14🔥Seuls, ensemble

[TALYA]


« Maitres des connaissances divines et protecteurs des terres façonnées par les anciens dieux, il est dit des dragons qu'ils sont La Voix devant guider les peuples inférieurs vers la rédemption et la préservation de toute vie.

Or, le temps nous a appris qu'aucune race n'était soumise. Et qu'aucune vérité n'était absolue.

Les dragons sont devenus de plus en plus bêtes, sauvages, se rapprochant de leurs cousins éloignés les reptiliens, troquant leurs sagesses pour la force.

Nous sommes devenus plus puissants, plus malins et nous arrivons même à les capturer. À les domptés. Et bientôt, ils ne seront réduits qu'à leur fonction primaire. Ils redeviendront de gros lézards suffisamment utiles pour servir de moyen de locomotion.

Mais les dragons sont fourbes. Ils ont su s'adapter également. Ils peuvent prendre notre apparence, se mêler à nous et imiter nos habitudes, nos façons de vivre et d'agir.

Le pire étant qu'ils nous empoisonnent. Comment le font-ils, d'après vous ? »

Le professeur leva la tête du livre entre ses mains, observant à travers le verre de ses lunettes toute sa classe composée de la future brillante noblesse de Greenland.

« La maladie du dragon ? »

Avec en son centre, le prochain roi du pays, levant haut la main mais répondant avec une nonchalance parfois prise pour une pointe de supériorité.

L'érudit hocha la tête, confirma une fois encore les larges connaissances d'un de ses meilleurs élèves que tous, et surtout son frère et ses sœurs, regardaient avec admiration.

— Un mal qui a plusieurs noms sur notre continent mais que le roi a souvent tendance à appeler « les griffes du dragon ». Comment attrape-t-on cette maladie, prince Emmett ?

— Il me semble qu'il faut avoir des rapports intimes avec ces créatures.

— BEURK ! s'écrièrent la majorité des enfants.

— Même sans intimité, vous risqueriez d'être contaminé d'un simple touché. Certaines victimes témoignaient même que d'un regard, leur âme ne leur appartenait plus. C'est un mal démoniaque.

— Mais comment sait-on qui est un dragon s'ils ont une apparence humaine ? demanda une fillette au premier rang. Comment savoir si l'on n'est pas déjà contaminé ?

— Oh, ne vous en faites pas ! Il a été également prouvé que les dragons, s'il en reste après la chasse massive lancée sur le continent, avaient un physique et des difficultés à s'adapter à notre société civilisée qui les dévoilaient naturellement aux esprits les moins naïfs.

— Aaaaah ! s'exclama un garçon avec de grands yeux avant de pointer une enfant du doigt. Pt'être qu'Opal a chopé la maladie !

— Ouais ! poursuivit son camarade. Elle s'est fait mordre par le monstre du château ! C'est comme vous avez dit ! Ça se trouve, c'est un dragon !

— Messieurs, du calme.

— Y'a un dragon dans le château ! Dégueulasse !

— Silence ! Il n'y a pas de dragon entre ces murs et l'incident avec damoiselle Opal n'était que le fruit d'une mauvaise éducation d'une autre enfant. Voilà ce qui arrive si, comme Talya, vous ne suivez pas les enseignements de la noblesse.

Cette piqure de rappel marqua les esprits des élèves et conforta l'idée que la seule princesse recluse dans ce château n'était pas à fréquenter.

À la fin de leurs cours, Emmett salua son frère et ses sœurs, prêt à aller s'entrainer avant de les rejoindre pour le diner avec leurs parents, lorsqu'il aperçut au détour d'un couloir, la silhouette de sa sœur tant détestée.

Se cachant d'elle, derrière un pilier, il l'observa en train de faire les cent pas et se demanda ce qu'elle faisait dans l'aile centrale du château alors qu'elle n'était conviée à la table royale qu'un soir par semaine.

Ses longs cheveux roux, libérés de toute coiffure, tombaient en cascade dans son dos alors qu'une légère robe printanière d'un bleu pastel couvrait sa peau pâle souffrant du manque de soleil.

« Qu'est-ce qu'elle fait ici ? » se demanda Emmett en fronçant les sourcils, l'air suspicieux.

Le prince et sa sœur, dont il savait depuis longtemps qu'il n'avait aucun lien de parenté, n'avaient eu que peu de contact agréable.

Il était le premier à défendre toutes personnes mises en tort mais lorsque Talya se faisait insulter par ses camarades, il ne pouvait la défendre. Elle avait mordu sa petite sœur et n'avait rien d'agréable à offrir aux gens.

Pas un rire, un sourire, un regard tendre. Rien que de la froideur.

