17🐲Larmes de dragon
[ARWIN]
J'ai appris à me servir de chaque objet comme une arme depuis l'instant où mon père m'a appris que la vie ne faisait de cadeau à personne.
Qu'il fallait se battre pour survivre, pour être libre...
Pour aimer.
Je l'ai compris quand ma mère est morte. Quand le feu nous a contraints à fuir Givreciel. Quand j'ai dû m'opposer à lui pour avoir mon indépendance.
Des milliers de fois depuis que je suis chasseur...
Même contre Cornélia, alors qu'elle avait sa place dans mon cœur.
Je me suis battu contre l'amour, pour moi.
Toujours pour mes croyances et idéaux.
Même lorsque d'autres vies étaient en jeu, j'étais égoïste.
On dit de moi que je suis un solitaire, trop amoureux de la nature et m'inquiétant plus pour les formes inférieures que mes congénères.
Alors je l'ai accepté, mais jamais je n'aurais cru...
Jamais je ne me serais battu pour quelqu'un, si ardemment.
Jamais pour un homme.
Jamais pour lui.
Tu devrais plutôt t'inquiéter pour ta propre vie.
Cassian esquiva avec rapidité la lame ayant coupé quelques mèches brunes de ses cheveux. La Valkyrie Impure dans les mains, il serra fort son manche en fixant l'obscurité d'où la « chose » l'ayant attaqué s'était cachée.
Ses yeux de lynx, comme son défunt cousin aimait les nommer, cherchaient le moindre mouvement pour être prêts à réagir... lorsqu'il entendit des pleurs.
« Je connais ces sanglots... » murmura-t-il en se retournant, lorsqu'un enfant agenouillé devant lui avait la tête dans les mains.
Immédiatement, il reconnut la tignasse noire de jais et recula de quelques pas.
Je me sens si seul...
S'il te plait... Aide-moi !
Soudain, lorsque l'enfant releva la tête, les deux billes turquoise lui servant d'yeux laissèrent s'écouler des larmes de sang noir accompagné petits lombrics venant lui ronger la peau des joues.
C'était Arwin, sans être vraiment lui.
Et alors que Cassian plantait sans une once d'hésitation son épée dans le corps de l'illusion, il se souvint un peu plus des échanges à sens unique qu'avait son camarade avec lui, prisonnier de la glace.
De tous les sentiments pesants sur le cœur d'un enfant qui, en grandissant, l'avait enfermé dans une cage d'okril pour ne pas les laisser ressortir.
Je suis un monstre.
« Tu n'es un monstre que si tu te comportes comme tel ! » s'exclama le chasseur en courant au hasard, à la recherche du moindre élément le menant vers son véritable ennemi.
Personne ne m'aime.
« Conneries ! Tu es capable de te faire apprécier de n'importe qui d'un claquement de doigts ! »
Il esquiva de nouveau et à l'aveugle une lame invisible ratant de peu son cou.
Tout le monde m'a oublié.
« On se souviendra encore de toi dans une centaine d'années ! »
Cassian continua de courir tout en réfléchissant à la situation, lorsqu'en sentant un nouveau frisson sur sa nuque, il tenta de trancher l'air devant lui.
J'ai trahi la femme qui m'aimait.
« Tu... quoi ? »
L'enfant était toujours là, à pleurer et à attendre quelque chose de sa part.
Alors le chasseur arrêta de courir et s'assit en tailleur devant lui. Il joignit ses poings serrés l'un contre l'autre et pris une grande inspiration.
Les battements de son cœur diminuaient peu à peu alors que les bruits inquiétants et les pleurs tout autour de lui semblaient vouloir troubler son calme apparent.
Il ferma les paupières et se mit à fredonner pendant quelques minutes une comptine elfique que sa mère lui avait apprise.
Sans trembler ni craindre un seul instant la menace qui était en train de le piéger...
Lorsqu'il ouvrit les paupières, se pencha et serra le petit garçon dans ses bras.
Soudain, les sanglots cessèrent.
Il regarda à nouveau l'enfant et le visage semblable à celui d'Arwin devint... le sien.
Cassian s'était reconnu à l'instant où il avait compris la nature des plaintes de l'illusion : elle exposait ses peurs, pas celles d'un autre.
La « chose » qui l'avait piégé dans cette forêt malveillante tentait de le manipuler et de le faire succomber à ses angoisses.
« Je ne crains pas toutes ces faiblesses qui font de moi un homme imparfait, mais bien vivant.
Je n'ai pas à les combattre, parce que je les accepte.
Elles me rendent plus fort. »
L'enfant disparu subitement d'entre ses bras, ne laissant que poussières et insectes, lorsque Cassian se releva et actionna le mécanisme de la Valkyrie Impure.
