1🔥Le puit aux flammes

[ARWIN]



« Concentre-toi, par tous les chaos, Arwin ! »

Les mains fermement agrippées à une petite épée, le souffle court et les jambes tremblantes, Arwin Rowley était piégé dans une large cage en bois dur sur une plaque de glace du lac du village d'Emyth, à quelques kilomètres à l'ouest de Voile-d'hiver.

Face à lui, séparé par l'eau gelée, Vyrr fronçait les sourcils et s'emmitouflait un peu plus dans son manteau de fourrure en observant l'enfant.

Cela faisait plusieurs semaines qu'ils vivaient à Givreciel et que le nécromancien se faisait très sévère avec son « neveu ». L'entrainant sans relâche pour faire de lui un guerrier mais surtout, un être exceptionnel sachant se défendre contre n'importe quel ennemi.

Car si pour la majorité de la population, la Grande Guerre était finie, ce n'était pas ce que voulait l'elfe corrompu. Ni les anciens partisans de l'invocatrice Stormrage.

Les monstres du monde des ténèbres, ayant évolué sous les ordres de puissants leaders comme lui, avaient continué leurs expansions à travers le monde.

Ce n'était qu'un début, un mélange de population apportant discrimination et haine suite à la guerre mais que Vyrr exploiterait en temps voulu.

Un temps où il aurait besoin de la force d'Arwin et de sa nature chaotique.

— Arwin, répéta-t-il plus fort, tu dois canaliser ton énergie vers ton épée. Du fond de tes trippes vers la pointe de la lame et ensuite, elle s'embrasera. Mais pour cela, tu dois te dépêcher ! La plaque sur laquelle tu te tiens va bientôt se fissurer.

— J'arrive pas ! J'te jure, tonton !

— Pas tonton. Je t'ai dit qu'ici, tu devais m'appeler Vyrr. Et tu n'y mets pas assez du tien !

— 'Suis fatigué...

— Ton père aurait honte de toi.

La remarque fit autant mal à Arwin qu'à celui l'ayant prononcé. Le nécromancien savait qu'Arley n'aurait pas abandonné, mais que contrairement à son fils, il avait été élevé dans le but d'être un guerrier sans sentiment.

Le cœur aussi froid que la neige et les flammes aussi ardentes que le soleil.

« Tonton... »

Cette plainte eut raison de sa sévérité et de l'épreuve qu'il lui avait imposée. Vyrr, d'un claquement de doigts, fit se rapprocher la plaque de glace du rivage jusqu'à ce que la cage en bois soit en face de lui.

Il la détruisit simplement en passant sa main grise dessus et fit sortir l'enfant de sa prison éphémère tout en l'enlaçant.

« Tu es ma seule faiblesse dans cet environnement, Arwin. Le seul à me faire céder alors que mon âme est aussi sombre que ta tignasse. Est-ce que tu comprends pourquoi je suis dur avec toi ? Parce qu'en t'accordant trop d'amour, tu deviendras faible.

Tu es le plus sensible de ta famille, le plus fragile, et j'ai besoin que ça ne soit plus le cas. »

L'enfant leva ses yeux embués vers son oncle, une petite mine triste sur le visage avant de réclamer, pour la énième fois, ce qui était la source des insomnies du nécromancien.

— 'Veux voir Talya ! Talya me manque !

— Aetalya... n'est plus là.

— Je veux la voir !

— Elle est trop loin...

— VEUX LA VOIR !

— MOI AUSSI ! Moi aussi je veux la voir ! Par tous les cercles démoniaques, je te laisserais brûler le monde entier si c'était le moyen de retrouver ta sœur mais elle n'est plus en ma possession !

La colère de l'elfe corrompu fit sursauter et même s'éloigner l'enfant, surpris par le rare flot d'émotions de son tuteur. Si Vyrr était toujours vulgaire avec lui, donnant quelques doses « d'amour paternel », il en restait extrêmement mauvais et sadique avec les autres devant lui.

Et que Vyrr se sente toucher par quelqu'un d'autre que sa personne était assez troublant, même pour le concerné.

Le nécromancien, après avoir crié, se laissa tomber sur ses genoux dans la neige avant que l'enfant ne limite et ne lui caresse la joue.

Un des gestes chaleureux et doux à la fois naturel et surprenant de la part du descendant d'Arley Prideblaze.

