Chapitre 1

Je range ma chasuble ornée de la croix pattée dans l'armoire et revêt mes vêtements civils. J'aime porter la tenue originelle, me sentir membre d'un clan que ce soit par mes croyances ou mon apparence. Mais nous sommes au vingt et unième siècle, sortir en armure sur un cheval ne passerait pas inaperçu. J'enfile ma veste et récupère mon portable avant de sortir de ma chambre.

Je suis rentré hier, je n'ai pas encore eu le temps de faire mon rapport, je dois m'y rendre à présent que la messe est terminée.

Ma dernière mission s'est bien déroulée, elle était plutôt simple, je n'ai même pas eu besoin de renfort. Cela n'a été que de la surveillance. Un groupuscule qu'il faudra garder à l'œil, mais dans l'immédiat il n'y a rien à craindre de leur part. C'est ce que je raconte au Commandeur qui semble m'écouter d'une oreille distraite.

- Très bien, il conclut. Je sais que tu viens de rentrer mais j'ai une autre mission pour toi.

Le Commandeur se lève, il est en costume trois pièces sombre et fait quelques pas autour de son bureau les mains croisés dans le dos.

- Je vous écoute.

Repartir ne me dérange pas, bien au contraire, être occupé est mon leitmotiv depuis des années maintenant. Être présent à la Commanderie c'est entrée dans une routine dont je me lasse rapidement.

- Le frère Miklos est injoignable, reprend le Commandeur.

Je le fixe, il fait de même et scrute mes réactions. L'homme qui nous dirige est âgé, il arbore une barbe blanche taillée à la perfection et deux petits yeux noirs qui laissent transparaitre son intelligence.

Je tente de rester de marbre à l'annonce de cette nouvelle.

- Depuis quand ? je demande.

Dans ma tête, je fais le tour des endroits de débauches où je vais devoir me rendre pour tenter de le localiser.

- Deux semaines.

Le Commandeur retourne s'asseoir derrière son grand bureau en acajou et plaque ses avant-bras dessus.

- Tu n'as pas de nouvelles de lui ?

Je m'agite sur ma chaise, dans un autre temps il m'aurait envoyé des messages pour m'indiquer qu'il était tombé amoureux, une fois de plus, et qu'il ne rentrerait pas. Mais ça, c'était avant que tout dérape.

- Très bien, dis-je en me levant, je vais le retrouver.

Le Commandeur me laisse faire, il m'indique simplement de le tenir au courant de mes avancés et de le ramener rapidement. Ce qui devrait être réglé dans la journée si mes soupçons s'avèrent vrai.

***

Quelque chose ne va pas. N'importe qui l'aurait remarqué à la porte entrouverte et au trousseau de clefs qui pend à la serrure mais, quand on connaît Miki comme moi, c'est encore plus inquiétant.

Je sors mon arme de son holster et avance prudemment de deux pas pour pénétrer dans l'appartement.

L'entrée est sombre, un rayon de lumière me provient du salon vers lequel je me dirige. Mon instinct me dicte la prudence et mes yeux font le reste. Ils scrutent avec attention ce qui m'entoure. Des mois que je ne suis pas venu ici, pourtant rien n'a changé. Il y a toujours la console à ma droite qui supporte un vase vide et en face le couloir qui dessert le salon et la cuisine. Je l'emprunte à pas de loup, quelqu'un est là, ça ne fait aucun doute. J'ôte la sécurité du Beretta et l'arme, prêt à tirer si l'intrus surgit.

J'entre dans le salon, la pièce est fidèle à mes souvenirs, un énorme canapé confortable et un écran plat en sont les principaux atouts. Miki n'a jamais fait dans la grande décoration, l'essentiel seulement comme nous tous. Je ne perds pas de temps et prend la direction de la chambre. La lumière est allumée dans cette pièce aussi et surtout l'intrus est là.

Je me calle contre le mur à droite de la porte pour prendre le temps d'écouter. Mis à part qu'on fouille je ne distingue rien de significatif qui m'indiquerait le nombre d'individu présent. Jusqu'à ce qu'une exclamation que je n'ai entendue que de la bouche d'une seule personne résonne.

