39🔥La pire erreur de Vyrr
[ARWIN]
« L'Église de la Lumière est une institution vouée au culte du dieu Heralgar, chevalier sacré béni par la Grâce et dont l'épée enchantée pouvait d'un seul coup purifier les maux d'un continent.
Cette épée, avec le temps, a été reforgée et est devenue l'Épée de Lumière porté par le Héros, actuel roi de Greenland. C'est en acceptant la pensée d'Heralgar qu'il est devenu l'élu capable d'éradiquer le chaos du monde.
L'Église se situe à la frontière nord de Greenland, sur une haute montagne séparée de tout, plongée dans les nuages et à la nature luxuriante. Elle y forme les plus pieux et valeureux chevaliers et paladins du pays, mais également du monde. »
Arwin secouait sa tête au rythme des mouvements du bateau, le regard perdu et suivant les morceaux de glace évitant l'embarcation.
— C'est là-bas que le prince Emmett s'est rendu, poursuivit le marchand originaire de Givreciel.
— Très bien, c'est ce que j'avais besoin de savoir... Et Talya Green ? Est-ce que tu as eu vent de rumeur avant notre départ ?
— Parait-il qu'elle s'est subitement « assagie » et que le Roi l'a confié à la Prodige Teresa de Southbay afin de l'escorter jusqu'à Okuni.
— Qu'y a-t-il là-bas qui pousserait le Héros à éloigner la princesse de ses yeux ?
— Il y a de nombreuses institutions enseignant, je cite, « l'art d'être une parfaite épouse et dirigeante soumise aux rois ». Calligraphie, art floral, cuisine, danse, chant mais aussi cours de posture et de maitrise de soi.
— Silencieuse ? Est-ce cela que l'on enseigne aux reines de l'Est ? Et ces cours, par Onhild, comme c'est d'une tristesse.
— Il est inconfortable d'être une femme dans ces pays. Pourtant, Okuni s'est toujours montré progressiste à ce sujet mais... Il semblerait que depuis deux ou trois ans, cela ait changé.
— Pourquoi ?
— L'influence de la politique de Greenland s'étend. Surtout la doctrine de l'Église de la Lumière alors que le chaos se matérialise un peu partout sur le continent. Les peuples pensent que le seul moyen de les sauver, leurs corps et âmes, c'est de suivre certaines anciennes pratiques de l'Église.
— Tout le monde l'accepte ?
— Il y a eu des révoltes à Southbay car ce sont les femmes qui dirigent le pays... mais c'est en cours de « pacification ». Et Northway, deuxième pays ayant le plus de combattants de sexe féminin, aurait pu se plaindre si les dirigeants n'étaient pas focalisés sur la protection de leur terre face aux monstres et aux nains d'Ironfrost grignotant chaque jour un peu plus leur territoire.
« Qu'est-ce que c'est chiant, la politique. » pensa Arwin avant de soupirer et d'apercevoir enfin, au loin, les premières lueurs du phare de Givreciel.
Il avait été absent du pays pendant ce qui lui semblait une éternité et fut très surpris, en accostant, de trouver plusieurs orcs en train de décharger les marchandises.
Le chef du port le salua brièvement avant d'expliquer à un gobelin debout sur une caisse comment reconnaitre les navires accostant à Voile-d'hiver rien qu'à leur forme.
En parcourant la capitale du pays de l'Hiver éternel, Arwin avait découvert deux choses importantes.
La première, c'est qu'en plus d'un an loin de son pays, il était devenu populaire. Les victoires du Prodige de Givreciel avaient traversé les frontières et, sa récente apparition témoignant de la puissance de la nation, avait permis de modifier son surnom déjà terrifiant en « Démon du désert de glace ».
Des gens qui autrefois évitaient son regard et pouvaient même cracher dans son dos, lui accordaient enfin un sourire.
Mais Arwin n'était pas naïf et même s'il répondait avec gentillesse, toute cette hypocrisie lui créait des démangeaisons désagréables aux bras.
La deuxième, c'était la présence de « monstres » en nombre sur le territoire. Le mot « monstre » n'était même plus employé et ces créatures très différentes des humains étaient appelées les « nauvragés ».