— Pardon, tonton...

— Ne t'excuse jamais.

— Mais j-

— Jamais, tu m'entends ?

— D'accord...

— J'avais tous les moyens pour nous sauver mais jamais je n'aurais pu sacrifier ta sœur pour ma vengeance. L'abandonner là-bas m'a brisé et ne pas savoir comment elle va me rend fou. Si même elle est en vie...

— Je le sens, là.

Arwin posa sa petite main sur son torse, là où son cœur battait à tout rompre à chaque fois qu'il ressentait le manque de sa moitié.

Aetalya était ce qui lui manquait pour être complet et son absence, il la subissait un peu plus à chaque moment.

— Un jour, commença Vyrr d'un ton sérieux, je la libérerais. Tu retrouveras ta sœur et tu seras à nouveau capable de te transformer. Je sais que ce n'est pas par maturité ou peur des étrangers de ce pays que tu ne reprends plus ta forme de dragon. C'est parce que tu n'y arrives plus.

— Je... Dans la cage... J'ai essayé de faire sortir le feu.

— Mais ça ne sort plus. Hum... Si seulement ton père m'avait donné un manuel sur l'éducation des dragons avant de disparaitre, ce serait plus facile.

— Papa aurait honte de moi ?

Sa petite voix cassée fit soupirer le nécromancien avant qu'il ne le tire par le poignet et le fasse plonger dans ses bras. Une nouvelle étreinte qui réconforta l'enfant reniflant contre lui.

« Ne m'écoute pas, je suis un menteur. »

Un long silence s'installa entre eux alors qu'ils observaient l'environnement les entourant. Le vent faisant glisser la neige comme un voile sur de grandes plaines, le craquement de la glace et l'odeur des pins entourant le lac était un ensemble calmant leurs fortes émotions.

— Tu te souviens quand je vous ai rencontrer, toi et ta sœur ? Je n'en croyais pas mes yeux tant vous étiez grand et puissant. Déjà, à quelques mois, vous inspiriez la crainte.

— J'ai des images dans la tête.

— Des souvenirs, oui. Et ta mère... Tss... Elle me manque. Ils me manquent tous. Je dois trouver un moyen de ramener Yara... Après avoir retrouvé Talya.

— Et papa ?

— Pour ton père... j'ai une idée mais c'est en cours de réflexion. J'ai besoin de temps.

— J'attendrais, tonton.

À ces paroles, Vyrr ne put s'empêcher de sourire et de frotter les cheveux noirs d'Arwin, provoquant des petits grognements presque bestiaux chez l'enfant, avant de le soulever et de se redresser.

« On reprendra l'entrainement demain. Je dois aller voir quelqu'un. Toi, tu rentres à la maison. »

Le mot « maison » lui arracha presque la gorge mais il n'avait pas trouvé mieux pour qu'Arwin ait un semblant de foyer dans ce pays qui, malgré son héritage, ne l'accepterait jamais.

L'enfant se contenta de hocher la tête avant de le suivre jusqu'au village et de se séparer de son tuteur. Vyrr et lui s'étaient installés dans une maison en retrait de la ville mais, faire le chemin du lac jusqu'à leur demeure le forçait à passer par le centre marchand.

Une marche qu'il n'appréciait guère en pleine journée alors que les habitants d'Emyth le jugeaient et critiquaient l'arrivée des étrangers elfiques sur leurs terres. Et ça, malgré l'assurance de leur roi qu'il n'était pas un danger pour eux, sur la parole de Vyrr.

Mais le danger ne venait pas de lui, Arwin le sentait à chacun de ses pas et à ceux qu'ils entendaient le suivre dans une ruelle.

« Salut, le parasite ! »

L'enfant sursauta et manqua de se heurter contre un adolescent faisant une tête de plus de lui... Avant de se rendre compte qu'il était encerclé par une bande de cinq garçons.

— Rien voler... chuchota Arwin en triturant ses doigts.

— Il est gogol celui-là ? Faire une phrase complète ça t'écorcherait la gueule ?

— Je... veux rentrer chez moi.

— On attend que ça, que tu rentres chez toi. Que tu quittes notre ville. Toi et les elfes corrompus que vous avez ramenés ici !

— 'Veux passer.