Mais alors qu'il allait l'interpeller, Emmett vit soudain le visage de Talya s'éclairer une demi-seconde avant que la porte devant elle ne s'ouvre.

« Vous aviez tellement hâte d'être abreuvé de mes enseignements que vous en êtes même venu à m'attendre ici, petite princesse ? »

Un elfe à la voix suave, portant deux grosses besaces dont dépassaient des parchemins, aux longs cheveux bruns attachés en bataille et à la tenue laissant supposer un long voyage, venait de s'ajouter à la liste des rares personnes intrigants le prince.

Intrigant par sa facilité à faire pétiller le regard de sa sœur. Maintenant, avec ce changement d'attitude, il devait reconnaitre qu'elle n'avait pas « rien », grâce à sa beauté.

— Je ne faisais que passer dans le coin, mentit la princesse en levant les yeux au ciel.

— C'est cela, oui. Une telle avidité ne peut être cachée à mes yeux.

— Avidité nourrie par votre subite absence. Où étiez-vous durant le mois ? Vous deviez m'introduire auprès de « certaines personnes ».

— N'avez-vous donc pas fait l'effort de vous présenter vous-même ? Ah oui, j'oubliais, vous êtes socialement désespérante.

« Eh ! » s'exclama le prince en sortant de sa cachette.

Si Talya fut surprise mais surtout gênée de le trouver ici, Sinath semblait avoir déjà conscience de sa présence dès son arrivée.

Ce dernier fit une révérence avant de se relever et de regarder de haut l'enfant le dévisageant aussi sévèrement que possible à son âge.

— Nous ne nous sommes point présentés, commença l'elfe. Je suis Sinath Gilmenorya Elmet, le professeur particulier engagé par la Reine pour votre sœur.

— C'est donc cela... Emmett Green. J'interromps votre discussion car je vous ai entendu manquer de respect à la princesse. Cela ne saurait être toléré.

— La vérité est un manque de respect ?

— Depuis quand me défendez-vous, Emmett ?

La remarque de Talya, aussi froide qu'à l'accoutumée, mais également piquante, fit rougir le prince ne s'attendant à aucune réponse de sa part.

Il savait qu'il n'était pas en position d'exprimer de telles paroles mais devant un inconnu, il devait défendre l'honneur de sa famille. Surtout face à un elfe ayant l'air si agaçant.

— Voyons princesse, rigola doucement Sinath, on n'avait dit qu'on ne sortait plus les crocs. Du moins, pas jusqu'à vos premiers pas dans le monde.

— Je...

— Trêve de bavarde. Le voyage a été long et je n'ai qu'une envie : rejoindre mes nouveaux appartements. La Reine m'a fait installer une chambre et un bureau dans l'aile ouest, près de vous, afin que je veille à votre apprentissage le temps de mes séjours ici.

— Vous ne restez pas définitivement, alors...

— Nous en avons déjà parlé : je reste quelques mois mais je dois faire mes rapports de recherche à l'Académie d'Elmetya. J'ai beaucoup de travail et vous n'êtes pas le centre de mon attention, Talya.

— Alors qu'est-ce que le cadeau que vous cachez dans votre dos ? Est-ce bien pour moi ?

— Fine observatrice. C'est un pantalon pile à votre taille mais j'ai bien peur de ne pas avoir l'envie de vous l'offrir.

— Pas « encore » le centre de votre attention, n'est-ce pas ?

L'échange entre sa sœur et l'elfe commençait à agacer Emmett qui se sentait non seulement à l'écart, frustré de n'avoir aucune intervention pertinente à faire, mais également énervé de cette situation.

Lui qui avait toujours imaginé Talya seule, elle avait l'équivalent d'un « ami » avec Sinath.

Et cela le contrariait parce qu'ils avaient très l'air complices.



🔥🔥🔥



— Suis-je une blague à vos yeux ?

— Pardon ?

— Mon enseignement... Est-ce une simple distraction pour vous ?

— Pas un instant, j'ai-

— Alors pourquoi ne prenez-vous pas au sérieux l'ensemble de mes recommandations ? Vous êtes intelligente, petite princesse, mais vous ne devez pas vous soustraire aux cours d'étiquette.

Un petit grognement contrarié s'échappa de la bouche de Talya, assise sur un tronc d'arbre du jardin de l'aile ouest alors que son professeur était étendu dans les hautes herbes.

L'été s'était installé depuis peu sur le continent, tout comme les habitudes de Sinath depuis des semaines à faire cours chaque jour à la princesse.

Sa Majesté enfin stimulée, Faraeline avait chassé ses craintes sur cet elfe inconnu mais restait tout de même à les observer à chaque fois que cela lui était possible.

