma l'elfe. Il était drogué à la Pensée Ecarlate et est passé au niveau supérieur...

— Est-ce le cas de beaucoup d'elfes ?

— À Elmetya, oui. Si l'on s'éloigne de l'avenue principale de la capitale et qu'on s'aventure dans d'autres quartiers, on peut vite constater de la décadence qui y règne. D'après ma défunte mère, ça fait depuis la guerre que c'est comme cela... Alors que nous avons « gagné » contre les monstres, nous en sommes devenus en retour.

— Je suis désolée pour toi... Est-ce que je peux t'aider ? Tu désirais me parler en privé.

— Oui... C'est par rapport à cela... Dame T-... Talya. La reine de Northway ne peut rien faire pour moi tant que je n'ai pas atteint la majorité elfique, ce sont nos règles. Donc... Je comptais partir vivre à Rhapsodya.

— La capitale elfique corrompue... Pourquoi ?

— Lorsque j'étais... un « garçon de plaisir », j'ai entendu des marchands parler de ce pays et ses habitants. Tout ce qu'on raconte sur les elfes corrompus semble être de la propagande. Comme pour les monstres. Il parait qu'il y fait bon vivre et que les villages près de la capitale accueillent les elfes dans ma situation.

Talya fut surprise car, même si en visitant l'agréable ville marchande de Venalia, elle avait des doutes sur la situation de ce pays corrompu par le nécromancien et la liberté de son peuple.

Mais elle avait appris que plus elle gagnait en maturité, plus tout ce qui avait pu être raconté à la cour de Greenland semblait faux. Un tissu de mensonges ne donnant qu'une vision biaisée de la réalité.

Les gentils et les méchants, le bien et le mal, sans nuance et selon qui racontait l'histoire.

— Tu voudrais mon avis sur ton choix ?

— Non... En fait, j'ai une requête... particulière.

— Je t'écoute.

— Est-ce que vous pourriez tuer quelqu'un pour moi ?

Elle resta impassible, faisant taire sa surprise par son désir de comprendre les intentions de cet adolescent et de les analyser.

« On s'est servi de moi... On m'a « salit » et je ne me sentirais jamais en paix avec moi-même si je sais que l'elfe m'ayant ainsi traité n'a reçu aucun châtiment. Je n'ai aucun talent particulier sauf mes doigts agiles d'artisan, et je serais incapable de me venger comme je le désirerais. Je n'ai pas assez d'argent pour engager un mercenaire et je...

Je veux vraiment que cette personne souffre. Ce qu'elle m'a fait est arrivé à d'autres et doit toujours se produire. Cet elfe est puissant et a suffisamment de relation pour ne jamais se faire attraper par la justice... et même si Dame Myrte arrivait à l'attraper, il n'y a aucune preuve contre lui car il est trop méticuleux.

C'est un sadique, un vicieux qui ne voit la vie des autres que comme une source de profit et d'amusement. Alors, je vous en prie, lorsque vous le reverrez, tuez-le. Pour moi, et tous les autres qui ont souffert de ses vices. »

Talya déglutit avant de sortir un morceau de tissu de sa poche pour essuyer les larmes du garçon pleurant de rage contre celui ayant fait de sa vie un enfer.

Elle savait qu'elle ne devrait pas répondre positivement à sa demande car il semblait détenir des informations importantes sur l'une des sources du trafic d'être vivant et qu'il n'en avait pas fait part à la reine, ni à Myrte.

Mais elle savait aussi que pour permettre un tel commerce, il ne fallait pas être qu'intelligent mais également rusé et prévoyant. Les preuves seraient difficiles à trouver.

— Je ne devrais pas te le promettre, mais d'accord. Je m'assurerais de sa mort au moment opportun... Mais tu sembles être persuadé que je le verrais ? Est-ce un proche de l'entourage des Green ?

— Je n'en sais rien, je sais juste qu'il a établi une nouvelle branche de son trafic à Greenland depuis plusieurs années. Je devais y être envoyé mais j'ai beaucoup plu à un noble de Stolheim qui prévoyait de m'acheter avant que tu ne nous libères.

« Un trafic d'être vivant à Greenland... Impossible... Tout est très bien contrôlé... À moins que la famille royale soit impliquée et cautionne ces actions ? Non, le roi est trop vertueux pour cela... La reine peut-être ? Ou alors cette personne se sert d'une couverture pour faire son commerce... » pensa-t-elle lorsque l'elfe lui prit les mains.

— S'il vous plait, Talya, vengez les vies qu'il a détruites.

— J'ai besoin que tu me dises tout ce que tu sais de cet elfe. Qui est-il ? Ses habitudes ? N'importe quel élément qui me permettrait de le reconnaitre. Comment s'appelle-t-il ?

Il prit une grande inspiration, chassant les dernières larmes d'un revers de la main avant de faire une grimace de dégout et d'enfin sortir les quelques mots qui lui arrachaient la gorge :

« Tyris Faraelyn Myumurin »

Talya su à ce moment précis qu'elle devrait faire de nouveau couler le sang, et cette fois-ci, sans une once d'hésitation.



Talya gagne en confiance pour le meilleur... et le pire ?

Qu'avez-vous pensé de l'existence d'un tel trafic ? Des sentiments des monstres à ce sujet ? De l'intervention de Talya ?

De la première mort qu'elle a causé (volontairement) et de ce qu'elle a ressenti à ce moment là ? Qu'est-ce que ça présage pour la suite ?🤔

L'histoire de Calbin, ou plutôt de sa vente entre son frère et Tyris est raconté dans le chapitre "Hurle-dragon" du recueil des Histoires du monde d'Heranyon (au cas où vous voudriez la relire). Je tenais absolument à traiter cet aspect peu reluisant des pays vainqueurs de la guerre qui n'empêchait pas ces trafics.

Tyris accumule les ennemis et le jour où ça va péter... 😬 Qu'en pensez-vous ?

La semaine prochaine, si j'y arrive, ce sera le dernier chapitre de la grande partie 1. Je ferais une petite pause puis on enchainera sur la partie 2 qui sera beaucoup moins longue, je l'espère 😅

J'espère en tout cas que ce chapitre vous a plu. N'hésitez pas à me le faire savoir en votant ou en me laissant un commentaire ! Des bisous et à la semaine prochaine 🥰

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