Le jeune homme avait appris en sympathisant rapidement avec un reptilien, en apprentissage à l'une de ses tavernes favorites, qu'ils étaient nommés de cette façon car ils venaient tous de navires de trafiquants d'esclaves-monstres voguant des îles sauvages entre Greenland et Elmetia, jusqu'à Stolheim.
La nation du nord-est aux relations toujours conflictuelles avec Givreciel participait activement à l'exploitation de ces populations ayant perdu leur refuge dans les montagnes, après les campagnes de pacification de l'Alliance Etincelante.
Le trafic prenant de l'ampleur, la nouvelle était arrivée aux oreilles de Viktor Vaeryl et du nécromancien. L'un ayant de forts ressentiments pour Stolheim et l'autre, vis-à-vis du traitement de ces créatures, avaient alors passé un accord avec le roi Jeremiah de Leonidia.
Ce dernier avait réussi à ordonner à son Léviathan de s'attaquer aux navires marchands d'esclaves. Ensuite, Viktor assurait le sauvetage des « naufragés » tout en laissant cruellement mourir les marchands dans les eaux glaciales.
La tâche de Vyrr était ensuite de leur faire comprendre, avec son influence, de l'importance de leur intégration dans les pays de l'Ouest. Beaucoup de monstres avaient décidé de rejoindre Leonidia car ses abords accueillaient déjà plusieurs villages de monstre, tous protégé par la Garde du Soleil du roi.
Mais les plus fidèles aux valeurs de l'ancien chef de guerre qu'était Vyrr, avaient décidé de vivre à Givreciel après l'approbation de Viktor. La population du pays déclinait avec le temps et des travailleurs motivés en plus, pouvant s'adapter aux rudes conditions climatiques et redonner de la vie à l'arrière-pays, était un atout non négligeable.
Surtout lorsque l'ombre de la guerre planait sur le monde.
En apprenant tout cela et, après trois bonnes pintes d'Artic Whisper, Arwin se rendit jusqu'au château où Viktor l'accueillit à bras ouvert comme s'il était son fils de retour de la guerre.
— J'ai bien cru que tu ne reviendrais jamais, dit-il en le reniflant. Ton périple t'a fait passer par divers endroits intéressants, je le sens. J'ai hâte que tu me racontes tout.
— Moi aussi j'ai h-
— Mais avant cela, explique-moi pourquoi Greenland nous a envoyé un avertissement.
Arwin déglutit avant de recoiffer nerveusement ses cheveux et de faire un grand sourire que les yeux aveugles de Viktor ne pouvaient capter.
Il raconta alors son périple mais surtout, les événements du tournoi de l'Amaryllis. Comment est-ce qu'il avait combattu contre sa sœur, qu'il l'avait découvert et qu'il avait dû fuir.
Viktor resta silencieux tout le long du récit, l'air impassible, avant de froncer les sourcils et de grogner tel le loup qu'il était :
— Penses-tu une seconde aux conséquences de tes actes ? Pour la nation ? L'Est exige que l'on s'excuse de tes fautes en leur offrant de l'okril.
— Qu'on leur donne.
— Pour qu'ils fabriquent des armes anti-divinités ? Capable de nous terrasser, toi et moi ? C'est l'okril qui a décimé la race des dragons et je refuse que celle des loups géants ne s'éteigne.
— Alors que faire ? Je refuse de m'excuser pour mes actes ! Le royaume de Greenland est dirigé par une famille de débile dont le futur roi est un piètre combattant. Trop imbu de lui-même et qui n'a aucune ouverture sur le monde ! Je suis supérieur à lui donc je ne vois pas pourquoi j-
— Tu es bien orgueilleux.
Vexé par la remarque, Arwin se mordit l'ongle du pouce en détournant le regard, laissant ses yeux se perdre sur la tapisserie aux armoiries de la famille Vaeryl.
