13🐲Le bordel de Myumurin
[TALYA]
Talya avait passé la journée dans son lit, recroquevillée sur elle-même et des larmes ruisselantes par intermittence avec ses soupirs douloureux.
Son lien avec son frère, alors qu'il avait foncé dans les entrailles du chaos, était si puissant qu'elle en avait psychologiquement souffert.
Elle l'avait senti affronter les ténèbres, incendier la pénombre et se noyer petit à petit dans une haine qui n'était pas la sienne. À travers ses yeux, Talya avait vu l'une des sources du chaos, enfoui sous terre, et sa puissance.
Avec un triste constat qui avait même poussé Arwin à abandonner et remonter à la surface : se battre seul était impossible. Le mal s'était répandu profondément dans les racines du monde et noircissait déjà les âmes.
Les corps suivraient bientôt.
Elle ouvrit légèrement les paupières en entendant la porte de la chambre alors que la nuit venait de s'installer sur Elmetya.
L'ombre du nécromancien l'engloutissait alors qu'il l'observait de haut, d'un air méfiant, avant de se retourner à l'opposé de la pièce. Elle l'observa discrètement se changer avec la tenue qu'il venait de ramener de l'extérieur, son regard s'attardant longuement sur son dos gris aux multiples cicatrices couleur sang.
Malgré sa finesse, Talya s'étonna, en le voyant étendre ses bras, que son dos était musclé alors que l'elfe parlait toujours de son manque d'endurance et d'exercice physique.
« Un mage n'a besoin d'entretenir que sa puissance magique. Ses muscles ne lui servent qu'à fuir. Et je ne fuis pas. » lui avait-il dit au début de leur voyage.
Lorsqu'il termina d'enfiler des vêtements plus confortables, Vyrr rattacha sa cape avant de nouer ses cheveux avec un bout de tissus et d'appliquer un sortilège camouflant sa peau corrompue.
Les yeux fermés, Talya sentit son regard sur elle, avant d'entendre un soupir las et la porte se refermer tout doucement. Elle attendit quelques secondes avant de se redresser et d'attraper le morceau de parchemin qu'il lui avait laissé sur le bureau.
« Ne me rejoins pas. »
Elle savait exactement où il se rendait ce soir, sans elle.
Dans l'antre de Tyris Myumurin.
Du peu d'informations qu'elle avait pu tirer de Vyrr, elle avait rapidement compris que l'elfe se cachait dans son établissement, un bordel, où il organisait ses nombreuses arnaques et commerces, dont son trafic d'esclave.
Mais malgré avoir expliqué à Vyrr tout ce qu'elle reprochait à Myumurin, ce dernier lui avait défendu de s'en approcher et même, de le tuer.
Talya ne supportait pas l'idée que cette vermine reste en vie si près d'elle, alors elle mit son plan à exécution. Imaginé entre deux crises douloureuses dans son lit, elle quitta rapidement l'auberge où ils résidaient avant de s'aventurer dans l'allée « de la décadence ».
À cette heure-ci, les prostituées devenaient ses meilleures amies en échange de nombreuses pièces d'or. L'une d'elles, faisant la même taille et poids, accepta pour une somme presque dérisoire de lui prêter une de ses tenues de travail.
Sa robe était légère et vaporeuse, confectionnée dans un tissu délicat épousant ses courbes avec élégances alors que sa couleur d'un bleu profond était parsemée de reflets argentés rappelant une nuit étoilée. Son décolleté était plus que plongeant, mettant la moindre parcelle de sa peau dénudée en valeur, l'ensemble la rendant mal à l'aise tant cela était différent de ses vêtements habituels.
Pour sa couverture, Talya fut coiffée et maquillée comme une femme de joie avant de se débarrasser d'une partie de son argent pour s'intégrer à ce groupe d'elfes qui acceptèrent de la faire rentrer dans le bordel de Tyris Myumurin.
Dans les recoins les plus sombres et dépravés de la cité elfique autrefois empreinte de splendeur, niché au sein d'une ruelle étroite et lugubre, l'établissement décadent était connu de tous pour ces activités illicites et ses clients aux intentions douteuses.
