19🔥Alcine
[ARWIN]
« Regardez-le. Il me ferait presque pitié. »
Ses poignets enchainés au-dessus de sa tête laissaient couler un filet de sang le long de ses bras tendus alors que ses jambes attachées entre elles aux chevilles, se balançaient doucement dans le vide.
À moins de deux mètres sous ses pieds, des piques faites d'okril l'attendait en cas de fuite et semblait faire la fierté du nain forgeron présent dans ses ennemis.
La fatigue et un fulgurant mal de tête dans tout le corps, Arwin cligna plusieurs fois des paupières pour observer en détail ceux l'ayant attrapé de force la veille au soir.
Enfermé dans une cave poussiéreuse, un mince filet de lumière s'échappant des lattes du plafond lui permettant de distinguer le petit groupe de ravisseur ayant visiblement préparé sa capture.
Ils étaient tous armés et l'utilisation d'okril comme précaution face à un dragon était le signe évident qu'ils voulaient s'en prendre à lui depuis longtemps.
— Retirez-lui son bâillon baveux.
— J'ai la crainte qu'il n'en profite pour nous mordre. Ou qu'il nous brûle les mains.
— S'il était capable de sortir du feu de sa bouche, il sera déjà libre.
Pour répondre à la provocation, Arwin fit prendre feu en un instant le pauvre morceau de tissus en boule lui servant de bâillon, avant de l'expulser de sa bouche jusqu'à leur pied.
Il se permit même de leur faire un petit sourire moqueur alors que sa situation n'était pas en sa faveur.
— Quelle vermine.
— À qui ai-je l'honneur ? demanda-t-il d'un ton serein.
— À des gens te trouvant dérangeant, Arwin Rowley. Nous avons été engagés pour te torturer afin que tu nous livres les plans du nécromancien. Bien évidemment, ta mort sera la conclusion de notre échange.
— Il va falloir vous dépêcher alors, car la célébration de mes quinze ans est dans quelques jours et si je suis en retard, des squelettes armés déambuleront dans vos rues.
— Tu bluffes. Le nécromancien n'a pas été aperçu à Givreciel depuis des semaines. Tu ne peux compter sur personne.
— Alors je vais supporter jusqu'à ce que vous en ayez marre de moi ! J'adooore parler de tout et de rien et j'ai beaucoup de connaissances inutiles à vous partager !
Ses ennemis échangèrent un regard avant de remonter à l'étage en laissant le nain forgeron face à lui. Une hallebarde dans les mains et pointée jusqu'à son torse, Arwin déglutit, mais ne chassa pas son sourire pour autant, convaincu qu'une fois de plus dans sa vie malchanceuse, il s'en sortirait.
— C'est charmant ici ! commença Arwin en regardant autour de lui. Un peu sale, mal meublé et dangereux avec ces piques dans le sol mais il y a du potentiel ! Je suis sûr qu'une belle cave à vin serait parf-
— Tu fais honneur à ta réputation de pipelette, l'interrompit le nain.
— Suis-je connu chez vous ? J'en suis flatté !
— L'enfant-dragon favorisé par le roi Viktor et protégé du nécromancien. Un adolescent à l'apparence et l'attitude bienveillante...
— J'aide très souvent à la chasse collective pendant l'hiver dans différents villages ainsi qu'à la protection des terres. J'ai également apporté mes forces lors de l'épidémie d'il y a deux ans dans le nord du pays et tous mes gains financiers vont au culte de Silja.
— Un tissu de mensonge et de faux semblant. Une créature engendrée par le mélange de deux espèces différentes, baigné dans le chaos, ne peut être aussi bonne et généreuse sans contrepartie.
— J'aime simplement apporter du bonheur aux gens. Pourquoi est-ce si choquant ?
— Tu es le monstre personnel du nécromancien et tu dois disparaitre avant qu'il n'apporte le malheur dans notre pays.
Arwin poussa un soupir de lassitude tout en essayant de libérer ses poignets de ses chaines, alors qu'il entendait pour la énième fois le même discours.
S'il arrivait par ses bonnes actions à s'intégrer de mieux en mieux dans le quotidien des givrecieliens, il croisait toujours la route de personne désirant qu'il souffre.
Qu'il paie le prix de sa nature qu'il n'avait même pas exposé au grand jour.