« Tu es un Prodige, Arwin. Tes actes ont une importance et impactent tout le pays. Ne l'oublie pas. Certes, je les approuve car le roi doit avoir confiance en ses Prodiges, mais tu dois me consulter avant d'être à deux doigts de déclencher une guerre pour ta sœur. »
Le jeune homme se dit qu'il aurait pu le faire pour Talya car c'était comme cela qu'il avait été élevé. Vyrr ne lui avait jamais imposé de limite à la cruauté, tant qu'elle était réfléchie.
Il savait qu'il avait un sens moral discutable mais tout était toujours calculé.
Arwin quitta le château de Voile-d'hiver la boule au ventre et l'air contrarié avant d'aller passer une bonne nuit dans l'ancienne cabane au bord du lac lui ayant servi de foyer.
Ce lieu où il était né et où il rêvait d'emmener Aetalya pour qu'elle se souvienne à nouveau d'eux. De leur lien et de tout ce qui composait leur relation de jumeau.
Le lendemain, il partit à la première heure en direction du sud-ouest du pays vers le Lac de Silja, afin de retrouver l'être lui ayant le plus manqué.
Nageant dans la solitude depuis tout petit, Arwin avait pris l'habitude de raconter tous les détails de sa vie à la statue de glace qu'était Cassian. Même sans avoir de réponse, il se sentait si bien face à lui qu'il pouvait passer plus d'une journée à parler seul.
Et il avait tant à rattraper qu'il en sautillait presque lorsqu'il arriva au village d'Echo où devait se trouver son oncle d'après les rumeurs.
Vyrr était devenu comme ses sortilèges : de la fumée tant il était difficile à attraper. À identifier.
Il enchainait les voyages, les missions et les rencontres dans le but de préparer une guerre de grande ampleur qui avait peut-être déjà débuté avec l'éveil des forces chaotiques sur lesquelles il n'avait aucun contrôle.
Du miasme sortant de la terre et réveillant des créatures semblables à celles qu'ils créaient avec sa nécromancie, mais dont la volonté n'était guidée que par une profonde voix issue des entrailles du monde.
Cette même voix, l'avait rapidement compris Arwin, était celle le poussa parfois à aller au-delà de ses intentions premières. Devenir plus violent, plus radical et sans pitié.
La voix du chaos.
Lorsqu'Arwin arriva dans la taverne où devait séjourner Vyrr en secret, il monta discrètement à l'étage en pleine nuit et pénétra dans la chambre à la lumière tamisée sans faire un bruit, lorsqu'il s'arrêta.
La porte à peine refermée derrière lui, il sembla regretter son intrusion en entendant un râle de douleur provenant de derrière un paravent où les flammes de plusieurs bougies permettaient de distinguer un deux corps.
Allongé dans son bain, un genou relevé et ses longs cheveux tombant devant ses yeux, Vyrr frotta son coude sur le bois du rebord avant de prendre une pose nonchalante et de soupirer de soulagement.
— Ça ne s'arrange pas, déclara une voix qu'Arwin reconnut immédiatement.
— Pourrais-tu formuler ça d'une autre manière ?
— Ça se dégrade ?
— Tu n'as pas compris mes intentions.
— Vous m'avez demandé d'être toujours sincère avec vous, mon Seigneur, et j'avoue que même maintenant, en minimisant ce que je vois, c'est déjà beaucoup.
À côté de la baignoire, son exécuteur Nelian semblait ranger des outils dans une sacoche et s'apprêtait à dépasser le paravent, provoquant un frisson de panique chez Arwin, lorsque le nécromancien l'interpella :
— Qu'est-ce qui maintient un mort en vie ?
— En tant qu'elfe corrompu, je dirais que c'est ma dévotion envers vous, mon Seigneur. L'espoir que vous donnez à votre peuple et vos ambitions.
— Au plus profond de ton âme ?
— C'est l'existence de ma fille, Alerya. C'est une elfe si jeune, mais qui a tant à vivre...
— Alors c'est ton amour paternel, est-ce pas ?
— Ne ressentez-vous point la même chose pour Arwin et Aetalya ?
Le jeune homme déglutit et cligna plusieurs fois des yeux, attendant la réponse de son oncle, lorsque ce dernier se mit à rire.
Un rire mauvais dont il se servait souvent pour intimider ses adversaires et subordonnés.