Le groupe de prostituées passa la « sécurité » du lieu et les portes grinçantes s'ouvrirent lentement devant elles, laissant entrevoir un intérieur morne et délabré, mais bondé.
Talya jouait son rôle, mais gardait sa main avec précaution sur la dague qu'elle avait cachée tout près de sa cuisse. Une odeur âcre imprégnait l'air alors que les murs étaient couverts de tapisseries déchirées et peintures évoquant des scènes de perdition.
À mesure qu'elle avançait, elle passait devant des pièces sordides d'où s'échappaient des cris à la fois de jouissance que de désespoir. Des elfes épuisés en sortaient parfois quand d'autres, maltraités et surement contraints de vendre leur corps, étaient abandonnés sur des lits de fortunes, le regard vide.
Lorsque le groupe se rapprochait de la pièce principale, un bar d'où s'échappait une cacophonie de rire forcé et de sanglots étouffés, Talya se mit à regretter d'être venu. Un groupe de parieur la bouscula sans s'excuser pour se rendre au sous-sol où devaient se tenir des salles de jeux clandestines.
Arrivée dans la salle, elle observa rapidement ce spectacle cassant toute l'image de pureté et de sagesse légendaire de la race des elfes.
Des individus, dont le visage était dissimulé par des masques macabres se livraient déjà aux pires perversions de leurs bas instincts. Les éclats de voix rauques et les étreintes brutales emplissaient la pièce, autant que les corps se mélangeaient entre eux et lui confirmaient que l'établissement n'accueillait pas que des elfes.
Un homme bedonnant, une choppe de bière à la main, profita de l'éparpillement du groupe de prostituée pour attraper les fesses de celle devant Talya et la tirer par la taille pour qu'elle vienne s'assoir dans un coin avec lui.
Talya retint une envie de vomir en croisant le regard d'un nain assis à deux mètres d'elle, en train de se faire sucer par une esclave aux chevilles enchainées. Il lui fit un clin d'œil et baissa le doigt vers son entre-jambes pour lui faire comprendre qu'elle était la bienvenue pour se joindre à eux.
La jeune femme détourna les yeux et sentit un énorme poids dans sa gorge en se disant que les dernières traces d'innocence en elle venaient d'être détruites.
Ici, les esprits se brisaient et ce lieu était un rappel sinistre de la réalité de leur monde qui, même sans l'influence du chaos, pouvait contenir dans les plus belles cités elfiques, les pires des vices.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à rebrousser chemin, une main ferme la saisit par la taille pour l'entrainer sur une banquette à quelques mètres.
Elle se retint de dégager violemment cet homme, par peur de griller sa couverture, lorsqu'elle sentit une odeur familière quand il la força à s'assoir sur ses genoux.
Le cuir et le brûlé.
« J'étais certain que tu ne m'écouterais pas. »
Sous un masque noir ne couvrant que le haut de son visage, elle vit les traits du nécromancien devenir de plus en plus sévères.
Le contact entre ses doits et sa peau dénudée lui provoquait des frissons qu'elle n'arrivait pas encore à classifier, mais, dans ce repère sordide, un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres.
Comme si sa présence venait de faire disparaitre toutes ses craintes.
Malgré tout, elle tenta de se dégager de lui, mais Vyrr la surprit en la retenant de force sur elle, très proche de son corps, avant de lui chuchoter :
— Sois crédible, petite cruche. Ici, le client est roi.
— Est-ce que ce serait crédible si je te vomissais dessus parce que ton contact me dégoûte ?
— Supporte-le.
Talya se mordit les lèvres, les joues rougissantes, avant d'observer son geôlier en train de détailler chaque personne de la salle. Elle eut un nouveau frisson lorsqu'il fit semblant d'embrasser son cou, s'arrêtant à quelques millimètres, jusqu'à remonter vers son oreille et murmurer :
— Tout le monde est surveillé. Je pense par déduction que le maître des lieux est bien présent ce soir.
— Comment arrives-tu à ne pas être dégoûté de... tout ça ?
— Le chaos, c'est mon quotidien.
— Tu n'es pas comme ça.
— Qu'en sais-tu ? Tu ne me connais pas. À ma grande époque, j'organisais des orgies tout aussi dévergondées.