- Sacrebleu !

Je soupire, remballe mon arme et entre dans la chambre.

Une jeune femme me tourne le dos, elle fait volteface à mon entrée, ses cheveux blonds bouclés virevoltent autour de son visage qui affiche la stupeur.

- Niels ?! dit-elle d'un ton étonné.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Je m'approche et fais le tour du lit qu'elle a recouvert de vêtements, au sol il y a les disques et des papiers tirés de la commode.

- Kat ? je m'impatiente.

Elle se contente de me fixer avec son regard bleu, les bras balans. Je lorgne son corps recouvert d'une salopette de travail tachée, et ses chaussures de sécurité.

- Niels...elle lâche dans un souffle comme si elle reprenait contact avec la réalité.

Je m'apprête à renouveler ma question, lorsqu'elle franchis le pas qui nous sépare pour se planter devant moi. Son visage se redresse, son air bravache me défi et fait naitre un sourire sur mes lèvres qui l'énerve.

- Où est mon frère ? elle demande d'un ton froid.

Justement c'est ce que j'aimerai savoir.

- Il ne répond plus au téléphone, elle poursuit, ni aux SMS, à rien !

- Je ne sais pas.

- Comment ça tu ne sais pas ? Vous êtes toujours fourrés ensemble, tu dois savoir !

C'était vrai, mais plus depuis des mois.

- Tu as fouillé ? je l'interroge pour tenter d'en apprendre plus.

- Evidement que j'ai fouillé ! Mon frère disparait du jour au lendemain alors je cherche à savoir pourquoi.

Je recule et scrute la pièce, rien d'apparent qui justifierai sa disparition.

- Tu as trouvé quelque chose ?

Ekaterina croise les bras sur sa poitrine sans me répondre, à la place elle fulmine, je le vois à sa mâchoire qui se crispe, à ses iris qui s'étrécissent et ses lèvres qui se pincent.

Cette fille est...fulgurante, même fagotée avec sa tenue de chantier, échevelée et en colère elle dégage un truc animal qui ne m'a jamais laissé indifférent.

Je suis formé pour ne pas m'attendrir face au sexe opposé, pour faire taire mes plus bas instincts, mais face à elle, c'est plus compliqué.

- Tu te moques de moi ? elle reprend après plusieurs secondes à se jauger dans le silence. C'est à toi de me dire ce qu'il se passe avec Miki, toi qui a les réponses !

Je commence à me demander si le Commandeur n'a pas raison de s'inquiéter.

Je retourne dans le salon en me frottant le visage, je dois réfléchir et avoir Kat sous le nez ne m'aide pas.

Je n'ai pas les réponses parce que je n'ai pas vu Miki depuis des mois et notre dernière rencontre s'est fini en dispute. Sa sœur ne semble pas au courant, il faut dire qu'il n'est pas très loquace de caractère encore moins en ce qui concerne l'Ordre mais, en maintenant nos mensonges, il aurait très bien pu se confier à elle.

- Niels, reprend la jeune femme en me rejoignant, il se passe quelque chose et je dois savoir si mon frère est en danger.

- Pourquoi le serait-il ?

- Parce qu'il s'est barré sans rien emporter, parce que même toi tu ignores où il se trouve.

- Il est peut-être en mission et...

- Dans ce cas, tu le saurais.

Les mensonges, finalement ça se retourne toujours contre nous.

Kat ne sait pas qui nous sommes réellement Miki et moi, elle pense que nous travaillons pour les renseignements, ce qui ne nous permet pas de parler de nos activités et qui justifie nos départs. Notre règle était de partir ensemble ou, si ce n'était pas possible, que l'autre sache où nous trouver afin de rassurer tout le monde.

J'ai fait une erreur en venant ici sans me préparer à ce que Miki ait réellement des problèmes, sans avoir pensé à une excuse à donner à son entourage. Me voilà pris dans mes propres filets et je sais que Kat ne lâchera rien tant qu'elle n'aura pas la certitude que son frère va bien.

- Il a dû prendre le large, je poursuis en essayant de paraitre détendu.

Ce qui ne fonctionne pas face à Kat, qui me connait trop bien.