Il ferma de nouveau les paupières, se fiant à tous ces autres sens, avant de sortir une flèche de son carquois et de tirer.
Le hurlement strident s'échappant de l'obscurité dut le faire trembler, mais il resta droit, les bottes s'enfonçant dans la terre, lorsqu'il tira de nouveau.
Son calme était si déstabilisant que la créature entourée d'ombre s'avança très rapidement jusqu'à lui et s'arrêta à quelques centimètres de son visage.
Son souffle putride ne fit pas siller le chasseur, l'odeur lui rappelant les cadavres d'animaux fantastiques qu'il avait chassés dans ses jeunes années.
CRAINS-MOI !
Cassian resta stoïque face à l'ombre révélant un visage cadavérique flottant dans les airs face à lui.
« Tu n'es pas là pour m'attaquer. Tu n'existes que pour nous faire rebrousser chemin. Sinon tu aurais déjà répandu notre sang dans ton illusion de malheur. »
« Il les réveille et se nourrit de nos angoisses. » pensa-t-il en rangeant sa flèche dans son carquois avant de transformer l'arc en épée.
La Valkyrie Impure dans les mains, il ne tenta pas de couper la créature devant lui. Cassian poussa un long soupir avant de froncer les sourcils et de demander d'une voix sans émotion :
— Où est Arwin ?
Jamais il ne sortira d'ici. Son esprit est ravagé.
— Mais le mien est fort, et je le soignerais. Tant qu'il garde un souffle de vie.
Même si tu y parviens, l'enfer vous attend par-delà les terres mortes de NightHallow.
— Ton maitre ?
....
— Alors c'est ainsi.
Il ne vous laissera jamais approcher.
— C'est ce qu'on verra.
À ces mots, Cassian avança sans crainte et traversa la créature n'étant qu'une illusion. Comme elle, la forêt au-dessus de sa tête parut soudain moins intimidante.
Les épais feuillages s'écartèrent et laissèrent des rayons de soleil éclairer son chemin.
Le chasseur essuya la sueur de son front d'un revers de la main, tout en contrôlant les battements de son cœur, avant de continuer sa route à la recherche de son camarade.
Ce n'est qu'une trentaine de minutes plus tard qu'il arriva au centre de la forêt, dans une clairière où l'odeur de brûlé provenant de l'herbe lui fit immédiatement comprendre qu'il était arrivé à destination.
Le feu semblait partir de son centre, mais il n'y avait rien.
Lorsque Cassian entendit un reniflement.
Cassian... Je t'en prie... Ne me laisse pas seul...
Il avança lentement sa main vers le centre, suivant la hausse de température, lorsqu'elle toucha quelque chose d'invisible.
Et qu'elle sentit les battements d'un cœur agité.
« Je suis là. » murmura-t-il avant de faire basculer ses affaires de son dos à son torse. Il s'agenouilla devant la source de chaleur et fit glisser ses mains sur ce qui semblait être les bras et jambes de son ami.
Cassian n'eut pas besoin de lui demander de grimper sur son dos, une simple petite tape lui suffit. Il vérifia que tout était en ordre avant de se relever péniblement et de prendre une grande inspiration pour avancer en direction de la sortie de la forêt.
« Tu es un peu lourd. N'aurais-tu pas pris du poids ? » demanda-t-il en sentant son souffle régulier contre son cou. « Ou alors en muscle ? Difficile à dire. »
Le chasseur continua à parler seul, son compagnon invisible sur le dos, afin de susciter une réaction chez lui.
« Tu sais quoi, Arwin ? J'aime bien quand tu la fermes. Tu es plus facile à vivre. Tu parles trop, c'est un enfer. Tu me rappelles Vyrr. Notre voyage a été court, mais il était comme toi. Curieux, impertinent, toujours à chercher ce qui me titillera. Je crois qu'il adorait susciter autre chose que de l'indifférence chez moi.
Étrangement, malgré l'agacement qu'il me provoquait, il m'a prouvé que j'étais capable de m'attacher à quelqu'un d'autre qu'un membre de ma famille en si peu de temps. Si différent.
Mais avec toi, c'est autre chose. Tu n'es pas seul, Arwin. À l'instant où tu m'as confié tous tes tourments, lorsque j'étais de glace, tu n'as plus été seul. Et moi non plus.
J'ai mis du temps à retrouver tous mes souvenirs, mais ça remonte à la surface chaque jour. Des bribes. Plus j'avance à tes côtés et plus je comprends tes angoisses. Même si je reste silencieux.
Tu es la créature fantastique la plus fascinante que j'ai rencontré dans ma vie.