— Où la moitié des participants étaient en train de souffrir ?
— ...Où le plaisir était partagé par tous. D'accord, c'était plus respectueux. C'est ce qui me distingue de cette raclure de chiotte qu'est Tyris.
Après avoir partagé la boisson dans sa main avec elle, Vyrr fit mine d'enfouir sa tête dans la chevelure blonde de Talya, comme s'il s'imprégnait de son odeur, alors que cette dernière avait de plus en plus de mal à respirer sans comprendre la raison.
« N'as-tu jamais eu ce genre de rapport ? » demanda-t-il conscient de son trouble. « Il me semble que tu étais loin d'être innocente avec le prince de Greenland. »
Rien qu'un instant, la jeune femme fronça les sourcils en sentant la prise de l'elfe devenir plus forte contre sa peau en évoquant Emmett. L'interprétant comme une haine de la part de Vyrr pour tout individu lié à la Lumière, passa sa main sur sa chemise pour caresser son torse et calmer sa tension, ce qui le fit déglutir.
— Pas « ça ». Et avec Emmett, ce n'était que de la manipulation... C'était nul, zéro... Et j'ai plus de plaisir en me frottant contre un oreiller qu'avec lui. Alors je ne comprends pas bien pourquoi le sexe est si important pour toutes ces personnes. Peut-être un besoin de se sentir aimer.
— On peut pratiquer sans aimer. Tu as des exemples tout autour de toi. C'est pour cela que j'en organisais, des orgies. Il n'y a que du plaisir, pas de prise de tête.
— Et tu avais enfin des gens qui voulaient de ton corps ?
— À défaut de vouloir de mon cœur.
— Tu n'en as pas, souviens-toi.
— Ah oui, c'est vrai.
Talya retint un petit cri en sentant le pincement de ses ongles sur sa cuisse alors que Vyrr continuait à observer la salle avec attention. Cherchant la moindre faille pour rejoindre l'étage où devait se trouver Tyris.
— Ça doit être dur pour toi, dit-il soudain. De devoir supporter quelqu'un que tu hais si fort, qui te dégoûte, aussi près de toi.
— Tu m'y as contraint. Et j'ai même l'impression que tu adores le fait que je te déteste.
— Tu n'as pas idée. C'est un tel soulagement. Je préfère cela à...
— À quoi ? Que je m'attache à toi ? Impossible. Tu n'as rien qui me pl-
Subitement, Vyrr la fit basculer en arrière sur la banquette.
« Joue le jeu. » chuchota-t-il avant de dégager une mèche de son front et de subitement embrasser son cou. Talya ne put retenir sa surprise par un hoquet et fut tiraillé entre l'envie de le repousser de toutes ses forces... et de ne plus écouter son cerveau.
Sa peau était de plus en plus brûlante, et il devait le percevoir, à mesure que les lèvres du nécromancien glissaient entre son décolleté et que ses mains agrippaient fermement sa taille.
Soudain, d'un regard par-dessus son épaule, elle comprit.
Tyris Myumurin observait la salle depuis un balcon dégagé à l'étage.
Elle détourna le regard pour ne pas se faire repérer et, alors qu'elle se concentrait pour avoir l'air crédible, elle laissa s'échapper un couinement en sentant sa main se glisser sous ses fesses.
— Je te hais.
— N'oublie jamais ces mots. Déteste-moi le plus fort possible. Pour toujours.
— Sinon quoi ?
Vyrr resta silencieux, ses lèvres revenant à son cou alors qu'il sentait que la chaleur qu'elle dégageait était anormalement élevée.
— Calme-toi, dit-il après quelques secondes. Ta chaleur va nous faire remarquer. Respire.
— Comment veux-tu que je-... Aah !
— Emmett a dû te faire bien mieux donc concentre-toi. Ça va bientôt s'arrêter.
— Emmett n'a jamais fait mieux, avoua-t-elle. Je n'ai jamais produit ce genre de son avec lui, alors que là, je-
Le nécromancien la fit taire en mettant sa main sur sa bouche, car, il le savait, s'il entendait la suite, il ne pourrait pas réprimer cette envie qui le tiraillait depuis bien trop longtemps.