Et alors que Nelian semblait prendre une position de défense, comme s'il s'attendait à recevoir une punition pour avoir énervé son maitre, il fut surpris par sa réponse pleine de sens :
« Si seulement je ne ressentais que cela... Ce serait bien plus simple. Heureusement que le chaos est en train de me ronger, n'est-ce pas ? »
Arwin retint son souffle, frappé par la tristesse de la voix du nécromancien.
Celui qui n'avait jamais montré autant de mélancolie devant une autre personne que lui. S'il en était au point d'être vulnérable face à son exécuteur, c'est qu'il devait vraiment aller mal.
« Il fut un temps je n'étais qu'un elfe ordinaire » commença Nelian d'une voix prudente, « Un artisan luthier ayant vécu dans un village forestier à l'est de Rhapsodia. Ne portant aucun intérêt aux querelles royales ayant lieu depuis ma naissance, je n'avais entendu parler de vous que par hasard lors d'une discussion avec des marchands :
C'est le haut-elfe qui parcourt le monde à la recherche de savoir. On dit qu'il a fui les conflits familiaux et c'est compréhensible... Quoi ? Vous n'êtes pas au courant ? La majorité de la branche de sa famille furent assassinés par ceux actuellement au pouvoir. Il ne semble pas intéressé par la couronne mais vu le carnage de l'époque, il doit avoir une forte envie de se venger. »
C'étaient les seules informations que je possédais sur vous avant que vous ne massacriez toutes les branches de la famille royale et deveniez un elfe corrompu.
Pour moi, vous étiez à la fois un être cruel mais également pourvu d'une surprenante quantité de bons sentiments cachés au fond de vous. En devenant votre exécuteur, j'ai rapidement compris, comme la majorité de votre peuple, que vous ne désirez aucune attache avec d'autres êtres vivants.
Peut-être par crainte de revivre la perte d'êtres chers. Mais pourtant, il y a eu des exceptions. Comme Arwin... Et Aetalya.
Et une question me brûle les lèvres, mon Seigneur...
Depuis des années.
Avec tous les efforts que vous mettez en œuvre, toute l'énergie dépensée et la lutte contre le chaos à l'intérieur de vous...
Qu'est-ce que vous ressentez pour elle ? Pour Talya ? »
Arwin salua l'audace de Nelian et pria silencieusement pour son âme car, parler si familièrement à Vyrr était généralement synonyme de mort.
Aborder le sujet de sa sœur ne le surprit pourtant pas car, même s'il aurait pu être jaloux, Arwin avait toujours perçu que Vyrr s'en était tant voulu d'avoir abandonné Aetalya qu'une relation unique s'était formée entre eux.
Si, lorsqu'elle était jeune, il ne la voyait que comme une petite fille à absolument protéger, peut-être que l'âge et la maturité avaient changé sa vision pour le meilleur ou le pire.
Et alors que le silence était pesant et qu'il s'apprêtait à quitter discrètement la chambre, Arwin entendit l'eau du bain s'agiter légèrement avant de voir l'ombre de la tête de Vyrr se pencher en arrière.
« Je la désire comme ce n'est pas permis.
Comme on désire un rayon de soleil sur nos peaux glaciales, comme un battement de cœur dans nos poitrines inertes, comme le sommeil qui nous gagne enfin après des journées d'insomnies.
Mais je n'en ai pas le droit. C'est la seule chose que je m'interdis. L'aimer.
Je suis la dernière créature sur terre qui en aurait le droit.
Surtout après ce que j'ai fait à Yara. Jamais, plus jamais je ne veux y repenser.
On m'a forcé à le faire mais je suis tout aussi fautif car je n'ai pas dit non. Je ne me suis pas révolté. Dans ma tête, il n'y avait que la « survie ». Je devais prouver que j'avais ma place au plus près de Leone, quitte à blesser une jeune femme qui ne méritait pas ce que je lui ai fait.
C'est à cause de ça que je ne peux pas ressentir ce que je veux pour Talya.
Je n'ai pas le droit. Je ne le mérite pas.
Et ça me ronge. Plus que le chaos.
Ça m'étouffe, ça m'embrouille l'esprit, ça me fait perdre pied...