Le monde avait décrété qu'il serait mauvais dès la naissance et, à force d'être attaché à la cruauté dont Vyrr avait fait preuve pendant la Grande Guerre, il se sentait parfois submergé par la frustration et la solitude.
Le jeune homme voulait être aimé et, même si cela n'était pas possible pour certains, il estimait ne pas avoir à subir de tel stratagème.
— C'est une telle perte de temps... Même si vous tentez de me torturer avec vos armes en okril, cela ne me fera pas grand-chose. Contrairement aux autres dragons, j'ai une grande résistance à cette matière.
— On le sait et on a prévu quelque chose de bien plus impactant.
— Quoi ? Vous allez me faire manger du poisson avarié ?
— Pour faire souffrir quelqu'un, il faut s'attaquer à son point faible. Et ton point faible, gamin, c'est les autres.
Ne comprenant pas ces derniers mots, Arwin fit une grimace avant de froncer les sourcils et de sentir un parfum familier s'approcher du lieu où il était.
Mais ce n'est que lorsqu'il entendit une voix féminine se plaindre qu'il comprit.
« Relâchez-là ! » s'écria-t-il alors que ses ennemis entraient de nouveau dans la cave en trainant par les cheveux son amie Alcine.
Les larmes aux joues, la souffrance visible sur son visage et les bleus sur les parties visibles de son corps accentuèrent la colère du jeune homme.
— Je n'ai jamais vu une religieuse aussi audacieuse ! s'exclama le leader. Dès que l'on a prononcé ton prénom, elle a donné un coup dans les bijoux de famille d'Yrof.
— Pire qu'une sale catin ! J'vais me venger.
— Ne touchez pas à un seul cheveu d-
Arwin s'interrompit en sentant la pointe de l'hallebarde en okril lui transpercer le ventre. Même s'il était résistant, la douleur était vive et le forçait à se mordre les lèvres pour retenir un cri de douleur.
— Balance-nous tout ce que tu sais sur les plans du nécromancien sinon, je ne donne pas cher de la « pureté » de cette femme.
— Il n'y a rien à dire. Il n'y a pas de plan ou je ne les connais pas.
— Yrof, tu peux y aller.
— NON ! Aaargh !
Alors qu'il se débattait, Arwin se prit un nouveau coup plus profondément dans la jambe, jurant en voyant le tissu du bas de la robe de son amie se faire déchirer par un barbare rancunier.
— Il ne sait rien ! s'exclama Alcine en larme. Par la grâce des Anciens Dieux, laissez-nous partir !
— TA GUEULE !
— Ne lui sert pas trop la gorge, Yrof, ce serait bête qu'elle nous quitte aussi vite.
— Vous pouvez me faire tout ce que vous voulez, commença le garçon les larmes aux yeux, mais par pitié, libérez-la. Elle n'a rien fait de mal !
— On le sait, répondit le nain en planta l'hallebarde dans son torse, c'est ta punition pour t'être fait passer pour quelque de bien. Tu ne berneras plus personne, créature chaotique !
Le sang coulait de ses lèvres mais également de son nez, tellement il était frustré et haineux face au groupe les faisant souffrir pour rien.
Arwin croisa le regard d'Alcine, la respiration presque coupée par les puissantes mains de son ravisseur, alors que les larmes redoublaient et que cette brute venait de prendre la virginité de la religieuse, de force.
« Je suis Arwin Rowley. Fils d'Arley Prideblaze et de Yara Rowley. Je suis un dragon guerrier. Un dragon chaotique. »
N'y a-t-il point de meilleur moment pour enfin céder à ta colère ?
Laisse tes flammes ardentes les punir comme il se doit, Arwin.
Tu l'as pensé toi-même : tu es un dragon chaotique.
Hésite encore une seconde et ton amie va en payer le prix.
« ALCINE ! » s'exclama Arwin alors que la lame lui transperça le cœur.
Soudain, une vague de chaleur fit reculer de quelques pas ses ennemis alors que le métal de ses chaines fondait sur ses poignets et qu'Arwin sentait la température de son corps dangereusement augmenter.
Et alors que les ailes noires poussant dans son dos semblaient lui déchirer la peau, le nain à la hallebarde face à lui se mit à prendre feu. S'agitant dans tous les sens et ne remarquant pas le garçon, dont les vêtements brûlaient, avait échappé à la chute sur les pointes d'okril.