Tu es solaire en apparence, mais en toi, se déchaine un vrai raz de marée. Tu as vécu tant en si peu de temps... Alors personne n'osera se moquer de toi si tu pleures de tout ton saoul. »
C'est en posant le pied hors de la forêt que Cassian sentit des gouttes froides glisser le long de sa nuque. Il tourna légèrement la tête, le visage couvert de saleté et de larmes d'Arwin se matérialisant peu à peu contre lui.
En le sentant se serrer un peu plus contre lui, Cassian ne put réprimer un sourire rassuré avant de lui chuchoter :
« Le combat n'est pas fini et j'ai besoin de toi pour continuer. »
Les cieux étaient assombris par des nuages épais et sombres, donnant à tout l'environnement une atmosphère sinistre et oppressante.
Tout autour d'eux, le sol était stérile et craquelé et les arbres décharnés se dressaient comme des silhouettes fantomatiques dont les branches tordues dépourvues de feuilles ressemblaient à des doigts crochus.
Les rares ruisseaux, à la sortie de la forêt dont ils avaient échappé quelques heures plus tôt, étaient composés d'eau noircie et stagnante.
Le vent ramenait des odeurs âcres de pourriture provenant du sud, leur future destination, et rien ne pouvait leur donner l'envie de poursuivre leur aventure.
Rien sauf l'espoir.
Arwin se réveilla une bonne heure plus tard en frottant ses yeux, gêné par les résidus oculaires causés par sa torpeur et ses larmes abondantes d'il y a peu. Son regard croisa celui de Cassian, en train de peler une pomme et assis... sur les ossements d'un animal.
Les mots se bloquèrent et, n'osant pas faire part de ses sentiments, il se racla la gorge avant de se redresser en tailleur en silence.
Il avait cru que Cassian était en danger mortel, mais c'était lui qui l'avait sauvé de l'obscurité.
À ce constat, il sentit ses jours s'empourprer avant de saisir le bout de pomme que lui avait tendu son camarade.
Le chasseur était étrangement serein dans ce paysage pourtant si pesant et à mesure que les minutes silencieuses entre eux défilaient, Arwin se demandait s'il était vraiment humain.
Qu'avait-il vécu pour être si calme ?
Il l'observa mâcher un morceau de fruit tout en levant la tête vers le ciel menaçant. L'environnement aurait pu être un bosquet calme et féerique que son expression aurait été la même.
Soudain, le chasseur se mit à jouer avec la lame de son couteau et demanda :
« Quel est ton fruit préféré ? »
Arwin cligna plusieurs fois des paupières, ahuri par sa question très banale et son désir d'en apprendre plus sur lui.
— Tu aurais pu me demander ce qu'il s'est passé dans la forêt, mais tu veux parler de nourriture... Tu es étrange, Cassian Nyrh.
— Alors ?
— Je n'en sais foutrement rien...
— Parle-moi d'un truc que tu aimes, peu importe. J'essaie de dédramatiser la situation.
Le bruit de la foudre au loin fit sursauter Arwin avant qu'il ne réfléchisse sérieusement aux motivations du chasseur.
Puis, en comprenant que Cassian était actuellement comme l'avait décrit Vyrr, « imperturbable au cœur de glace », il abandonna et réfléchit sincèrement à sa question.
« J'aime ce moment de quelques minutes où le soleil se lève sur les dunes enneigées de la campagne de Givreciel. Lorsque le sol ressemble à un voile étoilé transformé par l'aube et qui tout n'est que silence. »
Le sourire de Cassian fut sa réponse. Et il éclaira tout autour de lui.
« C'était aussi mon préféré. »
Arwin oublia ses craintes, les éclairs, la menace au loin et toute l'angoisse et la boule dans son ventre depuis qu'il était entré dans la forêt.
Cassian était en train d'envahir un peu plus son cœur... et cela le terrifiait.
Leur histoire ne pouvait pas bien se terminer. Dans le meilleur des cas, elle se conclurait sur une amitié remplie de frustration et de regret.
À cet instant, il voulait le remercier, l'enlacer. L'embrasser.
Arwin n'aimait pas les autres hommes, il en était convaincu à chaque nuit qu'il passait avec des filles de joie...
Mais il était en train de tomber pour Cassian. Encore.
Il se contenta de sourire et de lui taper amicalement l'épaule. Encore.
Et il ravala ses sentiments. Encore.
🔥
Il ne fallut qu'une journée, entourée d'un paysage semblable à l'idée que se faisaient les partisans de la Lumière du monde des ténèbres, pour qu'ils arrivent à quelques kilomètres de la capitale de NightHallow.
À mesure qu'ils avançaient, l'air était de plus en plus lourd et, lorsque la toux d'Arwin s'accentua en se rapprochant de la ville, Cassian fut obligé de s'arrêter.