Si je n'étais pas déjà mort, je me planterais un pieu dans la poitrine pour ne plus éprouver un millième de sentiment pour elle.
Alors la seule chose que je peux faire, c'est d'être détestable à ses yeux.
D'être celui que j'ai été, que dépeignent les livres et que je ne voulais pas lui montrer. Cette obscurité qui compose tout mon être et qui éteint toute lumière en moi... Je veux qu'elle le voit.
Peu importe si je la désire à en commettre des génocides, tant qu'elle me hait autant que je me hais. »
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« ...et voilà, tu sais tout. Je suis désolé de ne pas être revenu plus tôt et honnêtement, tu m'as manqué. C'est stupide, tu crois ? »
Mâchouillant un bâton de porc séché, Arwin semblait attendre une réponse de la statue de glace face à lui. Il l'observa en détail, comme à chacune de ses visites, avant de sourire bêtement.
« Je n'avais jamais fait attention mais t'es bien foutu, Cassi. Tu devais toutes les faire tomber, à l'époque. Vyrr m'avait même raconté que le roi avait eu un gros coup de cœur pour toi. Même ma grand-mère Cristal, quand elle était adolescente, craquait pour toi ! Un vrai bourreau des cœurs !
Pourtant, tu n'as accepté l'amour de personne. Même Cornélia, qui était ton amour d'enfance.
Pourquoi ? Est-ce que la solitude est si agréable ? Parfois, je t'envie.
Mais je ne pourrais pas vivre sans rendre l'amour que l'on me donne. »
Arwin avala sa dernière bouchée avant de se lever de son banc et de se rapprocher de Cassian. Il glissa sa main brûlante sur la glace et s'arrêta au niveau de son cœur avant d'y poser son oreille.
« Même prisonnier, tu dégages quelque chose... J'ai l'impression d'entendre ton cœur battre. »
« Serais-tu amoureux d'un glaçon ? »
Le jeune homme sursauta et se mit en garde avant de pousser un soupir de soulagement en voyant son oncle, toujours habillé et caché par un grand manteau sombre et une capuche.
Il haussa les épaules en faisant non de la tête avant de se rassoir sur le banc. Le nécromancien vint se tenir face à la statue, l'observant longuement, avant de sortir de son manteau une épée.
— Tu devrais essayer de le délivrer avec cela. C'est la Valkyrie Impure qui appartenait à Cornélia.
— Tu ne me dis même plus « bonjour », se vexa Arwin. Nous ne nous sommes point vus depuis-
— Depuis que tu m'as espionné pendant ma toilette ?
Arwin déglutit et se sentit soudain gêné alors qu'en entendant les aveux de son oncle la veille, il avait tout fait pour quitter discrètement la chambre.
Mais on ne pouvait rien cacher au nécromancien.
— Qu'est-ce qui m'a trahi ?
— Ton odeur. Bon sang, Arwin. Les douches sont-elles en option quand on voyage ?
— J-je me suis lavé ! De nombreuses fois !
— Avec du savon ?
Il fronça les sourcils et fit une mine boudeuse n'allant plus avec sa carrure et son visage d'homme. Vyrr lui frotta subitement la tête, le décoiffant au passage alors qu'il semblait avoir fait un effort pour se présenter devant Cassian, ce qui le décrispa.
La moindre attention de son oncle était à apprécier sans demander d'explication...
Lorsqu'il repensa à ces mots de la veille et son attachement à Talya.
Et comme s'il avait lu dans ses pensées, le nécromancien vint s'assoir à ses côtés pour lui avouer ce qu'il savait déjà :
— Je ne veux pas que tu sois jaloux de ta sœur.
— Je ne le serais jamais et je comprends toutes tes actions, mon oncle. Même...
Arwin le désigna de haut en bas avec son menton avant que l'elfe ne réponde d'une long soupire.
— Je m'en suis toujours voulu d'avoir abandonné Aetalya.
— Tu ne l'as jamais abandonné. Si elle retrouvait la mémoire, peut-être qu'elle-
— Qu'elle quoi ? Elle rejoindrait nos rangs ? Ta sœur ne connait rien de nos intentions et des enjeux de notre guerre.