À croupie derrière le nain faisant des roulades pour s'éteindre, le corps de l'adolescent s'entoura d'une fumée noire et d'étincelles éclairant ses iris dans la pénombre.
D'un simple regard, ses ennemis sentirent un frisson les parcourir mais, alors que leur conscience leur criait de fuir, ils restaient pétrifiés par la peur qu'inspirait la créature n'étant plus humaine devant eux.
Des écailles aussi noires que le charbon, des griffes acérées écrasant le corps du nain en feu, mettant fin à ses jours, et des yeux turquoise hypnotisant : Arwin avait retrouvé sa nature de dragon.
D'un souffle, il bloqua la seule échappatoire possible avec ses flammes avant de pousser un grognement et de fixer ses ravisseurs.
« Alcine. » arriva-t-il à articuler avec difficulté mais de façon suffisamment compréhensible pour que le groupe comprennent et s'écarte...
Sauf l'homme encore au-dessus d'elle.
Le dragon chaotique n'attendit pas une seconde de plus et planta ses crocs dans le corps du dénommé Yrof, n'ayant le temps de pousser qu'un crie de désespoir avant la mort.
Sa proie coupée en deux, le sang giclant sur tous ceux présent et tremblant face au dragon, ce dernier saisit avec précision le corps de la religieuse entre ses pattes et se mit à battre des ailes.
Sa forme doubla subitement de volume, explosant le plafond et projetant des lattes de bois dans tous les sens.
Mais alors qu'il détruisait la maison où ils étaient retenus prisonniers, qu'il semblait s'envoler et que ses ravisseurs poussaient un soupir de soulagement, Arwin submergé par la rage oublia toute forme de pitié.
Une puissante déflagration détruisit entièrement la demeure en feu alors que les cris de souffrance de ses ennemis s'intensifiaient dans leurs derniers instants.
Surplombant sa vengeance depuis les airs, le dragon sentit soudain ses ailes faiblir et perdre de la hauteur. Il s'éloigna juste assez pour être en sécurité et dû atterrir violemment sur le dos, ne sachant pas comment faire autrement.
De nouvelles étincelles l'entourèrent immédiatement, forçant son retour à une apparence normale alors que le jeune garçon se mit à tousser et à cracher du sang noir.
Allongé dans l'herbe qu'il brûlait par simple contact avec son corps ardent, la respiration erratique, Arwin se mit à ramper de quelques mètres jusqu'à Alcine qu'il avait préalablement déposé en sécurité.
Les vêtements déchirés et des marques d'étranglements autour de son cou pâle firent pousser un nouveau cri de colère chez le jeune garçon avant qu'il ne se mette à genoux et ne la prenne dans ses bras.
« Alcine, est-ce que tu vas bien ?! Réveille-toi ! Respire ! »
Lorsqu'il vit de la fumée s'évaporant des vêtements de son amie, à cause de sa propre chaleur corporelle anormalement élevée, il arrêta son étreinte et la déposa au sol sans pour autant lâcher sa main.
« Alcine... Par pitié... Réponds-moi... Pardon... C'est de ma faute... Pardon... »
La vue brouillée par les larmes, Arwin ne cessa de s'excuser auprès de la religieuse en tenant sa main, avant que tout ne s'assombrisse autour de lui...
*
« ALCINE ! » s'exclama-t-il en sueur.
Soudain, une main froide se posa sur son front et le repoussa doucement pour qu'il reste allongé dans son lit.
À ses côtés, le nécromancien restait silencieux mais ne pouvait s'empêcher de pousser un soupir de soulagement en voyant son protégé enfin se réveiller.
— Mon oncle... murmura-t-il en prenant enfin conscience qu'il était dans leur demeure dans la montagne d'Onhild.
— Ta température a enfin baissé... C'est un immense soulagement.
— Est-ce que j'ai fait... un cauchemar ? Est-ce qu'Alcine va bien ?