— On ne va pas pouvoir entrer comme ça. Sans préparation. Je sens ma gorge brûler, comme si du poison s'infiltrait subtilement en moi.
— Mais on ne peut pas faire marche arrière non plus. Et nos vivres commencent à manquer. Je suis certain que si nous buvons de « l'eau » ici, nous aurons la chiasse pendant une semaine.
— Si ça ne nous tue pas. Hum...
— Et l'immense mer, là-bas ? dit-il en désignant une étendue d'eau sombre.
— C'est le lac séparant NightHallow de la terre elfique de PureHill. Il est si grand qu'il faut au moins deux journée entière pour le traverser. C'est...
— Oui ?
Cassian hésita, fixant le lac avec intensité avant de murmurer :
« Mon sang elfique provient de là-bas... Mais j'aimerais éviter d'y aller parce que je ne suis pas certains qu'ils nous accueilleraient à bras ouvert. »
« Surtout pas un dragon chaotique » pensa-t-il avant de décoiffer un peu plus ses cheveux en fixant l'horizon.
— La broche est en ville, n'est-ce pas ? Comment la retrouver ?
— D'après la déesse Onhilde et les suppositions de Vyrr... Elle appartient toujours à son porteur.
— Tu veux dire...
— Ton maitre ?
Nyosang
— Alors c'est ainsi.
— Le plus grand mage de la création. Un Ancien Dieu dépourvu de jambes, amoureux de Noarhyen et qui, à son réveil, aurait maudit l'entièreté de ce pays.
— Je pense qu'il existe toujours, affirma Cassian la main sur le pommeau de son épée. La créature de la forêt... Elle devait être une de ses créations. Il ne nous laissera pas l'atteindre si facilement, et encore moins lui prendre sa broche.
— Alors Nyosang est notre ennemi. La vache ! On va devoir se battre contre un Ancien Dieu ! Ça ne te fout pas les chocottes ?!
Cassian fronça les sourcils avant de hausser les épaules.
« J'ai déjà tué une déesse. »
Et alors qu'Arwin se retenait de lui dire qu'il avait une attitude bien trop sexy pour trainer avec lui, une odeur quasi imperceptible lui chatouilla les narines.
Une présence à la fois familière et inconnue.
Ses pupilles s'agrandirent soudain, ses iris changèrent de couleur et il sentit un frisson se propager dans tout son corps désormais tendu.
« Arwin ? »
Sans s'en rendre compte, il haletait. Cassian s'apprêta à lui toucher l'épaule, mais il s'arrêta en chemin, la température corporelle de son ami ayant augmenté dangereusement en quelques secondes.
— Tes canines... constata-t-il. Qu'est-ce qu'il se passe ? Des écailles sont en train d'apparaitre sur ton bras.
— Je... ne sais pas. Je sens un truc.
— Le danger ?
— Oui, mais...
Il fixa l'horizon mystérieux et le ciel aux éclairs menaçants lorsque l'odeur devint plus forte.
Un parfum semblable à la mort, mais...
« Une touche de rose. »
Subitement, il arrêta de respirer.
Il ne sentit plus son cœur pulser dans sa poitrine.
À l'instant où il entendit un battement d'ailes puissant au-dessus de leur tête, il comprit que quelque chose venait de traverser l'épaisse couche de nuage sombre pour les surprendre.
Quelque chose... ou quelqu'un.
« CASSIAN ! » s'écria-t-il en se retournant vers son camarade avant de le pousser violemment sur le côté pour le faire esquiver un coup fatal.
De puissantes griffes se plantèrent dans le sol aride et firent trembler la terre alors qu'ils étaient passés à quelques millimètres de crocs acérés capables de les déchiqueter d'un coup.
Arwin fit apparaitre sa lance et, comme Cassian avec son arc, il la pointa vers la créature entourée d'un épais voile noir se dissipant peu à peu...
Lorsque l'odeur, désormais claire pour ses sens, lui fit lâcher son arme et tomber à genoux devant le danger.
« Père ? »
Vous devez me détester de couper le chapitre là, désolée ! 😶
Qu'avez-vous pensé du calme de Cassian ? De sa façon d'échapper à l'illusion et de les sauver ? De ses angoisses et de celles paralysant Arwin ?🤔
Des sentiments de ce dernier, qui m'arrache toujours un bout de cœur ? 😭
De leur arrivé près de NightHallow et enfin... de leur rencontre avec une "créature menaçante" ? 🐉 Vos avis et théories sur la suite ?
J'espère que la suite vous plaira ! On se retrouve bientôt pour le prochain chapitre ! N'hésitez pas à soutenir cette histoire en votant/commentant/la partageant à vos proches🥰
(j'imagine Cassian dans la forêt comme ça 👀)
🔥🔥🔥
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