— Peut-être qu'elle éprouverait la même chose que toi.
— Gamin...
— Je ne devrais pas donner mon avis mais ça ne me dérangerait pas que toi... Elle... Bon, c'est un peu bizarre à imaginer... Mais ça ne serait pas un problème.
Soudain, Vyrr éclata de rire. C'était la première fois depuis longtemps et même si Arwin s'en réjouissait, la raison le rendit dubitatif.
— Aetalya est une humaine avec à la fois du sang de dragon et du chaos en elle. Elle est promise au prince héritier Emmett Green, futur chevalier de l'Église de la Lumière.
— Et alors ?
— Alors ? Je suis Vyrr Loraelyan Rhapsody. Le nécromancien causant la mort sur son passage. Je fais des cadavres mes pantins et traumatise mes adversaires. Je suis un elfe corrompu ayant décimé toute sa famille et transformé son peuple en zombie me vouant un culte. Je suis le serviteur du Chaos dans toute sa brutalité.
— Oui, bon, d'accord, mais-
— J'ai plus de deux cents ans alors qu'elle n'en a que dix-neuf.
— Il parait que l'âge des elfes n'a jamais été un frein gênant pour des relations interraciales et que tout se joue sur les interactions et la personnalité d-
— J'ai violé votre mère.
Un long silence tendu s'installa entre eux, seulement perturbé par les gouttes d'eau glissant des stalactites de la grotte.
Subitement, Arwin attrapa l'épée que lui avait tendue Vyrr et la pointa vers lui. À quelques centimètres de sa gorge. Le nécromancien resta immobile, retenant sa respiration alors qu'il fixait les yeux turquoise du jeune homme qu'il avait élevé.
Il chercha d'un regard à comprendre ce qu'il pouvait éprouver en entendant cette vérité rongeant le cœur de l'elfe depuis des années.
Car si pendant la guerre, il avait pu vivre avec, depuis la disparition de Yara et ses doutes sur les sentiments qu'il éprouvait pour Talya, il ne pouvait pas ne pas le prendre en compte.
Sa pire erreur.
Mais alors qu'il pensait qu'Arwin vengerait sa mère en tranchant la gorge de Vyrr, il baissa la lame de l'épée.
— Qu'attends-tu ? le provoqua Vyrr. Il n'y a aucun témoin.
— Il y a Cassian, même s'il est fait de glace. Et ça n'a aucun rapport car je n'ai pas de raison de te tuer.
— Tu as bien entendu ce que je t'ai avoué ?! Je suis un être abject !
— Tu es au service du chaos. Comment savoir si c'est bien toi ou cette voix malfaisante à l'intérieur de nous qui t'a poussé à le faire ? Hier soir, tu as dit que tu avais été forcé. Je veux en savoir plus pour te comprendre.
— Je ne veux pas t-
— Tonton ! s'exclama Arwin en retenant ses larmes. Tu m'as appris que les secrets étaient meurtriers, alors communique avec moi !
Vyrr se résigna, ne pouvant contrer ses propres enseignements, avant de raconter l'événement lui pensant sur le cœur.
« Leone Stormrage était l'élève de mon mentor. Une humaine mais aux talents d'invocatrices jalousé par les haut-elfe. Lorsque j'ai appris qu'elle montait une armée conséquente pour faire la guerre contre Greeland et ses voisins, j'ai tout de suite voulu la rejoindre.
Orgueilleux, je pensais être le meilleur. L'elfe corrompu le plus puissant, et qu'elle ne pourrait qu'accepter sans sourciller ma « candidature »... Mais ce n'était pas le cas. Elle m'a fait me sentir comme... un déchet. Dès le début. Sa stratégie a été de me rabaisser et de me faire croire que je devais tout faire pour la convaincre, alors que j'étais aussi puissant qu'elle.
C'était une époque où je cachais ma solitude et mon désespoir derrière de belles paroles alors que je me languissais d'admiration pour elle... Jusqu'à ce qu'elle me demande de prouver que je pouvais être aussi horrible que je le prétendais.