Vyrr poussa un long soupir contre elle, son corps tremblant, avant de fermer les paupières et de coller son front au sien.
Le contact fut soudain plus doux et Talya oublia toute cette comédie entre eux l'espace d'un instant.
Même si les battements de son cœur ne se calmaient pas, elle arriva à se concentrer sur sa température et sa peau devint moins brûlante au fil des secondes.
— Il vient de partir, dit-il enfin.
— Tu as des yeux derrière la tête ?
— Je sens son aura. Lui, n'a jamais été capable de sentir la mienne.
— Qui est Tyris pour toi ?
— Un être abject qui a souvent contribué à ce que je perde les choses les plus précieuses de mon existence.
— Alors tuons-le.
— Non.
— Je n'attendrais pas les bras croisés.
— Reste ici !
Le nécromancien fut repoussé en arrière alors que Talya s'empressait de se faufiler à travers les corps suants et en pleine extase, afin d'atteindre les escaliers menant à l'étage.
Elle attrapa en chemin un verre d'alcool fort qu'elle balança aux yeux de la montagne de muscle lui bloquant l'accès aux escaliers. Ce dernier termina à genoux, ses cris se mêlant à ceux des autres clients et passant inaperçus, alors qu'elle continua à avancer avec détermination.
Lorsqu'elle arriva devant une porte massive qui, l'espace d'un instant, lui donna l'impression d'être déjà venu, elle l'ouvrit d'un coup et sortit sa dague pour la lancer sur Tyris Myumurin. Les cheveux de ce dernier furent coincés sous la lame et contre le mur derrière lui alors qu'il tenait dans ses mains un mortier pour une de ses préparations.
« Qu'est-ce que-... » s'écria-t-il avant de reconnaitre Talya et de déglutir. « La fausse princesse Green. Si je m'y attendais... et qu- »
Tyris s'interrompit lorsque Vyrr entra dans la pièce et referma la porte. Il fronça un instant les sourcils jusqu'à ce que le nécromancien ne lui fasse son plus malfaisant sourire qui, en une seconde, le fit frémir.
— Ce n'est pas comme cela que ça va se finir, hein ?
— Tu vas enfin payer pour tes crimes !
— Vyrr, raisonne ton monstre ! Si tu avais voulu me tuer, tu l'aurais déjà fait depuis des années !
— Je ne compte pas te tuer, et Talya ne le fera pas.
— Je n'ai pas à t'obéir ! Cet elfe a pourri la vie d'innombrable personne, dont la mienne !
— Est-ce qu'elle est au courant ?
La question de Tyris resta sans réponse et un silence s'installa dans toute l'atmosphère de tension alors que les deux elfes se dévisageaient.
Soudain, un rire s'échappa de sa bouche avant qu'il ne retire la dague dans ses cheveux et ne la plante sur la table en bois le séparant du duo.
— Moi qui pensais qu'elle venait me tuer pour cela ! Mais non ! Talya ne sait toujours pas la vérité !
— Quelle vérité ?! s'écria-t-elle.
— Vyrr, assure-moi que tu ne me tueras pas.
— Je te l'assure. J'ai besoin de toi, même si tu es le plus ignoble des parasites.
Soudain, Talya sentit son corps se compresser, lorsqu'elle vit une fumée violette l'entourer et la retenir d'avancer vers sa cible.
Vyrr, la main en avant, l'empêchait de perturber ses plans et ça peu importe si elle lui en voudrait pendant longtemps.
Il avait absolument besoin de Tyris vivant.
« Sinon, tout espoir d'un avenir entre toi et moi sera définitivement enterré. »
Talya va enfin apprendre la vérité sur ce que lui a fait Tyris... Ou pas ? 🤔 Qu'en pensez-vous ?
Qu'avez-vous pensé de leurs échanges dans le bordel ? De cette proximité "role play" qui a troublé Talya ? De Vyrr qui aime jouer le jeu malgré tout ? 🤭
A votre avis, pourquoi Vyrr tient tant à ce que son ennemi Tyris reste en vie ? Quel est son plan ? Est-ce que Talya va l'accepter ?
J'espère que la suite vous plaira ! On se retrouve bientôt pour le prochain chapitre ! 🥰
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