Craignant qu'il découvre la vraie nature de l'enfant et ne l'exploite pour ses recherches, elle avait souhaité mettre en garde Sinath au cas où il s'en prendrait à Talya, mais le professeur lui répondait toujours avec des métaphores incompréhensibles et agaçantes.

— Vous m'aviez promis que vous alliez créer une rencontre avec Myrte, la fille de mon âge pouvant m'enseigner l'art du combat !

— Et je le répète, vous ne devez croire aux promesses de personne dans ce château. Moi y compris.

— J'enrage.

— Puisque vous n'êtes pas disposé à réviser vos cours et protocoles, profitez donc pour aller la voir vous-même et tenter de sociabiliser. Cela vous fera un bon exercice pendant ma sieste digestive.

— M-mais non.. ! Je ne peux pas y aller seule.

— Vous avez deux jambes et un sens de l'orientation. Et le terrain d'entrainement n'est pas si loin. Vous y arriverez.

— J'ai une mauvaise réputation auprès des autres. Jamais elle ne voudra me parler.

— Ne jamais dire « jamais ». Et votre réputation importe peu à une combattante comme elle.

— Et si... Si elle désire me mettre à l'épreuve ?

— Priez donc pour qu'elle n'écorche pas trop votre jolie frimousse.

Talya lui tira la langue pour protester alors que Sinath la chassait d'un geste de la main pour mieux se prélasser sous le soleil.

Hésitante mais ne voulant pas refuser le défi posé par son professeur, la jeune fille prit son courage à deux mains et quitta le jardin en direction du terrain d'entrainement du château.

Jusqu'à ce qu'elle revienne rapidement sur ses pas et s'assoie au côté d'un Sinath réellement surpris.

« Votre conviction est si faible ? »

Talya poussa un long soupir, laissant une pointe de tristesse s'échapper de ses lèvres lorsqu'elle tenta de répondre :

— Je... ne suis pas prête. Pour tout vous avouer, je ne sais même pas où est le terrain d'entrainement. Et je n'aime pas le regard que les gens pourraient avoir sur moi. Je n'ai pas à me montrer au reste de la noblesse jusqu'à mon entrée dans le monde.

— Votre vie est bien triste.

— Arrêtez, Sinath...

— J'ai dû placer la barre de mes espérances trop haute pour votre jeune âge et votre caractère.

La jeune fille se laissant tomber à ses côtés, s'allongeant à son tour dans l'herbe sans se soucier de sa coiffure et sa robe, fronça les sourcils à la remarque de son professeur.

« C'est aisé de dire cela... Vous avez toujours dû être entouré d'une ribambelle d'amis, de votre famille et divers privilèges que la royauté elfique a pu vous offrir ! Moi, j'ai beau avoir le titre de princesse, ce n'est que ma seule possession dans ces murs.

Je ne suis pas respecté comme mes frères et sœurs. Je n'ai pas la beauté de ma mère ni la lumière de mon père. J'ai à peine leur affection lorsque nous sommes présents dans la même pièce... Tout ce que je possède sont mes connaissances et mon affection pour Faraeline.

Tout ça, et ma solitude. Mes réflexions. Mes interrogations sur les raisons m'écartant d'eux. Du bonheur.

Pourquoi est-ce que je ne vois pas le monde entièrement en couleur ? Pourquoi est-ce que j'éprouve parfois une telle colère qu'elle me rend sauvage au point de mordre ma petite sœur ? Pourquoi est-ce lorsque je regarde le ciel depuis la fenêtre de ma chambre, je ressens le besoin de sauter dans le vide pour mieux m'envoler ?

Autant de tourments qui ne doivent pas vous être familiers, Sinath... »

Les paupières fermées, Talya serra un peu plus le tissu de sa robe, attendant en silence une réponse épineuse de la part de cet elfe qui avait toujours les mots pour la remettre en question...

Lorsqu'elle le sentit bouger à côté d'elle, se rapprochant pour mieux lui chuchoter :

— Pourquoi une fille si jeune parle-t-elle comme une adulte ?

— C'est tout ce que vous avez retenu ? Cela m'apprendra à me confier à v-

— Nouvelle leçon : n'ayez aucun préjugé sur les gens.

Soudain, elle ouvrit les yeux et le vit à ses côtés, la tête penchée appuyé sur sa main. Ses cheveux bruns glissant le long de son visage, cachant partiellement ses yeux verts et une expression mélancolique.

« Ma naissance n'a pas été synonyme de félicitée et je n'ai jamais eu beaucoup d'affection de la part de ma famille, c'était plutôt l'inverse. J'étais une épine, un poison, une curiosité que l'on éclipsait lorsque l'on ne pouvait m'étouffer.

Cette pression m'a rendu amer, piquant, mais également... peu conventionnel, pour un haut-elfe. J'étais en marge de la royauté alors j'ai décidé d'assumer pleinement mon statut jusqu'à en être fatigué.