— Yara ? L'agaçante humaine que tu considères comme ta fille ? Pourquoi est-ce que je coucherais avec elle ?
— Elle est vierge et je ne veux pas qu'elle le demeure. Il faut qu'elle devienne rapidement une femme.
— Je ne suis pas certain que la virginité empêche une femme d'être ce qu'elle est.
— Si tu désires être des nôtres et marcher à mes côtés, tu devras m'obéir. N'importe quel ordre. N'es-tu pas un être sans moral ?
— Le viol n'entre pas dans mon champ de compétence, Leone. Je suis avant tout un-
— Un elfe corrompu qui n'a rien. Aucun endroit où vivre, où s'exprimer et qui disparaitra sans que personne ne le regrette. Personne ne veut de toi, d'un assassin soumis au chaos qui a détruit sa famille.
— Tu sembles bien présomptueuse.
— Je lis dans ce qui te sert de cœur : tu es comme moi. Tu ne crains pas d'être haï par le monde entier, tant que quelqu'un te donne de l'attention et t'estime comme un roi. Si tu me sers, tu le deviendras. Tu reprendras le contrôle de ta nation. Mais si tu n'obéis pas, même à un ordre aussi simple, tu ne mérites même pas que je t'écrase de mes talons.
Jusqu'au dernier moment, j'ai tout fait pour l'esquiver... mais je n'ai pas pu y échapper, comme ta mère.
Alors je me suis dit « autant jouer définitivement le rôle du méchant ». J'ai laissé le chaos m'envahir et Leone me contrôler. Il n'y avait que des horreurs qui sortaient de ma bouche alors qu'au fond de moi, je m'en voulais d'abuser d'elle. Je n'arrivais pas à la rassurer.
Je ne pouvais pas lui dire que tout se passerait bien car ça ne pouvait pas être le cas dans une telle situation. Je ne pouvais pas lui mentir. Je devais rester un monstre jusqu'au bout et obéir pour survivre.
Terminer ça le plus rapidement possible.
Malgré ça, ta mère ne m'a pas tuée. Elle aurait pu et je le méritais. La guerre nous a rapprochés et nous sommes devenus « amis », si je puis le dire.
Mais ce que j'ai fait est impardonnable et c'est pour ça que je n'ai pas le droit d'avoir des sentiments pour Aetalya.
La seule chose que je mérite, c'est de me faire dévorer. »
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Je me souviens des arbres nous entourant. Du vent et du feu crépitant devant nous. Des deux petits monstres dormants enlacés l'un contre l'autre dans un tas de feuilles...
Et de toi, ma détestable camarade.
Ton regard toujours assassin s'étant adouci à la naissance inattendue de tes enfants chaotiques et cette beauté qui me faisait enfin comprendre comment un dragon avait pu tomber amoureux de toi.
« Arrête de me fixer sinon je t'embroche le cœur. » m'avais-tu dit. J'avais laissé s'échapper un petit rire alors que je refermais l'ouvrage que j'étais en train de lire.
— Je n'ai pas de cœur.
— Je le sais bien. Et pourtant, tu es tombé amoureux de Leone.
— Certes. Mais pas au même niveau qu'Arley et toi. Je suis trop horrible pour susciter une réelle passion. J'ai beau me convaincre chaque jour qu'elle m'aime et qu'elle ne se sert pas de moi... c'est complexe.
— Ça ne serait pas la première fois.
J'avais saisi l'allusion et, alors qu'elle vérifiait si ses enfants dormaient bien, elle poursuivit :
— Je ne pourrais jamais te pardonner.
— Je ne mérite aucun pardon.
— Mais... Je sais que tu as été contraint. Ce que Leone t'a fait subir. Tu gardes les apparences mais toi aussi, tu as souffert du sadisme de notre cheffe.
— La souffrance n'est rien et me rend plus puiss-
— Vyrr. Laisse tomber. Il n'y a personne à impressionner ou manipuler, ici. Peut-être que c'est la dernière fois que nous pouvons avoir une discussion sérieuse avant... longtemps. Alors s'il te plait, sois sincère avec moi pour une fois.
— Voyons, Yara, je-
Son regard à en faire trembler une armée m'avait eu.