— Sérieux, c'est vraiment un elfe qui t'éduque ? Même mon petit frère de quatre ans parle mieux que toi !

— J'ai quatre ans.

Les garçons se regardèrent avant de rire à gorge déployée et de donner des petites tapes sur le crâne de l'enfant pourtant sincère.

— Ouais bien sûr ! Dans la tête, mais t'as le physique d'un gamin de dix, donc arrête de nous prendre pour des débiles.

— On devrait lui montrer comment on accueille les menteurs à Givreciel !

— Super idée, ça ! Choppez-le, on va le balancer dans le puits abandonné !

— OUAIS !

Arwin tenta de se dégager de l'emprise de ses ennemis mais même s'il faisait presque leur taille, sa force n'était pas encore assez développée pour résister. Et même en criant et en attirant l'attention sur lui, personne ne lui venait en aide.

Personne à Emyth ne le désirait.

Arrivé devant le puits du village, à la naissance de la forêt et bien loin des routes passantes, les enfants poussèrent Arwin contre la pierre gelée avant de lui retirer les lacets de ses chaussures en cuir et d'attacher ses poignets avec.

— 'Me poussez pas ! s'exclama-t-il en grognant.

— Ouh ! Il va nous mordre avec ses dents de lait !

— Ok, on ne va pas te pousser...

L'enfant n'eut pas le temps de soupirer de soulagement que le chef de la bande le força à se mettre à genoux avant d'appuyer son pied sur sa tête et de déclarer :

« Excuse-toi d'être venu nous gâcher le paysage et peut-être qu'on te laissera tranquille. Non, mieux. Excuse-toi d'exister, sale parasite. »

Et alors qu'il s'apprêtait à le faire, Arwin ferma les paupières et se souvint des paroles de Vyrr il y a à peine moins d'une heure.

Ne t'excuse jamais.

« Va pourrir la gueule ouverte, misérable insecte ! » s'exclama-t-il, reprenant mot pour mot ce que Vyrr avait sorti à un noble de la capitale lors de leur arrivée.

Et alors qu'il se sentait enfin fier d'avoir répondu à ses brutes, il constata une demi-seconde plus tard qu'il s'éloignait d'eux et tombait en arrière, le corps plongeant dans l'obscurité avant de rejoindre une eau glaciale.

Les rires des adolescents au-dessus de lui et des insultes fusaient, jusqu'à ce qu'ils les entendent s'éloigner du puits.

Les mains attachées et le corps à trois-quarts plongé dans l'eau, sa respiration se mit à s'accélérer alors que la panique l'envahissait. Arwin ne put se retenir de crier, d'appeler à l'aide et de frapper le mur en pierre avec son front, il ne gagna que du sang coulant jusqu'à son nez puis ses lèvres.

Néanmoins, il réussit à faire glisser ses poignets hors de ses liens, avec acharnement et en se blessant, mais c'était déjà beaucoup pour cet enfant pris malgré lui pour plus vieux et expérimenté qu'il n'était réellement.

Les minutes s'écoulaient de plus en plus à mesure qu'il tentait de sortir du puits, jusqu'à implorer sa sœur de l'aider alors qu'elle était à des milliers de kilomètres de lui.

Après quatre heures à résister au froid grâce à sa nature de demi-dragon, Arwin se mit à greloter et ne plus sentir une partie de son corps tant cela faisait bien trop longtemps qu'il était coincé.

Et quand la nuit tomba, il se retrouva seul.

Plongé dans l'obscurité totale, il n'y avait que la vue des étoiles dans le ciel qui lui rappelait qu'il ne pouvait pas rester ici.

S'il y passait la nuit, il allait mourir d'hypothermie.

Alors l'enfant se mit à murmurer, les larmes coulant à nouveau sur ses joues et se mêlant à son sang :

« Je suis Arwin Rowley. Fils d'Arley Prideblaze et de Yara Rowley. Je suis un dragon guerrier. Un dragon chaotique. »

Récitant ses mots comme un mantra pour le rassurer, l'enfant ne se rendit pas compte qu'en se raccrochant à la force qu'il avait hérité, l'eau tout autour de lui était en train de bouillir.

« Je suis un dragon. Je suis un dragon. Je suis un dragon. »

Soudain, les yeux turquoise de l'enfant devinrent presque luisants dans la pénombre. Un souffle ardent s'échappa de sa bouche avant qu'il ne lève la tête vers le ciel...