Ce sont mes rencontres qui m'ont permis de me libérer de mes chaines. Des rencontres que je regrette, avec le temps, mais qui ont forgé l'elfe que vous voyez. »

S'observant mutuellement dans un silence seulement perturbé par les piaillements d'oiseaux et le léger vent faisant tomber des feuilles autour d'eux, Talya et Sinath semblaient se comprendre sans en dire plus.

La solitude et l'exclusion les reliaient.

— Désirez-vous que l'on arrête d'être seuls, ensemble ?

— Si cela était aussi simple, ma princesse. En grandissant et en rencontrant le beau monde, vous m'oublierez rapidement. À l'instant où la solitude vous aura quitté, Sinath Gilmenorya Elmet ne sera qu'un souvenir dans votre esprit.

— Vous serez toujours dans mon cœur, Sinath.

— Par la Lumière ! s'exclama-t-il avait de rire et se redresser. Ce n'est pas des mots que vous devez avoir pour un être ayant presque deux cents ans de plus que vous ! Et encore moins votre professeur alors que nous sommes tous les deux, seuls, dans ce jardin !

— P-pardon, je-

— Manque de connaissance de l'étiquette, on y revient.

— C-ce que je voulais dire, c'était que... Que vous êtes précieux pour moi ! Vous m'apprenez tant et je passe de bons moments avec vous. Je vous estime dans ma vie autant que Fara.

— J'en serais presque vexé mais je préfère cela que de passer pour un vieux pervers. Il y en a déjà suffisamment, rien que dans la noblesse de ce pays.

Son rire fut suivi par celui de Talya, toujours aussi rare, et s'estompa de longues secondes plus tard, en même temps qu'ils entendirent les bruits d'une cloche sonner au loin dans la capitale.

Sinath agita ses doigts devant la jeune fille et fit apparaitre dans ses mains des pétales de roses qu'il lança en l'air avec nonchalance.

— Un sortilège qui épate la galerie, ponctua-t-il en voyant l'émerveillement de son élève. Ce n'est qu'un tour de passe-passe. Je n'ai pas créé ses pétales, directement. J'en serais bien incapable.

— Et j'ai beau étudier les parchemins que vous m'avez ramené, je ne vois toujours pas comment je pourrais utiliser la magie...

— Vous qui êtes trop timide pour aller voir Myrte, désirez-vous que je vous apprenne à vous battre avec de la magie ?

— Est-ce possible pour quelqu'un comme moi ?

— Cela dépend de l'usage. Vous n'avez pas les compétences pour être mage mais avec de l'entrainement, vous pourriez... faire ceci.

Soudain, l'elfe étira un fil invisible de ses deux mains jusqu'à faire apparaitre une flèche noire entre eux.

Il répéta l'exercice à de multiples reprises jusqu'à en créer une parfaite qu'il tendit à Talya.

— Les archers elfiques ont la réputation d'avoir un carquois « illimité », mais ce n'est qu'une rumeur. Les meilleurs utilisent le sortilège que je viens d'exécuter.

— C'est magnifique... et pratique !

— Assurément. Créer des flèches pouvant apparaitre et disparaitre à notre guise, composée d'illusion et de matière et capable de blesser autant voire plus que des originales. Nous pourrions demander à Fara de voler un arc de débutant pour vous, au terrain d'entrainement...

— Et je pourrais pratiquer !

— Ce serait un bon début. Une bonne initiation et un moyen de vous donner plus de confiance en vous et en vos capacités.

— Sinath, je n'ai aucun doute sur mes capacités.

— Eh voilà, je retrouve ma petite orgueilleuse préférée !

Savoir qu'elle pourrait enfin apprendre l'art du combat rendait Talya si heureuse qu'elle devait tourner le dos à son professeur se moquant à nouveau d'elle.

Et entendre qu'elle était, certes orgueilleuse, mais la « préférée » d'un elfe aussi charismatique et important que Sinath Elmet, ne pouvait l'empêcher de rougir.

À ses côtés, le vide en elle était moins important.

Toujours présent mais supportable.



J'adore le développement de la relation Talya / Sinath 🥰 et j'espère que vous aussi ! D'ailleurs qu'avez-vous pensé de son retour au château accueilli par la princesse ? Et de l'intervention d'Emmett ?

De leur complicité et proximité mais également d'un petit ressenti sur le passé de Sinath et de leur solitude commune ?

Avez-vous des théories pour la suite ? 

J'espère en tout cas que ce chapitre vous a plu et n'hésitez pas à me le faire savoir en cliquant sur la petite étoile ou en me laissant un commentaire ! On se retrouve la semaine prochaine😉

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