Elle avait raison. La prochaine bataille serait peut-être la dernière.
Je ne savais pas si j'allais m'en sortir et, avec le chaos l'ayant transformé en chose démoniaque, Yara ne serait peut-être plus en état d'avoir une conversation avec moi.
Alors pour une fois, je pouvais arrêter d'être un monstre.
— Je suis désolé pour ce que je t'ai fait subir.
— Vyrr... Cela a beau ne pas être pardonnable, tu as montré que tu étais bien plus qu'un pantin obéissant aux pires ordres.
— Je ne suis qu'un violeur qu-
— Tu m'as sauvé la vie plus d'une fois. Directement ou indirectement. Tu as sauvé Arley de l'okril, tu m'as retrouvé à temps à Givreciel, tu... Aux yeux du reste du monde, tu es un monstre. À mes yeux, tu n'es qu'un elfe dysfonctionnel qui a malgré tout, réussi à accomplir de bonne chose. Sans toi, je ne serais pas là. Mes enfants ne seraient pas nés. Arley n'existerait plus.
— Yara...
— Alors va te faire foutre pour m'avoir volé ma première fois... et merci pour tout le reste.
Je me souviens de son sourire sincère et de ma vision se brouillant à cause d'une « poussière dans mon œil ». De son petit rire accompagné d'un doigt d'honneur et de ce sentiment mitigé en moi.
Si seulement je n'avais pas obéi à Leone...
Si seulement je n'avais pas abusé de Yara...
Je n'aurais pas autant de regret qui pèse sur ce qui me sert de cœur.
Un chapitre très intense qui, même s'il ne semble pas "avancer", fait au contraire bouger les choses dans la compréhension des sentiments de certains personnage... comme Vyrr.
Qu'avez-vous pensé des aveux de Vyrr dans son bain sur ce qu'il pense de Talya ? Du ressenti d'Arwin à ce sujet ?
De l'attachement d'Arwin à Cassian "la glace" (😂) ? Et enfin de l'aveu que lui fait Vyrr ? Est-ce surprenant qu'Arwin réagisse non pas par la violence mais par le dialogue ?
J'avais expliqué à la fin de Flambée de désir, dans le passage sur le viol de Yara par Vyrr, même contraint, qu'il ne pouvait pas resté impuni. Vyrr est un personnage complexe, très détestable que j'ai miraculeusement réussit à faire aimer à une grosse partie des lecteurs.
Mais dans ce tome, je voulais montrer que la conséquence de son acte l'atteignait profondément et encore plus maintenant qu'il ressentait quelque chose pour Talya. C'est pour cela qu'il se torture avec ses sentiments et qu'il ne voudrait jamais y céder pleinement.
Qu'en pensez-vous ?
J'espère en tout cas que ce chapitre vous a plu. N'hésitez pas à me le faire savoir en votant ou en me laissant un commentaire !🥰
🔥🔥🔥
P.S : Je trouve ça pas mal d'avoir une carte du monde d'Heranyon pour situer un peu où est quoi. Petits mémos utiles :
Rhapsodia étant "Stormaelyan", le pays et cité elfique ayant été possédé par Vyrr. Elmetya, la cité elfique d'où proviennent Sinath et Tyris Myumurin. Northway, là où a vécu la mère de Yara une partie de sa vie.
Les Terres désolées sont le désert et l'ancien territoire de Leone Stormrage, là où la guerre s'est terminé mais aussi où il y a le portail du monde des ténèbres. Stolheim (pour ceux.celles ayant lu Givreciel) est la ville toujours en conflit avec Givreciel et maintenant connu pour ses camps d'esclaves-monstres.
Leonidia, pays qui "gouverne" le continent Ouest et nation de Jeremiah et de Cassian.
PureHill et NightHallow seront introduit par la suite mais la première est une ville elfique prônant la paix et le respect de la nature, et également la première cité à recueillir n'importe qui même les monstres. La seconde est la ville maudite dont parlait la déesse Onhild, le lieu où est partie Alerya en expédition et également l'endroit ayant rendu malade la mère de Cassian qui en est morte.
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