Et qu'un grognement bestial accompagné d'une déflagration ne s'échappe du puits. Un feu puissant s'élevant haut dans le ciel et étant tellement ardent que la neige et la glace autour du puits fondirent aussitôt.

Arwin, la gorge brûlante, continua de cracher son feu au-dessus de lui tout en grognant, alors qu'il renouait avec sa vraie nature.

Si c'est la lumière qui attira les premiers curieux jusqu'au puits abandonné, c'est également la chaleur qui amena une bonne partie des villageois encore debout à cette heure tardive.

Tous n'osant pas s'approcher par peur de fondre tant la chaleur agressait déjà leur peau à quelques mètres.

« ARWIN ! »

Tous, sauf Vyrr Rhapsody et ses fidèles.

Le nécromancien, accompagné de quelques elfes gris corrompu, réfugiés de Stormaelyan l'ayant suivi dans sa fuite, se mit à courir jusqu'au puits en ignorant la chaleur attaquant déjà sa robe de mage.

« Monseigneur ! » s'exclama son plus fidèle et dernier exécuteur, « Votre robe ! Elle brûle ! Par pitié, éloignez-vous de ce puits ! »

Mais il fit l'inverse et posa ses mains sur le rebord ardent attaquant la chair de ses mains.

« ARWIN ! Je suis là ! »

Le feu arrêta tout net de s'échapper du puits et fut remplacé par les toussotements de l'enfant et de la fumée noire.

Vyrr en profita pour agiter ses doigts en direction du puits, récitant une incantation avec concentration, jusqu'à faire apparaitre un portail magique à l'entrée du puits.

Il y plongea ses bras, attrapa Arwin de l'autre côté et lui fit passer le portail afin qu'il se retrouve contre lui.

« Tonton Vyrr ! » s'exclama l'enfant, les larmes coulant de nouveau sur ses joues alors que l'elfe le serrait fort dans ses bras, jusqu'à s'en brûler la peau.

— Mon Seigneur ! s'écria son exécuteur. Vos vêtements... votre peau ! Vous êtes blessé !

— Occupe-toi de l'enfant. Tout ça, c'est superficiel.

— Tonton...

— Comment est-ce que tu es arrivé là-dedans ?

— Des enfants... ils...

Se séparant d'Arwin et se relevant devant tous les villageois, le nécromancien chassa d'un geste de la main les flammes encore présentes sur ses vêtements qui, par sa magie, se recomposèrent aussi vite que sa peau ne guérissait des brûlures.

Ses yeux mais surtout ses pupilles rouge sang firent déglutir tous ceux dont il croisait le regard.

Vyrr Loraelyan Rhapsody, le corps entouré de fumée et ses partisans venant se tenir derrière lui comme soutien face aux habitants, se mit soudainement à rire d'un air malsain.

Une réaction qui fit sursauter et même trembler les personnes devant lui jusqu'à ce qu'il élève la voix et déclare :

« Le message est passé. Nous sommes assurément trop bons pour des rats de votre espèce. Je voulais jouer la carte de la cohésion et de la fraternité mais vous avez franchi une limite en laissant vos progénitures s'attaquer à l'un des nôtres.

Qu'est-ce que je déteste les humains... Tsss... Nelian, dis à tout le monde de rassembler ses affaires. On part vivre à l'extrême ouest du pays. Là où je serais assez loin de ces paysans pour ne pas les tuer et jouer avec leurs cadavres. »

Cette nuit-là, le nécromancien ne tua personne. Une preuve qu'il avait changé depuis la guerre et qu'il s'était assagi pour ceux au courant des rumeurs à son sujet.

Mais ceux connaissant réellement l'elfe corrompu savaient qu'il ne laisserait jamais un affront impuni.

Et quelques mois après l'incident, tous les enfants ayant entrainé Arwin jusqu'au nouvellement baptisé « puits aux flammes », moururent de causes inexpliquées.

L'enquête effectuée par le roi en personne n'indiqua, malgré les rumeurs, aucune preuve démontrant l'implication du nécromancien dans l'affaire.

Seulement la suspicion d'une vengeance par le poison, s'insinuant petit à petit dans la chair de ses victimes, jusqu'à provoquer leur suffocation.



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