- Même toi tu n'y crois pas.

Elle se laisse tomber sur le canapé en soupirant puis, elle sort son téléphone et compose le numéro de sa messagerie en haut-parleur. Il annonce un message qui date d'hier.

- Kat, c'est moi, je...si...trouve Sa...

C'est la voix de Miklos, le réseau ne devait pas être bon parce qu'il y a des coupures si bien qu'on ne comprend rien.

- Remets le.

Elle repasse l'audio, mais c'est toujours aussi incompréhensible.

- C'est quoi « Sa » ? elle m'interroge.

- Je ne sais pas.

- Qu'est-ce que tu sais au juste ?

- Rien. Mais je vais le retrouver ne t'en fais pas.

- Evidement que je m'en fais, mon frère a disparu, il me laisse un message que je ne peux pas entendre et qui devait surement être important.

- Ce n'est rien, je t'appelle dés que je le retrouve.

Je m'apprête à partir, mais Kat n'est pas de cet avis. Elle se lève et harponne mon bras pour me retenir. Mon corps tout entier vibre et une sensation familière m'habite.

Tiens tiens, te revoila on dirait !

Kat me relâche comme si elle s'était brulé en me fixant d'une drôle de façon face à ma réaction qui parait disproportionnée.

L'Entité qui m'accompagne a décidé de refaire surface au mauvais moment. Des mois qu'il se terre dans mon esprit et il suffit qu'une femme m'approche pour qu'il daigne faire son retour. Cela dit, ce n'est pas n'importe quelle femme, c'est celle qu'il m'a forcé à voir comme un problème durant mon adolescence et mon apprentissage, celle pour qui j'aurai pu craquer. Mais je ne suis plus un ado aux hormones en ébullitions, j'ai pris dix ans de pratique et d'entrainement, je sais résister même à la plus belle des tentations.

- Je ne vais pas attendre sans rien faire, lâche Kat, je viens avec toi.

- C'est impossible.

- Pourquoi ?

- Il doit être...tu connais ton frère, je ne vais pas te faire un dessin.

Kat se met à rire.

- Et tu penses que je ne sais pas ce qu'est un club de striptease ?

Une part de moi l'espère oui, une part de moi aimerait qu'elle soit restée l'adolescente un peu brutale et gauche qui ne voit pas les hommes comme des êtres sexués.

- Niels, elle reprend avec sérieux, même quand il...tombe amoureux, il répond au téléphone, jamais il ne m'a laissée sans nouvelle.

Je sais et c'est bien ce qui m'inquiète, tout ceci n'est pas normal, néanmoins je dois commencer par les endroits habituels avant de faire des suppositions plus fatalistes.

- Je dois y aller, je t'appelle pour...

Kat me suit à l'extérieur de l'appartement, je soupire d'agacement.

- Je viens.

Elle prend le temps de fermer à clef et je regrette déjà d'avoir commencé par son appartement, elle ne va pas me lâcher et rendre mes recherches un peu plus compliquées.

- Ecoute, je tente une dernière fois, je serai plus efficace seul qu'avec quelqu'un à surveiller si jamais...

- Je t'arrête tout de suite, je n'ai certainement pas besoin que tu me surveilles.

- Et si ton frère s'est fourré dans une sale histoire ?

Un sourire malicieux éclaire son visage puis je la vois sortir de son dos un marteau pendus à la ceinture d'outils qu'elle trimballe toujours sur elle.

Elle l'agite sous mon nez avant de le brandir pour fendre l'air d'un coup.

Cette fille est folle. Amusante, mais folle.

- Je sais me défendre.

Qu'est ce que je peux répondre à ça ? Oui, elle sait. Son père, son frère et même moi lui avons inculquée les rudiments de la défense mais si en plus elle est armée...

- Bien, tu viens mais c'est moi qui pose les questions.

Kat me fait un clin d'œil, elle remets son marteau en place puis me dépasse et s'élance dans les escaliers pour quitter l'immeuble.

L'Entité que je couve, qui se réveille d'un coma de plusieurs mois commence à s'étirer dans mon esprit et je sens que cette journée ne va pas être de tout repos.