Le silence de Vyrr augmenta l'inquiétude du jeune homme mais également son impatience lorsqu'il lui avoua enfin ce qu'il s'était passé avant qu'il ne s'évanouisse :
« C'est la fumée et les flammes qui nous a indiqué que vous étiez en danger. On vous a retrouvé à des kilomètres d'ici, dans une vieille cabane à l'Est, qui n'est que cendre, désormais. Tu étais à côté Alcine, évanouie dans l'herbe brûlée, et tu peinais à respirer... J'ai tout de suite effectué des soins sur vous, avec l'aide d'autres fidèles, ainsi que des membres du culte, mais... »
Subitement, la porte d'entrée de la chambre s'ouvrit avec violence sur Drunog, une bouteille d'alcool dans les mains, suivie d'Alerya et de son père Nelian tentant de le retenir.
Ce dernier repoussa le nécromancien en arrière sans se soucier un instant de lui et attrapa avec force la chevelure du garçon ne pouvant retenir sa surprise et sa douleur.
— DRUNOG ! s'exclama Nelian. Arrête !
— FERME-LA ! Fermez-là tous autant que vous êtes ! Arwin... Sale petit...
Le nain ivre semblait retenir un flot de larmes grâce à sa colère qu'il déversait sur le jeune garçon ne comprenant pas encore une telle réaction, lorsque Drunog tira un peu plus sur ses cheveux et lui demanda :
« Pourquoi est-ce que c'est arrivé ?! Hein ?! Pourquoi est-ce que tu ne l'as pas protégé ? Pourquoi Alcine et pas quelqu'un d'autre ?! Elle était la bonté incarnée... Ma... précieuse... Elle ne méritait pas ça !
Pourquoi ?! C'est à cause de toi... De vous tous ! De toi, sale nécromancien mais aussi de tout ton peuple, de vos alliés, de votre amour envers le chaos... De toi, Arwin ! C'est de ta faute ! Si tu n'étais pas un dragon chaotique...
Si Alcine et moi, on ne t'avait pas aidé... Si on t'avait laissé planter à ce pic de glace...
Si seulement tu n'étais pas venu au monde, elle serait encore en vie... ! »
Fracassant sa bouteille au sol, le nain s'apprêtait à frapper Arwin lorsque Vyrr arrêta son poing et le lui tordit d'un geste rapide. Il le repoussa en arrière avec autant de violence qu'il avait précédemment subit et se mit entre Drunog et son protégé.
Mais il ne dit rien et laissa le silence s'étendre alors que les sanglots s'intensifiaient chez le jeune garçon comprenant qu'il n'avait pas réussi à sauver son amie.
« Vous et votre chaos, vous me dégoutez. Votre corruption n'est que source de malheur et vous finirez par tuer tous ceux qui vous ouvrent leurs cœurs... » murmura le nain avant de tituber, de se redresser et de quitter la chambre avec fracas.
Le nécromancien s'approcha lentement d'Arwin mais s'arrêta net en sentant un changement dans son aura. Il concentra sa magie dans sa paume et la passa au-dessus de sa tête avant de comprendre ce qui avait provoqué l'incendie :
Arwin avait réussi à se transformer en dragon, à cause de l'urgence et de l'horreur de la situation, en acceptant la part de chaos en lui.
Et alors que le jeune garçon, les mains sur la tête, pleurait toutes les larmes de son corps, Vyrr lui annonça volontairement et froidement, la triste vérité :
« Alcine est morte étranglée par son violeur, engagé par quelqu'un voulant notre perte.
La vie est horrible, les gens sont abjects et que ce soit avec ou sans moi, on cherchera toujours à te faire souffrir au nom de convictions bancales.
Tout ça parce que tu es le fils d'un dragon et d'une humaine corrompue par le chaos.
Sois tu subis, toute ta vie... Sois tu l'acceptes, tu fais face et tu te venges. »
C'était dur à écrire comme chapitre... 😰 On va encore dire qu'Arwin est mon souffre-douleur !
Malgré la dureté de ce chapitre, je voulais que le personnage d'Arwin comprenne qu'il a beau être le plus gentil et adorable du monde, il aura toujours des ennemis. Qu'en pensez-vous ? Qui aurai pu engager ces personnes pour lui faire tant de mal ? 🤔
Arwin a perdu Alcine mais aussi Drunog par la même occasion... Comment pensez-vous qu'il va vivre cela ? Réagir à l'avenir ? 😥
Même s'il est plus triste et sombre, j'espère en tout cas que ce chapitre vous a plu. N'hésitez pas à me le faire savoir en cliquant sur la petite étoile ou en me laissant un commentaire !
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